« Donc la richesse, l’aisance, la misère sont, dans l’état actuel des choses, pour les habitants des divers arrondissements de Paris, par les conditions dans lesquelles elles les placent, les principales causes (je ne dis pas les causes uniques) auxquelles il faut attribuer les grandes différences que l’on remarque dans la mortalité. »Villermé, 1830
Les sujets en situation de précarité représentent en France une population très hétérogène qui peut cumuler des facteurs de vulnérabilité variés directement corrélés à leur état de santé.
Les principaux domaines d’attention et leviers d’action sont éclairés par les travaux de recherche en épidémiologie sociale sur les inégalités sociales de santé.1 Ces inégalités sont liées aux déterminants sociaux de la santé comme l’éducation, les revenus, l’emploi, le lieu de vie ou la trajectoire sociale, mais aussi à l’appartenance à une population vulnérable, comme une partie des étrangers ou les personnes sans domicile. Ces déterminants structurels impactent des éléments intermédiaires qui, en interaction avec le système de santé, sont responsables l’état de santé et le bien-être (fig. 1 ).
Les sujets en situation de précarité représentent en France une population très hétérogène qui peut cumuler des facteurs de vulnérabilité variés directement corrélés à leur état de santé.
Les principaux domaines d’attention et leviers d’action sont éclairés par les travaux de recherche en épidémiologie sociale sur les inégalités sociales de santé.1 Ces inégalités sont liées aux déterminants sociaux de la santé comme l’éducation, les revenus, l’emploi, le lieu de vie ou la trajectoire sociale, mais aussi à l’appartenance à une population vulnérable, comme une partie des étrangers ou les personnes sans domicile. Ces déterminants structurels impactent des éléments intermédiaires qui, en interaction avec le système de santé, sont responsables l’état de santé et le bien-être (
Inégalités sociales de santé
Le premier aspect de ces inégalités concerne la mortalité. On observe un écart d’espérance de vie de 13 ans entre les hommes aux revenus les plus importants et ceux aux revenus les plus modestes (fig. 2 ).2 Cet écart s’observe également en fonction de la profession exercée (7,3 ans d’écart entre un homme cadre et un homme ouvrier) et tend à s’accroître : l’espérance de vie s’améliore plus rapidement au cours du temps pour les populations aisées que pour les populations défavorisées.
Les inégalités sociales de santé ne se limitent pas à la mortalité. L’espérance de vie sans incapacité montre aussi un écart important entre les personnes ayant un haut niveau d’éducation et celles avec un niveau plus bas. Les inégalités s’observent également au cours du parcours de vie.3 Elles s’expriment aux différents niveaux de l’échelle sociale (on parle de gradient social) : la morbimortalité augmente régulièrement des catégories les plus favorisées aux catégories les plus défavorisées socialement (fig. 3 ).
Il est donc important de comprendre dans le détail ces inégalités. Tout d’abord, la pauvreté expliquerait environ 25 % de la surmortalité observée. La lutte contre le manque de ressources est, ainsi, un élément clé pour réduire les inégalités de santé et un outil de santé publique. De plus, l’analyse des inégalités de mortalité par cause montre qu’elles sont liées en premier lieu à des causes évitables par la prévention, comme les maladies liées au tabagisme, à la consommation d’alcool, à l’obésité ou au manque d’activité physique.4 La prévention et les actions sur le mode de vie sont donc un levier important qui devrait être systématiquement abordé au cours d’une consultation avec une personne ayant des facteurs de vulnérabilité sociale. De plus, ce sont les populations favorisées qui bénéficient et s’approprient le plus les programmes de prévention et d’information sur la santé, ce qui accroît ces inégalités. Des études ont notamment montré que le dépistage du cancer cervico-utérin par frottis cervico-vaginal est très peu réalisé chez les femmes en situation de précarité, entraînant des retards diagnostiques et thérapeutiques*. À l’inverse, la mise en place d’un dépistage organisé, fondé sur des registres populationnels, avec relance, et sans frais pour les participants, comme celui du cancer du sein, permet de réduire les inégalités de santé, bien que profitant toujours davantage aux femmes les plus favorisées. D’autres mesures, comme l’élargissement du remboursement des substituts nicotiniques, sont également bénéfiques pour les populations les plus précaires. La couverture vaccinale et le recours au dépistage des personnes en situation de précarité sont souvent plus bas. L’existence de structures comme les centres de vaccination gratuite, les centres de protection maternelle et infantile (PMI) et les centres gratuits d’information de dépistage et de diagnostic du virus de l’immunodéficience humaine, des hépatites et des infections sexuellement transmissibles (CeGIDD) permettent, quand ils sont connus et accessibles, de réduire ces inégalités. Malgré ces efforts, la France échoue encore aujourd’hui à réduire de manière significative ces inégalités sociales de santé et de prévention.
Les inégalités sociales de santé ne se limitent pas à la mortalité. L’espérance de vie sans incapacité montre aussi un écart important entre les personnes ayant un haut niveau d’éducation et celles avec un niveau plus bas. Les inégalités s’observent également au cours du parcours de vie.3 Elles s’expriment aux différents niveaux de l’échelle sociale (on parle de gradient social) : la morbimortalité augmente régulièrement des catégories les plus favorisées aux catégories les plus défavorisées socialement (
Il est donc important de comprendre dans le détail ces inégalités. Tout d’abord, la pauvreté expliquerait environ 25 % de la surmortalité observée. La lutte contre le manque de ressources est, ainsi, un élément clé pour réduire les inégalités de santé et un outil de santé publique. De plus, l’analyse des inégalités de mortalité par cause montre qu’elles sont liées en premier lieu à des causes évitables par la prévention, comme les maladies liées au tabagisme, à la consommation d’alcool, à l’obésité ou au manque d’activité physique.4 La prévention et les actions sur le mode de vie sont donc un levier important qui devrait être systématiquement abordé au cours d’une consultation avec une personne ayant des facteurs de vulnérabilité sociale. De plus, ce sont les populations favorisées qui bénéficient et s’approprient le plus les programmes de prévention et d’information sur la santé, ce qui accroît ces inégalités. Des études ont notamment montré que le dépistage du cancer cervico-utérin par frottis cervico-vaginal est très peu réalisé chez les femmes en situation de précarité, entraînant des retards diagnostiques et thérapeutiques*. À l’inverse, la mise en place d’un dépistage organisé, fondé sur des registres populationnels, avec relance, et sans frais pour les participants, comme celui du cancer du sein, permet de réduire les inégalités de santé, bien que profitant toujours davantage aux femmes les plus favorisées. D’autres mesures, comme l’élargissement du remboursement des substituts nicotiniques, sont également bénéfiques pour les populations les plus précaires. La couverture vaccinale et le recours au dépistage des personnes en situation de précarité sont souvent plus bas. L’existence de structures comme les centres de vaccination gratuite, les centres de protection maternelle et infantile (PMI) et les centres gratuits d’information de dépistage et de diagnostic du virus de l’immunodéficience humaine, des hépatites et des infections sexuellement transmissibles (CeGIDD) permettent, quand ils sont connus et accessibles, de réduire ces inégalités. Malgré ces efforts, la France échoue encore aujourd’hui à réduire de manière significative ces inégalités sociales de santé et de prévention.
Spécificités cliniques des personnes en situation de précarité
Il n’existe pas de pathologies spécifiques liées à la précarité. Cependant, la précarité s’accompagne souvent d’un moins bon état de santé, d’un risque de mortalité plus précoce et de spécificités cliniques variables d’un individu à l’autre, ce qui devrait inviter les soignants à une plus grande vigilance (fig. 4 ).
Les maladies cardiovasculaires sont la première cause du sur-risque de morbi-mortalité chez les personnes précaires. Même après prise en compte des facteurs de risque connus et eux-mêmes plus fréquents (tabagisme, hypercholestérolémie, alimentation, hypertension artérielle), un sur-risque de maladie coronarienne persiste pour les classes les plus pauvres. Le risque de développer un diabète de type 2 ou des complications d’un diabète est plus élevé chez les personnes défavorisées,
La prévalence de l’asthme et des asthmes non contrôlés est plus importante, notamment chez les enfants et les personnes âgées, en lien, notamment, avec des expositions environnementales défavorables. Lorsque les personnes sont confrontées à des conditions de vie difficiles, et notamment lorsqu’elles vivent à la rue, le risque de pathologies infectieuses respiratoires (bronchites, pneumopathies infectieuses, grippe) est plus important et a des conséquences plus sévères. La tuberculose maladie, bien que devenue rare en France, est plus fréquente parmi les personnes en situation de grande précarité.
L’incidence et la mortalité par cancer est plus élevée chez les personnes socialement défavorisées, en particulier les cancers du poumon, des voies aérodigestives supérieures et du côlon, y compris après ajustement sur les facteurs de risque connus.
Les expositions professionnelles à des substances toxiques, à des gestes répétitifs ou au port de charges lourdes sont plus fréquentes dans les catégories socioprofessionnelles défavorisées, menant à une plus grande fréquence de maladies professionnelles, et notamment de troubles musculosquelettiques.
Sur le plan psychologique et psychiatrique, les troubles anxiodépressifs sont plus fréquents, ainsi que le risque de suicide (fig. 3). Le risque de psychose et de décompensation psychotique est également plus élevé, y compris parmi les populations migrantes ayant été exposées à des traumatismes.
L’accès limité aux centres médicopsychologiques et le coût des psychothérapies limitent le recours aux soins non médicamenteux chez les personnes défavorisées. L’abus de substances psychoactives et l’usage de drogues par voie intraveineuse sont surtout prévalentes dans les situations de grande précarité. Ils représentent également parfois une cause d’entrée dans la précarité chez des usagers qui se marginalisent progressivement.
Les dermatoses sont un problème récurrent chez les personnes en situation de grande précarité ayant des difficultés d’accès à l’hygiène ou vivant dans des conditions de promiscuité. Les ectoparasitoses (pédiculose corporelle, gale, piqûres de punaise de lit) sont plus fréquentes dans les situations de promiscuité et de couchage partagé et représentent un réel enjeu de santé publique pour les gestionnaires de structures d’hébergement social. Les dermohypodermites aiguës bactériennes compliquent fréquemment ces dermatoses et devraient motiver une inspection soigneuse de la peau.
L’état buccodentaire est souvent dégradé chez les personnes précaires. Cette situation a tendance à se dégrader, avec un accès aux soins dentaires difficile, lié notamment au refus de prise en charge des bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (CSS, ex-CMUc) et de l’aide médicale d’État (AME) de la part d’une partie des soignants.5 Le renoncement aux soins dentaires lié aux coûts résiduels de certaines prises en charge aggrave cette situation ; il en est de même pour la surveillance ophtalmologique et la prescription de lunettes.
L’insécurité alimentaire est un enjeu pour les plus pauvres, contraints de limiter leurs apports ou de sauter des repas. Elle concerne 8 % de la population en France. Elle peut se compliquer de véritables carences protéino-énergétiques et vitaminiques, souvent asymptomatiques mais qui peuvent se compliquer à un stade avancé (scorbut, etc.). Dans le même temps, on observe un risque augmenté d’obésité selon la catégorie socioprofessionnelle, en lien avec une alimentation inadaptée et la sédentarité (fig. 3).
Enfin, avec l’avancée en âge ou du fait de comorbidités invalidantes, on observe des situations de handicap et de dépendance qui peuvent avoir des conséquences importantes en l’absence de soutien social.
Les maladies cardiovasculaires sont la première cause du sur-risque de morbi-mortalité chez les personnes précaires. Même après prise en compte des facteurs de risque connus et eux-mêmes plus fréquents (tabagisme, hypercholestérolémie, alimentation, hypertension artérielle), un sur-risque de maladie coronarienne persiste pour les classes les plus pauvres. Le risque de développer un diabète de type 2 ou des complications d’un diabète est plus élevé chez les personnes défavorisées,
La prévalence de l’asthme et des asthmes non contrôlés est plus importante, notamment chez les enfants et les personnes âgées, en lien, notamment, avec des expositions environnementales défavorables. Lorsque les personnes sont confrontées à des conditions de vie difficiles, et notamment lorsqu’elles vivent à la rue, le risque de pathologies infectieuses respiratoires (bronchites, pneumopathies infectieuses, grippe) est plus important et a des conséquences plus sévères. La tuberculose maladie, bien que devenue rare en France, est plus fréquente parmi les personnes en situation de grande précarité.
L’incidence et la mortalité par cancer est plus élevée chez les personnes socialement défavorisées, en particulier les cancers du poumon, des voies aérodigestives supérieures et du côlon, y compris après ajustement sur les facteurs de risque connus.
Les expositions professionnelles à des substances toxiques, à des gestes répétitifs ou au port de charges lourdes sont plus fréquentes dans les catégories socioprofessionnelles défavorisées, menant à une plus grande fréquence de maladies professionnelles, et notamment de troubles musculosquelettiques.
Sur le plan psychologique et psychiatrique, les troubles anxiodépressifs sont plus fréquents, ainsi que le risque de suicide (fig. 3). Le risque de psychose et de décompensation psychotique est également plus élevé, y compris parmi les populations migrantes ayant été exposées à des traumatismes.
L’accès limité aux centres médicopsychologiques et le coût des psychothérapies limitent le recours aux soins non médicamenteux chez les personnes défavorisées. L’abus de substances psychoactives et l’usage de drogues par voie intraveineuse sont surtout prévalentes dans les situations de grande précarité. Ils représentent également parfois une cause d’entrée dans la précarité chez des usagers qui se marginalisent progressivement.
Les dermatoses sont un problème récurrent chez les personnes en situation de grande précarité ayant des difficultés d’accès à l’hygiène ou vivant dans des conditions de promiscuité. Les ectoparasitoses (pédiculose corporelle, gale, piqûres de punaise de lit) sont plus fréquentes dans les situations de promiscuité et de couchage partagé et représentent un réel enjeu de santé publique pour les gestionnaires de structures d’hébergement social. Les dermohypodermites aiguës bactériennes compliquent fréquemment ces dermatoses et devraient motiver une inspection soigneuse de la peau.
L’état buccodentaire est souvent dégradé chez les personnes précaires. Cette situation a tendance à se dégrader, avec un accès aux soins dentaires difficile, lié notamment au refus de prise en charge des bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (CSS, ex-CMUc) et de l’aide médicale d’État (AME) de la part d’une partie des soignants.5 Le renoncement aux soins dentaires lié aux coûts résiduels de certaines prises en charge aggrave cette situation ; il en est de même pour la surveillance ophtalmologique et la prescription de lunettes.
L’insécurité alimentaire est un enjeu pour les plus pauvres, contraints de limiter leurs apports ou de sauter des repas. Elle concerne 8 % de la population en France. Elle peut se compliquer de véritables carences protéino-énergétiques et vitaminiques, souvent asymptomatiques mais qui peuvent se compliquer à un stade avancé (scorbut, etc.). Dans le même temps, on observe un risque augmenté d’obésité selon la catégorie socioprofessionnelle, en lien avec une alimentation inadaptée et la sédentarité (fig. 3).
Enfin, avec l’avancée en âge ou du fait de comorbidités invalidantes, on observe des situations de handicap et de dépendance qui peuvent avoir des conséquences importantes en l’absence de soutien social.
Inégalités selon le genre et l’âge
Selon le dernier rapport du Haut Conseil à l’égalité, les femmes représentent 64 % des personnes qui reportent des soins ou y renoncent du fait de la complexité des démarches pour obtenir une couverture complémentaire, des dépassements d’honoraires, des délais d’attente, de la mise en concurrence de leur état de santé avec le quotidien (travail, enfant, conjoint, travaux ménagers, etc.) et parfois des discriminations. Pourtant, plusieurs travaux font état d’une santé plus fragile en lien avec leurs conditions de vie et de travail et l’insuffisance de participation aux campagnes de dépistage et d’accès à la prévention. Ce constat est aggravé par des errances diagnostiques liées à l’insuffisance de formation des médecins aux spécificités cliniques chez les femmes en situation de précarité. Ainsi, après un accident cardiaque, la mortalité est trois fois plus élevée parmi les femmes les plus défavorisées.6
Les femmes enceintes vulnérables ont un moins bon suivi ; elles ont moins de consultations pré- et postnatales, et moins accès à la supplémentation en acide folique. Ce suivi insuffisant a des conséquences sur le déroulé de la grossesse et son terme, avec plus de petits poids de naissance, des troubles du développement et une morbimortalité augmentée, particulièrement parmi les femmes originaires d’Afrique subsaharienne, qui devraient donc bénéficier d’une attention toute particulière.
Le Lancet a publié en 2015 un éditorial7 s’alarmant de la progression de la pauvreté des enfants et des adolescents en France et de ses conséquences sur leur santé. Il existe en effet une corrélation entre les inégalités de revenu au sein d’un pays et le bien-être des enfants. Les enfants en situation défavorisée ont un risque plus important de surpoids ou de malnutrition, et ont jusqu’à 2 à 3 fois plus de risque de développer des troubles psychiques ou du comportement. Un risque historique dans les situations de mal-logement est celui du saturnisme, lié à l’ingestion de peinture au plomb, qui a nettement régressé depuis.
Enfin, les cohortes britanniques historiques sur les inégalités sociales de santé (les Whitehall studies menées par Michael Marmot) ont pu mettre en évidence que le statut socioéconomique affecte le vieillissement, le risque de morbidités multiples, de fragilité, d’incapacité8 et de démence.
Les femmes enceintes vulnérables ont un moins bon suivi ; elles ont moins de consultations pré- et postnatales, et moins accès à la supplémentation en acide folique. Ce suivi insuffisant a des conséquences sur le déroulé de la grossesse et son terme, avec plus de petits poids de naissance, des troubles du développement et une morbimortalité augmentée, particulièrement parmi les femmes originaires d’Afrique subsaharienne, qui devraient donc bénéficier d’une attention toute particulière.
Le Lancet a publié en 2015 un éditorial7 s’alarmant de la progression de la pauvreté des enfants et des adolescents en France et de ses conséquences sur leur santé. Il existe en effet une corrélation entre les inégalités de revenu au sein d’un pays et le bien-être des enfants. Les enfants en situation défavorisée ont un risque plus important de surpoids ou de malnutrition, et ont jusqu’à 2 à 3 fois plus de risque de développer des troubles psychiques ou du comportement. Un risque historique dans les situations de mal-logement est celui du saturnisme, lié à l’ingestion de peinture au plomb, qui a nettement régressé depuis.
Enfin, les cohortes britanniques historiques sur les inégalités sociales de santé (les Whitehall studies menées par Michael Marmot) ont pu mettre en évidence que le statut socioéconomique affecte le vieillissement, le risque de morbidités multiples, de fragilité, d’incapacité8 et de démence.
Sous-populations particulières
Personnes migrantes
La santé des migrants, quand ils sont en situation de précarité, relève également de la problématique des inégalités sociales de santé, sans y être réductible. Même si les données sont encore insuffisantes et bien qu’il soit difficile de dresser un tableau unique au vu de la diversité des populations regroupées sous le terme de « migrants », plusieurs travaux ont révélé une mortalité par maladies infectieuses et diabète augmentée, une fréquence plus importante de l’obésité, de l’hypertension artérielle et des maladies cardiovasculaires, une fréquence plus élevée des cancers liés aux maladies infectieuses (foie, estomac et col de l’utérus), une santé mentale plus souvent dégradée, des issues de grossesse plus souvent défavorables et une fréquence accrue des violences subies et de certaines maladies infectieuses comme l’infection par le VIH, les hépatites virales, la tuberculose et la bilharziose urinaire.9 Le niveau de ces risques peut varier en fonction du motif de migration (les demandeurs d’asile étant particulièrement vulnérables), du parcours migratoire (passage par la Libye notamment), mais aussi en fonction des conditions de vie après l’arrivée en France. L’infection par le VIH, par exemple, est acquise dans près d’un cas sur deux sur le territoire français pour les personnes originaires d’Afrique subsaharienne, et ce durant les premières années après l’arrivée, en lien avec la vulnérabilité sexuelle des migrants primo-arrivants.
À ces constats, il faut ajouter les problématiques spécifiques aux migrants primo-arrivants vivant dans des camps, plus exposés aux maladies infectieuses transmissibles comme les viroses respiratoires, la gale et la varicelle, mais aussi aux carences nutritionnelles et aux troubles psychiques (les syndromes anxieux réactionnels à la grande précarité sont fréquents).
À ces constats, il faut ajouter les problématiques spécifiques aux migrants primo-arrivants vivant dans des camps, plus exposés aux maladies infectieuses transmissibles comme les viroses respiratoires, la gale et la varicelle, mais aussi aux carences nutritionnelles et aux troubles psychiques (les syndromes anxieux réactionnels à la grande précarité sont fréquents).
Mineurs étrangers isolés
Ces mineurs, aussi appelés mineurs non accompagnés, ont souvent un état de santé dégradé à leur arrivée en France, en lien avec des conditions difficiles au cours de leur parcours migratoire, et qui se poursuivent durant leur séjour en France. Outre les séquelles physiques et psychiques des éventuels sévices vécus, il faut systématiquement réaliser un bilan de santé complet à la recherche des maladies infectieuses fréquentes comme la tuberculose, les parasitoses digestives et l’hépatite B, mais aussi d’un mauvais état dentaire, de troubles de la vue et de l’audition, de dermatoses et surtout d’une souffrance psychique fréquente. En théorie, ces mineurs relèvent de la protection de l’État, mais, en pratique, les mises à l’abri et les ouvertures de droits prennent souvent plusieurs mois. Le consentement aux soins en l’absence des détenteurs de l’autorité parentale pose de nombreux problèmes freinant leur accès aux soins.
Personnes sans domicile
Le nombre de personnes sans domicile a augmenté de 50 % ces 10 dernières années en France. On estime que 140 000 personnes vivent à la rue. Bien qu’elles représentent une minorité des personnes précaires, elles cumulent les facteurs de vulnérabilité. Leur état de santé est dégradé, avec un sur-risque pour les addictions (un sans-domicile sur deux), la tuberculose, les dermatoses, les troubles psychiatriques (32 % ont un trouble sévère) mais aussi une mortalité précoce. L’âge moyen de décès des personnes sans domicile est estimé à 49 ans, contre 77 ans dans la population générale. Leur accès aux soins et à la prévention est particulièrement difficile, par leur non-recours mais aussi du fait des réticences des soignants à les prendre en charge et du mésusage de l’offre sanitaire et sociale.
Autres populations
Plusieurs autres populations concernées par la pauvreté et la précarité auraient mérité d’être détaillées plus avant, comme les chômeurs, les malades en situation de précarité, les femmes enceintes, les prisonniers, les Roms vivant en camp, les personnes hébergées par le Samu social, les gens du voyage, les demandeurs d’asile et autres exilés, les personnes âgées précaires, les familles monoparentales, etc.
Accès et recours aux soins
L’Assurance maladie
L’accès aux soins est plus difficile pour les personnes précaires. Une mobilisation associative forte dans les années 1990 (notamment d’ATD Quart Monde) et la création de « consultations précarité » gratuites par certaines organisations non gouvernementales (ONG) ont conduit à une prise de conscience progressive. Ce mouvement a conduit à la création en 1998 des permanences d’accès aux soins (PASS) ( v . p. 395) et à l’élargissement de l’Assurance maladie aux non-actifs et non-ayant-droit par la création de la couverture médicale universelle (CMU) en 1999. La CMU a été complétée par une couverture complémentaire gratuite (CMUc, récemment renommée complémentaire santé solidaire [CSS]). Cette offre universelle de laquelle ont été exclus les étrangers sans papiers a été complétée par une aide sociale qui leur est dédiée (l’aide médicale d’État [AME]) leur garantissant une couverture proche. Les agences régionales de santé via leurs programmes d’accès à la prévention et aux soins (PRAPS) ont également pour ambition de réduire les inégalités d’accès aux soins et à la prévention.
Malgré l’existence de ce système ayant une ambition d’universalité, les situations des personnes non éligibles (ressortissants européens**, étrangers sans papiers arrivés en France depuis moins de 3 mois, personnes précaires au-dessus du plafond de ressources de la CSS et de l’AME, pertes des justificatifs, etc.), les barrières à l’ouverture des droits à une couverture maladie (complexité du système, présentation au guichet, accessibilité, etc.), les refus de soins aux bénéficiaires de la CSS et de l’AME par une partie des soignants libéraux et les discriminations à l’égard des personnes en situation de précarité ont largement été démontrés et constituent des freins importants à la réduction des inégalités sociales de santé. Les ONG restent parfois le dernier recours pour pallier ces insuffisances et pour garantir un accès minimal aux soins.
Malgré l’existence de ce système ayant une ambition d’universalité, les situations des personnes non éligibles (ressortissants européens**, étrangers sans papiers arrivés en France depuis moins de 3 mois, personnes précaires au-dessus du plafond de ressources de la CSS et de l’AME, pertes des justificatifs, etc.), les barrières à l’ouverture des droits à une couverture maladie (complexité du système, présentation au guichet, accessibilité, etc.), les refus de soins aux bénéficiaires de la CSS et de l’AME par une partie des soignants libéraux et les discriminations à l’égard des personnes en situation de précarité ont largement été démontrés et constituent des freins importants à la réduction des inégalités sociales de santé. Les ONG restent parfois le dernier recours pour pallier ces insuffisances et pour garantir un accès minimal aux soins.
Le recours aux soins
Plusieurs travaux montrent ainsi que la probabilité de recours au médecin et le nombre de visites ne sont pas identiquement distribués à travers des groupes socio- économiques même après ajustements sur l’âge, le sexe et l’état de santé, en lien avec des barrières informationnelles, financières et géographiques. Le renoncement aux soins pour raisons financières au cours des douze derniers mois est progressivement devenu un indicateur de suivi des inégalités d’accès aux soins en France. Il est particulièrement élevé parmi les personnes sans couverture maladie de base et/ou complémentaire, mais aussi chez les femmes, chez ceux ayant un niveau d’éducation plus bas, un revenu faible, un soutien social limité et est fortement corrélé aux scores de précarité qui cumulent ces déterminants (fig. 5).
Par ailleurs, une récente étude sur les recours jugés « inappropriés » aux urgences met en évidence que ces recours sont souvent liés à la précarité des consultants et à leurs difficultés d’accès aux soins. Les urgences représentent ainsi le dernier recours, susceptible de survenir tardivement et avec un état de santé dégradé.10 En outre, la détresse ressentie du fait des difficultés précédemment citées peut également avoir une influence sur le choix de consulter aux urgences. Il semble donc important de tenir compte de la détresse sociale des consultants aux urgences avant de les considérer comme illégitimes, au risque de voir leur état de santé s’aggraver faute d’alternatives.
Les inégalités sociales de santé sont également présentes dans les soins par omission du social et par construction d’un système de santé et de recommandations de pratiques cliniques ne tenant pas compte des spécificités du public en situation de précarité (primauté du curatif, cloisonnements multiples, inégalités territoriales, organisation individuelle des soignants n’intégrant pas toujours la dimension populationnelle, etc.).
Par ailleurs, une récente étude sur les recours jugés « inappropriés » aux urgences met en évidence que ces recours sont souvent liés à la précarité des consultants et à leurs difficultés d’accès aux soins. Les urgences représentent ainsi le dernier recours, susceptible de survenir tardivement et avec un état de santé dégradé.10 En outre, la détresse ressentie du fait des difficultés précédemment citées peut également avoir une influence sur le choix de consulter aux urgences. Il semble donc important de tenir compte de la détresse sociale des consultants aux urgences avant de les considérer comme illégitimes, au risque de voir leur état de santé s’aggraver faute d’alternatives.
Les inégalités sociales de santé sont également présentes dans les soins par omission du social et par construction d’un système de santé et de recommandations de pratiques cliniques ne tenant pas compte des spécificités du public en situation de précarité (primauté du curatif, cloisonnements multiples, inégalités territoriales, organisation individuelle des soignants n’intégrant pas toujours la dimension populationnelle, etc.).
Les soignants face à la précarité
L’accumulation de facteurs défavorables chez les personnes en situation de précarité peut parfois mener à un sentiment d’impuissance de la part des soignants, d’autant plus lorsque la prise en charge ne s’inscrit pas dans un parcours de soins suivi, et peut participer à une moins bonne prise en charge. La faible littératie en santé, un niveau d’éducation bas et des difficultés à se contraindre au cadre des structures de santé de certains peuvent entraîner des réactions de rejet et d’abandon par les équipes de soins, avec des conséquences directes sur leur état de santé.
Une certaine souplesse des soignants, dans la limite des contraintes personnelles et institutionnelles, est ainsi souhaitable, pour ne pas dire nécessaire. Elle doit s’accompagner d’une montée en compétence des soignants sur la question de la précarité, des barrières à l’accès aux soins et sur les populations spécifiques, et, si possible, de la création de postes de médiateurs en santé pour accompagner ces changements.
Une certaine souplesse des soignants, dans la limite des contraintes personnelles et institutionnelles, est ainsi souhaitable, pour ne pas dire nécessaire. Elle doit s’accompagner d’une montée en compétence des soignants sur la question de la précarité, des barrières à l’accès aux soins et sur les populations spécifiques, et, si possible, de la création de postes de médiateurs en santé pour accompagner ces changements.
Un devoir, le principe d’équité
Les personnes en situation de précarité en France souffrent d’une morbimortalité plus importante que les personnes plus favorisées, médiée par une plus forte vulnérabilité face aux déterminants de la santé et par des barrières à l’accès aux soins incomplètement maîtrisées par le système de protection sociale français. Il convient donc d’accorder une attention toute particulière à ces populations malgré les difficultés de prise en charge souvent induites par les problèmes sociaux et plus rarement comportementaux, et d’aborder les soins et la prévention sans stigmatisation ni culpabilisation, en tenant compte des fragilités mises en évidence et en s’assurant d’une prise en charge sociale effective. Le respect du principe d’équité horizontale implique que chacun puisse recevoir un traitement égal pour un besoin de soins égal. Les inégalités sociales de santé ne sont donc pas une problématique réservée à quelques chercheurs mais bien un enjeu qui concerne tous les acteurs dans une logique intersectionnelle. Une formation adaptée des soignants et la lutte contre d’éventuels préjugés est indispensable. Pour les chercheurs en épidémiologie et en recherche clinique, le recueil et l’ajustement des analyses sur les déterminants sociaux de la santé devraient être systématiquement réalisés, afin de mieux comprendre ces inégalités et mieux les intégrer dans les pratiques cliniques.
* À noter que la Haute Autorité de santé recommande maintenant le test HPV pour les femmes de 30 à 65 ans et qu’un dépistage organisé est maintenant acté et en cours d’organisation sur le territoire. Il sera donc intéressant de suivre l’évolution de ces inégalités d’accès dans les années à venir.** européens n'ayant pas droit à l'AME car censés être couverts par leur pays d'origine dans le cadre des conventions européennes mais en pratique : dysfonctionnement et non accès aux droits.
Références
1. World Health Organization. Closing the gap in a generation: health equity through action on the social determinants of health. Final Report of the Commission on Social Determinants of Health. Genève : World Health Organization, 2008.
2. Blanpain N. L’espérance de vie par niveau de vie : chez les hommes, 13 ans d’écart entre les plus aisés et les plus modestes. Insee Première 2018;1687. www.insee.fr ou https://bit.ly/3avRodo
3. Fassin D. L’inégalité des vies. Leçon inaugurale présenté au Collège de France le 16 janvier 2020. www.college-de-france.frou https://bit.ly/2JnUGDL
4. Mackenbach JP. Health Inequalities: Persistence and change in European welfare states. Oxford, New York: Oxford University Press, 2019.
5. Chareyron S, L’Horty Y, Marne-la-Vallée UP-E. Les refus de soins discriminatoires: tests multicritères et représentatifs dans trois spécialités médicales. Rapport final pour le Défenseur des droits et le Fonds CMU, 1er octobre 2019.
6. Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Santé et accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité. Rapport HCE, 2017.
7. Child poverty in France: alarming trends. Lancet 2015;385:2434.
8. Dugravot A, Fayosse A, Dumurgier J, et al. Social inequalities in multimorbidity, frailty, disability, and transitions to mortality: a 24-year follow-up of the Whitehall II cohort study. Lancet Public Health 2020;5:e42‑50.
9. Vignier N. Profils de santé des migrants en France. Rev Prat 2019;69:555‑60.
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2. Blanpain N. L’espérance de vie par niveau de vie : chez les hommes, 13 ans d’écart entre les plus aisés et les plus modestes. Insee Première 2018;1687. www.insee.fr ou https://bit.ly/3avRodo
3. Fassin D. L’inégalité des vies. Leçon inaugurale présenté au Collège de France le 16 janvier 2020. www.college-de-france.frou https://bit.ly/2JnUGDL
4. Mackenbach JP. Health Inequalities: Persistence and change in European welfare states. Oxford, New York: Oxford University Press, 2019.
5. Chareyron S, L’Horty Y, Marne-la-Vallée UP-E. Les refus de soins discriminatoires: tests multicritères et représentatifs dans trois spécialités médicales. Rapport final pour le Défenseur des droits et le Fonds CMU, 1er octobre 2019.
6. Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Santé et accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité. Rapport HCE, 2017.
7. Child poverty in France: alarming trends. Lancet 2015;385:2434.
8. Dugravot A, Fayosse A, Dumurgier J, et al. Social inequalities in multimorbidity, frailty, disability, and transitions to mortality: a 24-year follow-up of the Whitehall II cohort study. Lancet Public Health 2020;5:e42‑50.
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