La prise en charge des addictions, avec ou sans produit, s’inscrit dans un cadre de soins au long cours. L’objectif est l’arrêt du comportement addictif avec interruption de l’intoxication et maintien de l’abstinence par la prévention des rechutes à long terme. La phase de sevrage ne représente qu’une étape dans une démarche globale, multidisciplinaire, et associant des approches médicamenteuse, psychothérapeutique et socio-éducative.1
Trois cadres de traitements sont possibles selon le type d’addiction, les caractéristiques cliniques du patient, sa motivation et son environnement : les soins ambulatoires (médecine et pharmacie de ville, centres spécialisés et microstructures), l’hospitalisation (complète ou partielle) et les centres résidentiels.2, 3
Le suivi est généralement réalisé en ambulatoire, accompagnant le patient dans une démarche de changement qui modifie profondément les différents champs de sa vie quotidienne et de sa personnalité. De nombreuses études ont montré qu’il existait peu de différences en termes d’efficacité mais des avantages en termes de coûts si l’on compare les soins ambulatoires aux soins en hospitalisation.3, 4
L’hospitalisation occupe ainsi une place particulière dans les prises en charge addictologiques. Parfois réclamée en urgence et pas toujours à bon escient (v. encadré), elle est souvent attendue par les familles comme le traitement idéal et définitif du problème. Autrefois considérée comme étant la référence, notamment pour le sevrage, l’hospitalisation reste une modalité utile dont les indications vont être discutées dans cet article. Deux situations sont distinguées : l’hospitalisation en urgence et les hospitalisations programmées (v. figure et encadré, p. 684).
En amont, il faut retenir que l’évaluation, tant addictologique que psychiatrique, d’un patient ayant une intoxication aiguë, est impossible en raison des troubles de tous ordres induits par les substances consommées. Dans un tel cas, c’est une prise en charge dans un service d’accueil des urgences qui est préconisée. S’il est parfois possible dès lors de prendre contact avec l’entourage afin d’évaluer la situation dans sa globalité, c’est à distance que se fera l’orientation.
Hospitalisation en urgence
La demande de sevrage en urgence, qu’elle soit exprimée par le patient ou par son entourage, répond le plus souvent à une crise. La majorité des services d’addictologie n’hospitalisent pas dans ces situations ; les hospitalisations étant alors vouées à l’échec, la confusion entre situation de crise et soins addictologiques conduisant régulièrement à l’arrêt prématuré des soins.2 L’urgence éventuelle de l’hospitalisation n’est pas liée au soin addictologique en soi mais bien au retentissement immédiat somatique ou psychiatrique de la conduite addictive, ou à ses comorbidités.
Hospitalisation urgente en service de psychiatrie
L’évaluation psychiatrique, à distance de l’intoxication aiguë, doit rechercher particulièrement les troubles mentaux secondaires, comorbides ou à l’origine de la consommation de substances psychoactives, les complications et risques encourus du fait de ces consommations mais aussi le degré de dépendance du patient, son regard sur sa consommation, ainsi que la demande de soins. Les situations d’urgence psychiatrique classique comme les crises suicidaires, les états d’agitation, les épisodes délirants aigus ou les crises d’angoisse sont fréquemment intriquées à une consommation de substances.5 La question de l’hospitalisation en urgence en psychiatrie peut donc se poser et le contexte de prise de toxique ne doit pas conduire à négliger un authentique diagnostic psychiatrique.
Toutefois, si une comorbidité psychiatrique caractérisée peut justifier l’hospitalisation, il arrive également qu’une situation de précarité ou qu’une déchéance physique et psychique induites fassent aussi envisager une telle mesure. Le patient et son entourage doivent alors être informés de l’objectif de cette hospitalisation en psychiatrie (en particulier la mise à l’abri sous surveillance médicale) et l’éventualité d’une orientation secondaire vers des soins plus spécifiquement addictologiques.
Bien qu’il soit admis que la coercition est inutile (voire contre-productive) en matière d’addictions, il n’est pas rare qu’un contexte de risque médico-légal lié à la dangerosité des troubles du comportement induits2 ou un recours répété aux services d’accueil des urgences conduise à discuter la nécessité d’hospitaliser un patient sous contrainte. Le cadre juridique des soins psychiatriques sans consentement est défini par la loi du 5 juillet 2011 modifiée,6 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. Cette loi se réfère à la présence de troubles mentaux nécessitant des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante avec impossibilité d’y consentir (soins psychiatriques sur demande d’un tiers [SPDT]) ou à celle d’une atteinte à la sûreté des personnes ou, de façon grave, à l’ordre public (soins psychiatriques sur décision du représentant de l’État [SPDRE]). En l’absence de critères légaux définissant la nécessité de recours aux soins, le médecin se base sur son évaluation clinique et sur l’analyse des conséquences potentielles du refus de soins. Selon les recommandations de la Haute Autorité de santé,7 « la prise d’alcool ou de toxiques, aiguë ou chronique, peut justifier une hospitalisation sans consentement si elle est associée à des troubles psychiatriques et/ou des antécédents de passage à l’acte et/ ou un risque prévisible pour le patient et/ou pour autrui » : ainsi, autrefois plutôt envisagée comme un critère de non-hospitalisation en psychiatrie, la prise de toxiques est aujourd’hui à juste titre considérée comme un facteur de gravité. À moyen et long termes la consommation prolongée de certaines substances psychoactives peut entraîner une altération des processus psychiques et des capacités de jugement donc de consentement.
L’entourage, s’il existe (familial, amical, social), doit être entendu et souvent séparément dans les situations de crise. Cet entretien permet de compléter l’évaluation mais aussi, le cas échéant, de l’informer et de l’accompagner en cas d’hospitalisation.
La mise en place de soins psychiatriques sans consentement chez des patients dépendants sur ce seul argument ne se discute donc qu’en cas de complications graves et renvoie à des questions éthiques autour du bénéfice attendu de ces prises en charge et du caractère urgent d’une mise à l’abri.8
Hospitalisation urgente en service de médecine
Celle-ci est justifiée lorsque les comorbidités somatiques prennent le pas sur la problématique addictive, faisant suite à l’intoxication aiguë, au sevrage ou aux complications de la consommation chronique (v. figure et encadré ).2
Hospitalisation programmée, non urgente
Une hospitalisation programmée peut être nécessaire pour les patients ne retirant pas de réels bénéfices de dispositifs moins intensifs et moins restrictifs. Elle a l’avantage d’offrir une mise à distance du produit et de l’environnement souvent ressentie comme impérieusement nécessaire lors des situations de crise. Elle a souvent une valeur symbolique tant pour l’entourage que pour le patient lorsque celui-ci ne parvient pas à l’abstinence ou rechute fréquemment, envisageant ce cadre de soin contenant comme un gage de stabilité.
Deux situations se présentent alors : l’hospitalisation pour sevrage et les soins résidentiels de post-sevrage.
L’hospitalisation pour sevrage : « la cure »
L’hospitalisation programmée dans une structure hospitalière générale, addictologique et parfois psychiatrique peut être recommandée au patient dans plusieurs indications.
Outre la demande du patient, une surveillance médicale hospitalière est particulièrement indiquée en cas d’intoxication aiguë sévère, en cas d’antécédents d’échecs de sevrage ambulatoire ou de complications de sevrage (delirium tremens ou crises convulsives dans le cadre d’un sevrage en alcool, par exemple), de polytoxicomanie, de troubles médicaux ou psychiatriques associés, ou lorsqu’il y a désocialisation ou un environnement socio-familial défavorable.3, 9
Il s’agit d’hospitalisations courtes (de quelques jours à quelques semaines), permettant une prise en charge essentiellement symptomatique du sevrage et de prévention des complications sous surveillance médicale constante. Ce temps est également l’occasion d’organiser un bilan complet et/ou un dépistage des comorbidités somatiques et psychiatriques et une évaluation sociale afin de favoriser une réinsertion adaptée.
Les soins résidentiels de post-sevrage
Ces soins vont permettre au patient de s’inscrire dans un projet au long cours de prévention de la rechute à travers diverses approches psychothérapiques individuelles et groupales d’aide au maintien de l’abstinence. Ils sont particulièrement indiqués chez les patients les plus en difficulté, pour lesquels la vie et les interactions sociales se sont centrées sur la consommation de substances. Ils permettent des soins intensifs et adaptés, ainsi qu’un accompagnement social et un travail de réadaptation et de réinsertion plus soutenu. Leur mise en place nécessite une motivation explicite du patient, et peut durer de 1 à 24 mois selon sa situation.
Plusieurs types de structures proposent de tels soins : des structures médicosociales (centres thérapeutiques résidentiels [centre de post-cure], communautés thérapeutiques, appartements thérapeutiques et familles d’accueil) et des structures sanitaires (services de soins de suite et de réadaptation en addictologie).
QUELQUES MESSAGES À RETENIR
L’hospitalisation garde une place dans les parcours de soins addictologiques. En urgence elle se discute surtout sur des arguments psychiatriques ou somatiques, tandis que programmée elle peut être une étape dans le sevrage ou la post-cure.
Des hospitalisations réclamées
Monsieur A. est accompagné au centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) par sa famille excédée. Il prend tellement de toxiques que son entourage ne peut les énumérer, du reste lorsque vous le voyez il vocifère, alcoolisé. Son entourage, très nombreux, exige une hospitalisation immédiate et parle de non-assistance à personne en danger.
Monsieur C. vient de lui-même voir son médecin généraliste. Il sanglote, demande à être aidé : s’il n’arrête pas la cocaïne c’est fini avec sa petite amie, elle le lui a signifié aujourd’hui même. Il demande à être hospitalisé, faute de quoi il ne lui reste plus qu’à mourir.
Monsieur D. a anticipé son deuxième rendez-vous en addictologie. Lors du premier contact, il avait été question d’hospitalisation parmi les moyens à envisager pour traiter son problème d’alcool, et cette fois il est décidé : il demande une admission aussi rapide que possible en service spécialisé.
Les ELSA, un rôle central dans l’articulation des soins addictologiques en milieu hospitalier
Créées au début des années 2000, les équipes de liaison et de soins en addictologie (ELSA) sont des équipes pluridisciplinaires, composées de professionnels compétents sur l’ensemble du champ des addictions, dont le rôle (v. figure) est d’assister et de conseiller les différents services d’un établissement de santé sur les questions de prise en charge et d’orientation des patients en addictologie.1
Mobiles et facilement joignables, elles interviennent à toutes les étapes de la prise en charge hospitalière, de l’indication de soins spécialisés au service d’accueil des urgences à l’orientation vers les structures ambulatoires ou résidentielles à la sortie de l’hospitalisation. Leurs interventions au lit du patient permettent d’adapter au mieux le projet thérapeutique de la prise en charge addictologique.
1. Laqueille X, Lucet C. Principes généraux des prises en charges en addictologie. In : Pratiques cliniques en addictologie. Paris : Lavoisier Médecine-Sciences, 2017.
2. Cottencin O, Guardia D, Rolland B. Critères d’hospitalisation pour un patient souffrant d’addiction(s). SFMU, 2011. http://sofia.medicalistes.org ou https://bit.ly/2IPCx3M
3. Delile JM, Couteron JP. Réflexions sur le traitement résidentiel des addictions. Alcool Addictol 2009;31:27-35.
4. Balester- Mouret S. Place de l’hospitalisation dans la prise en charge des troubles de l’alcoolisation. Rev Prat 2011;61:1381-5.
5. Brousse G, Tixeront C, Geneste J, Simioni N, Cottencin O. Les situations d’urgence : place de l’équipe de liaison. In : Traité d’addictologie 2e édition. Paris : Lavoisier Médecine-Sciences, 2016:393-400.
6. Loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. JORF, 29 septembre 2013.
7. Haute Autorité de santé. Modalités de prise de décision concernant l’indication en urgence d’une hospitalisation sans consentement d’une personne présentant des troubles mentaux. Recommandations pour la pratique clinique, HAS 2005. www.has-sante.fr ou https://bit.ly/2JDEWeJ
8. Pignon B, Rolland B, Tebeka S, Zouitina-Lietaert N, Cottencin O, Vaiva G. Critères de soins psychiatriques sans consentement. Revue de littérature et synthèse des différentes recommandations. Presse Med 2014;43:1195-205.
9. Lejoyeux M. Addictologie. Paris : Masson coll. Abrégés de médecine, 2009.