Pourquoi la chirurgie partielle ?
Le traitement des masses rénales localisées est chirurgical et consiste en leur exérèse complète via l’ablation du rein dans son ensemble (néphrectomie totale) ou l’exérèse élective de la tumeur en préservant l’organe (néphrectomie partielle).Pendant de nombreuses années, la néphrectomie totale élargie a été le traitement de référence des tumeurs rénales en termes carcinologiques. Cependant, il a été établi qu’elle entraîne à long terme une altération significative de la fonction rénale, source de comorbidités notamment métaboliques et cardiovasculaires, avec dans certaines études une incidence négative sur la survie globale.En conséquence, la néphrectomie partielle s’est imposée progressivement comme stratégie chirurgicale conservatrice. Cette technique répond aux mêmes objectifs carcinologiques d’exérèse tumorale en marges saines que la néphrectomie totale, et permet une préservation du capital néphronique, et donc de la fonction rénale postopératoire. La néphrectomie partielle est actuellement le traitement de référence des tumeurs rénales de moins de 4 cm, et doit être privilégiée lorsqu’elle est possible pour des tumeurs de plus gros volume.1En termes carcinologiques, les études ont montré que la néphrectomie partielle est au moins équivalente à la néphrectomie totale en termes de récidive locale (de l’ordre de 8 à 12 %), de survie spécifique et de survie globale.2-4 Certaines études suggèrent une diminution de la mortalité par événement cardiovasculaire chez les patients ayant bénéficié d’une néphrectomie partielle, ce qui peut expliquer la diminution observée de la mortalité globale, en particulier pour les petites tumeurs (< 4 cm).5, 6Concernant le déclin de la fonction rénale, des données sont en faveur de la néphrectomie partielle car elle permet à la fois une meilleure clairance de la créatinine postopératoire (+12 mL/min en moyenne), une diminution du déclin de la fonction rénale (sans préciser à quelle échéance, -8,6 mL/min), et une moins grande probabilité de survenue d’une insuffisance rénale chronique (tous stades confondus).Pour ce qui concerne le stade de l’insuffisance rénale, les données sont partiellement contradictoires, avec une étude suggérant un avantage significatif pour la néphrectomie partielle dans la survenue d’une insuffisance rénale modérée ; cet avantage n’est pas significatif pour la survenue d’une insuffisance rénale sévère ou terminale.7 Une autre étude note, en revanche, une diminution cumulée du risque de survenue d’insuffisance rénale sévère de 61 % en cas de néphrectomie partielle.8
Quelles limites à la chirurgie rénale conservatrice ?
L’état des lieux sur la néphrectomie partielle dans les centres experts réalisé en 2008 montre qu’au début des années 2000 seulement 30 % des patients bénéficiaient d’une chirurgie conservatrice, alors qu’une très large majorité des tumeurs rénales diagnostiquées (> 80 %) sont des incidentalomes de petite taille (pT1).9Les limites d’accès à la néphrectomie partielle sont multiples. Sur le plan technique, il s’agit d’une chirurgie difficile qui exige une bonne expérience de l’opérateur, dont le geste doit être à la fois rapide et précis. Pour obtenir un bénéfice en termes de fonction rénale postopératoire, le clampage vasculaire nécessaire pendant la tumorectomie ne doit pas excéder 20 à 30 minutes.10 De plus, l’obtention de marges chirurgicales saines reste un impératif carcinologique.La nécessité de réaliser une chirurgie ouverte par lombotomie dans la chirurgie partielle a pendant longtemps conduit les chirurgiens à en limiter les indications, préférant réaliser une chirurgie totale élargie cœlioscopique, moins invasive.Depuis une dizaine d’années, le développement de la chirurgie robot-assistée dans la néphrectomie partielle apporte un support technique qui permet de réaliser une chirurgie mini-invasive, ce qui est susceptible ainsi d’en élargir les indications.
Quelles indications ?
Il n’est pas nécessaire d’évaluer la fonction de chaque rein par scintigraphie avant une chirurgie partielle. En revanche, cela peut être intéressant s’il s’agit d’une tumeur sur un rein hypotrophique ou au cortex aminci à la tomodensitométrie. Si la fonction relative du rein tumorale est faible (< 20 %), une chirurgie conservatrice n’est plus indiquée. Cela représente une grande minorité des situations.Il existe trois types d’indications de chirurgie conservatrice du rein :– une indication impérative ou de nécessité, en cas de cancer sur un rein unique, anatomique ou fonctionnel ;– une indication relative, lorsque la fonction rénale est susceptible d’être compromise à moyen ou long terme, et dans les formes familiales de cancer du rein ;– une indication élective, en cas de rein controlatéral sain avec une fonction rénale normale chez un patient de moins de 70 ans ou plus de 70 ans sans comorbidités.À l’inverse, la néphrectomie partielle n’est pas recommandée dans les situations suivantes :– lorsque le volume de parenchyme rénal sain restant est insuffisant pour maintenir une fonction d’organe correcte ;– en cas de thrombose de la veine rénale ;– lorsque la localisation de la tumeur est défavorable, au contact du pédicule vasculaire rénal ;– si le patient a une indication impérative d’anticoagulation curative.
Techniques chirurgicales
La chirurgie partielle du rein est techniquement plus complexe que la chirurgie radicale, et la difficulté technique peut être prédite à l’aide de scores pronostiques susceptibles de modifier les indications. Le score R.E.N.A.L. est le plus utilisé et classe la complexité du geste chirurgical en faible, modérée ou élevée, en fonction de la taille de la tumeur, de son caractère endo- ou exophytique, de sa proximité avec les cavités excrétrices, et de sa position antérieure ou postérieure et polaire ou médiorénale (v. tableau).11 Un score RENAL supérieur à 7 est significativement associé à un risque chirurgical plus élevé, avec des durées d’ischémie rénale per-opératoire allongées, davantage de marges chirurgicales positives, et un taux de complications post-opératoires augmenté.12
Voies d’abord
La chirurgie carcinologique rénale peut se réaliser par voie incisionnelle classique : la voie sous-costale est la voie d’abord ouverte préférentielle de la néphrectomie élargie, tandis que la néphrectomie partielle est le plus souvent réalisée par lombotomie.Le développement des techniques laparoscopiques et robot-assistées permet d’obtenir des résultats carcinologiques et fonctionnels comparables à la voie ouverte, avec une morbidité per- et postopératoire moindre.La cœlioscopie est devenue la voie d’abord de référence de la néphrectomie élargie. Les patients qui bénéficient d’une néphrectomie élargie cœlioscopique ont moins de pertes sanguines peropératoires, moins de douleurs postopératoires, et une durée d’hospitalisation et de convalescence moindre que par voie incisionnelle classique.13, 14Cependant, pour les tumeurs très volumineuses, la chirurgie ouverte par voie sous-costale reste privilégiée.La lombotomie a été pendant longtemps la technique de référence de la chirurgie conservatrice du rein. Ses indications tendent à diminuer et sont, dans certains centres, réservées aux indications de nécessité ou aux tumorectomies complexes ainsi qu’aux tumeurs kystiques.Une étude prospective récente montre la supériorité de la voie laparoscopique robot-assistée en termes de pertes sanguines et de durée d’hospitalisation. Dans cette étude, les voies ouvertes et laparoscopiques robot-assistées sont équivalentes en termes de durée d’ischémie chaude, durée opératoire, complications postopératoires précoces, variation du taux de créatininémie, et survenue de marges chirurgicales positives.15La difficulté technique et la courbe d’apprentissage de la chirurgie laparoscopique classique limitent son emploi dans la chirurgie partielle à des opérateurs entraînés, surtout depuis l’avènement de la chirurgie robotisée.Dans tous les cas, l’expérience de l’opérateur et la disponibilité du matériel sont des éléments déterminants dans le choix de la voie d’abord.
Principes chirurgicaux
Néphrectomie totale élargie
Elle consiste à emporter la totalité du rein après contrôle et ligature des vaisseaux et de l’uretère ; avec la graisse qui l’entoure et éventuellement la glande surrénale, en particulier en cas de nodule surrénalien suspect de métastases, associé dans certains cas à un curage ganglionnaire.Néphrectomie partielle
Dans la néphrectomie partielle, le rein est dégraissé, excepté en regard de la tumeur, et mobilisé pour n’être fixé plus que par son pédicule vasculaire.L’exérèse tumorale à proprement parler est réalisée après clampage artériel et ne doit pas excéder 20 à 30 minutes afin de limiter l’ischémie chaude du rein et ses conséquences délétères sur la fonction rénale postopératoire.10 Il faut réséquer un liseré de tissu sain péritumoral de quelques millimètres.Les cavités excrétrices et la tranche de section du parenchyme rénal sont suturées afin d’assurer une bonne étanchéité des voies excrétrices ainsi qu’une hémostase satisfaisante.Outre les complications pariétales et hémorragiques identiques à la chirurgie radicale, il existe des complications spécifiques de cette chirurgie :– la brèche pleurale est la complication peropératoire la plus fréquente de la néphrectomie partielle par lombotomie (5,1-11,5 %) ;– la totalisation de la néphrectomie en cas de difficulté technique peropératoire ;– la fistule urinaire est la complication postopératoire la plus fréquente (1,4-17 % selon les séries). Elle évolue le plus souvent favorablement après drainage de la voie excrétrice supérieure par sonde urétérale ;– le faux anévrisme artérioveineux est une complication classique mais rare (0,5 % des cas), qui se traduit cliniquement par la survenue d’une douleur lombaire associée à une hématurie macroscopique massive, généralement dans le premier mois postopératoire. La prise en charge relève de la radiologie interventionnelle par embolisation sélective.La surveillance carcinologique est ensuite identique, que la néphrectomie ait été partielle ou totale ; elle se fait par tomodensitométrie ou par imagerie par résonance magnétique en cas de déclin de la fonction rénale.Toutes voies d’abord confondues, la néphrectomie partielle est une intervention techniquement plus complexe que la néphrectomie totale élargie. Cependant, l’efficacité carcinologique équivalente et le bénéfice apporté à moyen et long terme sur la conservation de la fonction rénale qui limite la survenue de désordres métaboliques et d’événements cardiovasculaires font de la néphrectomie partielle le traitement de première intention des tumeurs du rein localisées. Il n’y a pas d’évaluation récente du pourcentage de néphrectomie partielle. Il était de 30 % environ dans les années 2000 ; des données suggèrent que ce pourcentage a augmenté dans les centres ayant fait l’acquisition d’un robot chirurgical.Le développement et la maîtrise des techniques chirurgicales moins invasives, et la robotisation de la chirurgie, ont permis de diminuer la morbidité périopératoire de la néphrectomie partielle et d’en étendre les indications.La néphrectomie totale élargie doit être réservée aux tumeurs rénales localisées volumineuses rendant la chirurgie partielle techniquement difficile, et aux tumeurs localement avancées.Dans tous les cas, les indications de néphrectomie partielle ou totale sont discutées au cas par cas pour chaque patient, et les voies d’abord choisies en fonction des particularités individuelles des patients, des caractéristiques des tumeurs, du niveau d’équipement des centres, et de l’expérience des équipes
Références
1. Bensalah K, Albiges L, Bernhard JC, et al. Recommandations en onco-urologie 2016-2018 du CCAFU : Cancer du rein. Progr Urol 2016;27:S2-51.
2. Mir MC, Derweesh I, Porpiglia F, Zargar H, Mottrie A, Autorino R. Partial nephrectomy versus radical nephrectomy for clinical T1b and T2 renal tumors: a systematic review and meta-analysis of comparative studies. Eur Urol 2017;71:60-17.
3. Kunath F, Schmidt S, Krabbe LM, et al. Partial nephrectomy versus radical nephrectomy for clinical localised renal masses. Cochrane Database Syst Rev 2017;5:CD012045.
4. Simone G, Tuderti G, Anceschi U, et al. Oncological outcomes of minimally invasive partial versus minimally invasive radical nephrectomy for cT1-2/N0/M0 clear cell renal cell carcinoma: a propensity score-matched analysis. World J Urol 2017;35:78-94.
5. Huang WC, Levey AS, Serio AM, et al. Chronic kidney disease after nephrectomy in patients with renal cortical tumours: a retrospective cohort study. Lancet Oncol 2006;7:73-40.
6. Weight CJ, Larson BT, Fergany AF, et al. Nephrectomy induced chronic renal insufficiency is associated with increased risk of cardiovascular death and death from any cause in patients with localized cT1b renal masses. J Urol 2010;183:131-23.
7. Scosyrev E, Messing EM, Sylvester R, Campbell S, Van Poppel H. Renal function after nephron-sparing surgery versus radical nephrectomy:results from EORTC randomized trial 30904. Eur Urol 2014;65:372-7.
8. Kim SP, Thompson RH, Boorjian SA, et al. Comparative effectiveness for survival and renal function of partial and radical nephrectomy for localized renal tumors: a systematic review and meta-analysis. J Urol 2012;188:51-7.
9. Bernhard JC, Ferriere JM, Crepel M, et al. Quelle pratique de la néphrectomie partielle en France ? Progr Urol 2008;18:42-34.
10. Simmons MN, Hillyer SP, Lee BH, Fergany AF, Kaouk J, Campbell SC. Functional recovery after partial nephrectomy: effects of volume loss and ischemic injury. J Urol 2012;187:166-73.
11. R.E.N.A.L. Nephrometry Scoring System. http://www.nephrometry.com/Table.html
12. Peyronnet B, Bensalah K. Néphrectomie partielle dans les indications électives : jusqu’où doit-on aller ? Prog Urol 2015;25:145-6.
13. Peng B, Zheng JH, Ren JZ. Retroperitoneal laparoscopic nephrectomy and open nephrectomy for radical treatment of renal cell carcinoma: A comparison of clinical outcomes Acad J Second Mil Med Univ 2006;27:1167-9. http://bit.ly/2DPhveP
14. Hemal AK, Kumar A, Kumar R, Wadhwa P, Seth A, Gupta NP. Laparoscopic versus open radical nephrectomy for large renal tumors: a long-term prospective comparison. J Urol 2007;177:86-6.
15. Masson-Lecomte A, Yates DR, Hupertan V, et al. A prospective comparison of the pathologic and surgical outcomes obtained after elective treatment of renal cell carcinoma by open or robot-assisted partial nephrectomy. Urol Oncol 2013;31:92-9.
2. Mir MC, Derweesh I, Porpiglia F, Zargar H, Mottrie A, Autorino R. Partial nephrectomy versus radical nephrectomy for clinical T1b and T2 renal tumors: a systematic review and meta-analysis of comparative studies. Eur Urol 2017;71:60-17.
3. Kunath F, Schmidt S, Krabbe LM, et al. Partial nephrectomy versus radical nephrectomy for clinical localised renal masses. Cochrane Database Syst Rev 2017;5:CD012045.
4. Simone G, Tuderti G, Anceschi U, et al. Oncological outcomes of minimally invasive partial versus minimally invasive radical nephrectomy for cT1-2/N0/M0 clear cell renal cell carcinoma: a propensity score-matched analysis. World J Urol 2017;35:78-94.
5. Huang WC, Levey AS, Serio AM, et al. Chronic kidney disease after nephrectomy in patients with renal cortical tumours: a retrospective cohort study. Lancet Oncol 2006;7:73-40.
6. Weight CJ, Larson BT, Fergany AF, et al. Nephrectomy induced chronic renal insufficiency is associated with increased risk of cardiovascular death and death from any cause in patients with localized cT1b renal masses. J Urol 2010;183:131-23.
7. Scosyrev E, Messing EM, Sylvester R, Campbell S, Van Poppel H. Renal function after nephron-sparing surgery versus radical nephrectomy:results from EORTC randomized trial 30904. Eur Urol 2014;65:372-7.
8. Kim SP, Thompson RH, Boorjian SA, et al. Comparative effectiveness for survival and renal function of partial and radical nephrectomy for localized renal tumors: a systematic review and meta-analysis. J Urol 2012;188:51-7.
9. Bernhard JC, Ferriere JM, Crepel M, et al. Quelle pratique de la néphrectomie partielle en France ? Progr Urol 2008;18:42-34.
10. Simmons MN, Hillyer SP, Lee BH, Fergany AF, Kaouk J, Campbell SC. Functional recovery after partial nephrectomy: effects of volume loss and ischemic injury. J Urol 2012;187:166-73.
11. R.E.N.A.L. Nephrometry Scoring System. http://www.nephrometry.com/Table.html
12. Peyronnet B, Bensalah K. Néphrectomie partielle dans les indications électives : jusqu’où doit-on aller ? Prog Urol 2015;25:145-6.
13. Peng B, Zheng JH, Ren JZ. Retroperitoneal laparoscopic nephrectomy and open nephrectomy for radical treatment of renal cell carcinoma: A comparison of clinical outcomes Acad J Second Mil Med Univ 2006;27:1167-9. http://bit.ly/2DPhveP
14. Hemal AK, Kumar A, Kumar R, Wadhwa P, Seth A, Gupta NP. Laparoscopic versus open radical nephrectomy for large renal tumors: a long-term prospective comparison. J Urol 2007;177:86-6.
15. Masson-Lecomte A, Yates DR, Hupertan V, et al. A prospective comparison of the pathologic and surgical outcomes obtained after elective treatment of renal cell carcinoma by open or robot-assisted partial nephrectomy. Urol Oncol 2013;31:92-9.