La vitamine D joue un rôle majeur dans la croissance et la qualité osseuse mais a également des effets bénéfiques systémiques. La supplémentation en vitamine D a pour objectif de limiter les rachitismes carentiels et d’optimiser le pic de masse osseuse, qui sont deux objectifs prioritaires en termes de santé publique, dans un contexte où les rachitismes carentiels n’ont pas disparu en France.1,2
Le rôle « historique » et classiquement décrit de la vitamine D est son rôle dans l’homéostasie phosphocalcique, avec la stimulation de l’absorption intestinale de calcium et de phosphore, permettant ainsi de maintenir un état de normocalcémie nécessaire pour une minéralisation osseuse adéquate,3 la stimulation de la réabsorption tubulaire de calcium et l’inhibition de la synthèse de parathormone (PTH), hormone hypercalcémiante et phosphaturiante. Dans un contexte de « pandémie » de défi cit en vitamine D dans la population générale,4 la connaissance de la physiologie de cette hormone a également progressé pour transformer cette hormone purement phosphocalcique et osseuse en une hormone pléiotrope ayant un effet bénéfique sur la santé globale : anti-infectieuse, anti-infl ammatoire, antitumorale, protectrice cardiovasculaire, notamment par ses effets inhibiteurs du système rénine-angiotensine et possiblement bénéfi que sur le psychisme et le développement neuronal, la vitamine D a tout pour plaire !5-7 Néanmoins, les grands essais randomisés chez l’adulte n’ont pas permis d’atteindre la significativité statistique sur les critères de jugement principaux, que ce soit la prévention du cancer, des maladies cardiovasculaires, des chutes ou du diabète.8-11 Plusieurs facteurs peuvent être discutés pour expliquer ces résultats décevants (supplémentation chez des patients déjà supplémentés [repleted patients], apports calciques non contrôlés, apports en vitamine D sous forme de compléments alimentaires possibles, etc.) ;12 des essais contre placebo chez des patients carencés seront cependant éthiquement probablement impossibles à mettre en place dans le futur.
Les nouvelles recommandations sur la supplémentation en vitamine D et les apports calciques en population pédiatrique générale ont été publiées en 2022. Elles sont le fruit d’un travail collaboratif multidisciplinaire ayant respecté la méthodologie des recommandations internationales, avec un groupe de travail en charge de la revue de la littérature et de l’écriture/grading des recommandations et un groupe de relecteurs ayant voté pour chaque proposition selon la méthode Delphi.13 L’objectif de cet article est d’en présenter les grandes lignes, avec quelques messages principaux : une supplémentation pour tous les enfants de 0 à 18 ans, la disparition de l’ajustement des doses en fonction du type d’allaitement et de la couleur de peau de 0 à 2 ans, la préférence à la supplémentation quotidienne pour des raisons de physiologie, mais la porte laissée ouverte à la supplémentation intermittente, l’identification de quatre facteurs de risque nécessitant un doublement des doses (obésité, peau foncée, absence d’exposition solaire et régime végétalien), et enfin la nécessité pour les pédiatres de prescrire de la vitamine D sous forme médicamenteuse et non sous forme de complément alimentaire.
Recommandations françaises 2022
Les recommandations françaises de supplémentation en vitamine D en pédiatrie générale, datant de 2012,14 viennent d’être actualisées,13 notamment pour s’harmoniser aux recommandations européennes.15 Elles recommandent une supplémentation de 400 à 800 UI/j chez tous les nourrissons nés à terme de 0 à 2 ans, quel que soit le type d’allaitement et quel que soit la couleur de peau.13 Les apports nutritionnels recommandés en vitamine D publiés par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) en 2016 sont en effet de 400 UI/j pour tous les nourrissons et de 600 UI/j au-delà de 1 an.16 En effet, la dose de 400 UI/j chez des nourrissons sains nés à terme et allaités suffit pour prévenir le rachitisme mais également pour assurer une santé osseuse adéquate.17,18 Cette supplémentation en vitamine D est fondamentale pour prévenir le risque de rachitisme carentiel, qui n’a pas encore disparu.2 Les grands principes sont résumés dans le tableau 1.
Au total, trente-cinq propositions ont été faites par le groupe de travail sur les nouvelles recommandations sur la vitamine D et le calcium en population pédiatrique générale, dont quatre concernent les apports calciques (tableau 2). On peut relever également que le dosage de 25-OH-D n’est pas recommandé en population pédiatrique générale en l’absence de signe évocateur de rachitisme, qu’en cas de dosage les cibles proposées sont entre 50 et 150 nmol/L, et qu’il n’y a pas d’argument dans la littérature pour modifi er les recommandations pour les enfants des Dom-Tom, qu’il s’agisse des Dom-Tom chauds ou froids.13 En revanche, en cas d’antécédents familiaux d’intoxication à la vitamine D, d’hypercalcémie, d’hypercalciurie, de calculs rénaux et/ou de néphrocalcinose, il est proposé de vérifi er la 25-OH-D.13
Autres éléments d’actualité autour de la vitamine D
L’année 2021 a été marquée dans le domaine de la vitamine D par une alerte émise par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) sur le mésusage des compléments alimentaires contenant de la vitamine D, qui peuvent toucher également les anciens prématurés lors du retour à domicile. En effet, des cas d’intoxication vitaminique D à la suite de l’usage de compléments alimentaires à très fortes concentration en vitamine D achetés sur internet (1 goutte = 10 000 UI !) ont été décrits, ayant induit des hypercalcémies sévères avec néphrocalcinose nécessitant des hospitalisations chez des nourrissons auparavant en bonne santé. Ce constat n’est malheureusement pas uniquement français, et a déjà été rapporté, notamment aux États-Unis et en Grande-Bretagne où les compléments alimentaires sont de longue date disponibles très facilement.19 Dans ce contexte, le constat d’une augmentation de l’administration de vitamine D via des « compléments alimentaires », et non par la vitamine D médicamenteuse, a été fait, parfois sur les conseils inadaptés de professionnels de santé de la petite enfance. En collaboration avec les sociétés savantes de pédiatrie et de périnatalité (dont la Société française de pédiatrie, la Société française de néonatalogie, la Société française de médecine périnatale et la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité), l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l’ANSES ont donc alerté en janvier 2021 les professionnels de santé et les parents sur le risque de surdosage associé à l’administration à des enfants de compléments alimentaires contenant de la vitamine D.20
Un complément alimentaire n’est par définition pas soumis aux mêmes contrôles que les médicaments. Bien que les compléments alimentaires répondent à une réglementation visant à sécuriser leur utilisation, les notices des médicaments contenant de la vitamine D garantissent une information lisible en termes de doses, de précautions d’emploi, de risque d’effets indésirables et de surdosage. De plus, les médicaments présentent un niveau d’exigence concernant la qualité des matières premières, la fabrication et le contrôle du dosage dans chaque lot de fabrication supérieur à celui des compléments alimentaires. Les médicaments sont des produits sûrs, contrôlés et de qualité qui permettent un apport fiable et une sécurité d’utilisation.20 Si un médicament doit respecter la limite de 90 à 125 % entre la concentration mesurée et la concentration affichée sur l’étiquette (en tout cas en Grande-Bretagne, lieu de l’étude développée infra), en revanche, la marge du complément alimentaire est plus large, variant entre 80 et 150 %.21,22
Une étude britannique a évalué avant le Brexit onze compléments alimentaires contenant de la vitamine D et a montré que la concentration en vitamine D variait de 41 ± 11 % à 165 ± 18 % de la concentration inscrite sur l’étiquette ; huit préparations ne respectaient même pas la réglementation en vigueur au Royaume-Uni sur les compléments alimentaires,21 ce qui pose question sur les compléments alimentaires donnés dès la période néonatale. Ainsi, la prescription de vitamine D sous forme de compléments alimentaires doit être proscrite, ce qui est précisé dans les nouvelles recommandations.13 Il ne faut pas oublier que la vitamine D est un médicament, à manier comme tel, qui doit faire l’objet d’une prescription médicale. Le risque est en effet bien sûr le rachitisme carentiel, mais également le surdosage à l’opposé du spectre, que ce soit par une mauvaise prescription ou par une mauvaise compréhension parentale.1 En consultation, la recherche de l’utilisation des compléments alimentaires en automédication par les parents devrait être systématique avant toute prescription de vitamine D sous forme médicamenteuse.
Conclusion
En conclusion, les nouvelles recommandations de la Société française de pédiatrie publiées début 2022 proposent une supplémentation pour tous les enfants de 0 à 18 ans, et non pas de 0 à 18 mois, et intègre également les apports en calcium, l’activité physique et la nécessité de décision partagée avec les parents. Il faut garder en tête que la supplémentation en vitamine D a pour objectif de limiter le rachitisme carentiel et d’optimiser le pic de masse osseuse, qui sont deux objectifs prioritaires en termes de santé publique. La politique globale de la supplémentation en vitamine D doit rester la prévention du rachitisme nutritionnel, mais la règle du « ni trop ni trop peu » devrait également éviter la toxicité rénale à long terme.
À l’instar d’autres recommandations nationales et européennes, une supplémentation quotidienne est proposée en première intention. Cependant, en cas de mauvaise observance, un protocole alternatif avec des administrations intermittentes est également proposé. L’apparition de nouveaux comportements favorisant l’utilisation de formes de vitamine D native en vente libre « plus naturelles », ou « compléments alimentaires », augmente le risque d’intoxication. À long terme, il reste à démontrer si la supplémentation en vitamine D chez les enfants a également des effets bénéfiques extrasque-lettiques.
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