Le vieillissement atteint toutes les composantes du rachis : l’os avec l’ostéoporose, le disque qui perd de la hauteur avec la discopathie, les articulations postérieures siège d’arthrose, les tendons qui se raidissent et les muscles qui s’affaiblissent. Ce vieillissement a des conséquences sur l’individu qui va souffrir de douleurs, de troubles de l’équilibre et d’une perte de son indépendance. Le dos usé accélère le processus général du vieillissement. La chirurgie du rachis, taboue chez la personne âgée il y a encore quelques années, peut aujourd’hui lutter contre ces fléaux et redonner une « deuxième jeunesse ».
Différentes techniques permettent d’aider, de soulager, voire de guérir certains maux : l’augmentation vertébrale dans les fractures ostéoporotiques, la libération dans les sténoses, l’ostéosynthèse dans les déformations, et les prothèses discales dans les uncarthroses cervicales. Ces techniques sont possibles car elles permettent un lever immédiat sans, la plupart du temps, de contention externe. L’alitement était l’obstacle majeur au traitement du rachis de la personne âgée. Ces techniques sont possibles car il existe aujourd’hui des chirurgiens et des radiologues spécialisés en pathologie rachidienne, et une anesthésie adaptée.

Augmentation vertébrale

L’ostéoporose est un fléau trop peu combattu. Elle est responsable de fractures bien connues (col du fémur, poignet, cheville…) bien traitées depuis les années 1950. En revanche, les fractures vertébrales (tassement ostéoporotique) sont encore trop souvent négligées. Les ­complications neurologiques sont exceptionnelles et les fractures finissent par se consolider. Mais, à la phase aiguë, elles sont responsables de douleur, imposent ­souvent un alitement et laissent des déformations (cals vicieux). Ces déformations entraînent une perte de la taille et une cyphose qui, accentuée, donne à la personne un « coup de vieux » du fait de son profil courbé en avant. Toute douleur vertébrale aiguë chez un sujet âgé apparue après un effort physique ou une chute banale doit faire rechercher une fracture vertébrale avec au minimum une radiographie. Toute fracture fraîche doit être traitée.
La vertébroplastie est une invention française.1 ­L’injection de ciment dans le corps vertébral par voie transcutanée « regonfle » le corps vertébral tassé et le rend solide et indolore (fig. 1). C’est le traitement minute de la fracture : lever immédiat sans corset et retour à une activité normale sans attendre.2 Le ciment évite l’affaissement du rachis et sa déformation en cyphose. Il peut être pratiqué sur une ou plusieurs vertèbres, une fois ou plusieurs fois si une autre fracture survient. Ce traitement est réservé à la fracture fraîche ; il n’a aucun intérêt en cas de fracture ancienne déjà consolidée. Il faut une concordance radioclinique parfaite et s’aider d’une imagerie par résonance magnétique (IRM) [temps STIR] s’il y a un doute. Ce traitement est réalisé par les radiologues interventionnels ou les chirurgiens du rachis. Il doit être pratiqué dès que possible et en règle générale dans les trois premières semaines du traumatisme. Il s’accompagne d’un traitement de l’ostéoporose.

Libération

Le canal lombaire étroit arthrosique (CLEA) est bien connu depuis les années 1950.3 L’arthrose postérieure, par son exubérance, sténose le canal lombaire. Le périmètre de marche est réduit. La sténose centrale entraîne un affaiblissement des membres inférieurs et impose un arrêt en position assise (délordose). La sténose foraminale est responsable d’une douleur radiculaire empêchant l’appui, donc la marche. La mise en lordose aggrave la sténose, l’inflexion vers l’avant agrandit le canal : c’est pourquoi la marche se fait en position courbée en avant sur une canne ou sur le chariot des courses (« signe du Caddy »). La limitation du déplacement et la position aggravent l’impression de vieillissement. La tomodensitométrie montre la composante osseuse (arthrose et canal rétréci) et l’IRM les tissus mous (disques, queue de cheval, ligament jaune).
La chirurgie se fait par voie postérieure (fig. 2). L’ablation de la lame vertébrale libère le centre du canal et donne accès sur les côtés en avant des massifs arti­culaires. On résèque la partie exubérante antérieure des facettes articulaires pour libérer la racine nerveuse dans le récessus (lamino-arthrectomie). On peut avoir accès aux foramens en passant entre les lames et agrandir le récessus où passe la racine (recalibrage). Le rachis n’est pas déstabilisé et les rapports anatomiques sont respectés. Le danger est la brèche durale qui doit être suturée pour éviter une fistule. L’alitement postopératoire peut être alors imposé quelques jours, ce qui est une vraie complication chez la personne âgée qui doit se lever ­rapidement. La chirurgie de libération est une chirurgie très commune chez le sujet âgé.4

Ostéosynthèse

L’arthrose n’est pas seulement responsable d’ostéophytes rétrécissant le canal, elle s’accompagne aussi d’usure articulaire. Le rachis est alors déstabilisé. Le mouvement anormal est responsable de douleurs rachidiennes. Le déplacement engendré peut aboutir à une sténose fixée ou dynamique (spondylolisthésis dégénératif) limitant le périmètre de marche. L’usure du disque et des articulaires décoapte les vertèbres qui se déplacent l’une par rapport à l’autre. Cette déformation se fait le plus souvent vers l’avant (déséquilibre antérieur) mais aussi en rotation pour donner lieu à une scoliose dégénérative de novo ou accentuer une scoliose existante.
Les muscles spinaux peuvent être atteints de dysplasie graisseuse à l’origine d’un effondrement du rachis (camptocormie ou syndrome du sphinx). Encore une fois, cette déformation, en dehors de la douleur et de la limitation du déplacement, est une atteinte à l’image de soi et accélère le vieillissement.
L’ostéosynthèse moderne permet de fixer solidement le rachis. Les vis pédiculaires,5 au besoin aidées par le cimentage du corps vertébral, sont utilisées couramment dans tous les services de chirurgie du rachis. L’immobilité obtenue est le meilleur moyen de lutter contre la douleur.6 Mais l’ostéosynthèse permet aussi la réduction de la déformation dans les trois plans de l’espace (fig. 3 et 4). L’équilibre rachidien restitué facilite la reprise de la marche et redonne une vie plus facile au patient qui a subi dans son dos le poids des ans.7 L’ostéosynthèse est solide et permet un lever immédiat en règle générale sans contention externe. Une greffe osseuse pérennise le montage le protégeant d’un démontage ou d’une fracture du matériel.

Prothèses cervicales

Le rachis cervical n’échappe pas à l’arthrose. Contrairement au rachis lombaire, les lésions sont plus fréquentes au niveau du disque qu’au niveau des articulaires postérieures. La discopathie et l’uncarthrose sont à l’origine de cervicalgies, de névralgies cervico-brachiales, voire de compression médullaire avec diminution des performances des quatre membres.
En matière de chirurgie cervicale, l’abord antérieur est préféré à l’abord postérieur car il est beaucoup plus simple et moins traumatisant. Classiquement, une arthrodèse intersomatique complétait la libération. ­Aujourd’hui, la tendance est à favoriser les arthroplasties discales (fig. 5) pour éviter toute attente postopératoire en redonnant le mouvement immédiatement.8 Plusieurs niveaux peuvent être traités en une seule chirurgie avec des suites extrêmement simples et un retour quasi immédiat à une vie normale.

Tumeurs et métastases

La probabilité de cancer et donc de métastases vertébrales augmente avec l’âge. Les progrès réalisés dans le traitement du cancer primitif ne doivent pas être freinés par une localisation vertébrale. La vertèbre envahie par le cancer perd ses qualités mécaniques et se déforme sous le poids du corps. Cette mise en pression est douloureuse et peut menacer l’axe nerveux, et engendrer des paralysies. Toutes les techniques précitées9 peuvent être utilisées en cas de métastase vertébrale (fig. 6). L’exérèse totale est rarement proposée mais la libération et surtout la fixation ont toutes leur place. La vertébroplastie peut aussi être discutée. La fixation souvent transcutanée est le meilleur traitement contre la douleur et permet souvent d’alléger le traitement antalgique et de supprimer les morphiniques.

Limites du traitement

L’âge n’est pas une limite en soi, c’est l’état général du patient qui doit rendre prudent. Les années qui passent accumulent les avaries du moteur humain. La longévité accroît les chances d’agrandir le nombre de morbidités. Les antécédents du patient âgé sont la principale entrave à l’action chirurgicale.10 En dehors des éléments vitaux, la fraîcheur intellectuelle est une aide décisive : la ­volonté partagée d’avancer et de guérir est le moteur de la réussite.
La chirurgie mini-invasive du rachis (minimally invasive spine surgery [MISS] des Anglo-Saxons) repousse les limites en réduisant l’agression de la voie d’abord (douleur, saignement, cicatrisation) et permet une ­récupération plus rapide.11 Elle utilise des tubes de ­travail, des gestes guidés par la radiographie, la tomodensitométrie ou la navigation (sorte de GPS chirurgical permettant de superposer l’image et l’instrument). Cette chirurgie nouvelle utilise les principes de la chirurgie conventionnelle en limitant les conséquences liées à la voie d’abord. Le bénéfice de la chirurgie est plus rapide. Ce résultat est important à tout âge mais encore plus à l’extrême de la vie.

Des progrès incroyables

La chirurgie du rachis a fait des progrès incroyables ces quatre dernières décennies. Cette chirurgie est ­devenue une spécialité qui unit les neurochirurgiens et les orthopédistes. Les connaissances décuplées ont permis de comprendre les pathologies et de trouver des solutions. Le savoir chirurgical allié à l’industrie a abouti à des techniques et des matériels adaptés, sûrs et efficaces. 
Références
1. Deramond H, Galibert P, Darrason R. Percutaneous vertebroplasty with acrylic cement in the treatment of aggressive spinal angiomas. Rachis 1989;1:143-53.
2. Goldstein CL, Chutkan NB, Choma TJ, Orr RD. Management of the elderly with vertebral compression fractures. Neurosurgery 2015;77(Suppl 4):S33-45.
3. Verbiest H. A radicular syndrome from developmental narrowing of the lumbar vertebral canal. J Bone Joint Surg Br 1954;36-B:230-7.
4. Gunzburg R , Szpalski M. The conservative surgical treatment of lumbar spinal stenosis in the elderly. Eur Spine J 2003;12(Suppl 2):S176-80.
5. Roy-Camille R, Demeulenaere C. Ostéosynthèse du rachis dorsal, lombaire et lombo-sacré par plaque métallique vissée dans les pédicules vertébraux et les apophyses articulaires. Presse Med 1970;78:1447-8.
6. Weinstein JN, Lurie JD, Tosteson TD, et al. Surgical versus nonsurgical treatment for lumbar degenerative spondylolisthesis. N Engl J Med 2007;356:2257-70.
7. Palmisani M , Dema E, Cervellati S. Surgical treatment of adult degenerative scoliosis Eur Spine J 2013;22(Suppl 6):S829-33.
8. Wu JC, Chang HK, Huang WC, et al. Radiological and clinical outcomes of cervical disc arthroplasty for the elderly:a comparison with young patients. BMC Musculoskelet Disord 2019;20:115.
9. Aebi M. Spinal metastasis in the elderly. Eur Spine J 2003;12(Suppl 2):S202-13.
10. Drazin D, Shirzadi A, Rosner J, et al. Complications and outcomes after spinal deformity surgery in the elderly:review of the existing literature and future directions. Neurosurg Focus 2011;31:E3.
11. Shamji MF, Goldstein CL, Wang M, et al. minimally invasive spinal surgery in the elderly: does it make sense? Neurosurgery 2015;77(Suppl 4):S108-15.

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Résumé

Le vieillissement affecte toutes les composantes du rachis avec comme conséquence une douleur, une perte d’indépendance et une accélération du processus général de vieillissement. En face de ces problèmes mécaniques, la chirurgie est possible. Les fractures ostéoporotiques peuvent être traitées par vertébroplastie. L’ouverture du canal est une pratique courante dans les sténoses pour restaurer une marche normale. L’ostéosynthèse du rachis est proposée en cas d’instabilité ou de déformation, et est régulièrement utilisée dans les métastases. La prothèse discale peut être discutée dans les uncodiscarthroses. Les progrès de l’anesthésie et des techniques chirurgicales ont permis cette pratique. Le patient opéré se lève immédiatement, en règle générale sans contention externe. La chirurgie mini-invasive préservant les tissus mous augmente ces indications. Par manque de diagnostic, la chirurgie du rachis est trop souvent oubliée devant une douleur rachidienne, une difficulté à la marche ou une déformation progressive. Nous devons oublier cette terrible phrase : « Il n’y a rien à faire parce que c’est la colonne, parce que le patient est trop vieux. »