Un tableau clinique et un pronostic différents selon le gène impliqué
Gènes impliqués dans la polykystose rénale autosomique dominante
Les gènes PKD1 et PKD2 et leurs protéines, impliqués dans 90 % des cas
La polykystose rénale est une maladie génétiquement hétérogène, avec deux gènes principaux décrits, PKD1 et PKD2, aux dépens desquels une mutation est identifiée dans plus de 90 % des familles atteintes.1-3 Il existe plus de 1 500 mutations différentes rapportées pour le gène PKD1 et plus de 250 pour le gène PKD2 ; moins de 2 % des familles partagent la même mutation. Le gène PKD1 code la polycystine 1, et le gène PKD2 code la polycystine 2. Ces protéines forment un complexe à la base du cil primaire, organelle ayant un rôle d’antenne renseignant la cellule sur son milieu extérieur et sa polarité, et se projetant au pôle apical de la plupart des cellules eucaryotes. L’interaction entre les deux protéines est indispensable à leur maturation. La polycystine 1, dans sa forme mature, est clivée ; le niveau de polycystine 1 mature résiduelle est corrélé avec la sévérité de la maladie.4
Deux nouveaux gènes impliqués dans les formes atypiques : GANAB et DNAJB11
En 2016, une étude collaborative impliquant des cohortes américaines (essai clinique HALT, cohortes observationnelles CRISP et Mayo) et la cohorte française Genkyst, impliquant plus de 300 individus atteints de polykystose rénale autosomique dominante sans mutation identifiée dans les gènes PKD1 ou PKD2, a permis d’identifier un troisième gène impliqué dans la polykystose rénale et hépatique : le gène GANAB, codant la sous-unité alpha de la glucosidase-II.5 Onze familles ont été rapportées à ce jour.5-7 La glucosidase II est une enzyme du réticulum endoplasmique impliquée dans la N-glycosylation, processus particulièrement important dans la maturation des protéines, leur permettant d’acquérir secondairement une structure tridimensionnelle nécessaire à leur exportation à l’appareil de Golgi puis à leur destination finale. Les mutations de GANAB affectent ainsi la maturation et la localisation des polycystines 1 et 2, expliquant le phénotype kystique observé.
Très récemment, un quatrième gène, DNAJB11, a été décrit.8 Ce gène code un cofacteur de la chaperonne principale du réticulum endoplasmique, BiP, encore connue sous le nom de GRP78. Tout comme dans le cas des mutations de GANAB, les mutations de DNAJB11 conduisent à un défaut de maturation de la polycystine 1. De façon intéressante, les mutations de DNAJB11 semblent également affecter la maturation et le trafic intracellulaire de protéines impliquées dans les néphropathies tubulo- interstitielles héréditaires, donnant lieu à un phénotype mêlant polykystose rénale et fibrose interstitielle. L’analyse de près de 600 patients atteints de polykystose sans mutation identifiée, venant des États-Unis, du Canada, de France et de Belgique, a permis d’identifier 23 patients (7 familles) DNAJB11, soulignant à nouveau l’intérêt des collaborations internationales pour mettre en évidence de nouveaux gènes dans les maladies rares.
Analyse des gènes de la polykystose
Le gène PKD1 comporte 46 exons. Son analyse est très difficile car les deux premiers tiers de sa séquence partagent plus de 98 % d’homologie avec six pseudogènes (« copie » inactive d’une partie du gène, ne pouvant être transcrite). À la différence du gène PKD1, les gènes PKD2, GANAB et DNAJB11 ne sont pas dupliqués, ce qui simplifie leur analyse. Les progrès de la génétique moléculaire, avec en particulier l’avènement du séquençage de nouvelle génération, permettent de diminuer les coûts et d’augmenter le débit de ces analyses, et l’analyse de panels de gènes remplace peu à peu le séquençage génétique traditionnel (technique de Sanger) où l’on procédait gène par gène. Il faut cependant souligner que l’analyse par le biologiste/généticien des variants identifiés requiert du temps, de l’expertise sur la pathologie génétique en cause, des informations familiales et cliniques détaillées, et une étroite collaboration avec le médecin prescripteur, qu’il soit néphrologue ou généticien. En effet, des études familiales sont parfois indispensables avant de conclure au caractère pathogène d’un variant.
Tableau clinique selon le gène impliqué et la mutation identifiée
Les patients porteurs d’une mutation de PKD1 ont une maladie plus sévère que les patients ayant une mutation de PKD2, les âges médians à la survenue de l’insuffisance rénale terminale étant respectivement de 58 et de 79 ans.2, 9 Au-delà de cette influence génique, l’étude Genkyst, menée dans une grande cohorte impliquant l’ensemble des centres de néphrologie de l’ouest de la France, a montré que le type de mutation du gène PKD1 influençait fortement la survie rénale.2 L’âge médian des patients ayant une mutation troncante (c’est-à-dire conduisant à la synthèse d’une protéine plus courte et non fonctionnelle) du gène PKD1 est ainsi de 12 ans plus précoce que lorsqu’une mutation non troncante du gène PKD1 est en cause (55 ans contre 67 ans). La sévérité du phénotype hépatique ne semble pas influencée par le type de mutation, ou par le gène en cause (PKD1 vs PKD2).10
Le tableau clinique des patients atteints de mutations du gène GANAB est différent de la polykystose rénale classique. Le pronostic rénal est meilleur, avec l’absence d’évolution vers l’insuffisance rénale chronique sévère ; certains patients peuvent cependant avoir une polykystose hépatique sévère nécessitant une prise en charge chirurgicale voire une transplantation hépatique.5
Les patients porteurs de mutations de DNAJB11 développent des kystes rénaux bilatéraux de petite taille ; une fibrose interstitielle peut s’associer au tableau, conduisant à un aspect de reins polykystiques et atrophiques, et au développement de l’insuffisance rénale après la sixième décade.8 Des kystes hépatiques de petite taille, en nombre variable, peuvent également être observés.
Intérêts de l’analyse génétique en pratique
Le diagnostic de la polykystose rénale est avant tout clinique et échographique, mais le recours à la génétique moléculaire peut se révéler très utile dans certaines situations singulières. En cas de greffe faisant appel à un donneur vivant, l’exclusion du diagnostic chez les apparentés est indispensable pour la sélection de donneurs intrafamiliaux indemnes lorsque les données de l’imagerie ne permettent pas une conclusion définitive.
Par ailleurs, les critères échographiques ou de l’imagerie par résonance magnétique ne peuvent pas être appliqués si les antécédents familiaux ne sont pas connus.11, 12 L’analyse génétique est alors l’unique façon de réaliser un diagnostic de certitude. Enfin, en cas de tableau clinique atypique, ou de formes précoces sévères, l’identification d’une mutation de l’un des gènes impliqués permet de retenir le diagnostic de polykystose rénale autosomique dominante.
L’analyse génétique peut également avoir une valeur pronostique. Le score PROPKD (predicting renal outcome in autosomal dominant polycystic kidney disease [v. tableau]) combine des facteurs cliniques simples (sexe, âge au moment du diagnostic de l’hypertension artérielle et âge lors du premier événement urologique, gène impliqué et type de mutation pour le gène PKD1) et permet de stratifier le risque de survenue de l’insuffisance rénale terminale, définissant des patients à faible risque, à risque intermédiaire, et à haut risque de nécessiter un traitement de suppléance rénale.13 De tels outils pronostiques sont importants à l’ère des nouveaux traitements et des essais cliniques, afin d’enrichir les essais thérapeutiques avec des patients à haut risque de progression, stratégie permettant d’accroître les chances de mettre en évidence un bénéfice du médicament testé.14 Dans l’essai clinique TEMPO, évaluant le tolvaptan contre placebo, il n’y avait pas de bénéfice du tolvaptan sur la perte de fonction rénale chez les patients à faible risque (près de 20 % de la cohorte analysée).14
Diagnostics différentiels
D’autres maladies monogéniques peuvent avoir une présentation proche de celle de la polykystose rénale autosomique dominante.15
La néphropathie associée aux mutations du gène HNF1β, de transmission autosomique dominante, se caractérise par la survenue d’un diabète chez deux tiers des patients, et d’anomalies rénales variables. Les kystes parenchymateux sont l’élément le plus fréquemment trouvé. La taille des reins est inconstante, mais tend à diminuer au cours du vieillissement contrairement à ce que l’on observe dans la polykystose rénale autosomique dominante.
La polykystose récessive (gène PKHD1) associe des anomalies rénales, avec la présence de très nombreux kystes de petite taille, avec une disposition radiaire corticomédullaire, à une fibrose hépatique congénitale de sévérité variable, avec à terme le développement pour la plupart des patients d’une hypertension portale. Il existe une mortalité périnatale importante (hypoplasie pulmonaire liée à la présence de néphromégalie, insuffisance rénale terminale), et parmi les enfants ayant survécu à la première année l’insuffisance rénale terminale survient, en règle générale, dans les deux premières décades. Une révélation plus tardive est décrite chez certains patients.
La polykystose hépatique, de transmission dominante (mutation des gènes SEC63 et PRKCSH) doit être évoquée chez les patients ayant une prédominance de kystes hépatiques et peu ou pas de kystes rénaux. Le recours plus systématique à l’analyse de panels de gènes dans les années à venir devrait permettre d’évaluer la fréquence réelle de ces diagnostics différentiels, possiblement sous-estimés.
conclusion
1. Audrezet MP, Cornec-Le Gall E, Chen JM, et al. Autosomal dominant polycystic kidney disease: comprehensive mutation analysis of PKD1 and PKD2 in 700 unrelated patients. Hum Mut 2012;33:1239-50.
2. Cornec-Le Gall E, Audrezet MP, et al. Type of PKD1 mutation influences renal outcome in ADPKD. J Am Soc Nephrol 2013;24:1006-13.
3. Rossetti S, Consugar MB, Chapman AB, et al. Comprehensive molecular diagnostics in autosomal dominant polycystic kidney disease. J Am Soc Nephrol 2007;18:2143-60.
4. Hopp K, Ward CJ, Hommerding CJ, et al. Functional polycystin-1 dosage governs autosomal dominant polycystic kidney disease severity. J Clin Invest 2012;122:4257-73.
5. Porath B, Gainullin VG, Cornec-Le Gall E, et al. Mutations in GANAB, encoding the glucosidase iialpha subunit, cause autosomal-dominant polycystic kidney and liver disease. Am J Hum Genet 2016;98:1193-207.
6. Besse W, Choi J, Ahram D, et al. A noncoding variant in GANAB explains isolated polycystic liver disease (PCLD) in a large family. Hum Mutn 2018;39:378-82.
7. Besse W, Dong K, Choi J, et al. Isolated polycystic liver disease genes define effectors of polycystin-1 function. J Clin Invest 2017;127:1772-85.
8. Cornec Le Gall E, Olson RJ, Besse W, et al. Monoallelic pathogenic variants of DNAJB11 cause atypical autosomal dominant polycystic kidney disease. Am J Hum Genet 2018;in press.
9. Cornec Le Gall E, Audrezet MP, Renaudineau E, et al. PKD2-related autosomal dominant kidney disease: prevalence, clinical presentation, mutation spectrum, and prognosis. Am J Kidney Dis 2017;70:476-85.
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11. Pei Y, Hwang YH, Conklin J, et al. Imaging-based diagnosis of autosomal dominant polycystic kidney disease. J Am Soc Nephrol 2015;26:746-53.
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13. Cornec-Le Gall E, Audrezet MP, Rousseau A, et al. The PROPKD score: a new algorithm to predict renal survival in autosomal dominant polycystic kidney disease. J Am Soc Nephrol 2016;27:942-51.
14. Cornec-Le Gall E, Blais JD, Irazabal MV, et al. Can we further enrich autosomal dominant polycystic kidney disease clinical trials for rapidly progressive patients? Application of the PROPKD score in the TEMPO trial. Nephrol Dial Transplant 2017. doi: 10.1093/ndt/gfx188.
15. Cornec-Le Gall E, Torres VE, Harris PC . Genetic complexity of autosomal dominant polycystic kidney and liver diseases. J Am Soc Nephrol 2018;29:13-23.