En 2022, le programme de dépistage néonatal (DNN) a fêté ses 50 ans d’existence.1
Initialement porté par l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant (AFDPHE), il est coordonné depuis 2018 par le Centre national de coordination du dépistage néonatal (CNCDN) et ses antennes régionales (CRDN). Le DNN a permis la mise en place de programmes de santé publique visant à prévenir la survenue de complications graves dues aux treize maladies dépistées (prélèvement sanguin de Guthrie et test auditif).

Dépistage néonatal de la drépanocytose ciblé en France depuis 2000

Le DNN de la drépanocytose est généralisé dans toutes les maternités depuis 2000, avec la particularité d’être ciblé selon l’origine des parents, sauf dans les départements d’outre-mer (DOM).2 La Haute Autorité de santé a préconisé, le 15 novembre 2022, la généralisation du DNN à l’ensemble des nouveau-nés.
La drépanocytose est la première maladie génétique dépistée en période néonatale, avec plus de 500 nouveau-­nés dépistés chaque année. Près de deux tiers des couples concernés ignoraient être à risque de drépanocytose pour leur descendance.3 Ces nouveau-­nés ont ainsi pu être rapidement orientés vers les structures spécialisées de la filière nationale Maladies constitutionnelles rares du globule rouge et de l’érythropoïèse (MCGRE) dont la principale mission est d’organiser et d’harmoniser la prise en charge des patients.4,5

Diminution de la mortalité et de la morbidité grâce au dépistage néonatal

La drépanocytose est une maladie chronique sévère qui entraîne un risque de décès en l’absence de mesures prophylactiques.
Le DNN de la drépanocytose (SS, Sß0Thal, SC, Sß+Thal, SE, SDPunjab, SOArab, SδßThal…) permet l’instauration de traitements préventifs des complications (tableau 1) : antibioprophylaxie par pénicilline V dès l’âge de 2 mois, vaccination élargie, dépistage d’une vasculopathie cérébrale grâce au Doppler transcrânien, et éducation thérapeutique. Toutes ces mesures ont permis d’améliorer significativement la mortalité, en particulier chez l’enfant âgé de moins de 5 ans.6 Actuellement en France, la mortalité est de 0,52/100 patients-années chez les enfants de moins de 5 ans ;7 33 % des décès auraient pu être évités par une meilleure observance aux soins. L’étude EVADREP8 a étudié les événements dans les cinq premières années de 1 620 patients en France entre 2006 et 2010. La survie à cinq ans était de 98,9 %, 18 décès ont été observés ; parmi eux, 12 ont été rapportés à la drépanocytose SS/Sß0 dont 7 à un sepsis (4 à pneumocoque) et 2 à une séquestration splénique aiguë.
Le DNN permet, par ailleurs, de diminuer la morbidité de la drépanocytose, d’améliorer la qualité de vie grâce à l’éducation thérapeutique, la mise en place d’un réseau de soins ville-hôpital et la prise en charge psychologique précoce de l’enfant et de sa famille, dès l’annonce. Les intrications psychiques et culturelles dans l’apparition ou la pérennisation de certaines complications, en particulier douloureuses, sont bien connues.

Consultation d’annonce de la drépanocytose cruciale pour la suite

Lorsque le DNN révèle une «forte suspicion d’un syndrome drépanocytaire majeur », le CRDN transmet les coordonnées de l’enfant par mail au médecin référent du centre de référence et de compétence maladies rares, qui a la charge d’organiser une première consultation d’annonce de la drépanocytose à l’enfant et à ses parents. La prise en charge doit être précoce, rigoureuse (relances itératives si besoin) et dans un centre expert pour éviter les complications parfois mortelles pouvant survenir à tout moment. L’unité de lieu entre la consultation d’annonce et les consultations ultérieures de suivi permet la mise en place d’un parcours de soins proche du domicile et sans rupture.
La consultation d’annonce de la drépanocytose est singulière par ses intrications psychoculturelles, son rôle majeur pour l’adhésion aux mesures prophylactiques et la réduction de la morbi-mortalité. Liée à la transmission génétique, au sang, la drépanocytose véhicule des sentiments de culpabilité, de honte et une forte angoisse de mort chez les parents. L’annonce de la drépanocytose est toujours traumatique, vécue comme une annonce de mort précoce dès que ce mot est prononcé. Par ailleurs, elle peut être rendue compliquée par les difficultés socioculturelles fréquentes chez certains patients (barrière de la langue, parfois illettrisme, barrière culturelle, logement précaire, migration récente…). Une étude menée par notre équipe sur la prise en charge systématique en binôme pédiatre-psychologue suggère que cette consultation, responsable d’un psychotraumatisme majeur, est cruciale pour le suivi ultérieur.9
Les modalités actuelles de cette consultation varient selon les centres et ne sont pas formalisées, en l’absence de recommandations officielles (recommandations de la Haute Autorité de santé succinctes).10 L’homogénéisation des pratiques correspond à un réel besoin des équipes.
La proposition d’un véritable « parcours d’annonce » plutôt qu’une consultation unique permet l’instauration d’un climat de confiance entre l’équipe de référence, l’enfant et sa famille. Un parcours d’annonce « optimal » tant sur le plan de la forme que du contenu des consultations, généralisable dans tous les centres et réalisable sans moyens supplémentaires, est proposé dans le tableau 2.

Consultation de conseil génétique pluridisciplinaire

En France, la consultation de conseil génétique est encadrée sur le plan juridique pour ses indications et l’orientation vers le diagnostic prénatal (article L162-16 du code de la santé publique issu de la loi du 29 juillet 1994) : « Il s’entend des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Il doit être précédé d’une consultation médicale de conseil génétique. »
Ainsi, les fœtus avec un diagnostic de syndrome drépanocytaire majeur sont « éligibles » à une interruption médicale, juridiquement possible jusqu’à la fin de la grossesse.
Les couples à risque mais aussi les individus porteurs sains (AS) ou malades peuvent recourir aux consultations de conseil génétique pour recevoir des informations sur leur risque potentiel de transmettre la drépanocytose à leur descendance.
Les principales situations rencontrées sont au nombre de trois :
– la démarche individuelle en période préconceptionnelle, qui permet, en dehors d’une grossesse en cours, de recevoir une information personnalisée pour des projets parentaux futurs mais aussi d’informer la parentèle et la fratrie sur un potentiel risque de transmission ;
– le dépistage en cours de grossesse, pour lequel le couple est adressé en conseil génétique si une anomalie de l’hémoglobine est détectée chez les deux futurs parents. Le conseil génétique a alors le plus souvent lieu tardivement, après 5 à 6 mois de grossesse ;
– une nouvelle grossesse pour un couple à risque déjà connu, pour laquelle l’orientation vers le conseil génétique est plus rapide, dès les premières semaines de grossesse.
La recommandation de la filière MCGRE de mai 2009 préconise une consultation de conseil génétique pluridisciplinaire, généralement en binôme médecin spécialiste de la drépanocytose et/ou généticien (ou conseiller en génétique sous la responsabilité d’un généticien) et psychologue. Il s’agit d’une consultation d’information génétique associée à un accompagnement de la femme/du couple vers la décision de diagnostic prénatal. Cette consultation consiste en un énoncé clair des modalités de transmission et de récurrence de la maladie, la présentation des symptômes et de son évolution probable, l’analyse des résultats biologiques apportés par les patients (étude de l’ADN si risque d’hétérozygotie composite Sß0), ainsi que la clarification des modalités d’accès aux diagnostics anténatal, préimplantatoire et/ou prénatal. Pour rappel, le dépistage du trait S ne nécessite pas de technique de biologie moléculaire puisqu’une seule étude de l’hémoglobine en biochimie suffit. Il échappe ainsi au consentement éclairé et préalable du sujet.
Le professionnel de santé doit répondre objectivement aux questions posées et orienter, sans être directif, vers le diagnostic prénatal si telle est la demande ;11 cette réflexion est indissociable de celle sur l’interruption médicale de grossesse (biopsie de trophoblaste ou amniocentèse, selon le terme). Il doit informer sur le risque de fausse couche lié au geste (environ 1 %) et anticiper un éventuel risque psychologique si le diagnostic prénatal est demandé sans réelle anticipation d’un possible résultat défavorable.
Dans le cadre des consultations préconceptionnelles, il est possible de se renseigner auprès de tout médecin ayant une expertise dans la drépanocytose, en amont d’une consultation de conseil génétique.

Homogénéisation attendue du parcours d’annonce

Le dépistage néonatal de la drépanocytose permet de réduire significativement la morbi-mortalité de la drépanocytose.
Outre l’annonce du diagnostic et la mise en place des mesures préventives, le parcours d’annonce permet l’organisation du parcours de soins et l’instauration d’une relation de confiance avec les familles, gage d’une bonne adhésion thérapeutique ultérieure. Les enjeux à venir sont l’homogénéisation de ce parcours entre les centres, ainsi que la formation des professionnels et étudiants en médecine, en particulier grâce à des ateliers de simulation pour l’annonce.
La consultation de conseil génétique permet d’informer et d’accompagner l’individu ou le couple ainsi que leur parentèle vers une décision libre et éclairée de diagnostic prénatal pouvant conduire à une interruption médicale de grossesse. 
Références
1. Programme national de dépistage néonatal. Centre national de coordination. https://depistage-neonatal.fr/quest-ce- que-le-depistage-neonatal/
2. Bardakdjian-Michau J. Le dépistage néonatal de la drépanocytose en France. Bull Epidemiol Hebd 2012;28:313-6.
3. Bachir D, Sakka M, Allaf B, Bardakdjian J. Données actuelles du dépistage néonatal de la drépanocytose en France ; autres anomalies de l’hémoglobine dépistées et éléments de prise en charge. Mt pédiatrie 2017;20:233-42.
4. MCGRE. Filière de santé maladies constitutionnelles rares du globule rouge et de l’érythropoïèse. https://vu.fr/QXCb
5. MCGRE. Présentation. https://filiere-mcgre.fr/la-filiere/presentation/
6. Lee A, Thomas P, Cupidore L, Serjeant B, Serjeant G. Improved survival in homozygous sickle cell disease: Lessons from a cohort study. BMJ 1995;311:1600-2.
7. Desselas E, Thuret I, Kaguelidou F, Benkerrou M, de Montalembert M, Odièvre MH, et al. Mortality in children with sickle cell disease in mainland France from 2000 to 2015. Haematologica 2020;105:e440-e443.
8. Brousse V, Arnaud C, Lesprit E, Quinet B, Odièvre MH, Etienne-Julan M, et al. Evaluation of outcomes and quality of care in children with sickle cell disease diagnosed by newborn screening: A real-world nation-wide study in France. J Clin Med 2019;8:1594.
9. Lerner A, Picard H, May A, Gajdos V, Malou-Dhaussy L, Maroja-Cox F, et al. Implications of a paediatrician-psychologist tandem for sickle cell disease care and impact on cognitive functioning. Eur J Ped 2018;177:193-203.
10. Syndromes drépanocytaires majeurs de l’enfant et de l’adolescent. Protocole national de diagnostic et de soins pour une maladie rare. Haute Autorité de santé. Janvier 2010. https://vu.fr/xvfk
11. Lainé A, Bardakdjian J, Prunelle F, Maroja FE, Quélet S, Girot R, et al. The impact of screening sickle-cell carriers in the general population. A retrospective study in the Paris screening center. Rev Epidemiol Sante Publique 2015;63:77-84.

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