L’ostéoporose est définie par l’Organisation mondiale de la santé comme une maladie généralisée du squelette caractérisée par une masse osseuse basse et une microarchitecture altérée responsable d’une fragilité osseuse et d’une augmentation du risque de fracture. L’ostéoporose est un problème majeur de santé publique, entraînant une augmentation de la morbidité et de la mortalité et une altération de la qualité de vie chez les sujets atteints. Les fractures ostéoporotiques sont la principale complication de l’ostéoporose, et leur nombre est en constante augmentation en raison du vieillissement de la population et de l’augmentation du risque de chute chez les personnes âgées. Une femme sur deux et un homme sur cinq auront une fracture ostéoporotique après 50 ans. Sur le versant économique, cette maladie occasionne des dépenses de santé considérables. En Europe, elles s’élevaient à 37,5 milliards d’euros en 2017, dont 66 % consacrés à la prise en charge des fractures, 29 % aux soins à long terme et seulement 5 % à la prévention pharmacologique. On attend pour 2030 une augmentation de 26 %.

Un déficit de prise en charge de l’ostéoporose

Malgré ces chiffres, l’ostéoporose reste une maladie sous-diagnostiquée et sous-traitée. En dépit de traitements efficaces, on observe depuis plus de 10 ans une réduction progressive du nombre de prescriptions médicamenteuses. En effet, on s’aperçoit, en France, que dans l’année suivant une hospitalisation pour une fracture ostéoporotique 85 % des femmes n’ont pas débuté de traitement antiostéoporotique, et 90 % n’ont pas eu d’évaluation densitométrique. Ce déficit de prise en charge associant absence de diagnostic et baisse des prescriptions est un problème mondial. Plusieurs éléments permettent de l’expliquer : mauvaise observance thérapeutique, peur des effets indésirables et impact négatif des médias.
L’efficacité antifracturaire des traitements de l’ostéoporose reste étroitement liée à la bonne observance thérapeutique des patients. Or, comme pour la majorité des maladies chroniques, l’adhésion aux traitements anti­ostéoporotiques est insuffisante. Ainsi, selon les études, la persistance à 1 an de la prise des bisphosphonates oraux varie de 16 à 60 %. Ces comportements ont des conséquences dramatiques, avec notamment l’augmentation du risque de fracture ultérieure de 30 à 40 % pour les bisphosphonates oraux en cas de mauvaise observance.

Prévention secondaire : les filières fracturaires

La création des filières fracturaires remonte au début des années 2000 à Glasgow (Écosse). L’International Osteoporosis Foundation (IOF) a par la suite développé un programme de prévention secondaire des fractures visant à lutter contre ce déficit de prise en charge de l’ostéoporose en se focalisant sur les patients ayant récemment fracturé.1 Il s’agit du programme « Capture the Fracture ». L’objectif principal de ce programme est de lutter contre l’ostéoporose grâce à la promotion des filières fracturaires, ou Fracture Liaison Services (FLS). Il s’agit d’organisations hospitalières pilotées par un coordonnateur local, s’articulant autour d’un partenariat multidisciplinaire associant des services de rhumato­logie, d’urgences, de traumatologie, de gériatrie et des infirmières spécialisées, avec un rôle essentiel du médecin traitant dans l’initiation du traitement de l’ostéoporose, l’information et le suivi des patients. Les quatre grandes missions de ces filières sont : identifier les patients venant de se fracturer ; évaluer le risque fracturaire (densitométrie osseuse, bilan biologique, bilan des facteurs de risque) ; instaurer un traitement antiostéoporotique lorsqu’il est indiqué ; informer et programmer le suivi des patients (fig. 1). Une revue de la littérature2 a été publiée en 2013 pour évaluer les différents modèles de soins de prévention secondaire des fractures ostéoporotiques. Les interventions les plus efficaces étaient les filières fracturaires, qui avaient les meilleurs taux d’initiation et de maintien thérapeutique ainsi qu’un meilleur rapport coût-efficacité.
L’efficacité de ces filières fracturaires a depuis été démontrée par plusieurs équipes. En 2018, une méta-analyse taïwanaise montrait, par rapport à une prise en charge standard, une augmentation du taux d’évaluation densitométrique de 24 %, une augmentation du taux d’initiation du traitement de 20 %, une amélioration de l’observance théra­peutique de 22 %, une réduction du risque de fracture ultérieure de 5 %, et une réduction de la mortalité de 3 %.3

Les filières fracturaires en France

En France, ces filières fracturaires, au nombre de plus de 52, se sont organisées en « club » sous l’égide du Groupe de recherche et d’informations sur les ostéoporoses (GRIO) [fig. 2]. À Lille, la filière fracturaire créée en 2016 a permis d’identifier plus de 1 200 patients au cours de ces trois premières années d’existence et d’organiser environ 400 consultations avec densitométrie osseuse et explorations biologiques.4 Sur 380 patients (79,2 % de femmes, âge moyen de 76 ± 11 ans) ayant une ostéoporose fracturaire et inclus dans la filière fracture, 367 patients (96,6 %) ont accepté de débuter un traitement antiostéoporotique (acide zolédronique pour 59,1 % d’entre eux). Le traitement prescrit a été initié chez 275 patients : 150 de l’acide zolédronique (54,5 %), 63 du tériparatide (22,9 %), 39 du dénosumab (14,2 %) et 23 un bisphosphonate oral (8,4 %). Les taux de maintien thérapeutique étaient de 84,1 % (intervalle de confiance [IC] à 95 % : 70,1- 88,1] à 12 mois et de 70,3 % [IC à 95 % : 63,7-75,9] à 24 mois.

Rompre le cercle vicieux

La survenue d’une fracture ostéoporotique est l’occasion de prendre en charge ces patients afin de rompre le cercle vicieux de la refracture. La mise en place des filières fracturaires a prouvé son intérêt à travers le monde, et notamment en France. Pour autant, la mise en place et la pérennisation de ces structures se heurtent à des impératifs économiques, en premier lieu le financement du poste de l’infirmière de liaison et la mise en évidence de son efficacité sur certains paramètres (refracture, mortalité, réduction des coûts…) qui dépend de sa capacité à identifier et à inclure un grand nombre de patients, ce qui reste très dépendant de l’acceptation des patients de participer à ce type de programme. L’optimisation des parcours de soins des patients ostéoporotiques est indispensable, et les filières fracturaires sont l’un des outils à notre disposition.
Références
1. Eisman JA, Bogoch ER, Dell R, et al. Making the first fracture the last fracture: ASBMR task force report on secondary fracture prevention. J Bone Miner Res 2012;27:2039-46.
2. Akesson K, Marsh D, Mitchell PJ, et al. Capture the fracture: a best practice framework and global campaign to break the fragility fracture cycle. Osteoporos Int 2013;24:2135-52.
3. Ganda K, Puech M, Chen JS et al. Models of care for the secondary prevention of osteoporotic fractures: a systematic review and meta-analysis. Osteoporos Int 2013;24:393-406.
4. Pflimlin A, Gournay A, Delabrière I, et al. Secondary prevention of osteoporotic fractures: evaluation of the Lille University Hospital’s Fracture Liaison Service between January 2016 and January 2018. Osteoporos Int 2019;30:1779-88.

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