Le vieillissement de la personne humaine est dû à des facteurs multiples qui vont agir au niveau de tous les tissus constitutifs du corps humain, donc de ceux de la colonne vertébrale. Ces facteurs sont non seulement métaboliques, biomécaniques, génétiques et neurosensoriels, mais aussi cognitifs, qui viennent souvent potentialiser les précédents. En ce qui concerne la prévention du vieillissement, on ne peut pas compter sur un seul élément (par exemple lutter contre l’ostéoporose), il faut une prise en compte globale de tous ces éléments, en sachant qu’il y aura une hiérarchie en raison justement des facteurs prédominants chez chaque individu.
Les facteurs génétiques doivent donc être pris en considération car ils interviennent sur tous les autres facteurs sans que l’on ait une prévention quelconque à leur opposer, si ce n’est que la connaissance des états plus ou moins pathologiques de la parenté incite le patient à telle ou telle surveillance de tel ou tel appareil ou même de tel ou tel mode de vie, ce qui d’ailleurs est parfaitement démontré par les études effectuées au Royaume-Uni sur les jumeaux.

Facteurs neurosensoriels1

Vision

Si elle n’est pas déjà impliquée par un désordre connu et suivi depuis l’enfance, c’est dès 45 ans que, même en l’absence de tout symptôme, une consultation d’ophtalmologie est conseillée pour mesurer l’acuité, vérifier la vision des couleurs et du relief, mesurer le champ visuel, la pression oculaire et faire un fond d’œil. La diminution du champ visuel peut être aggravée par une diminution des possibilités de rotation de la tête, signe d’un début d’arthrose cervicale qui s’installe insidieusement sans symptomatologie. L’ophtalmologue décide alors de la fréquence des consultations, de la prescription de verres, du bon moment pour traiter une éventuelle cataracte, et pourra même donner des conseils pour la conduite automobile quand le vieillissement viendra.

Vestibule et équilibre2

L’auto-évaluation simple est la première des mesures : le patient doit se demander s’il peut ou non tenir en appui monopode de 5 secondes sur le pied droit et sur le pied gauche ; si la longueur de son pas a diminué ; si la marche est ralentie ; s’il doit ou non mettre ses mains dans le dos au cours d’une marche prolongée ou rapide.
La constatation de ces faits doit l’inciter à en parler à son médecin traitant qui l’adressera à un oto-rhino-­laryngologiste, un médecin de rééducation fonctionnelle ou un orthopédiste.
La prévention des troubles de l’équilibre de l’adulte vieillissant est réalisée par une activité physique régulière et répétée3 instaurant une discipline personnelle comportant : d’une part une marche alternée rapide et lente d’au moins une demi-heure par jour, en ayant en tête que c’est la résistance et l’endurance qui sont les plus importantes et non la vitesse (en effet, il n’est pas question de faire des efforts excessifs, mais au contraire de s’autocontrôler) ; d’autre part des exercices physiques posturaux d’équilibre unipodal, yeux ouverts et yeux fermés.
La rééducation du tronc et des troubles vestibulaires se fait par une gymnastique à visée posturale qui renforce les muscles quadriceps, grand fessier, triceps (taï chi, danse calme, vélo, etc.) ; ce n’est pas l’excès qui compte mais la régularité et la constance quotidienne.

Audition

La découverte d’une presbyacousie implique l’estimation de l’équilibre car la perception des bruits aide à l’orientation, d’où la nécessité d’un appareillage auditif.

Proprioception

La prévention de l’apparition de troubles de la proprioception4 est difficile, néanmoins l’auto-adaptation du chaussage par rapport à la sensibilité superficielle et profonde du pied, la souplesse ou la raideur articulaire sont extrêmement importantes. Il suffit parfois de changer de chaussures pour avoir une démarche plus souple et plus harmonieuse dont la posture rachidienne se trouve améliorée avec, par exemple, moins de chutes en avant.
L’ensemble des mesures et exercices recommandés pour la rééducation vestibulaire vont avoir leur application ici, chaque mouvement potentialisant l’autre.

Posture et locomotion

Posture et locomotion sont autant physiques que psychiques,5 ce qui explique l’importance de l’analyse des troubles cognitifs et leur prévention. Cela a été parfaitement documenté par le meilleur pronostic vital des patients ayant une fracture du col fémoral associée à une fracture du poignet que ceux sans fracture du ­poignet associée. La résultante en est que l’exploration des troubles cognitifs et leur prévention peut se faire par l’exécution d’une double tâche lors de la marche ou lors d’exercices de rééducation posturale. Par exemple, téléphoner tout en marchant ou marcher en comptant de 100 à 90 ou en sens inverse. Ces tests servent aussi bien pour le diagnostic que pour la rééducation avec ces exercices à double tâche (physique et psychique ­simultanées).
Dans la prévention de ces troubles il est certain qu’une activité intellectuelle, ludique voire professionnelle est favorable au point qu’il a été évoqué la création d’emplois spécifiques réservés aux retraités pour diminuer les effets du vieillissement sur tous les appareils constitutifs du corps humain (cœur, poumon, rein, ­colonne vertébrale et cerveau).

Défaillances neurologiques

Il va de soi que la recherche des défaillances neuro­logiques ne se limite pas à la proprioception et que la collaboration d’un spécialiste neurologue est vivement conseillée car les finesses neurologiques sémiologiques ne sauraient être remplacées par n’importe quelle imagerie médicale pour un diagnostic neurologique précis (antécédents, troubles subjectifs, olfactifs, force mus­culaire, réflexes, sensibilité à tous les modes, statique, coordination, etc.).

Effecteurs ostéoarticulaires

Les troubles du vieillissement rachidien existent en ­tandem rachis lombaire-rachis cervical, ce dernier étant rarement au premier plan et souvent oublié. Donc l’examen systématique du rachis entier et du rachis cervical en particulier est une mesure de prévention.
En effet, de nombreux cas démontrent que, chez le malade consultant pour des lombalgies, on découvre une sténose lombaire, et que c’est l’examen systématique du rachis entier qui permet de dépister une arthrose cervicale, avec parfois des signes de souffrance médullaire à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) alors que la symptomatologie cervicale est quasi inexistante (8 fois sur 10 dans certaines statistiques des lombalgies des rachis dégénératifs).
La prise en compte et la surveillance des troubles dégénératifs ou pathologiques persistants parfois oubliés non symptomatiques, datant de l’enfance ou de l’âge adulte, séquelles de traumatisme ou d’arthrose extra-­rachidienne ou rachidienne soit dégénérative, soit microtraumatique, soit à distance (arthrose de la hanche, etc.), et de leur conséquence sur la diminution de la ­mobilité sont importantes.6
Il faut également prévenir les troubles métaboliques osseux et en particulier l’ostéoporose, post-traumatique ou spontanée, avec la mesure de la densité osseuse au niveau du col fémoral et des vertèbres. La prévention se fait sur plusieurs éléments : une hydratation suffisante et une nutrition avec 1 200 mg de calcium par jour avec au moins 800 UI de vitamine D3 par jour, et un apport suffisant de protéines de 1 à 1,2 g par jour et un régime à 2 200 calories par jour qu’il faudrait avoir à 80 ans.
Chez la femme, la compensation hormonale après la ménopause et dans les cas les plus graves l’utilisation des biphosphonates peut être discutée.
Le rôle de suppléance par l’aide des membres supérieurs est certain, c’est le rôle des cannes supports parfois très utiles même si elles ne sont pas utilisées à plein temps.
Des exercices physiques doivent être prescrits sur ces points précis du bien-être ostéo-articulaire à condition d’être exécutés ni trop ni trop peu.

Effecteurs musculaires

La prévention sur les effecteurs musculaires se manifeste dans la lutte contre la sarcopénie. D’une part par le ­régime suffisamment riche en protéines et vitamines, identique à celui déjà exposé, et les exercices physiques adaptés à chaque individu, posturaux et équilibrés qui interviendront tout autant dans la prévention du vieillissement rachidien que dans la prévention des chutes avec une diminution de 37 % de ces dernières et de 60 % des fractures dans une cohorte7 ayant bénéficié des exercices commencés tôt (45-50 ans) quotidiens avec constance : par exemple 10 minutes matin et soir mélangeant postural et renforcement musculaire du quadriceps et du grand fessier ; marche rapide et lente, endurance plus que vitesse, plus double tâche ; enfin, s’asseoir à terre et se relever, seul exercice très discri­minant.

Pathologies associées

La prévention concernant les pathologies associées est fondamentale, quelle que soit cette pathologie lorsqu’elle entraîne une impotence fonctionnelle plus ou moins prolongée. Le but est de retrouver une fonction la plus proche possible de l’état préexistant le plus rapi­dement possible. Cela se fera non seulement avec l’aide d’un spécialiste compétent en rééducation mais surtout de la propre volonté du patient.
C’est là que prend toute l’importance, par exemple, de la vaccination contre la grippe, de l’attention apportée aux médicaments prescrits (danger des polymédications), de la prise injustifiée d’un anxiolytique par un sujet disant ne pouvoir s’en passer (par exemple : la demi-vie d’une benzodiazépine est de 21 h chez le jeune, 52 h chez la personne âgée).
Les antidépresseurs, les sédatifs diminuent la vigilance, d’où le risque d’augmentation des mauvaises postures et donc du vieillissement du rachis, de la ­fréquence des chutes, d’où la pertinence des prescriptions et de l’éducation thérapeutique du médecin et du patient.
Toutes les pathologies chroniques doivent faire ­l’objet d’une observance stricte des médicaments ­prescrits contrôlée par le prescripteur.

Prendre soin de soi

Finalement, si l’on veut synthétiser quelques pres­criptions pour la prévention du vieillissement de la colonne vertébrale, on voit qu’elles recoupent presque complètement celles de la prévention des chutes et par ordre d’importance, si l’on peut se le permettre car tout est lié, il faut le rappeler :
– activité physique et psychique régulière sans chercher la performance mais privilégiant constance et endurance ;
– récupération motrice la plus rapide possible et maintenue après toute agression de quelque pathologie que ce soit, traumatique, infectieuse, pulmonaire, urinaire, etc. ;
– prise en charge précoce ou plutôt surveillance continue des déformations rachidiennes pouvant exister depuis l’enfance ou l’âge adulte ;
– apport nutritionnel, en tout : hydratation suffisante = 1 à 2 L/j ; protéines = 1,2 g/kg/j ; calcium = 1 200 mg/j ; vitamine = D3 800 UI ;
– éviter l’usage répétitif des médicaments psychotropes, anxiolytiques, hypnotiques et d’une manière générale les polymédications ;
– en un mot prendre soin de soi. 
Références
1. Dubousset J. La prévention des chutes est-elle possible ? Bull Acad Natle Med 2014;198:1055-66.
2. Iwasaki S, Yamasoba T. Dizziness and imbalance in the elderly: age-related decline in the vestibular system. Aging Dis 2015;6:38-47.
3. Bazex J, Pene P, Rivière R. Activité physique et santé (rapport). Bull Acad Natle Med 2012;196:1429-42.
4. Goble DJ, Coxon JP, Geurts M, Doumas M, Wendentoth N, Swinnen SP. Brain activity during ankle proprioceptive stimulation predicts balance performance in young and older adults. J Neurosc 2011;31:16344-52.
5. Clarac F. Audition sur viellissement et équilibre, Académie de médecine 2004.
6. Senegas J, Bouloussa H, LiguoroD, Yoshida G, Vital JM. Évolution morphologique et fonctionnelle du rachis vieillissant. In : Anatomie de la colonne vertébrale. Nouveaux concepts. Montpellier : Sauramps médical, 2016:111-55.
7. Dargeant-Molina P, El Khoury F, Casson E. The “Ossebo” intervention for prevention of injuries falls in elderly women: background and design. Glob Health Promot 2013;20(Suppl 2):l88-93.

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Résumé

Plus de 20 % de la population aura un vieillissement normal de sa colonne vertébrale sans pathologie particulière. Tous les tissus ostéo-articulaires ou musculo-ligamentaires pouvant se détériorer plus ou moins rapidement, les mesures préventives liées essentiellement aux activités physiques, neurosensorielles et cognitives doivent être prises suffisamment tôt, dès la cinquantaine. En cas de douleurs, déformation progressive, difficulté à la marche, il est recommandé de prendre l’avis d’une équipe spécialisée gériatrique allant du neurologue au nutritionniste en passant par le médecin physique, voire le chirurgien du rachis spécialisé en chirurgie du sujet âgé, pour les rares mais parfois indispensables indications chirurgicales.