Le secteur de la psychiatrie s’est fondé sur l’offre de soins psychiatriques à destination des habitants d’un territoire donné. Pendant plusieurs décennies, ce dispositif a permis de proposer une palette de structures diverses et variées facilitant la vie des patients en dehors de l’hôpital. Or, s’il s’agit d’offrir des soins gratuits à des habitants, quid des « non-habitants » : les sans domicile fixe (SDF), les sans-abris les migrants… ? Dans les années 1990, plusieurs services de secteurs, tant en régions qu’à Paris, se sont organisés pour aller à la rencontre de ces personnes n’ayant pas de domicile ou de « chez soi ». Il s’agissait d’une démarche très novatrice d’aller au-devant des publics les plus exclus et les plus précaires. Pendant plus d’une décennie, ces pratiques ont fait tache d’huile sur tout le territoire national, à tel point que le ministère de la Santé a conforté ces actions par la parution, le 23 novembre 2005, d’une circulaire « relative à la prise en charge des besoins de santé mentale des personnes en situation de précarité et d’exclusion et à la mise en œuvre d’équipes mobiles spécialisées en psychiatrie [EMPP] ». Si ces équipes s’étaient inscrites dès 1998 dans le cadre de la loi de lutte contre l’exclusion, cette circulaire est tombée à point pour cadrer leurs missions afin de répondre à l’ampleur et à la complexité des besoins : publics différenciés et évolutifs, malaise des professionnels de première ligne. Par ailleurs un cahier des charges des EMPP est édité et sert de référence à toute équipe en activité ou en cours de développement.1-3

Principes prioritaires d’action et rattachement

Ils sont simples, tout au moins dans les textes :
– « aller vers » des personnes en souffrance, signalées par les partenaires, en assurant des permanences dans les lieux fréquentés (centre d’hébergement d’urgence, centre d’accueil de jour…) en vue d’instaurer un lien, en évaluant le degré de souffrance psychique et les besoins par des entretiens individuels, en orientant et accompagnant vers des prises en charge de droit commun, en animant des groupes de parole ou des ateliers thérapeutiques. Lorsque les personnes en souffrance ne peuvent se déplacer de la rue vers un lieu plus confidentiel, alors ces équipes organisent une visite sur site en présence du signalant ;
– construire un partenariat structuré visant à limiter les ruptures des parcours de soins, des parcours de réinsertion notamment par des actions de formation croisées, des échanges de pratiques et de savoirs, par l’examen en réseau de situations cliniques, par des soutiens, conseils et supervisions.
La quasi-totalité des EMPP sont rattachées à un établissement de santé, qu’il s’agisse d’un hôpital général ou d’un hôpital spécialisé. Les actions proposées, proactives, en amont de celles procurées par les secteurs de psychiatrie publique, placent ces EMPP non seulement comme des veilleurs de la souffrance psychique à la rue mais également comme des équipes d’appui des structures sociales œuvrant dans le domaine. Les EMPP n’ont pas vocation à se substituer ni aux intervenants de l’urgence ni aux missions du secteur psychiatrique, elles ne sont pas dotées de lits d’hospitalisation et n’offrent pas d’hébergement direct, même si elles en favorisent l’accès grâce à leur interaction avec les partenaires sociaux. À la fin des années 2000, les actions menées se sont vues renforcées par un autre nouveau dispositif : les permanences d’accès aux soins de santé en milieu psychiatrique (PASS Psy). Ces dernières sont dédiées aux personnes suivies par l’établissement auquel sont rattachées EMPP et PASS psy afin d’accélérer leur accès aux soins somatiques et aux droits. L’action des PASS psy étant tournée vers les personnes à l’intérieur des établissements de santé tandis que les EMPP le sont vers celles qui sont à l’extérieur.

Quel bilan peut-on tirer de ce dispositif original ?

Depuis 2005, les EMPP se sont développées et multipliées permettant de couvrir l’ensemble du territoire national, même s’il persiste encore de nombreuses zones blanches. Elles participent maintenant de la réponse en termes d’accès aux soins des personnes en situation d’exclusion sociale ayant une souffrance psychique. En priorisant les missions, chaque EMPP s’est adaptée aux besoins géo-populationnels de son territoire, les unes peu sollicitées par des situations « de rue » se sont orientées vers les personnes en grande précarité ou en exclusion mais bénéficiant d’un toit, d’autres, aux moyens très limités, n’agissent que par des actions auprès des acteurs de première ligne, en se repliant de façon univoque sur les appuis et soutiens auprès des structures, sans pour autant rencontrer les personnes en souffrance, ou encore en se contentant de participer aux actions territoriales : conseil local de santé mentale, réunions de veille sociale… Les actions des EMPP sont dépendantes de leurs moyens en personnel.
• En direction des personnes, le bilan est très positif car leur repérage et l’évaluation de leur souffrance et de leurs besoins, leur orientation vers les soins avec recherche de leur consentement ont permis une meilleure observance aux soins. Outre la diminution des soins sans consentement à la demande du représentant de l’État, les personnes hospitalisées après une longue préparation au séjour s’avèrent moins perdues de vue après l’hospitalisation. La psychiatrie est démythifiée pour ce public qui la considère de plus en plus comme un soin assimilable aux autres.
• En direction des acteurs de première ligne, le bilan est également positif. Les formations organisées par les EMPP permettent d’élever le seuil de tolérance des patients psychiatriques dans les structures. Les actions de reconnaissance et d’échanges de pratiques participent à la déstigmatisation. Certaines formations telles que les diplômes universitaires favorisent la professionnalisation des structures d’accueil et d’hébergement. La participation active des médiateurs santé-pairs et des interprètes dans les actions menées amplifie le respect réciproque et la qualité du prendre soin. En bref, cette meilleure compréhension des deux champs, sanitaire et social, favorise la coordination des actions et la qualité des soins.

Quels sont les obstacles ?

Il existe un risque de sous-traitance des missions du secteur psychiatrique par les EMPP : les premiers « déléguant » pour ne pas dire « se délestant » des actions auprès des précaires, alors qu’au contraire les EMPP doivent drainer les plus souffrants et les plus exclus vers les soins de secteur.
Les établissements porteurs ont tendance à utiliser les EMPP comme variable d’ajustement des pénuries en personnel : il n’est pas rare de voir des infirmiers ou des médecins « mutés » vers d’autres missions et services aux activités plus « nobles ».
Le détournement des financements spécifiques aux EMPP se fait vers d’autres missions telles que l’addictologie, les soins aux adolescents, aux personnes âgées…
Une fragilité supplémentaire peut apparaître lorsque les EMPP sont portées par des associations car, alors, l’absence de formalisation ou de sécurité de financement pérenne peuvent rendre ce dispositif caduc.

Évolution actuelle

Les publics se transforment puisque depuis une poignée d’années, les EMPP sont sollicitées de plus en plus pour évaluer et orienter les migrants lorsque ceux-ci sont repérés comme ayant une souffrance psychique – doux euphémisme. En effet, qu’il s’agisse de centres d’accueil d’urgence ou de centres d’hébergement plus prolongés, les personnes accueillies sur notre territoire au cours de leur parcours migratoire ont pour la plupart d’entre elles des états anxieux, dépressifs, post-traumatiques. Un travail d’évaluation et d’orientation permet alors la prévention d’aggravation de ces troubles.
Les EMPP évoluent également : si initialement elles pouvaient paraître électrons libres, maintenant certaines se rassemblent jusqu’à constituer un unique et même pôle sur un territoire départemental, offrant ainsi une certaine harmonisation des pratiques, une meilleure visibilité et lisibilité auprès des partenaires sociaux et médico-sociaux.

Un dispositif efficient… dans un contexte explosif

Le dispositif des EMPP ne constitue pas une « tête de gondole » des prestations de secteur mais un mode d’accès aux soins et de cadrage du parcours de soins des plus démunis. Bien sûr, le secteur psychiatrique est de plus en plus vilipendé, mais il n’en demeure pas moins qu’il a su innover, notamment par la création de ces EMPP, outils intersectoriels, véritables interfaces entre les soins de droit commun et les actions sociales. Quinze ans après la circulaire et un quart de siècle après les premières équipes, une culture commune sur la prise en charge des grands exclus s’est instaurée de façon décloisonnée, des structures apparaissent en co-construction entre les acteurs sanitaires et sociaux (résidences-accueils, coordination des actions, accès aux places d’hébergement…). Ce dispositif apparaît pertinent, efficace et efficient, eu égard aux faibles moyens attribués aux équipes par rapport à leur charge explosant dans un contexte… explosif.
Encadre

Les EMPP en quelques chiffres

Le nombre d’Équipes mobiles psychiatrie-précarité (EMPP) sur le territoire national reste difficile à stabiliser. En effet certaines équipes peuvent disparaître du jour au lendemain car dans les établissements où elles sont rattachées les EMPP servent, injustement, de variable d’ajustement de personnel médical et paramédical. Fin 2019, 145 EMPP étaient déclarées. Le personnel affecté est très variable de 1 à 4 personnes en moyenne. La file active étant souvent liée au nombre de personnes constituant l’équipe : 170 en moyenne basse, 470 en moyenne haute, pour une file active totale nationale dépassant les 30 000 patients. Le nombre d’actes se chiffre à plus de 140 000 par année, avec une moyenne de 2 à 3 actes par personne.

L’évaluation de l’impact des actions des EMPP est peu quantifiable : le nombre de perdus de vue ou d’admissions sous contrainte est considéré en diminution par les secteurs de psychiatrie mais comme le nombre de prises en charge est en constante augmentation, les valeurs semblent stables.

Références
1. Mercuel A. Souffrance psychique des sans abri. Vivre ou survivre. Paris : Odile Jacob, 2012.
2. Mercuel A. et al. Le patient avec problématique sociale. In : Psychiatrie de liaison. Paris : Lavoisier, 2017:682-6.
3. Mercuel A. « Aller vers… » en psychiatrie et précarité : l’opposé du « voir venir… » ! Revue Rhizome 2018 ;68.

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