La maladie rénale chronique (MRC) touche 5 à 10 % de la population dans le monde, près de 5 millions d’individus en France ; c’est une pathologie fréquente. Chez près de 1,6 million d’individus, le débit de filtration glomérulaire (DFG) est inférieur à 60 mL/min/1,73 m2 et définit l’existence d’une insuffisance rénale. La forme la plus avancée nécessite un traitement de suppléance lourd en dialyse ou en transplantation ; elle touche un peu moins de 95 000 personnes en France.
Dépister à un stade précoce est crucial pour ralentir la progression de la maladie rénale et éviter ce recours ; les personnes à risque sont clairement identifiées dans le Guide du parcours de soins MRC de l’adulte que la Haute Autorité de santé (HAS) a récemment remis à jour, avec, au premier rang, les personnes touchées par le diabète ou l’hypertension artérielle. Le dépistage est simple et repose, d’une part, sur l’estimation de la filtration glomérulaire à partir du dosage sanguin de la créatinine et du calcul du DFG (selon la formule CKD-EPI ; la formule de Cockroft est obsolète et ne doit plus être utilisée, y compris pour les adaptations thérapeutiques) et, d’autre part, sur la recherche d’une albuminurie anormale, définie par un RAC (ratio albuminurie/créatininurie) > 3 mg/mmol ou > 30 mg/g selon l’unité utilisée par le laboratoire. L’étape suivante est celle du diagnostic et de l’évaluation du risque de progression. La présence d’une anomalie du RAC ou d’une baisse du DFG à moins de 60 mL/min/1,73 m2 depuis plus de trois mois définit la MRC. En cas de doute diagnostique, d’évolutivité ou de complication, le recours au néphrologue est indispensable. Le suivi de la MRC doit être partagé, selon les stades, entre le médecin généraliste et le néphrologue.
Le médecin généraliste doit s’approprier cette limite de 60 mL/min/1,73 m2, elle représente la frontière entre la prévention et la maladie ; en dessous, le rein ne fera plus que se dégrader, et agir alors au plus vite épargnera au malade, s’il devait évoluer jusque-là, des années de dialyse et d’événements cardiovasculaires majeurs. Il peut s’appuyer sur la matrice KDIGO (kidney disease improval global outcomes) pour s’aider, aux limites de l’adressage avec le néphrologue, toujours disponible.
Les pathologies chroniques comme la MRC ne pouvant plus se concevoir sans être intégrées à des chaînes de soins, le médecin généraliste doit s’ouvrir aux partages offerts par les appuis qui les constituent (infirmiers[ères] en pratique avancée [IPA], psychologues, associations de malades, nutritionnistes...).
Protéger les reins pour ralentir la MRC et rendre caduc le besoin de recours à la suppléance ! En dehors des traitements spécifiques et curatifs éventuels (du lupus, de la polykystose...), la prise en charge vise à traiter les complications de la MRC et à ralentir le plus possible la progression de l’insuffisance rénale ; ce risque, représenté par la KFRE (kidney failure risk equation) augmente avec la protéinurie et la baisse du DFG ; il est majoré par le mauvais contrôle tensionnel. La reconnaissance de l’effet néphroprotecteur des inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (iSGLT2), dont le bénéfice est complémentaire de celui des bloqueurs du système rénine-angiotensine, et la disponibilité prochaine d’antagonistes non stéroïdiens du récepteur minéralocorticoïde modifient en profondeur la prise en charge et la vision du risque de progression. Aux stades plus avancés, quand le DFG est inférieur à 30 mL/min/1,73 m2, la prise en charge nécessite l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire comprenant diététicien(ne)s, infirmiers(ères) de coordination, psychologues, etc.
Il convient de dire que la connaissance d’une maladie ne suffit pas à une prise de conscience de sa réalité, c’est l’émergence d’une solution (d’un traitement) qui permet de changer les habitudes et de le faire précocement, afin de ralentir le cycle concurrentiel des pathologies induites (la boucle cardio-rénale notamment). Il faut dorénavant, en médecine générale, échanger une vision fataliste sur la MRC contre une action thérapeutique démontrée sur sa progression. Cet effort de conscience se répercutera aussi au niveau de la population dont presque la moitié ne sait pas que le rein est un organe vital et près de 90 % ne connaît pas la MRC. Sans doute le rein que l’on regardait souvent trop tard doit-il devenir aujourd’hui une priorité.