Allogreffe de moelle chez l’enfant, un bénéfice bien établi
Du fait des excellents résultats de la greffe chez l’enfant, les indications ont été élargies avec le temps. D’abord réservée aux enfants avec antécédent d’AVC,9 la greffe a prévenu les récidives mais a laissé les séquelles motrices et cognitives. Le but a été par la suite de proposer la greffe plus précocement en la comparant aux traitements standard. Le protocole prospectif national Drepagreffe a concerné les enfants détectés à risque d’AVC par présence de vitesses artérielles cérébrales anormalement élevées au Doppler transcrânien.10,11 Ceux ayant un frère ou une sœur HLA-identique ont été greffés tandis que ceux sans donneur ont été maintenus sous traitement standard (programme transfusionnel d’au moins un an suivi d’HU). Les résultats à un et trois ans de l’inclusion ont clairement démontré la supériorité de la greffe sur le traitement standard pour réduire les vitesses cérébrales et les sténoses artérielles, offrir une qualité de vie supérieure et prévenir l’apparition de nouvelles lésions ischémiques cérébrales.12,13
Une autre indication majeure est la survenue de crises fréquentes et/ou syndromes thoraciques insuffisamment prévenus par un traitement par HU à dose maximale.14 Enfin, une anémie chronique basale inférieure à 7 g/dL, facteur de risque indiscutable de très nombreuses complications, incluant la vasculopathie cérébrale chez l’enfant avec atteinte cognitive mais aussi l’insuffisance rénale15 et l’hypertension artérielle pulmonaire chez l’adulte,16 devrait inciter à proposer la greffe dans l’enfance.
Les parents doivent être informés, dès le dépistage néonatal, des différentes thérapeutiques envisageables incluant la greffe. Le typage HLA systématique familial doit être encouragé. Il n’est pas question de greffer systématiquement tous les enfants ayant un donneur HLA-identique mais d’en discuter progressivement avec les parents et l’enfant concerné, en fonction de la sévérité de la maladie drépanocytaire et des résultats des autres thérapeutiques disponibles. Néanmoins, il convient de garder à l’esprit les meilleurs résultats de la greffe effectuée dans l’enfance, avec la suppression des douleurs, évitant l’apparition de conduites addictives, et la préservation cognitive favorisant une meilleure insertion socioprofessionnelle.
Allogreffe HLA-identique chez l’adulte : l’intérêt des greffes à conditionnement d’intensité réduite
À cet égard, une approche développée aux États-Unis a montré des résultats positifs : le conditionnement ne comporte pas de chimiothérapie anticancéreuse ; il associe de l’alemtuzumab (anticorps dirigé contre les lymphocytes T et B) à une irradiation corporelle totale de faible intensité. L’utilisation de l’alemtuzumab a pour objectif d’assurer la prise de greffe en éliminant les lymphocytes du receveur, mais permet également une prévention très efficace de la GVH en supprimant aussi les lymphocytes du donneur.18 Dans une publication colligeant 122 greffes HLA-identiques, réalisées selon ces modalités chez des adultes, le taux de survie à cinq ans est de 93 %, le taux de survie sans drépanocytose de 85 %, l’incidence de rejet de 13 %. De plus, aucun patient n’a présenté de GVH sévère. Cinq des sept décès rapportés concernaient des patients ayant rejeté la greffe. L’allègement du conditionnement permet de préserver la fertilité chez certains patients : 21 grossesses naturelles ont été rapportées dans cette série.19
Ces résultats sont encourageants : ils montrent que la guérison de la drépanocytose est possible, même chez les adultes présentant des atteintes d’organes et des comorbidités. Des données de suivi à long terme sont cependant nécessaires pour s’assurer de la stabilité de prise de greffe, de l’absence de manifestation en rapport avec la drépanocytose, et pour évaluer la fertilité post-greffe. La greffe à conditionnement réduit est ainsi l’approche recommandée chez les patients adultes atteints de drépanocytose.20 Il est également recommandé de réaliser un typage HLA, à la recherche d’un donneur familial HLA-identique, tôt dans l’évolution de la maladie, avant que les patients ne présentent des atteintes d’organes définitives. Un protocole prospectif est en cours en France pour comparer ce type de greffe à une prise en charge sans greffe chez des adultes atteints de drépanocytose sévère (Drepa-Ric).
Allogreffes haplo-identiques chez les patients sans donneurs HLA-identiques
Thérapie génique, guérison ou rémission partielle ?
Addition de gène
Édition de gène
Indications limitées aux formes sévères sans possibilité d’allogreffe pour une thérapie très coûteuse
Le vecteur produit par bluebird bio (Zynteglo) a été validé par les instances de santé européennes et américaines, mais son coût élevé, estimé entre 1,5 et 2 millions d’euros, est un frein à son expansion (versus 80 000 euros pour une greffe géno-identique). Des discussions au sujet du prix sont en cours aux États-Unis, mais malheureusement l’entreprise s’est récemment retirée du marché européen. Le dossier de mise sur le marché de l’exa‑cel, commercialisé par Vertex, a été déposé en 2022 aux États-Unis et en Europe.
Autres thérapeutiques d’avenir en développement
L’augmentation de la prévalence de la maladie dans les pays industrialisés, les progrès de la recherche fondamentale et l’intérêt relativement récent de l’industrie pharmaceutique pour les maladies rares expliquent le nombre inédit de molécules en développement. Il a fallu vingt-trois années entre la publication en 1995 concernant l’effet protecteur de l’hydroxyurée sur les crises drépanocytaires et la publication concernant un autre traitement ayant un intérêt démontré contre placebo en phase III, la L-glutamine per os, acide aminé semi-essentiel.25,26 Depuis lors, deux médicaments ont démontré un intérêt contre placebo et ont obtenu récemment une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France : le voxelotor et le crizanlizumab.
Le voxelotor est une petite molécule, prise quotidiennement par voie orale, qui pénètre dans le globule rouge et stabilise les chaînes S de globine, diminuant ainsi la falciformation et l’hémolyse.27 Il augmente significativement et très rapidement – en quelques jours –l’hémoglobine. Malheureusement, il n’a pas d’action bien démontrée sur les crises.
Le crizanlizumab est un anticorps monoclonal qui bloque la sélectine P, empêchant l’interaction entre le polynucléaire neutrophile et l’endothélium vasculaire, diminuant ainsi l’adhérence anormale et la vaso-occlusion. Administré par voie intraveineuse mensuelle, il semblait réduire les crises drépanocytaires, dans une étude de phase II, même si l’effet était limité chez les patients sous HU (diminution d’un tiers des crises nécessitant un recours à des opiacés).28,29Mais les résultats de l'étude de phase III STAND ont récemment incité le Comité des médicaments à usage humain (CHMP) à recommander le retrait de son autorisation conditionnelle de mise sur le marché : absence de différence significative avec le placebo dans les taux annualisés de crises vaso-occlusives conduisant à une visite médicale au cours de la première année après randomisation.
D’autres molécules développées dans d’autres indications sont testées en repositionnement dans la drépanocytose. Parmi elles, le mitapivat (agoniste de la pyruvate kinase [PK], qui a reçu l’AMM dans le déficit en PK) vise, comme le voxelotor, dans une étude de phase III en 2023, à diminuer l’hémolyse et les crises. C’est aussi le cas de molécules utilisées pour bloquer différentes voies de l’inflammation comme des anticompléments (plusieurs molécules sont en cours de développement pour le traitement de crise ou de fond) et le canakinumab, anti-interleukine 1 (IL-1), en injection sous-cutanée mensuelle, dont l’efficacité préventive sur les hospitalisations semble intéressante.30 Globalement, beaucoup d’efforts sont portés sur les traitements chroniques de fond mais peu sur le traitement de la crise nécessitant une hospitalisation.
Outre l’effet bénéfique et la tolérance à long terme qui restent à prouver, ces molécules ont pour inconvénient leur coût très élevé (plusieurs dizaines de milliers d’euros annuels par patient), qu’il faut cependant mettre en regard avec la réduction des coûts de journées d’hospitalisation, de l’absentéisme scolaire et professionnel que cela entraîne.
Développement des greffes malgré leur toxicité
La thérapie génique est un autre espoir chez des patients n’ayant pas de donneur, mais elle n’est pas disponible en 2023 en France.
Enfin, de nouveaux traitements de fond viennent agrandir l’arsenal thérapeutique et de nombreux essais sont en cours. L’enjeu majeur futur sera de déterminer un algorithme décisionnel plus précis dès l’enfance afin d’orienter plus tôt les patients vers une prise en charge curative.
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Dans cet article
- Allogreffe de moelle chez l’enfant, un bénéfice bien établi
- Allogreffe HLA-identique chez l’adulte : l’intérêt des greffes à conditionnement d’intensité réduite
- Allogreffes haplo-identiques chez les patients sans donneurs HLA-identiques
- Thérapie génique, guérison ou rémission partielle ?
- Autres thérapeutiques d’avenir en développement
- Développement des greffes malgré leur toxicité