Le concept de précarité peut paraître flou. Mieux le définir permet de comprendre ses enjeux, et d’envisager ses conséquences, spécifiquement dans la prise en charge médicale.
Précarité, du latin precarius, « obtenu par prière, donné par complaisance », indique implicitement un manque mais surtout une dépendance à un « autre », voire une infériorité, et une perte d’autonomie. Certaines relations soignants-soignés et la nécessité de « relever » le patient pour qu’il retrouve sa dignité transparaissent dans ces termes, car « s’il est vrai que l’interdépendance caractérise la condition de l’homme, la dépendance, elle, est rupture dans ce lien de réciprocité ».1
Precarius signifie aussi « mal assuré, passager », ce qui est proche des définitions plus habituellement employées : « est précaire ce dont l’avenir, la durée n’est pas assuré » ; « qui est fragile et incertain »(Le Petit Robert).Les notions d’instabilité dans le temps et dans l’espace, de vulnérabilité par manque d’ancrage apparaissent. Tout homme est donc précaire, la vie est par essence précaire, écrit Aragon : « Rien n’est précaire comme vivre. Rien comme être n’est passager. »Cette approche nous permet de nous souvenir de notre égalité aux « précaires » et peut aider à trouver la juste position dans le soin, à comprendre pourquoi il est plus intéressant de poser un regard sur une situation sociale précaire plutôt que sur une personne précaire. Le parallélisme peut être fait avec le handicap, pour lequel le langage a évolué ces dernières années, passant de « handicapé » à « personne en situation de handicap ».
C’est à Joseph Wresinski2 que l’on doit d’avoir remis ce terme d’actualité en définissant ses contours : « (...) absence d’une ou de plusieurs des sécurités (…) permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux ».Le manque, l’absence, le vide, le « sans » quelque chose de pourtant indispensable à la vie et à la santé sont énoncés. Il précise qu’elle peut « affecter plusieurs domaines de l’existence », lui conférant un aspect multidimensionnel.
Il est légitime que les médecins se demandent en quoi leur pratique est impactée par ces situations sociales précaires. Outre l’augmentation du nombre de personnes concernées, c’est que l’homme est passé progressivement d’une vision de la santé comme d’une « absence de pathologie » à celle bien connue de l’Organisation mondiale de la santé : « état de bien-être physique, psychique, mental et social », et bientôt environnemental. Le corps médical peine à assumer que la dimension sociale de l’individu puisse faire partie intégrante de ses missions de soignant. Pour soigner une personne en situation de précarité, il est en effet nécessaire au médecin d’évaluer son environnement social, pour repérer les domaines d’insécurité et apprécier leur retentissement sur l'état de santé et sur la conduite à tenir.
Précarité, du latin precarius, « obtenu par prière, donné par complaisance », indique implicitement un manque mais surtout une dépendance à un « autre », voire une infériorité, et une perte d’autonomie. Certaines relations soignants-soignés et la nécessité de « relever » le patient pour qu’il retrouve sa dignité transparaissent dans ces termes, car « s’il est vrai que l’interdépendance caractérise la condition de l’homme, la dépendance, elle, est rupture dans ce lien de réciprocité ».1
Precarius signifie aussi « mal assuré, passager », ce qui est proche des définitions plus habituellement employées : « est précaire ce dont l’avenir, la durée n’est pas assuré » ; « qui est fragile et incertain »(Le Petit Robert).Les notions d’instabilité dans le temps et dans l’espace, de vulnérabilité par manque d’ancrage apparaissent. Tout homme est donc précaire, la vie est par essence précaire, écrit Aragon : « Rien n’est précaire comme vivre. Rien comme être n’est passager. »Cette approche nous permet de nous souvenir de notre égalité aux « précaires » et peut aider à trouver la juste position dans le soin, à comprendre pourquoi il est plus intéressant de poser un regard sur une situation sociale précaire plutôt que sur une personne précaire. Le parallélisme peut être fait avec le handicap, pour lequel le langage a évolué ces dernières années, passant de « handicapé » à « personne en situation de handicap ».
C’est à Joseph Wresinski2 que l’on doit d’avoir remis ce terme d’actualité en définissant ses contours : « (...) absence d’une ou de plusieurs des sécurités (…) permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux ».Le manque, l’absence, le vide, le « sans » quelque chose de pourtant indispensable à la vie et à la santé sont énoncés. Il précise qu’elle peut « affecter plusieurs domaines de l’existence », lui conférant un aspect multidimensionnel.
Il est légitime que les médecins se demandent en quoi leur pratique est impactée par ces situations sociales précaires. Outre l’augmentation du nombre de personnes concernées, c’est que l’homme est passé progressivement d’une vision de la santé comme d’une « absence de pathologie » à celle bien connue de l’Organisation mondiale de la santé : « état de bien-être physique, psychique, mental et social », et bientôt environnemental. Le corps médical peine à assumer que la dimension sociale de l’individu puisse faire partie intégrante de ses missions de soignant. Pour soigner une personne en situation de précarité, il est en effet nécessaire au médecin d’évaluer son environnement social, pour repérer les domaines d’insécurité et apprécier leur retentissement sur l'état de santé et sur la conduite à tenir.
Connaître et repérer la précarité lors de l’interrogatoire
Repérer la précarité de logement
En 2017, 15 millions de personnes étaient en fragilité de logement, dont 4 millions de « mal logés ».3 L’interrogatoire recherche une éventuelle fragilité de logement et en apprécie l’intensité. S’il n’y avait qu’un seul facteur à repérer, ce serait le logement : l’ancrage géographique engendre le lien social, facilite la recherche d’un emploi, permet la continuité des soins et le maintien d’un état de santé.
On distingue trois types :
– ceux qui vivent dans des conditions de logement très difficiles du fait de l’insalubrité, du surpeuplement, de la précarité énergétique... Le froid à domicile touche 3,5 millions de personnes ;
– ceux dont l’insécurité est en lien avec un effort financier excessif (5,5 millions de personnes), des impayés (1,2 million), de la non-propriété, des menaces d’expulsion ou l’isolement ;
– les « sans logis », soit 900 000 personnes dont 140 000 sans domicile fixe, 640 000 en hébergement instable chez des tiers, et 80 000 en hébergement de fortune (squat, campement, cabane, bidonville).
Ce repérage permet de faire le lien entre santé et logement :
– la précarité énergétique est corrélée à une santé globale dégradée, à une plus grande fréquence de bronchites chroniques, d’arthrose, d’anxiété et de dépression, de céphalées et de pathologies hivernales ;4 or 1 € investi dans la rénovation thermique permet d’économiser 0,42 € sur les dépenses de santé ;5
– les intoxications au monoxyde de carbone et au plomb sont liées à un chauffage inadapté, à des installations défectueuses ou à une peinture délabrée ;6
– l’humidité et les moisissures sont source de rhinites, maux de gorge, eczéma, asthme et même de troubles du sommeil ;7
– le surpeuplement a des effets sur la santé mentale et le risque d’accident domestique ;8
– l’absence de lumière a pour corollaire des effets cognitifs, des troubles du sommeil et des dépressions saisonnières ;
– l’absence de logement influe sur l’espérance de vie estimée alors à 49 ans, la prévalence de la tuberculose,9 les traumatismes,10 les infections dermatologiques bactériennes, parasitaires (gale et poux) et fongiques,11 la déshydratation et les coliques néphrétiques, les troubles de santé mentale.12
Toute forme de précarité de logement a donc des conséquences directes sur la santé, qu’il est utile de connaître. Pour lutter contre, certains messages de prévention, voire un signalement ou un certificat peuvent être utiles. Des conséquences sociales peuvent s’y ajouter : perte ou difficulté à (re)trouver un emploi, déstructuration des liens sociaux, avec risque de désinsertion, voire d’exclusion, difficultés à se rendre aux rendez-vous médicaux et à adhérer au parcours de soins. Elle peut être une source de honte, parfois cachée au soignant. Il faut donc aborder ce sujet avec une attitude respectueuse et empathique.
Ainsi, précarité de logement et santé décrivent un cycle infernal qu’il convient de traiter, ou mieux, de prévenir.
On distingue trois types :
– ceux qui vivent dans des conditions de logement très difficiles du fait de l’insalubrité, du surpeuplement, de la précarité énergétique... Le froid à domicile touche 3,5 millions de personnes ;
– ceux dont l’insécurité est en lien avec un effort financier excessif (5,5 millions de personnes), des impayés (1,2 million), de la non-propriété, des menaces d’expulsion ou l’isolement ;
– les « sans logis », soit 900 000 personnes dont 140 000 sans domicile fixe, 640 000 en hébergement instable chez des tiers, et 80 000 en hébergement de fortune (squat, campement, cabane, bidonville).
Ce repérage permet de faire le lien entre santé et logement :
– la précarité énergétique est corrélée à une santé globale dégradée, à une plus grande fréquence de bronchites chroniques, d’arthrose, d’anxiété et de dépression, de céphalées et de pathologies hivernales ;4 or 1 € investi dans la rénovation thermique permet d’économiser 0,42 € sur les dépenses de santé ;5
– les intoxications au monoxyde de carbone et au plomb sont liées à un chauffage inadapté, à des installations défectueuses ou à une peinture délabrée ;6
– l’humidité et les moisissures sont source de rhinites, maux de gorge, eczéma, asthme et même de troubles du sommeil ;7
– le surpeuplement a des effets sur la santé mentale et le risque d’accident domestique ;8
– l’absence de lumière a pour corollaire des effets cognitifs, des troubles du sommeil et des dépressions saisonnières ;
– l’absence de logement influe sur l’espérance de vie estimée alors à 49 ans, la prévalence de la tuberculose,9 les traumatismes,10 les infections dermatologiques bactériennes, parasitaires (gale et poux) et fongiques,11 la déshydratation et les coliques néphrétiques, les troubles de santé mentale.12
Toute forme de précarité de logement a donc des conséquences directes sur la santé, qu’il est utile de connaître. Pour lutter contre, certains messages de prévention, voire un signalement ou un certificat peuvent être utiles. Des conséquences sociales peuvent s’y ajouter : perte ou difficulté à (re)trouver un emploi, déstructuration des liens sociaux, avec risque de désinsertion, voire d’exclusion, difficultés à se rendre aux rendez-vous médicaux et à adhérer au parcours de soins. Elle peut être une source de honte, parfois cachée au soignant. Il faut donc aborder ce sujet avec une attitude respectueuse et empathique.
Ainsi, précarité de logement et santé décrivent un cycle infernal qu’il convient de traiter, ou mieux, de prévenir.
Repérer la précarité financière ou pauvreté
Elle désigne l’insuffisance de moyens matériels pour subvenir à ses besoins. Pour la repérer, quelques normes sont utiles :
– le seuil de pauvreté relative est estimé à 1 041 € au seuil de 60 %, soit 14,1 % de la population, 8,9 millions de Français, 8,2 % des personnes en emploi, 31,3 % des étudiants, et 25 % des mineurs ;12 ce seuil est établi par comparaison (50 ou 60 %) au revenu médian, qui est le revenu au-dessous duquel vivent 50 % de la population étudiée, ici de 1 735 € ; il est pondéré en fonction du nombre de parts du foyer ;
– le seuil de pauvreté absolue ou panier indispensable à la survie est estimé en France à 10 € par personne par jour et à 2 € pour l’alimentaire ;
– le coût journalier pour des apports nutritionnels équilibrés est évalué à 5 € par jour.13
Les difficultés financières sont la première raison évoquée pour expliquer le renoncement aux soins. En consultation, il peut être délicat d’évaluer les revenus d’une personne, qui s’apprécient alors par les autres insécurités, en particulier l’insécurité alimentaire.
– le seuil de pauvreté relative est estimé à 1 041 € au seuil de 60 %, soit 14,1 % de la population, 8,9 millions de Français, 8,2 % des personnes en emploi, 31,3 % des étudiants, et 25 % des mineurs ;12 ce seuil est établi par comparaison (50 ou 60 %) au revenu médian, qui est le revenu au-dessous duquel vivent 50 % de la population étudiée, ici de 1 735 € ; il est pondéré en fonction du nombre de parts du foyer ;
– le seuil de pauvreté absolue ou panier indispensable à la survie est estimé en France à 10 € par personne par jour et à 2 € pour l’alimentaire ;
– le coût journalier pour des apports nutritionnels équilibrés est évalué à 5 € par jour.13
Les difficultés financières sont la première raison évoquée pour expliquer le renoncement aux soins. En consultation, il peut être délicat d’évaluer les revenus d’une personne, qui s’apprécient alors par les autres insécurités, en particulier l’insécurité alimentaire.
Repérer la précarité alimentaire, dite insécurité alimentaire
C’est une conséquence directe de la précarité financière mais aussi des connaissances en hygiène, des capacités de stockage, des infrastructures et de l’isolement.
Le Food Sufficiency Indicator (FSI) permet d’évaluer l’insuffisance alimentaire :14
– quantitative, avec la question « Ai-je parfois/souvent eu insuffisamment à manger durant les 12 derniers mois ? » ; cela concerne au minimum 3,2 % des Français ;
– qualitative, avec la question : « Ai-je eu suffisamment/pas toujours tous les aliments que je souhaiterais manger durant les 12 derniers mois » ; cela concerne 17 % des Français.
En 2018, 3,5 % des ménages français ont eu recours à une aide alimentaire, soit 5,5 millions de bénéficiaires : les choix de prédilection sont les fruits et légumes (28 %), la viande, les œufs et le poisson (27 %), les féculents (26 %), puis les produits sucrés (6 %).15
Les conséquences de la précarité alimentaire sur la santé sont multiples : carences martiales (qui varient en fonction des revenus),16 carences en folates et en vitamine B12, dénutrition protéique, voire scorbut (personnes âgées), mais aussi, et surtout, surpoids. L’augmentation inégale de la masse corporelle selon les groupes sociaux est flagrante, avec 17 % d’obèses chez les sans diplôme contre 6 % de la population générale.17 Quelques facteurs permettent de l’expliquer : la consommation excessive de boissons sucrées, le grignotage, le manque d’activité physique, la différence de représentation du corps, ou encore l’insuffisance d’éducation alimentaire. On constate là encore un cycle pervers : la discrimination des obèses se retrouve dans toutes les dimensions de la vie sociale, en particulier face au marché du travail.
Le Food Sufficiency Indicator (FSI) permet d’évaluer l’insuffisance alimentaire :14
– quantitative, avec la question « Ai-je parfois/souvent eu insuffisamment à manger durant les 12 derniers mois ? » ; cela concerne au minimum 3,2 % des Français ;
– qualitative, avec la question : « Ai-je eu suffisamment/pas toujours tous les aliments que je souhaiterais manger durant les 12 derniers mois » ; cela concerne 17 % des Français.
En 2018, 3,5 % des ménages français ont eu recours à une aide alimentaire, soit 5,5 millions de bénéficiaires : les choix de prédilection sont les fruits et légumes (28 %), la viande, les œufs et le poisson (27 %), les féculents (26 %), puis les produits sucrés (6 %).15
Les conséquences de la précarité alimentaire sur la santé sont multiples : carences martiales (qui varient en fonction des revenus),16 carences en folates et en vitamine B12, dénutrition protéique, voire scorbut (personnes âgées), mais aussi, et surtout, surpoids. L’augmentation inégale de la masse corporelle selon les groupes sociaux est flagrante, avec 17 % d’obèses chez les sans diplôme contre 6 % de la population générale.17 Quelques facteurs permettent de l’expliquer : la consommation excessive de boissons sucrées, le grignotage, le manque d’activité physique, la différence de représentation du corps, ou encore l’insuffisance d’éducation alimentaire. On constate là encore un cycle pervers : la discrimination des obèses se retrouve dans toutes les dimensions de la vie sociale, en particulier face au marché du travail.
Repérer la précarité d’emploi ou professionnelle
Plusieurs types de précarité d’emploi existent, d’intensité variable :
– instabilité de l’emploi : contrat court, secteur en crise ou hyperspécialisé où la mobilité est difficile alors que la flexibilité du travail est de plus en plus la norme ;
– instabilité ou insuffisance des revenus, avec le phénomène récent des travailleurs pauvres ;
– absence d’emploi (9,7 %, soit 2,7 millions de chômeurs en 2017), où l’inactivité est d’autant plus déstabilisante qu’elle est durable (4,2 % de la population active), qu’elle survient à un âge avancé (6,4 % des plus de 50 ans) ou très jeune (21,9 % des jeunes de moins de 25 ans).18
Ces situations sont des sources de fragilisation directes par insécurité financière et également indirectes : difficulté à trouver un logement, liens sociaux rompus, absence de rythme de vie, reconnaissance sociale amoindrie, mésestime de soi.
– instabilité de l’emploi : contrat court, secteur en crise ou hyperspécialisé où la mobilité est difficile alors que la flexibilité du travail est de plus en plus la norme ;
– instabilité ou insuffisance des revenus, avec le phénomène récent des travailleurs pauvres ;
– absence d’emploi (9,7 %, soit 2,7 millions de chômeurs en 2017), où l’inactivité est d’autant plus déstabilisante qu’elle est durable (4,2 % de la population active), qu’elle survient à un âge avancé (6,4 % des plus de 50 ans) ou très jeune (21,9 % des jeunes de moins de 25 ans).18
Ces situations sont des sources de fragilisation directes par insécurité financière et également indirectes : difficulté à trouver un logement, liens sociaux rompus, absence de rythme de vie, reconnaissance sociale amoindrie, mésestime de soi.
Repérer la précarité relationnelle ou en liens sociaux, l’exclusion
L’isolement et la pauvreté des liens sociaux (familiaux, amicaux, professionnels, confessionnels, sportifs, associatifs) sont un facteur de vulnérabilité. Et particulièrement dans les périodes où la santé fait défaut : le réseau relationnel tempère l’anxiété face aux situations de stress, procure des ressources matérielles et informationnelles, il renforce l’estime de soi. Ou lorsque l’on ne maîtrise pas la langue, puisque cela nécessite une mobilisation intense d’énergie psychique qui peut participer à un état de fatigue.
Les personnes les plus isolées sont les hommes d’âge mûr, solitaires, sans diplôme ni emploi. L’isolement est corrélé à une moins bonne santé perçue, et une humeur ressentie comme plus souvent dépressive.
Les personnes les plus isolées sont les hommes d’âge mûr, solitaires, sans diplôme ni emploi. L’isolement est corrélé à une moins bonne santé perçue, et une humeur ressentie comme plus souvent dépressive.
Repérer la précarité liée à la migration
Migrant n’est pas synonyme de démuni. Cependant, de nombreux migrants vivent actuellement sur le territoire français dans des conditions particulièrement difficiles : absence de statut administratif, absence de travail régulier, barrière linguistique et culturelle, isolement, hébergement rudimentaire, pauvreté absolue, souffrance psychique liés à l’exil, au parcours migratoire, à la non-intégration ou aux violences subies. Ces aspects ne peuvent pas se réduire en quelques lignes et mériteraient un article spécifique.*
Repérer la précarité en lien avec un état de santé ou le non-accès aux soins
S’enquérir du type de couverture maladie permet de comprendre pourquoi certains ont renoncé à des soins, leur couverture étant incomplète ou absente. Le reste à charge n’est parfois pas supportable financièrement. Les besoins non couverts en soins dentaires et lunettes sont révélateurs. L’orientation vers une assistante sociale pour accéder aux droits ou vers des dispositifs offrant un accès gratuit peut être une solution.
De nombreuses autres formes de précarité pourraient être repérées : le non-accès à l’éducation, à la scolarité, à la culture, à la paix, l’instabilité politique ou économique…
Si connaître et repérer chaque type de précarité a un intérêt clinique et épidémiologique, cela ne doit pas occulter que la précarité est avant tout multidimensionnelle. Chaque type de fragilité n’a que peu de sens isolément. Cette première étape de repérage est essentielle car elle conditionne et oriente les suivantes. Elle doit se faire avec tact et délicatesse pour ne pas blesser la dignité ni préjuger sur des apparences (le portable est la seule richesse de ceux-là).
De nombreuses autres formes de précarité pourraient être repérées : le non-accès à l’éducation, à la scolarité, à la culture, à la paix, l’instabilité politique ou économique…
Si connaître et repérer chaque type de précarité a un intérêt clinique et épidémiologique, cela ne doit pas occulter que la précarité est avant tout multidimensionnelle. Chaque type de fragilité n’a que peu de sens isolément. Cette première étape de repérage est essentielle car elle conditionne et oriente les suivantes. Elle doit se faire avec tact et délicatesse pour ne pas blesser la dignité ni préjuger sur des apparences (le portable est la seule richesse de ceux-là).
Être à l’écoute de la souffrance générée par la situation sociale
L’interrogatoire social permet d’écouter la souffrance générée par une situation de précarité. Cette écoute est un soin en soi dont il ne faudrait pas négliger l’efficacité. La comparaison entre l’accompagnement des personnes en fin de vie et en situation de précarité en est une illustration.19 Elle permet de libérer un espace psychique pour d’autres préoccupations, dont la santé : « Puisque le médecin sait ce que je vis, alors je peux lui parler de mon corps. » Elle soutient l’alliance thérapeutique : médecin et patient sont sur la même longueur d’onde et utilisent dès lors les mêmes codes. La première consultation est capitale et chronophage. Elle est favorisée par « un cadre rassurant et hors de toute contrainte » pour laisser la place à la parole.20
Cependant, avancer progressivement, sans jamais « forcer » le récit ni tomber dans la « tyrannie du dire » (René Kaës) qui risquerait de créer une réactivation de traumatismes, n’est pas toujours si simple. Le soignant se positionne entre deux bornes : ne pas en faire suffisamment ou en faire trop. Dans le premier cas, le médecin fuit son rôle de « maillage humanisant » extrêmement important pour ces patients. Dans le second cas, il y a un risque de positionnement du médecin, vers une forme de « toute-puissance », qui n’est plus au service des patients.
Cependant, avancer progressivement, sans jamais « forcer » le récit ni tomber dans la « tyrannie du dire » (René Kaës) qui risquerait de créer une réactivation de traumatismes, n’est pas toujours si simple. Le soignant se positionne entre deux bornes : ne pas en faire suffisamment ou en faire trop. Dans le premier cas, le médecin fuit son rôle de « maillage humanisant » extrêmement important pour ces patients. Dans le second cas, il y a un risque de positionnement du médecin, vers une forme de « toute-puissance », qui n’est plus au service des patients.
Une prise en charge au minimum médico-sociale, au mieux multidisciplinaire et soutenue par un réseau
À partir des constats du repérage, le médecin peut faire appel à d’autres professionnels :
– aux assistants sociaux, pour chercher des solutions en matière de logement, d’aide alimentaire ou vestimentaire, de droit à une couverture maladie, de relais juridique, ou autres. Plus l’intrication médico-sociale est forte, plus la communication médecin-assistante sociale-patient est indispensable, dans le respect du secret professionnel partagé. Ce travail en trio favorise l’adhésion au soin, en renforçant la cohésion et les liens autour et avec la personne en situation de précarité ;
– il est aussi utile de s’appuyer sur un réseau plus large : associatif, familial, communautaire, municipal, religieux, sportif ou juridique, qui contribue à une prise en charge plus complète de la personne.
– aux assistants sociaux, pour chercher des solutions en matière de logement, d’aide alimentaire ou vestimentaire, de droit à une couverture maladie, de relais juridique, ou autres. Plus l’intrication médico-sociale est forte, plus la communication médecin-assistante sociale-patient est indispensable, dans le respect du secret professionnel partagé. Ce travail en trio favorise l’adhésion au soin, en renforçant la cohésion et les liens autour et avec la personne en situation de précarité ;
– il est aussi utile de s’appuyer sur un réseau plus large : associatif, familial, communautaire, municipal, religieux, sportif ou juridique, qui contribue à une prise en charge plus complète de la personne.
Seconder puis autonomiser
Ces personnes ont le plus souvent tendance à être perdues dans le système de soins : elles sont dépendantes et ont besoin d’être « secondées ». L’exemple des personnes à la rue révèle que lors des premières consultations, il est nécessaire, par exemple, de leur prendre leurs rendez-vous médicaux immédiatement, de leur remettre un plan personnalisé pour faciliter l’accès aux lieux de soins, de les faire accompagner par un bénévole, d’utiliser des piluliers même pour des traitements courts.
Puis vient l’étape de l’autonomisation : elle est progressive, et avec beaucoup de « ratés ». Ce qui peut parfois provoquer chez le soignant un sentiment de lassitude, voire d’échec. Il peut à cette occasion se rappeler que toute prise de rendez-vous, toute venue est un acte de soins, un acte de socialisation, voire un acte thérapeutique : il convient de le reconnaître et de le soutenir pour contribuer à la pérennité des soins, et pour ne pas décourager ni le soignant ni le soigné.20
Même ainsi, le soignant a souvent un sentiment d’échec face à ces patients vulnérables : il se sent démuni. Il lui faut beaucoup d’humilité pour persévérer, continuer à tendre la main, chercher des moyens, alors même que la situation paraît enkystée. Il revient à sa mission première : mettre en œuvre tous les moyens pour soigner, pour proposer le meilleur en reconnaissant que la guérison ne lui appartient pas. « Puisque la fin ne nous appartient pas, seul importe les moyens » (Gandhi, Tous les hommes sont frères).
Puis vient l’étape de l’autonomisation : elle est progressive, et avec beaucoup de « ratés ». Ce qui peut parfois provoquer chez le soignant un sentiment de lassitude, voire d’échec. Il peut à cette occasion se rappeler que toute prise de rendez-vous, toute venue est un acte de soins, un acte de socialisation, voire un acte thérapeutique : il convient de le reconnaître et de le soutenir pour contribuer à la pérennité des soins, et pour ne pas décourager ni le soignant ni le soigné.20
Même ainsi, le soignant a souvent un sentiment d’échec face à ces patients vulnérables : il se sent démuni. Il lui faut beaucoup d’humilité pour persévérer, continuer à tendre la main, chercher des moyens, alors même que la situation paraît enkystée. Il revient à sa mission première : mettre en œuvre tous les moyens pour soigner, pour proposer le meilleur en reconnaissant que la guérison ne lui appartient pas. « Puisque la fin ne nous appartient pas, seul importe les moyens » (Gandhi, Tous les hommes sont frères).
Favoriser l’unité de lieu et de temps des soins
Le rapport au temps et à l’espace des plus démunis est l’élément crucial à saisir.19, 20
Cette perte de repère explique, pour partie, la non-adhésion aux soins, les ruptures de suivi, les rendez-vous non honorés. Elle permet aussi au soignant de mieux comprendre le quotidien du patient et ses préoccupations. Plus le patient est désocialisé, vulnérable, isolé, sans activité et sans logement stable, plus son rapport au temps et à l’espace est déstructuré. Ses souvenirs s’effacent, ses repères dans le passé s’amenuisent par la monotonie des jours sans week-end ni horaire. Il lui est difficile de se projeter dans un avenir qui n’a pas de sens. Il vit dans l’immédiateté, ici et maintenant. Pour certains, les priorités sont même réduites à la recherche d’un gîte et d’un couvert.
Au-delà de cette compréhension, ce rapport à l’espace-temps permet de réfléchir à des solutions :
– le patient est-il capable de venir à un rendez-vous éloigné dans le temps ? Le lieu de soins doit s’adapter à cette réalité : les consultations sans rendez-vous sont les plus adaptées aux profils les plus instables ;
– la fréquence des rendez-vous doit être raisonnée : souvent très rapprochée au début pour favoriser l’adhésion, la connaissance et la reconnaissance du lieu de soins comme d’un site stable et sécurisant, elle doit pourtant éviter d’être trop contraignante ;
– le travail sur les antécédents médicaux, familiaux et sur le parcours de vie aide progressivement à renouer avec le passé et ainsi à se projeter dans un avenir ;
– le lieu de soins doit être raisonné en s’appuyant sur l’offre globale de soins, sur son accessibilité et son savoir-faire pour ce public. L’unicité de lieu de l’ensemble des soins est à favoriser : c’est une des clés majeures. Les conditions de vie étant par essence fluctuantes, il est bon de réfléchir à la fois à l’ancrage sur un lieu durable mais aussi au relais par d’autres structures de soins, afin qu’il ne soit pas synonyme de rupture. Un cabinet libéral est préférable pour certains, alors que pour d’autres les dispositifs spécifiques font sens, tels que les permanences d’accès aux soins de santé, les centres municipaux, les associations, les centre médico-sociaux, etc. ;
– certains patients, très préoccupés par leur quotidien, négligent, voire ignorent leur corps : cette mise à distance limite leur perception d’eux-mêmes et leur souffrance. Aussi, le soignant doit-il trouver la juste distance vis-à-vis de ces patients, y compris physiquement ;20
– la consultation doit être l’opportunité de dépistages (infections sexuellement transmissibles, hygiène buccodentaire, acuité visuelle, cancers) et de prévention (mise à jour du calendrier vaccinal).
Cette perte de repère explique, pour partie, la non-adhésion aux soins, les ruptures de suivi, les rendez-vous non honorés. Elle permet aussi au soignant de mieux comprendre le quotidien du patient et ses préoccupations. Plus le patient est désocialisé, vulnérable, isolé, sans activité et sans logement stable, plus son rapport au temps et à l’espace est déstructuré. Ses souvenirs s’effacent, ses repères dans le passé s’amenuisent par la monotonie des jours sans week-end ni horaire. Il lui est difficile de se projeter dans un avenir qui n’a pas de sens. Il vit dans l’immédiateté, ici et maintenant. Pour certains, les priorités sont même réduites à la recherche d’un gîte et d’un couvert.
Au-delà de cette compréhension, ce rapport à l’espace-temps permet de réfléchir à des solutions :
– le patient est-il capable de venir à un rendez-vous éloigné dans le temps ? Le lieu de soins doit s’adapter à cette réalité : les consultations sans rendez-vous sont les plus adaptées aux profils les plus instables ;
– la fréquence des rendez-vous doit être raisonnée : souvent très rapprochée au début pour favoriser l’adhésion, la connaissance et la reconnaissance du lieu de soins comme d’un site stable et sécurisant, elle doit pourtant éviter d’être trop contraignante ;
– le travail sur les antécédents médicaux, familiaux et sur le parcours de vie aide progressivement à renouer avec le passé et ainsi à se projeter dans un avenir ;
– le lieu de soins doit être raisonné en s’appuyant sur l’offre globale de soins, sur son accessibilité et son savoir-faire pour ce public. L’unicité de lieu de l’ensemble des soins est à favoriser : c’est une des clés majeures. Les conditions de vie étant par essence fluctuantes, il est bon de réfléchir à la fois à l’ancrage sur un lieu durable mais aussi au relais par d’autres structures de soins, afin qu’il ne soit pas synonyme de rupture. Un cabinet libéral est préférable pour certains, alors que pour d’autres les dispositifs spécifiques font sens, tels que les permanences d’accès aux soins de santé, les centres municipaux, les associations, les centre médico-sociaux, etc. ;
– certains patients, très préoccupés par leur quotidien, négligent, voire ignorent leur corps : cette mise à distance limite leur perception d’eux-mêmes et leur souffrance. Aussi, le soignant doit-il trouver la juste distance vis-à-vis de ces patients, y compris physiquement ;20
– la consultation doit être l’opportunité de dépistages (infections sexuellement transmissibles, hygiène buccodentaire, acuité visuelle, cancers) et de prévention (mise à jour du calendrier vaccinal).
Adapter le traitement et les conseils aux conditions de vie
Les modalités de traitement doivent être adaptées :
– le nombre de prises doit être limité, les traitements minutes, les prescriptions les plus courtes et les piluliers sont un plus pour ceux qui vivent sans repère temporel ;
– la délivrance doit être courte, pour 7 jours, elle permet à celui qui dort dehors de ne pas se retrouver avec des médicaments mouillés et donc inutilisables ; le soutien des pharmaciens est alors un atout ;
– la voie d’administration doit être adaptée ; les traitements effervescents sont inappropriés pour qui vit à la rue avec un accès restreint à l’eau. Un lavement ou des suppositoires sont incompatibles avec un hébergement collectif. L’insuline à la rue est possible, parfois plus facilement qu’on ne le croit, en particulier pour les insulines lentes. Les sulfamides hypoglycémiants sont plus risqués car il est impossible pour la plupart de prévoir l’horaire et le contenu de leur repas.
De même, pour l’alimentation :
– les régimes : les messages de prévention doivent être prodigués mais adaptés pour être applicables. Il existe toujours une marge de progression même pour ceux qui sont dans les conditions les plus difficiles. Il est possible de proposer des aliments à moindre coût à valeur énergétique égale. Certaines fiches déjà élaborées se trouvent aisément sur Internet (carence martiale) ;
– si l’accès à l’eau et aux toilettes est difficile, il convient d’anticiper les effets secondaires de certains traitements, tels que diurétiques, laxatifs et antalgiques ;
– quelques connaissances sur l’alimentation des personnes issues de la migration sont utiles.
L’orientation vers des dispositifs d’aide alimentaire (https://www.banquealimentaire.org ; Secours populaire, Restos du cœur) peut être une solution.
Les conseils s’appuieront aussi sur les représentations de l’alimentation selon les classes sociales. Dans les populations défavorisées,21, 22 le rôle structurant de l’alimentation est perdu, le lien entre alimentation et santé est perçu dans une optique curative et non préventive, le rapport aux normes nutritionnelles est en contradiction avec celles institutionnelles. Le bon aliment est celui qui a bon goût et qui est nourrissant, les fruits et légumes sont synonymes d’ascétisme et de frein. L’aide à la planification des repas, les planches coût-valeur nutritive ont toute leur place. L’achat auprès du producteur ou en fin de marché, les produits de saison, les poissons peu chers (sardines, thon, cabillaud), les grandes quantités pour anticiper les repas (avec congélation partielle) peuvent aussi être conseillés. Le site de la Fédération des diabétiques est une ressource intéressante (https://www.federationdesdiabetiques).
– le nombre de prises doit être limité, les traitements minutes, les prescriptions les plus courtes et les piluliers sont un plus pour ceux qui vivent sans repère temporel ;
– la délivrance doit être courte, pour 7 jours, elle permet à celui qui dort dehors de ne pas se retrouver avec des médicaments mouillés et donc inutilisables ; le soutien des pharmaciens est alors un atout ;
– la voie d’administration doit être adaptée ; les traitements effervescents sont inappropriés pour qui vit à la rue avec un accès restreint à l’eau. Un lavement ou des suppositoires sont incompatibles avec un hébergement collectif. L’insuline à la rue est possible, parfois plus facilement qu’on ne le croit, en particulier pour les insulines lentes. Les sulfamides hypoglycémiants sont plus risqués car il est impossible pour la plupart de prévoir l’horaire et le contenu de leur repas.
De même, pour l’alimentation :
– les régimes : les messages de prévention doivent être prodigués mais adaptés pour être applicables. Il existe toujours une marge de progression même pour ceux qui sont dans les conditions les plus difficiles. Il est possible de proposer des aliments à moindre coût à valeur énergétique égale. Certaines fiches déjà élaborées se trouvent aisément sur Internet (carence martiale) ;
– si l’accès à l’eau et aux toilettes est difficile, il convient d’anticiper les effets secondaires de certains traitements, tels que diurétiques, laxatifs et antalgiques ;
– quelques connaissances sur l’alimentation des personnes issues de la migration sont utiles.
L’orientation vers des dispositifs d’aide alimentaire (https://www.banquealimentaire.org ; Secours populaire, Restos du cœur) peut être une solution.
Les conseils s’appuieront aussi sur les représentations de l’alimentation selon les classes sociales. Dans les populations défavorisées,21, 22 le rôle structurant de l’alimentation est perdu, le lien entre alimentation et santé est perçu dans une optique curative et non préventive, le rapport aux normes nutritionnelles est en contradiction avec celles institutionnelles. Le bon aliment est celui qui a bon goût et qui est nourrissant, les fruits et légumes sont synonymes d’ascétisme et de frein. L’aide à la planification des repas, les planches coût-valeur nutritive ont toute leur place. L’achat auprès du producteur ou en fin de marché, les produits de saison, les poissons peu chers (sardines, thon, cabillaud), les grandes quantités pour anticiper les repas (avec congélation partielle) peuvent aussi être conseillés. Le site de la Fédération des diabétiques est une ressource intéressante (https://www.federationdesdiabetiques).
Avoir un objectif raisonnable et raisonné et beaucoup d’humilité
« Il ne s’agit pas de dire que la seule subjectivité fait l’affaire, mais qu’elle est partie prenante de la réussite du soin, de son caractère opérationnel. »23
Partir de là où en est le patient, au moment présent, faire avec lui, l’apprivoiser, débuter par répondre à ses attentes, et ce alors même que la priorité médicale semble ailleurs, sont des tactiques d’autant plus indispensables que le patient est démuni. Parallèlement, les autres problématiques médicales sont mises en perspective afin de tenter d’amener le patient vers d’autres horizons.
Cette individualisation des soins soulève pourtant des questions éthiques : il ne faudrait pas engendrer une perte de chance avec un soin au rabais destiné aux pauvres. Au contraire, choisir une stratégie thérapeutique adaptée doit améliorer le soin pour ces patients : des étapes intermédiaires, atteignables, pour ne pas mettre en échec les efforts, ne doivent pas faire oublier que l’objectif final est le même que pour tout un chacun.
Partir de là où en est le patient, au moment présent, faire avec lui, l’apprivoiser, débuter par répondre à ses attentes, et ce alors même que la priorité médicale semble ailleurs, sont des tactiques d’autant plus indispensables que le patient est démuni. Parallèlement, les autres problématiques médicales sont mises en perspective afin de tenter d’amener le patient vers d’autres horizons.
Cette individualisation des soins soulève pourtant des questions éthiques : il ne faudrait pas engendrer une perte de chance avec un soin au rabais destiné aux pauvres. Au contraire, choisir une stratégie thérapeutique adaptée doit améliorer le soin pour ces patients : des étapes intermédiaires, atteignables, pour ne pas mettre en échec les efforts, ne doivent pas faire oublier que l’objectif final est le même que pour tout un chacun.
Un défi
« Il n’y a pas de responsabilité propre qui ne soit intrinsèquement une responsabilité pour tous. » C. Fleury23.
Certaines connaissances, pratiques, attitudes ainsi que certains outils facilitent la prise en charge médicale des plus démunis. Les plus vulnérables des vulnérables exigent de mettre en avant la relation, de prendre le temps, de faire avec, de positionner la technique à sa juste place.
Reflet de dysfonctionnements de notre société et de ceux du monde, reflet de nos manques d’humanité, parce qu’ils cumulent une double vulnérabilité, ces personnes sont un défi pour les soignants.
Défi du soin avec (et non pour) le patient car ici l’alliance thérapeutique est une obligation.
Défi du soin autour de patients exigeant une pluridisciplinarité des soins.
Défi d’un soin où la relation humaine bienveillante exige d’être première, mais où l’apport technique est indiscutablement aidant.
Défi parce que leur « exceptionnalité » exige une personnalisation de la prise en charge.
Défi à la formation donnée aux médecins, où les sciences humaines et sociales font défaut.
Défi aux institutions de soins en stimulant leur capabilité à s’adapter aux patients, à être soin, à être hospitalier, tout en les invitant à réfléchir à la plus-value, y compris en termes d’efficience, de consultations par essence chronophages.
Certaines connaissances, pratiques, attitudes ainsi que certains outils facilitent la prise en charge médicale des plus démunis. Les plus vulnérables des vulnérables exigent de mettre en avant la relation, de prendre le temps, de faire avec, de positionner la technique à sa juste place.
Reflet de dysfonctionnements de notre société et de ceux du monde, reflet de nos manques d’humanité, parce qu’ils cumulent une double vulnérabilité, ces personnes sont un défi pour les soignants.
Défi du soin avec (et non pour) le patient car ici l’alliance thérapeutique est une obligation.
Défi du soin autour de patients exigeant une pluridisciplinarité des soins.
Défi d’un soin où la relation humaine bienveillante exige d’être première, mais où l’apport technique est indiscutablement aidant.
Défi parce que leur « exceptionnalité » exige une personnalisation de la prise en charge.
Défi à la formation donnée aux médecins, où les sciences humaines et sociales font défaut.
Défi aux institutions de soins en stimulant leur capabilité à s’adapter aux patients, à être soin, à être hospitalier, tout en les invitant à réfléchir à la plus-value, y compris en termes d’efficience, de consultations par essence chronophages.
Encadre
Le soin est un humanisme
« La vulnérabilité nous invite, nous les “autres”, à mettre en place des manières d’être et de se conduire, précisément autres, aptes à faire face à cette fragilité pour ne pas la renforcer… Elle invite l’homme à inventer un ethos, à produire un geste plus soucieux de la différence de l’autre : elle fait naître chez nous une préoccupation, une attention, une qualité inédite de présence au monde et aux autres. Elle fait naître chez nous un être, une manière d’être, un style de vie, un autre nous-mêmes ».
Références
Dossier Santé des migrants publié en mai 2019 (Rev Prat 2019:69:545-72).
1. Bille M. Précarité, fin de vie, accompagnement. Presses universitaires de Grenoble. Jusqu’à la mort accompagner la vie 2013;112:69-78.
2. Wresinski J. Grande pauvreté et précarité économique et sociale. Paris : Journal officiel, coll. Avis et rapports du Conseil économique et social, 1987; n° 6.
3. Fondation Abbé Pierre. L’état du mal-logement en France. 2017. Rapport annuel n° 22, www.fondation-abbe-pierre.fr ou https://bit.ly/2JN3zH4
4. Ledesert B. Liens entre précarité énergétique et santé : analyse conjointe des enquêtes réalisées dans l’Hérault et le Douaisis. Revue du CREAI-ORS-LR, nov. 2013.
5. Observatoire français des conjonctures économiques. La mesure du coût économique et social du mal-logement. OFCE, oct. 2015, http://onpes.gouv.fr/ ou https://bit.ly/2VaCvXs
6. Imprégnation des enfants par le plomb en France en 2008-2009. BEH web mai 2010 ; n° 2.
7. Bush RK, Portnoy JM, Sqxon A, Terr AI, Wood RA. The medical effects of mold exposure. J Allergy Clin Immunol 2006;117:326-33.
8. Ginot L, Peyr C. Habitat dégradé et santé perçue : une étude à partir des demandes de logement social. Santé Publique 5/2010, vol. 22.
9. Antoine D. Les cas de tuberculose maladie déclarés en France en 2006. BEH 2008;10-11:69-72.
10. Jamet L. Davantage de victimes de vol ou d’agression parmi les sans-domicile. Insee Focus n° 44, nov. 2015. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1304053
11. Samu social, Enquêtes hyptea et samenta. https://www.samusocial.paris/nos-enquetes
12. Insee, France, portrait social, 2019. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238781
13. Jacobs M, Roillet M, Leblois C. Étude de la faisabilité d’une alimentation saine et à petit budget. Nutr Clin Métab 2017;31:258.
14. Étude individuelle nationale des consommations alimentaires 3 (INCa 3). ANSES, juin 2017. https://bit.ly/39JNEUA
15. Étude nationale auprès des personnes accueillies par les associations et CCAS partenaires de la Fédération française des banques alimentaires (FFBA). Enquête 2018 n° 1800795. https://bit.ly/39Oqah1
16. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. L’état de santé de la population en France. DREES, rapport 2011. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Etat_sante-population_2011.pdf
17. De Saint Pol T. Evolution of obesity by social status in France, 1981-2003. Econ Hum Biol 2009;7:398-404.
18. Insee. Activité, emploi et chômage en 2016 et 2017. Enquête Insee, 2018. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2850098?sommaire=2841366 https://www.insee.fr/fr/statistiques/3541402?sommaire=3541412
19. Chatel T. Santé et solidarité : quelle place pour l’inter-humain ? Intervention lors du colloque des PASS, novembre 2012. http://www.collectifpass.org/compte_rendu/colloque-novembre-2012/
20. Emmanuelli X, Tartière S. Éléments cliniques de l’exclusion. J Eur Urgences Reanim 2014;26:147-53.
21. Régnier F, Masullo, A. Obésité, goûts et consommation : intégration des normes d’alimentation et appartenance sociale. Rev Fr Sociol 2009;50(4):747-73.
22. Darmon N, Lécossias C, Briend A, Comment améliorer l’aide alimentaire aux personnes sans abri ? Acceptabilité d’un aliment de rue enrichi. Med Nutr 2003;39:15-22.
23. Fleury C. Le Soin est un humanisme. Paris : Tracts Gallimard 2019, n° 6.
1. Bille M. Précarité, fin de vie, accompagnement. Presses universitaires de Grenoble. Jusqu’à la mort accompagner la vie 2013;112:69-78.
2. Wresinski J. Grande pauvreté et précarité économique et sociale. Paris : Journal officiel, coll. Avis et rapports du Conseil économique et social, 1987; n° 6.
3. Fondation Abbé Pierre. L’état du mal-logement en France. 2017. Rapport annuel n° 22, www.fondation-abbe-pierre.fr ou https://bit.ly/2JN3zH4
4. Ledesert B. Liens entre précarité énergétique et santé : analyse conjointe des enquêtes réalisées dans l’Hérault et le Douaisis. Revue du CREAI-ORS-LR, nov. 2013.
5. Observatoire français des conjonctures économiques. La mesure du coût économique et social du mal-logement. OFCE, oct. 2015, http://onpes.gouv.fr/ ou https://bit.ly/2VaCvXs
6. Imprégnation des enfants par le plomb en France en 2008-2009. BEH web mai 2010 ; n° 2.
7. Bush RK, Portnoy JM, Sqxon A, Terr AI, Wood RA. The medical effects of mold exposure. J Allergy Clin Immunol 2006;117:326-33.
8. Ginot L, Peyr C. Habitat dégradé et santé perçue : une étude à partir des demandes de logement social. Santé Publique 5/2010, vol. 22.
9. Antoine D. Les cas de tuberculose maladie déclarés en France en 2006. BEH 2008;10-11:69-72.
10. Jamet L. Davantage de victimes de vol ou d’agression parmi les sans-domicile. Insee Focus n° 44, nov. 2015. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1304053
11. Samu social, Enquêtes hyptea et samenta. https://www.samusocial.paris/nos-enquetes
12. Insee, France, portrait social, 2019. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238781
13. Jacobs M, Roillet M, Leblois C. Étude de la faisabilité d’une alimentation saine et à petit budget. Nutr Clin Métab 2017;31:258.
14. Étude individuelle nationale des consommations alimentaires 3 (INCa 3). ANSES, juin 2017. https://bit.ly/39JNEUA
15. Étude nationale auprès des personnes accueillies par les associations et CCAS partenaires de la Fédération française des banques alimentaires (FFBA). Enquête 2018 n° 1800795. https://bit.ly/39Oqah1
16. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. L’état de santé de la population en France. DREES, rapport 2011. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Etat_sante-population_2011.pdf
17. De Saint Pol T. Evolution of obesity by social status in France, 1981-2003. Econ Hum Biol 2009;7:398-404.
18. Insee. Activité, emploi et chômage en 2016 et 2017. Enquête Insee, 2018. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2850098?sommaire=2841366 https://www.insee.fr/fr/statistiques/3541402?sommaire=3541412
19. Chatel T. Santé et solidarité : quelle place pour l’inter-humain ? Intervention lors du colloque des PASS, novembre 2012. http://www.collectifpass.org/compte_rendu/colloque-novembre-2012/
20. Emmanuelli X, Tartière S. Éléments cliniques de l’exclusion. J Eur Urgences Reanim 2014;26:147-53.
21. Régnier F, Masullo, A. Obésité, goûts et consommation : intégration des normes d’alimentation et appartenance sociale. Rev Fr Sociol 2009;50(4):747-73.
22. Darmon N, Lécossias C, Briend A, Comment améliorer l’aide alimentaire aux personnes sans abri ? Acceptabilité d’un aliment de rue enrichi. Med Nutr 2003;39:15-22.
23. Fleury C. Le Soin est un humanisme. Paris : Tracts Gallimard 2019, n° 6.
Dans cet article
- Connaître et repérer la précarité lors de l’interrogatoire
- Être à l’écoute de la souffrance générée par la situation sociale
- Une prise en charge au minimum médico-sociale, au mieux multidisciplinaire et soutenue par un réseau
- Seconder puis autonomiser
- Favoriser l’unité de lieu et de temps des soins
- Adapter le traitement et les conseils aux conditions de vie
- Avoir un objectif raisonnable et raisonné et beaucoup d’humilité
- Un défi