Des troubles graves justifiant un suivi au long cours adapté à la motivation du patient

Parmi l’ensemble des troubles mentaux, les pathologies addictives sont des troubles graves.1 Leur pronostic est sévère, pour les addictions aux substances comme pour les addictions comportementales.2 Elles nécessitent une évaluation des troubles de la personnalité et des troubles psychiatriques associés. Leur prise en charge s’inscrit sur le long cours avec des approches médicamenteuses et psychothérapeutiques adaptées au niveau de motivation.

Évaluation diagnostique

Classifications internationales

Dans les classifications internationales des troubles mentaux, les troubles liés aux substances sont des pathologies mentales au même titre que les troubles anxieux, de l’humeur ou schizophréniques. Les classifications identifient trois types de consommation :
– l’usage non pathologique, même de drogues illicites, une consommation occasionnelle, contrôlée, sans attrait spécifique pour la substance ou les consommateurs, ni complication sanitaire ou sociale ;
– l’usage nocif,3 une consommation répétée induisant des dommages somatiques, psycho-affectifs ou sociaux, sans atteindre le niveau de dépendance ;
– la dépendance3 ou trouble de l’usage de substance4 caractérisé par la perte de contrôle, la poursuite de la consommation malgré les complications (réduction des activités et des intérêts, complications socio-affectives et somatiques), le désir infructueux de la contrôler et l’importance du temps passé ; il n’y a plus d’opposition entre dépendance physique et dépendance psychique, mais un diagnostic de dépendance avec ou sans dépendance physique selon l’existence d’une tolérance ou d’un syndrome de sevrage à l’arrêt.

Un diagnostic clinique

L’addiction est une psychopathologie évolutive débutant habituellement à l’adolescence ou à l’âge adulte jeune, parfois plus tardivement. Extensive, elle envahit progressivement l’ensemble de la vie psychique. Les premières demandes de soins sont tardives et apparaissent lors des complications ou de la décompensation du trouble. L’évolution, avant rémission complète, est émaillée de rechutes. Le diagnostic est fait sur un état en rupture par rapport au fonctionnement antérieur et caractérisé par :
– un attrait pour les substances, avec un manque de motivation aux soins et une ambivalence face à l’abstinence ; au plus fort, cet attrait est le craving ou impulsions majeures à consommer auxquelles le sujet ne peut résister ; la réduction du craving, voire sa disparition, est l’objectif thérapeutique en addictologie ;
– une idéation addictive, avec un discours de justification et de banalisation des substances, une sous-estimation de la consommation et de ses conséquences, une minimisation des prises, une attitude prosélyte.
Si dans les premiers temps, ce comportement vise à produire du plaisir, l’évolution se fait vers le besoin d’écarter le malaise de l’abstinence.5

Organisation des soins

Prise en charge globale

Leur traitement s’inscrit dans le long cours. L’objectif est l’abstinence et la prévention des rechutes par un maintien dans les soins. La prise en charge associe approches médicamenteuse, psychologique, somatique et sociale. Elle débute par une évaluation de la motivation pour adapter au mieux les stratégies de soins. Les modalités thérapeutiques sont diverses, leurs indications sont liées aux choix et aux possibilités évolutives du sujet.6 Le suivi peut se faire en consultation pour les formes les moins sévères.

Évaluation de la motivation

La motivation aux soins et pour l’abstinence est faible et ambivalente. Dans un premier temps, elle est externe, sous la pression de l’entourage ou des complications. Puis elle est interne, avec la conviction qu’il n’y a d’alternative que l’abstinence. Ce cheminement est long et doit être respecté et accompagné. Les propositions thérapeutiques ne sont efficaces que si elles sont adaptées au niveau de motivation du sujet. Sinon, elles mènent à l’échec et à la disqualification des soins et des soignants.

Hospitalisation

Les hospitalisations s’intègrent dans un suivi essentiellement ambulatoire. Rares, leurs indications sont :
– le traitement d’une dépendance physique marquée, avec des rechutes malgré la motivation à s’abstenir ; les hospitalisations sont préparées, hors de toute urgence, et volontaires ; elles peuvent être suivies de post-cures ou d’un suivi en hôpital de jour ; des hospitalisations séquentielles, 1 à 2 semaines par mois, sont possibles pour les formes les plus graves ;
– les troubles psychiatriques induits (humeur suicidaire, trouble délirant ou du comportement) ; dans l’urgence, chez des sujets peu motivés, les hospitalisations sont de courte durée ; rapidement améliorés, les sujets sont en droit de demander leur sortie ; ils rechutent souvent rapidement, à la déception des entourages et parfois des soignants.

Traitements médicamenteux

Stratégie de sevrage et post-sevrage

Le sevrage est proposé pour toutes les addictions aux substances. Le traitement est symptomatique, associant anxiolytiques et antalgiques. Les benzodiazépines sont utiles, en évitant les prescriptions trop larges et sans contrôle. Pour les opiacés, les adrénergiques comme la clonidine ou la guanfacine sont à réserver au milieu hospitalier. Les patients doivent être informés des risques de surdosage et de coma en cas de rechute, du fait de la perte de tolérance.
La prévention médicamenteuse des rechutes est essentielle, la durée minimale des soins est d’un an, ce qui correspond à la durée de la rémission précoce dans les classifications internationales. Leur efficacité est corrélée à la qualité de la prise en charge et à l’investissement du patient dans les soins.
En cas d’addiction à l’alcool, les médicaments autorisés à la prescription sont l’acamprosate, la naltrexone, le nalméfène, voire leur association, qui réduisent le craving du sujet sevré, et, pour les patients les plus motivés, le disulfirame aux propriétés aversives (malaise sévère en cas de prise d’alcool : nausées, vertiges, hypotension…).
En ce qui concerne l’addiction au tabac, le bupropion est proposé malgré des risques d’abus liés à son profil dopaminergique. Il est contre-indiqué en cas d’antécédents comitiaux.
Pour les opiacés, la naltrexone, un antimorphinique à longue durée d’action dérivé de la naloxone, est le traitement de choix. Elle bloque les effets des opiacés sans engendrer de dépendance. Il est incongru de ne pas la proposer en relais d’une hospitalisation de sevrage opiacé. À l’étranger, il existe des formes injectables retard à action prolongée.
Pour la cocaïne, le cannabis et les benzodiazépines, les régulateurs de l’humeur, les antidépresseurs et les anti- comitiaux se sont révélées peu efficaces. Un vaccin anti- cocaïne est toujours en cours d’étude.
Certains antipsychotiques de seconde génération, l’olanzapine, l’aripiprazole, pourraient diminuer le craving pour les addictions aux substances et comportementales particulièrement en cas de double diagnostic psychiatrique.

Stratégie substitutive

La stratégie substitutive n’existe que pour le tabac et les opiacées. Les médicaments de substitution sont de la même classe pharmacologique que la substance toxique mais ont une pharmacocinétique, voire une pharmacologie, spécifique, associant longue durée d’action et absence d’effet euphorisant.7 Un patient sous traitement de substitution se présente comme sevré.8 Les sujets les moins motivés, déçus, en mésusent. La posologie est stabilisée en début de cure en fonction des envies de consommer. L’objectif de la substitution nicotinique est une détoxification progressive, celui de la substitution opiacée le maintien dans les soins pour la prise en charge des troubles de la personnalité.8 Les médicaments substitutifs sont :
– des agonistes purs ; pour le tabac, les substituts nicotiniques, particulièrement les patchs ; pour les opiacés, la méthadone, avec un cadre de prescription réglementé du fait de sa dangerosité, la dose thérapeutique de 60 à 80 mg/j est létale chez l’héroïnomane actif ; elle est obtenue par titration avec des risques de décès en cas de rupture thérapeutique ;
– des agonistes partiels : la varénicline pour le tabac, la buprénorphine pour les opiacés, avec effet de blocage des effets plaisants ; leur maniement est plus complexe ; pour la buprénorphine, l’association buprénorphine-naloxone (Suboxone) et de futures formes injectables à action prolongée en réduiraient le mésusage.

Réduction des risques

La réduction des risques est une alternative pour les sujets peu motivés. L’objectif est une prévention des complications médicales et sociales.
Pour le tabac, les substituts nicotiniques comme les gommes, sprays, voire les cigarettes électroniques, sont utiles malgré les risques de néodépendance.
Pour l’alcool, le baclofène réduirait la consommation des sujets ayant un alcoolisme sévère. Les complications, état confusionnel, état maniaque et abus, ont amené les autorités sanitaires à limiter la posologie à 80 mg/j, et son efficacité dans cette indication est depuis peu remise en cause. Le nalméfène et la naltrexone peuvent aussi être prescrits dans cette indication.
Pour les opiacés, la mise à disposition de seringues est une mesure essentielle. Les sprays nasaux de naloxone (Nalscue), administrés par les proches après appel des secours, devraient permettre de prévenir les décès par overdose opiacée. Aux Pays-Bas, les bus méthadone délivrent une dose unique de 30 mg, posologie adaptée aux symptômes de sevrage, soit une prescription à faible dose et un contrôle de la délivrance.

Approches psychothérapeutiques

L’entretien motivationnel augmente la motivation intrinsèque au changement.9 La relation thérapeutique se conçoit comme un partenariat et non comme une relation patient-expert. Les principes de l’intervention sont l’empathie et le renforcement du sentiment d’efficacité personnelle. Le sujet passe à travers différents stades (v. tableau). L’objectif du thérapeute évolue en fonction du stade dans lequel se situe le patient.10
Les thérapies cognitivo-comportementales aident à prendre conscience du caractère dysfonctionnel des stratégies cognitives qui amènent à consommer.11 Le thérapeute apprend au patient à les identifier, à les modifier et à mettre en place des réponses adaptées aux situations à haut risque.
Les thérapies d’inspiration analytique sont indiquées pour des patients ayant des difficultés affectives marquées. Elles demandent un cadre assoupli, surtout pour des sujets désorganisés ou rétifs.
Les entretiens familiaux ou systémiques sont utiles chez les adolescents et lors des pathologies familiales. Indispensables, les entretiens avec les parents les aident face à l’angoisse générée par la situation et à prendre conscience de leurs propres dysfonctionnements.

Comorbidités psychiatriques

Les comorbidités psychiatriques sont des facteurs de vulnérabilité, de renforcement ou d’aggravation de la dépendance.12 Elles sont fréquentes et sous-diagnostiquées. Les diagnostics psychiatriques sont difficiles du fait de l’absence de stabilité émotionnelle et de l’évitement des soins. Les comorbidités sont considérées comme résistantes, les ruptures thérapeutiques et les rechutes sont fréquentes, le pronostic est mauvais. Non traitées, elles sont un facteur d’aggravation de la dépendance et ne permettent pas d’équilibrer les traitements addictologiques. Elles posent la question du système de soins le plus adapté, spécialisé en addictologie ou en santé mentale, et de leur articulation. Les recommandations sont en faveur des prises en charge parallèles et intégrées soit dans la même structure soit en réseau très cohérent.

AMBIVALENCE DE LA MOTIVATION AUX SOINS

Les pathologies addictives sont d’authentiques troubles psychopathologiques. Leurs prises en charge sont longues, émaillées de rechute. Elles nécessitent un positionnement clinique clair, ni rejetant ni complaisant, pour un trouble caractérisé par l’ambivalence de la motivation face à l’abstinence et aux soins.

Références

1. Laqueille X, Chassagnoux A. Pratiques cliniques en addictologie. Les Cahiers de Sainte-Anne. Paris : Lavoisier, 2017.

2. Adès J, Lejoyeux M. Dépendances comportementales. EMC Psychiatrie 1999, 37-396-A-20.

3. Organisation mondiale de la santé. CIM-10/ICD-10. Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement. Traduction française. Paris : Masson, 1994.

4. American Association of Psychiatry. DSM-5. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson, 2015.

5. Reynaud M, Karila L, Aubin HJ, Benyamina A. Traité d’addictologie 2nde ed. Paris : Lavoisier, 2016.

6. Auriacombe M, Fatséas M. Principes de la thérapeutique et des prises en charge en addictologie. In: Lejoyeux M ed. Abrégé d’addictologie. Paris : Masson, 2008:62-8.

7. Montastruc JL, Arnaud P, Barbier C, et al. Critères pharmacologiques d’un médicament pour la substitution de la pharmacodépendance aux opiacés. Thérapie 2003;58:123-5.

8. Laqueille X. La pratique clinique des traitements de substitution à l’héroïne et ses alternatives. Bull Acad Natle 2017;200:807-18.

9. Rousselet AV. L’approche motivationnelle. Pratiques cliniques en addictologie. Les Cahiers de Sainte-Anne. Paris : Lavoisier, 2017:67-77.

10. Prochaska J, Diclemente C. Transtheoretical therapy: Toward a more integrative model of change. Psychotherapy: Theory, Research & Practice 1982;19:276-88.

11. Aubin HJ. Principes généraux des thérapies cognitivo-comportementales dans les addictions. In: Addictions et psychiatrie. Paris : Masson, 2005.

12. Dervaux A. Addictions et comorbidités psychiatriques. Pratiques cliniques en addictologie. Les Cahiers de Sainte-Anne. Paris : Lavoisier, 2017:121-33.

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Résumé

Parmi l’ensemble des troubles mentaux, les pathologies addictives sont des troubles graves. Leur pronostic est sévère. Leur prise en charge est complexe et nécessite l’évaluation du trouble addictif, des troubles psychiatriques associés et de la motivation. Le suivi au long cours doit s’adapter à la motivation du patient. Sur le plan médicamenteux, il est classique d’opposer les stratégies de substitution et de sevrage et la réduction des risques. Les comorbidités psychiatriques, habituellement résistantes, sont des facteurs de gravité. Elles nécessitent une prise en charge parallèle et intégrée entre les systèmes de soins en addictologie et en santé mentale. La place de l’hospitalisation est réduite, le soutien aux familles indispensable.