Le maintien en emploi correspond à toute action ou stratégie ayant pour but de permettre à une personne de conserver un emploi et poursuivre sa carrière, malgré un (ou plusieurs) problèmes de santé diminuant ses capacités.1 On distingue le maintien dans le poste initial (maintien dans l’emploi) habituellement visé en priorité, le maintien dans un autre poste de travail de la même entreprise (reclassement interne) et, enfin, la recherche d’un autre poste de travail dans une autre entreprise (reclassement externe) nécessitant la fin du contrat de travail et la sortie de l’entreprise initiale (le plus souvent par voie d’inaptitude médicale au poste de travail).

Différents enjeux

Vieillissement de la population active

La part des personnes âgées de plus de 50 ans parmi les actifs a doublé en vingt ans, pour atteindre 30 % en 2019. Les actifs âgés de plus de 55 ans seront 6 millions en 2030, soit deux fois plus que les 15-24 ans.2 L’avancée en âge est associée à un déclin des fonctions physiologiques et à une augmentation de la morbidité. Le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite conduit à augmenter la durée de vie professionnelle. De plus en plus de personnes doivent concilier leur activité de travail avec une ou plusieurs maladies chroniques invalidantes.

Objectif de santé publique

La prévention de la désinsertion pro­fessionnelle constitue un axe majeur du 4e Plan national de santé au travail (2021-2025). La stratégie décennale de l’Institut national du cancer (2021-2030) a consacré le maintien en emploi comme un objectif à part entière de la prise en charge des personnes atteintes de cancer. Plusieurs dispositions législatives et réglementaires ont été adoptées pour renforcer les missions de maintien en emploi des services de prévention et de santé au travail (SPST)3, dont l’obligation de disposer de cellules de prévention de la désinsertion professionnelle au sein de chacun de ces services.

Problématique intersectorielle

Le maintien en emploi d’une personne ayant des problèmes de santé se situe au carrefour du monde de la santé, du travail, de la protection sociale et de la sphère personnelle. Il importe que tous les acteurs soient présents sur le terrain et œuvrent de concert.4 Les acteurs impliqués – médicaux, paramédicaux et non médicaux – poursuivent des objectifs parfois en tension, voire en opposition. La concertation et la coordination sont des enjeux majeurs pour établir la stratégie du maintien en emploi, le plan de retour au travail (pour les personnes en arrêt) et sa mise en œuvre.1

Acteurs du maintien en emploi

Multiples intervenants du soin

Les acteurs médicaux principaux du maintien en emploi sont le médecin traitant (avec les autres spécialistes), en charge du projet thérapeutique et rééducatif (incluant la prescription des arrêts de travail), le médecin de santé au travail et le médecin-conseil de la Sécurité sociale. Ils sont appelés à communiquer selon les besoins de chaque situation, dans les règles habituelles du secret médical, après information et avec l’accord de la personne accompagnée.
Selon les situations, les acteurs para­médicaux (kinésithérapeutes, par exemple) et/ou les psychologues sont également des personnes ressources importantes dans l’accompagnement. Certains centres de réadaptation participent au réseau Comète France (www.cometefrance.com) prévoyant un dispositif d’insertion précoce visant à anticiper la reprise du travail pendant la phase de réadaptation.
Le rôle spécifique du médecin du travail est de proposer des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste, justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge ou à l’état de santé physique et mental du travailleur.6 Il se fonde pour cela sur son évaluation de l’état de santé et des capacités fonctionnelles d’une part, et sur l’évaluation des exigences du poste de travail (exigences physiques, cognitives, sociales, émotionnelles et autres) d’autre part.

Acteurs non liés au soin

Les autres acteurs comprennent en premier lieu les acteurs de l’entreprise (employeur, direction des ressources humaines [DRH], encadrement) mais aussi des assistants de services sociaux (Assurance maladie, entreprise, secteur) et certaines structures de maintien en emploi et organismes de placement spécialisés telles que les structures Cap emploi.
Les entreprises de plus de 250 salariés doivent normalement disposer d’un référent « handicap ».7 Certaines grandes entreprises se dotent d’une « mission handicap » adossée au service des ressources humaines et prévoyant des moyens définis par une convention avec l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) [www.agefiph.fr].
L’employeur est tenu de prendre en considération l’avis et les indications ou propositions émis par le médecin du travail. En cas de refus, il doit faire connaître par écrit au travailleur et au médecin du travail les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite.8 L’encadrement de proximité est particulièrement concerné par la mise en œuvre et le suivi des aménagements du poste de travail, qui est un processus social tout autant – sinon plus – que technique.

Mesures du maintien en emploi

Plan de retour au travail

Pour les salariés en arrêt maladie, les recommandations de la Haute Autorité de santé pour le maintien en emploi prévoient l’élaboration d’un « plan de retour au travail » en concertation entre le travailleur, le médecin du travail et l’employeur.1
Une première étape d’analyse doit conduire à une compréhension partagée du risque de désinsertion professionnelle.
Une deuxième phase est consacrée à l’élaboration d’une liste des freins à la reprise du travail et des leviers pouvant être mobilisés.
Une troisième étape planifie la mise en œuvre des mesures identifiées et le suivi avec une évaluation régulière de l’état de santé du travailleur et de sa situation de travail.

Mesures mobilisables rapidement

Les mesures mobilisables rapidement en première intention sont la visite de préreprise, la reprise à temps partiel thérapeutique, les aménagements du poste de travail initial et le rendez-vous de liaison.
 

Visite de préreprise

Elle peut être organisée dès lors que l’arrêt de travail dépasse un mois, à la demande du travailleur, de son médecin traitant, du médecin-conseil de la Sécurité sociale ou encore du médecin du travail. Son objectif est d’anticiper les conditions de la reprise du travail pour mettre en œuvre les mesures pouvant la faciliter. Elle doit intervenir suffisamment en amont de la date prévisible de la reprise (idéalement quelques semaines) pour élaborer la stratégie et la mise en œuvre des mesures. Elle ne donne pas lieu à un avis d’aptitude ou d’inaptitude. Elle peut intervenir autant de fois que nécessaire. C’est un instrument privilégié de communication entre le médecin traitant et le médecin du travail pour élaborer la stratégie de maintien en emploi (maintien au poste initial, reclas­sement interne, reclassement externe).
 

Travail à temps partiel thérapeutique

Sa mise en œuvre peut intervenir d’emblée, sans avoir été précédée d’un arrêt de travail à temps complet. La réduction du temps de travail est variable, elle n’est pas forcément égale à un « mi-temps ».
Dans la fonction publique, elle nécessite l’accord préalable du médecin agréé.
L’employeur peut s’opposer au temps partiel mais doit pouvoir justifier que l’organisation du travail dans l’entreprise ne permet pas cette possibilité.
L’objectif visé est celui d’une réadaptation progressive au travail et par le travail, en articulation avec la prise en charge thérapeutique et rééducative. Dans ce but, des aménagements du poste peuvent être proposés conjointement avec cette réduction temporaire du temps de travail.
 

Aménagements du poste de travail

Ils sont préconisés par le médecin du travail et mis en œuvre, le cas échéant, dans l’entreprise par l’employeur et l’encadrement. Les aménagements visent à réduire temporairement ou durablement les exigences du poste de travail, que ce soit sur le plan physique, cognitif, social/relationnel, et parfois émotionnel. Ils peuvent porter sur certaines tâches de travail, des équipements, des aides techniques et/ou humaines, des horaires, la localisation du travail (télétravail, par exemple), etc.
 

Rendez-vous de liaison

Depuis le 31 mars 2022, l’article D1226-8-1 du code du travail9 complète l’arsenal des outils mobilisables pour prévenir la désinsertion professionnelle. Un rendez-vous de liaison est possible pour tous les arrêts d’au moins trente jours ; la durée d’arrêt de travail de plus de trente jours peut être continue ou discontinue. Cette mesure concerne tous les types d’arrêts de travail pour maladie, que celle-ci soit d’origine professionnelle ou non. L’employeur est obligé d’informer le salarié par tout moyen de la possibilité de bénéficier d’un rendez-vous de liaison. Le salarié peut solliciter lui-même un rendez-vous. Il a aussi le droit de refuser son organisation. Le cas échéant, ce refus ne constitue pas une faute et ne peut pas faire l’objet d’une sanction. La loi prévoit que le rendez-vous de liaison se fasse en association avec le service de prévention et de santé au travail, dans l’idée d’avoir une coordination d’acteurs dans une logique de reprise du travail, mais sans volet médical à ce stade. Cette nouvelle possibilité donne un cadre juridique permettant aux employeurs de maintenir un lien avec leur salarié durant la suspension du contrat de travail, à condition que le salarié l’accepte. Ce rendez-vous est destiné à élargir les possibilités de mobilisation précoce des outils de maintien en emploi.10

Mesures de plus long terme

Elles peuvent mobiliser notamment la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, un bilan de compétences, des formations visant un reclassement professionnel ou une demande de pension d’invalidité.
 

Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé

Elle permet aux titulaires d’être bénéficiaires de l’obligation d’emploi (BOE) qui impose à toutes les entreprises de plus de vingt salariés d’employer un quota minimal de 6 % de personnes entrant dans le cadre des BOE. Elle permet également de mobiliser le financement de prestations proposées par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) [secteur privé] ou le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) [www.fiphfp.fr] visant à compenser le handicap dans la sphère professionnelle (équipements, aide à la mobilité, formation, aide technique ou humaine, etc.).
Elle ne protège pas d’un licenciement mais impose à l’employeur des conditions de licenciement plus exigeantes pour ne pas constituer une discrimination sur l’état de santé, qui l’exposerait à des poursuites.
Une personne titulaire de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé n’est pas tenue d’en informer l’employeur et peut ne s’en prévaloir qu’en cas de nécessité.
 

Bilan de compétences

Le bilan de compétences vise à aider la construction d’un projet d’évolution ou de reconversion professionnelle et/ou à confirmer un projet de formation. Il est mobilisable au titre du plan de formation de l’entreprise ou du compte personnel de formation (CPF) hors ou pendant le temps de travail. Selon les situations, il peut être réalisé pendant un arrêt de travail sur autorisation de l’Assurance maladie, au titre des actions de remobilisation précoces. Il est essentiel, avant le bilan de compétences, de préciser à l’organisme qui le réalise les limitations fonctionnelles durables attendues en fonction de l’état de santé.
 

Pension d’invalidité

La pension d’invalidité vise à aménager durablement le temps de travail par une diminution du volume horaire et à compenser la perte de salaire engendrée. Lorsqu’une activité professionnelle est poursuivie, le salarié peut bénéficier d’indemnités journalières en cas d’arrêt de travail, sous réserve de remplir les conditions d’ouverture des droits.
Au terme de la pension d’invalidité, cette dernière est transformée en retraite pour inaptitude. Le bénéfice d’une pension d’invalidité permet d’être bénéficiaire de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés, et ce quelle que soit la catégorie.
Avoir une pension d’invalidité n’interdit pas de travailler. Selon les entreprises, un contrat de prévoyance peut compléter la pension d’invalidité versée par l’organisme de Sécurité sociale. La pension d’invalidité peut être révisée, suspendue ou supprimée pour raisons médicales ou si le cumul pension d’invalidité et salaire dépasse un certain seuil. Le bénéfice de la pension d’invalidité s’arrête à l’âge de départ à la retraite du salarié.
Dans la fonction publique, il n’existe pas de pension d’invalidité.

Autres mesures

Plusieurs autres mesures de maintien en emploi peuvent être mobilisées telles que l’essai encadré, le contrat de rééducation professionnelle en entreprise, la prise en charge dans un centre de pré-orientation, un centre de rééducation professionnelle, la reconnaissance de la lourdeur du handicap, etc.
Le détail de ces différentes mesures est décrit dans les recommandations de la Haute Autorité de santé pour le maintien en emploi.1
Leur mise en œuvre nécessite la mobilisation de compétences spécialisées (assistant de service social, personnes chargées de maintien en emploi, conseil en formation, etc.).

Une question à aborder précocement

Le travail est l’un des principaux déterminants de la santé. La question du maintien en emploi devrait être abordée de façon systématique et précoce par tout médecin impliqué dans la prise en charge d’une pathologie ayant un impact fonctionnel. L’anticipation des enjeux ainsi que la collaboration entre les acteurs – qu’ils soient soignants ou non – sont essentielles dans l’accompagnement du travailleur, qui doit rester au centre de la démarche. 
Références
1. Santé et maintien en emploi : prévention de la désinsertion professionnelle des travailleurs. Haute Autorité de santé, 15 février 2019. https://vu.fr/FPbxG
2. Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Population active. Tableaux de l’économie française. Édition 2019. https://vu.fr/VWxn
3. Légifrance. Loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail. https://vu.fr/zUKKF
4. Loisel P, Buchbinder R, Hazard R, Keller R, Scheel I, van Tulder M, et al. Prevention of work disability due to musculoskeletal disorders: The challenge of implementing evidence. J Occup Rehabil 2005;15:507-24.
5. Légifrance. Code du travail : suivi individuel renforcé de l’état de santé des travailleurs (articles R4624-22 à R4624-28-3). https://vu.fr/ZkxSm
6. Légifrance. Code du travail : article L4624-3. https://vu.fr/YPkOJ
7. Légifrance. Code du travail : droits et garanties des travailleurs handicapés (articles L5213-6 à L5213-9). https://vu.fr/XVcOc
8. Légifrance. Code du travail : article L4624-6. https://vu.fr/GBreM
9. Légifrance. Code du travail : article D1226-8-1. https://vu.fr/gznQ
10. Fantoni-Quinton S. Maintien en emploi : nouveau rendez-vous de liaison avec l’employeur pendant un arrêt de travail. Rev Prat 2023;73(4):373-6.

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