Le phénomène des pratiques et jeux dangereux en cour d’école reflète une réalité diverse dont l’ampleur n’est pas objectivement connue, hors les données issues d’enquêtes d’opinions ou de pratiques effectuées chez les jeunes eux-mêmes ou rétrospectivement chez les adultes. Les conséquences de ces pratiques sont également imparfaitement connues ; les chiffres estimés de la mortalité (autour de 10 à 15 tous les ans) ne reflètent que partiellement la réalité (certaines morts sont attribuées à des accidents de loisirs ou des suicides). La morbidité est élevée : séquelles neurologiques lourdes en cas d’hypoxie prolongée ou séquelles comportementales, cognitives, malaises, symptômes chroniques, addictions… lors d’épisodes répétés dans le temps. Les facteurs de risque sont souvent intriqués, comme l’ont montré des études récentes ou en cours sur les comportements des enfants et des adolescents face aux risques. Ces pratiques peuvent-elles concerner tous les enfants et adolescents, en simple quête de découverte de nouvelles sensations, d’expérimentation des interdits, inscrivant les conduites à risque dans un processus naturel de construction de leur personnalité ? Ou ne sont-elles l’apanage que d’une partie de la population d’une tranche d’âge donnée, identifiable par une analyse psychopathologique plus précise ? La pratique des jeux dangereux par l’enfant d’âge scolaire est un phénomène préoccupant, mal connu des familles, des enseignants et des médecins. Les médecins d’enfants se doivent d’être informés de ces pratiques et de leurs complications parfois redoutables, physiques, cognitives et psychiques, afin de savoir repérer les signes évocateurs, informer les enfants des risques, et contribuer à leur prévention.

Quels sont ces jeux ?

Trois grandes catégories de pratiques et jeux dangereux doivent être distinguées : les jeux, dits de non-oxygénation ou d’asphyxie, les jeux d’agression et les jeux de défi.1

Jeux de non-oxygénation

Ces jeux consistent, par un mécanisme de compression sternale (ou cervicale) ou par une strangulation, à rechercher certaines sensations : visions pseudo-hallucinatoires, vertiges, impression de planer, états euphoriques, voire un certain degré d’excitation sexuelle. Le mécanisme est complexe, associant une hypoxie cérébrale provoquée et des variations brutales de la concentration sanguine en gaz carbonique (capnie). Ces jeux peuvent être pratiqués par l’intermédiaire d’une tierce personne (strangulation) ou seuls (autostrangulation) au moyen d’un lien serré autour du cou (corde, écharpe, ceinture…). Les dénominations de ces jeux sont diverses : du simple mais dangereux « jeu de la tomate » pratiqué dès 3 ou 4 ans jusqu’au « jeu du foulard », appelé aussi « rêve indien », pratiqué entre 7 et 15 ans.

Jeux d’agression

Les jeux d’agression s’intègrent dans le phénomène dit du harcèlement ou bullying qui se définit par des phénomènes d’agressions répétées et systématiques d’élèves sur d’autres élèves, surtout en groupe. Ses formes sont variées : physiques avec violences physiques, coups, racket, extorsion d’argent, dépouillement des effets personnels ; ou verbales et psychologiques : injures (racistes, sexistes), humiliation, intimidation, voire totale mise à l’écart. Dans les jeux d’agression, on distingue les jeux intentionnels et les jeux contraints. Dans les jeux intentionnels, tous les enfants disent jouer de leur plein gré. Ils connaissent les règles et donc les risques qu’ils encourent : celui d’être victimes, de recevoir des coups, d’être humiliés. Dans les jeux contraints, l’objectif est d’agresser et humilier un enfant désigné par le groupe, mais qui n’a pas choisi de « jouer » et qui n’a pas donné son consentement. Le jeu se complète par la diffusion des films des agressions par les téléphones portables et internet. L’utilisation des moyens de communication modernes permet ainsi l’extension du cyberbullying. Lorsque cette pratique se répète, la victime étant toujours la même : le harcèlement est constitué.

Jeux de défi

Ces jeux s’appuient sur la recherche de l’exploit, du défi conduisant le préadolescent ou l’adolescent à pratiquer des activités de plus en plus dangereuses pour impressionner son entourage.

Quel est le profil des enfants qui y participent ?

Dans les jeux d’agression, les agresseurs sont le plus souvent des garçons lorsque la violence physique est employée, mais les filles participent également lorsqu’il s’agit essentiellement de violences psychologiques. Les victimes, malgré le côté aléatoire apparent de leur choix, sont le plus souvent des enfants ou des adolescents timides qui apparaissent alors comme des proies faciles.2
Dans les jeux de non-oxygénation ou d’évanouissement, il apparaît là aussi certains traits de comportement tels qu’un intérêt pour la prise de risque, l’hyperactivité, voire certaines tendances dépressives. Un certain nombre de ces enfants s’adonne à ces jeux par curiosité, obéissant à la règle non écrite du « t’es cap’ ou pas cap’ ? » D’autres au contraire vont répéter cette pratique jusqu’à en devenir progressivement addicts et à y jouer seul, en dehors du temps scolaire.2

Quelles conséquences à moyen et long terme ?

Les pratiques répétées de ces jeux induisent des signes souvent peu spécifiques tels que des maux de tête réguliers, des vertiges, des troubles du comportement et du sommeil, des difficultés scolaires, des troubles visuels et/ou auditifs, une baisse du rendement scolaire. Concernant les pratiques agressives, on décrit des fractures des os du visage, de la colonne vertébrale, des traumatismes crâniens, voire des ruptures d’organes (foie, rate, rein, organes génitaux). Les enfants victimes sont sujets à des manifestations psychotraumatiques (troubles du sommeil, symptômes anxiodépressifs, phobies scolaires, idéations suicidaires avec parfois des passages à l’acte).1, 3

Quelle prévalence ?

Les dispositifs actuels de recueil au sein des établissements de santé ne permettent pas d’identifier, parmi la morbidité constatée, la part effective liée à la pratique des « jeux dangereux » : séquelles neurologiques lourdes, séquelles considérées comme plus légères, conséquences des pratiques récidivantes (séquelles comportementales, cognitives, malaises, symptômes chroniques, addictions…). Une enquête française ad hoc,4 menée en 2012 par sondage par l’institut Ipsos, a évalué le niveau de pratique du « jeu du foulard » et autres « jeux d’évanouissement » en France : les enfants sont de plus en plus nombreux à y jouer, de plus en plus tôt, dès l’école maternelle pour connaître un pic lors des deux premières années du collège. Les garçons ont la même pratique que les filles. Une majorité d’enfants n’y jouent qu’épisodiquement, mais un certain nombre (6-10 %) y jouent régulièrement. Ces jeux impliquent une tranche d’âge assez large (7-17 ans), avec une moyenne autour de 12 ans. Il n’existe pas au niveau de la pratique de différences notables entre les garçons et les filles, contrairement à la mortalité qui touche surtout les garçons (90 vs 10 %) qui, de plus, y jouent parfois en solitaire en dehors de l’école. Toutes les données de cette enquête sont rapportées dans l’encadré ci-dessus. Les « jeux dangereux » sont largement diffusés et soutenus via le support d’internet. En 2009, six vidéos présentant des jeux de non-oxygénation ont été identifiées par les autorités françaises.1 Ces vidéos ont été visionnées plus de 173 000 fois sur YouTube : 90 % des participants à ces vidéos étaient des garçons. Et 75 % des adolescents de plus de 13 ans ont vu au moins une fois une séquence vidéo de cette pratique. Moins de 10 % d’entre eux en connaissent les risques et les conséquences.

Comment les prévenir ?

Prévention primaire

Toute la difficulté des actions de prévention est de faire passer un message clair sur les risques encourus, sans être incitatif et sans donner trop d’informations sur le fonctionnement, la mise en acte de ces pratiques. La mise à disposition d’« outils » validés et éclairés renforce encore cette stratégie de prévention par l’information. Ces outils, ainsi que l’adoption des techniques éprouvées de jeux de rôle, visent à leur donner les armes pour mieux résister à certaines pressions, notamment à celle des groupes de pairs. Les thèmes abordés étant les suivants : savoir dire non et comment l’expliquer ? Comment se comporter face à ces pratiques ? Comment réagir et comment changer son comportement face à certaines conduites associées ?
Les enfants, quant à eux, sont clairement inconscients du danger. Ce qui découragerait le plus les enfants à participer au jeu serait le fait de savoir que cette pratique pourrait provoquer la mort mais surtout des séquelles cérébrales irréversibles. Lorsque les enfants et adolescents sont interrogés pour savoir qui devrait leur assurer l’information et contribuer ainsi à la prévention de cette pratique, ils répondent différemment selon leur âge : les enfants de 9 à 13 ans indiquent majoritairement les parents, les plus âgés (13-17 ans) d’entre eux plébiscitent les associations de familles et surtout leurs pairs, souvent un peu plus âgés, ayant pratiqué ces jeux. Un rapport remis au ministre de la Santé et de la Cohésion sociale en mai 2010 fait état de préconisations qui, si elles étaient retenues, pourraient permettre de mieux comprendre ces pratiques, et de mettre en place des actions de sensibilisation pour les enfants eux-mêmes, pour leurs parents et les professionnels de la santé et de l’éducation (disponible sur www.sante.gouv.fr). Elles se résument à des actions d’information auprès des familles et des élèves, des actions vers les professionnels de la santé et de l’éducation en leur fournissant les outils de communication. Les messages associent, outre une information sur les risques pour la santé, une éducation à la citoyenneté (écoute, cohésion, solidarité, confiance en l’autre), le développement de compétences psychologiques et sociales de l’enfant (estime de soi, mise en situation, gestion de conflit, dynamique de groupe), une implication active et suscitée du jeune dans la vie scolaire et la prise de responsabilités concrètes : organisation de l’espace, des activités et jeux, rédaction du règlement intérieur…).

Prévention secondaire

Certains signes doivent être repérés par les parents et les conduire à parler de ces pratiques avec l’enfant et l’adolescent : il s’agit surtout de signes physiques, de troubles du comportement, d’une baisse de rendement scolaire. Certains symptômes ou comportements peu spécifiques du fait de leur chronicité, de l’absence de cause évidente sont des signes d’alerte que le professionnel de santé ne peut méconnaître (v. tableau).
Lorsque le médecin suspecte cette pratique, la recherche d’autres conduites à risque s’impose car cela peut le conduire à proposer à l’enfant/adolescent une aide psychothérapique afin de mieux canaliser son envie incontrôlée de sensations fortes vers des activités moins dangereuses. Une pratique isolée de jeux d’évanouissement incite à explorer le contexte familial et parfois, en cas de doute, à adresser le patient à un pédopsychiatre afin de rechercher certains facteurs de risque (syndrome anxiodépressif, syndrome d’hyperactivité, prise de risques excessifs, toxiques…) sous-tendant ces pratiques et de mettre en place l’aide nécessaire.6
La prévention secondaire passe aussi par la définition d’une conduite à tenir cohérente devant un cas survenu dans un établissement scolaire ou dans un cadre institutionnel.6, 7 La Direction générale de l’enseignement scolaire sous l’égide du ministère de l’Éducation nationale a réalisé un guide d’intervention en milieu scolaire destiné à servir de support pour les formations concernant les jeux dangereux qui seront mises en place dans les académies : ce guide est disponible sur le site du ministère de l’Éducation nationale : www.education.gouv.fr/ ou eduscoleducation.fr.

Un enfant sur 8 !

Les différentes enquêtes conduisent à dire qu’un enfant sur huit a déjà participé à ces « jeux dangereux ». Il semble que les filles soient de plus en plus concernées. La prévention passe par l’éducation : informer sur ces pratiques, les différents acteurs concernés que sont les adolescents mais aussi les parents, les professionnels de la santé et de l’éducation. L’action d’éduquer passe aussi par l’apprentissage de l’identification des signaux d’appel tels que l’anxiété, la crainte envers l’école, les traces physiques. Après un accident ou un incident, le message adressé aux élèves doit être positif et il est nécessaire de rappeler la loi et la citoyenneté, comme le respect dans la cour de l’école, la défense de son corps et la capacité de dire « non » à toute sollicitation qui ne lui plaît pas.
Cette prise de risque peut être induite par une vulnérabilité individuelle (liée à la personnalité ou à la fragilité psychologique), ou par des facteurs d’entraînement liés à l’appartenance à un groupe, facteur très influent à cet âge. Pour une très grande majorité de jeunes, cette pratique ne répond pas à une fragilité psychique. Elle concerne surtout des enfants et des adolescents sains, sans difficultés psychologiques, sans troubles scolaires ou d’insertion sociale. 
Encadre

Une enquête française

Méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne de référence du foyer, région et catégorie d’agglomération). Enquête réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 1 012 enfants âgés de 6 à 15 ans, interrogés du 29 novembre au 8 décembre 2011, le panel online d’Ipsos. Près de 2 enfants sur 3 (63 %) connaissent au moins un jeu d’apnée ou d’évanouissement : parmi les 14 « jeux » testés dans cette enquête, le « jeu du foulard » (51 %) et le « jeu de la tomate » (34 %) sont les plus connus. C’est à l’école primaire que la plupart des enfants entendent parler de ce jeu pour la première fois, essentiellement par l’intermédiaire de leurs copains (71 % de ceux qui connaissent ces jeux). Un enfant sur 4 (26 %) a déjà vu quelqu’un jouer à ce jeu, essentiellement au sein de l’école. Ils sont encore plus nombreux (32 %) à connaître quelqu’un qui y a déjà joué (qu’ils l’aient vu ou non). Un enfant sur 10 a déjà joué à un jeu d’apnée ou d’évanouissement : cette pratique est un peu plus le fait des garçons que des filles, mais concerne toutes les tranches d’âge et tous les milieux sociaux. Une pratique collective qui a lieu pour l’essentiel à l’école : la quasi-totalité des enfants qui ont joué à des jeux d’apnée ou d’évanouissement l’ont fait avec des copains (91 %), souvent plus âgés. C’est à l’école (86 %) qu’ils y ont joué, essentiellement dans la cour de récréation. Un jeu que l’on pratique pour faire comme les copains mais aussi parce qu’on le trouve drôle et attirant : les principales raisons évoquées par les enfants ayant joué à ce jeu font référence à un phénomène de mode (50 % voulaient faire « comme les copains »), mais pas seulement : 32 % trouvent que ce jeu est « rigolo » et 16 % y jouent car il « procure des effets particuliers, bizarres ». La majorité des enfants qui jouent à ces jeux n’ont pas conscience des risques qu’ils courent : ainsi, 51 % n’ont pas le sentiment qu’en jouant à ces jeux ils risquent de mourir, 63 % qu’ils risquent d’abîmer leur cerveau, 73 % qu’ils peuvent convulser et 75 % rester handicapés. Seule la conscience de pouvoir s’évanouir (60 %) ou de ne plus pouvoir reprendre leur souffle (59 %) leur vient à l’esprit, mais c’est peut-être aussi ce qu’ils recherchent. Les conséquences graves (mort, séquelles importantes) sont quant à elles assez largement méconnues. À l’inverse, les enfants qui n’ont jamais joué à ces jeux sont conscients des dangers : 82 % n’y ont jamais joué car ils trouvent ce jeu « très dangereux » (c’est la principale raison invoquée) et la très grande majorité d’entre eux sait que ceux qui s’adonnent à ces pratiques risquent de mourir (93 %), de faire arrêter leur cœur (84 %) ou encore d’abîmer leur cerveau (76 %).

Références
1. Chevallier B. Épidémiologie des jeux dangereux. Dans: Cochet F, organisateur. Jeux dangereux, violences et harcèlement en milieu scolaire et parascolaire. Connaître, comprendre, prévenir. Paris : Éditions L’Harmattan, 2015:35-49.
2. Bernadet S, Purper-Ouakil D, Michel G. Typologie des jeux dangereux chez des collégiens : vers une étude des profils psychologiques. Ann Medico Psychol 2012;170:654-8.
3. Guilheri J, Fontan P, Andronikof A. Les jeux de non-oxygénation chez les jeunes collégiens français : résultats d'une étude pilote. Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2015;63:495-503.
4. Ipsos. Connaissance et pratiques du « jeu du foulard » et autres jeux d’apnée ou d’évanouissement chez les enfants âgés de 6 à 15 ans. Étude Ipsos Public Affairs/APEAS (Powerpoint presentation). Paris, France, 2012. http://www.jeudufoulard.
5. Ministère de l’Éducation nationale. Jeux-dangereux-et-pratiques-violentes en milieu scolaire. Collection REPERES : Guide d’intervention, 2017. www.eduscol.education.fr ou http://bit.ly/3afHht2
6. Busse H, Harrop T, Gunnell D, et al. Prevalence and associated harm of engagement in self-asphyxial behaviours (‘choking game’) in young people: a systematic review. Arch Dis Child 2015;100:1106-14.
7. Bernacki JM, Davies WH. Prevention of the choking game: parent perspectives. J Inj Violence Res 2012;4:73-8.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés

Résumé

Les pratiques dangereuses en cour d’école sont multiples. Les jeux dits de non-oxygénation ou d’évanouissement consistent, par un mécanisme de compression ou de strangulation, à rechercher certaines sensations pseudo-hallucinatoires. Les jeux dits d’agression ou jeux violents utilisent la violence physique ou psychologique de manière gratuite d’un groupe de jeunes envers une personne seule. Leur caractère répétitif dans le temps définit le harcèlement. La durée et l’intensité de la strangulation peuvent induire des complications neurologiques aiguës (œdème cérébral, perte de connaissance prolongée), des lésions cérébrales définitives (surdité, cécité, état grabataire), un coma irréversible, le décès. Les conséquences physiques des jeux d’agression sont très lourdes : fractures de la colonne vertébrale, traumatismes crâniens, ruptures d’organes. Les enfants victimes ont des manifestations psychotraumatiques répétées. Les messages de prévention associent, outre une information sur les risques, une éducation à la citoyenneté (écoute, cohésion, solidarité, confiance en l’autre), le développement de compétences psychologiques et sociales de l’enfant, une implication active du jeune dans la vie scolaire et la prise de responsabilités concrètes. Le repérage par les familles et les professionnels de symptômes chroniques évocateurs de ces pratiques permet d’éviter leur répétition et leur dangerosité encore accrue, voire un passage à l’addiction.