La découverte d’une ostéopathie fragilisante (densité minérale basse et/ou fracture) impose un bilan étiologique avec la recherche, à l’interrogatoire, de facteurs de risque de fracture, comme certains médicaments.1 La corticothérapie prolongée par voie générale (passée ou actuelle) est bien sûr la cause la plus fréquente d’ostéoporose secondaire. D’autres causes médicamenteuses doivent cependant être recherchées : il s’agit le plus souvent d’ostéoporoses secondaires et, plus rarement, d’un trouble de minéra­lisation de type ostéomalacie.

Ostéoporose cortico-induite

L’ostéoporose cortisonique est la plus fréquente des ostéoporoses secondaires et la première cause d’ostéo­porose chez l’adulte jeune. La perte osseuse est précoce, et corrélée à la dose et à la durée du traitement. Des fractures surviennent chez 30 à 50 % des sujets recevant une corticothérapie au long cours.2 La rapidité de cet effet, qu’illustre l’augmentation du risque de fracture, est en rapport avec l’effet néfaste préalable de l’inflammation sous-jacente. Les glucocorticoïdes exercent des effets directs sur les différentes lignées cellulaires osseuses, avec une inhibition de la formation osseuse comme caractéristique principale.2 Il est justifié d’envisager une prévention chez tous les sujets débutant une corticothérapie d’autant plus que l’inflammation sous-jacente a elle-même un effet osseux délétère. La prévention et le traitement de l’ostéoporose cortisonique doivent être systématiquement envisagés chez les sujets de plus de 50 ans ayant un antécédent de fracture sévère et/ou une ostéoporose densitométrique, et/ou débutant une corticothérapie supérieure ou égale à 7,5 mg/j pour une durée de plus de 3 mois. Les médicaments ayant fait la preuve de leur intérêt dans l’ostéoporose cortisonique sont les bisphosphonates et le téri­paratide.2

Traitements antihormonaux

Inhibiteurs de l’aromatase

Les inhibiteurs de l’aromatase réduisent la conversion des androgènes circulants en estrogènes dans les tissus périphériques chez les femmes ménopausées. Ils ont montré leur supériorité par rapport au tamoxifène en termes de survie sans progression à 5 ans dans le traitement adjuvant des cancers du sein hormonodépendants. La prise prolongée d’anastrozole s’accompagne d’un excès de fractures ostéoporotiques à 5 ans : 11 % contre 7,6 % dans le groupe traité par tamo­xifène (p < 0,0001). Le risque de fracture atteint son maximum à 24 mois, puis reste en plateau. Cela suggère plus l’existence d’une population à risque fracturaire à l’instau­ration du traitement qu’une toxicité osseuse cumulative. Le risque osseux est comparable quelle que soit la classe d’inhibiteurs de l’aromatase. La perte osseuse à 5 ans est de l’ordre de 6 % ; le risque de devenir ostéo­porotique est donc faible pour une femme ostéo­pénique et très faible pour une femme ayant une ostéodensitométrie normale avant traitement. Il est logique aujourd’hui de proposer un traitement par bisphosphonate (ou dénosumab en deuxième intention) aux femmes ménopausées recevant une antiaromatase si elles ont eu fracture sévère et/ou en cas d’ostéoporose densitométrique (T-score ≤ -2,5).3

Agonistes de la GnRH

Les agonistes de l’hormone activatrice de l’hormone de croissance (gonadotropin-releasing hormone [GnRH]) entraînent une diminution rapide des hormones sexuelles périphériques à des taux de castration, expliquant ainsi leur utilisation dans les affections hormonodépendantes malignes (cancer de la prostate) ou bénignes (endométriose). Ils induisent une perte osseuse importante et rapide à prédominance trabéculaire ; le risque de fracture peut par conséquent augmenter en fonction de l’âge des patients. Une étude rétrospective chez 50 613 patients atteints d’un cancer de la prostate a montré que le principal déterminant de survenue d’une fracture chez ces patients était la durée du traitement par agonistes de la GnRH.4 Le risque après 5 à 8 injections d’agoniste est augmenté de 22 %, et atteint 45 % lorsque la dose cumulée est supérieure à 9 injections, le risque de fracture devenant proche de celui provoqué par l’orchidectomie. L’importance de la perte osseuse est précoce et corrélée à la durée du traitement : 4 % lors des 2 premières années de traitement, puis 2 %. Ces conséquences osseuses justifient la réalisation d’une ostéodensitométrie chez les patients débutant un tel traitement.

Traitements affectant le système nerveux

Antiépileptiques

Le risque de fracture chez les patients ayant une épilepsie est 2 à 6 fois plus important que dans la population générale ; différents facteurs expliquent la survenue de fractures : crises d’épilepsie, chutes, influence du traitement antiépileptique. Les antiépileptiques peuvent avoir un effet direct sur l’os ; l’augmentation du catabolisme de la vitamine D secondaire à l’activation du cytochrome P450 par les traitements inducteurs enzymatiques (phénytoïne, carbamazépine, phénobarbital) est le mécanisme essentiel de cette perte osseuse. L’effet osseux est également expliqué par un effet direct sur le remodelage osseux et par un impact sur le métabolisme de la vitamine K.5 Malgré l’absence de recommandations publiées, il est logique de réaliser un dosage de calcémie, phosphorémie, 25(OH) vitamine D3 ainsi qu’une mesure de la densité minérale osseuse (DMO) chez les épileptiques traités pendant plus de 5 ans.

Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine

L’utilisation prolongée d’antidépresseurs peut être associée à une augmentation du risque de fracture, liée à une augmentation du risque de chutes et à une diminution de la DMO. Le suivi prospectif de 5 ans de 5 008 femmes de plus de 50 ans montre que la prise d’antidépresseurs inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) est associée à une augmentation du risque de fracture de la hanche (risque relatif : 2,1 ; intervalle de confiance à 95 % : 1,3-3,4) avec un effet dose.6

Neuroleptiques

Il existe un excès de fractures et une diminution de la densité osseuse chez les patients traités au long cours pour des troubles psychotiques. Les neuro­leptiques dits typiques induisent une hyperprolactinémie, qui peut avoir pour conséquences une carence en hormones sexuelles et une diminution de la densité osseuse.

Inhibiteurs de la pompe à protons

La prise prolongée d’inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) est associée à une augmentation du risque de fracture, en particulier de la hanche. L’effet des IPP sur l’os dépend de la dose et de la durée, le risque augmentant après un traitement d’une durée de 5 ans. Le risque augmente avec l’âge, et il est plus important chez les patients avec comorbidités. Plusieurs mécanismes sont évoqués : rôle de l’ hypergastrinémie sur le remodelage osseux, effet de l’hypochlorhydrie sur l’absorption intestinale du calcium, effets directs sur les ostéoblastes et ostéoclastes…7

Autres traitements

Il n’existe pas de preuve que les antagonistes de la vitamine K ont un impact significatif sur l’os et diminuent le risque de fracture. Le traitement prolongé par les héparines non fractionnées peut entraîner une augmentation du risque de fracture et une diminution de la densité osseuse bien qu’il n’existe pas d’études récentes ; le traitement prolongé par héparine de bas poids moléculaire ne semble pas avoir d’impact sur la densité osseuse. La prise prolongée d’hormones thyroïdiennes à visée substitutive n’entraîne pas de perte osseuse, à condition que le taux de thyréostimuline soit normal. D’autres traitements ont un impact osseux, mais il est difficile de distinguer leur responsabilité de celle de la maladie (anti­protéases, glitazones, diurétiques de l’anse, ciclosporine…).
Références
1. Dardonville Q, Salguiero E, Rousseau V, et al. Drug-induced osteoporosis/osteomalacia: analysis in the French and Spanish pharmacovigilance databases. Eur J Clin Pharmacol 2019;75:1705-11.
2. Briot K, Roux C. Glucocorticoid-induced osteoporosis. RMD Open 2015;1(1):e000014.
3. Bouvard B, Confavreux CB, Briot K, et al. French recommendations on strategies for preventing and treating osteoporosis induced by adjuvant breast cancer therapies. Joint Bone Spine 2019;86:542-53.
4. Shahinian VB, Kuo YF, Freeman JL, Goodwin JS. Risk of fracture after androgen deprivation for prostate cancer. N Engl J Med 2005;152:154-64.
5. Svalheim S, Sveberg L, Mochol M, Taubøll E. Interactions between antiepileptic drugs and hormones. Seizure 2015;28:12-7.
6. Vestergaard P. Effect of selective serotonin-reuptake inhibitors on the risk of fracture. Aging Health 2007;3:349-50.
7. Thong BKS, Ima-Nirwana S, Chin KY. Proton Pump Inhibitors and Fracture Risk: A Review of Current Evidence and Mechanisms Involved. Int J Environ Res Public Health 2019;16:1571.

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