La période de l’adolescence est une période de maturation cérébrale particulièrement active, sous-tendue par de multiples mécanismes (myélinisation, élimination synaptique, modifications hormonales). L’imagerie révèle par exemple une réduction de la substance grise dans les régions du cortex préfrontal et temporal interne et une augmentation de la myélinisation. La maturation à l’adolescence est un processus qui n’est ni linéaire ni homogène : elle engendre des déséquilibres dans la régulation du comportement avec une hypersensibilité émotionnelle (sensibilité à la récompense, par exemple) alors que les régions impliquées dans la planification et la capacité d’inhibition (régions préfrontales) maturent plus tardivement. Ce déséquilibre fonctionnel cortico-sous-cortical est peut-être à l’origine de la forte prévalence d’expériences « quasi psychotiques » (pensée magique, expériences perceptives inhabituelles) chez les adolescents et la recherche de nouvelles expériences, comme la prise d’alcool et de cannabis dont l’initiation connaît un pic entre 15 et 20 ans.1 Or le cerveau apparaît particulièrement sensible à l’environnement durant cette période et notamment au cannabis.
Le système cannabinoïde endogène joue un rôle majeur dans les processus neurodéveloppementaux et de maturation du cerveau au cours de l’adolescence. Les récepteurs aux cannabinoïdes de type 1 (CB1) sont très exprimés durant le développement, avec une concentration plus forte au niveau du cervelet, où se coordonnent pensées et actions, de l’amygdale où se régulent les émotions, et au niveau de l’hippocampe et du cortex préfrontal, régions de la mémoire et des fonctions exécutives (planification, inhibition, résolution de problèmes). C’est sur ces récepteurs que se lient les cannabinoïdes comme le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) contenu dans le cannabis et responsables des effets psychiatriques et cognitifs.

Des effets marqués

Les cannabinoïdes « exogènes » modifient le fonctionnement du système endocannabinoïde et perturbent les processus de maturation liés aux endocannabinoïdes. Il en résulte des effets plus marqués mais surtout plus durables, voire persistants.2, 3 Ainsi, la perte de substance grise induite par le cannabis est plus marquée lors d’une consommation à l’adolescence et persiste ; les troubles attentionnels et les troubles des fonctions exécutives sont plus durables. Le risque de schizophrénie est plus élevé en cas de consommation avant 15 ans (environ 4 fois plus que pour la population générale).4 Par ailleurs, une étude prospective populationnelle a montré qu’une consommation hebdomadaire de cannabis débutant avant 18 ans et poursuivie plusieurs années, est associée à une diminution significative du quotient intellectuel (4-8 points) après arrêt de la consommation (le déficit est plus important en cas de poursuite de la consommation).5
Les études chez l’animal corroborent ces observations. L’exposition répétée au THC ou aux agonistes des récepteurs CB1 a un plus grand impact négatif, à distance de l’exposition, sur la mémoire de travail, la reconnaissance des objets et l’inhibition au pre-pulse chez des rongeurs adolescents que des rongeurs adultes. L’exposition à l’adolescence altère la plasticité synaptique entre l’hippocampe et le cortex préfrontal, entraîne des anomalies structurales au niveau des épines dendritiques des cellules pyramidales du cortex préfrontal, perturbant la transmission excitatrice.
Au final, il faut retenir que le cerveau humain est plus vulnérable à l’usage du cannabis au cours de l’adolescence, pouvant entraîner des effets durables du fait de la perturbation du développement cérébral. Période critique pour l’émergence de troubles psychiatriques (psychotiques, anxieux, dépressifs, addictifs) et pour le développement cognitif, la consommation même limitée ne doit pas être banalisée et une information objective sur les risques doit être rappelée aux jeunes, d’autant qu’il existe une hyper­sensibilité à ces effets chez certains individus.
Références
1. Expertise collective Inserm. Conduites addictives chez les adolescents. Usages, prévention et accompagnement. Éditions Inserm 2014. http://www.ipubli.inserm.fr/handle/10608/171
2. Renard J, Krebs M-O, LePen G, Jay TM. Long-term consequences of adolescent cannabinoid exposure in adult psychopathology. Front Neurosci 2014;8:361.
3. Cannabis : une bombe à retardement pour le cerveau. Science & Santé, janvier-février 2016, n° 29. Éditions Inserm.
4. Arseneault L, Cannon M, Poulton R, Murray R, Caspi A, Moffitt TE. Cannabis use in adolescence and risk for adult psychosis: longitudinal prospective study. BMJ 2002;325:1212-3.
5. Meier MH, Caspi A, Ambler A, et al. Persistent cannabis users show neuropsychological decline from childhood to midlife. Proc Natl Acad Sci USA 2012 Oct 2;109(40):E2657-64.

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