Quel est l’objectif de la prise en charge ?
L’abstinence reste l’objectif le plus adapté pour la plupart des personnes souffrant de dépendance, ainsi que pour celles ayant une comorbidité physique ou psychiatrique significative. Si ces patients refusent de s’engager vers l’abstinence, il faut envisager un programme orienté vers la réduction des dommages, car la relation entre la consommation d’alcool et le risque pour la santé est de nature exponentielle : toute réduction de la consommation est préférable au statu quo.
En cas de consommation nocive ou de dépendance peu sévère, sans comorbidité significative et si le soutien social est adéquat, il faut envisager de réduire la consommation (à moins que la personne ne préfère l’abstinence). Certains patients n’arrivent à progresser que par étapes.
Principes généraux de la prise en charge
Certains principes s’appliquent à tous les types d’intervention thérapeutique, quelle que soit la sévérité du mésusage ou du trouble et où qu’en soit le patient dans son parcours thérapeutique :3, 4
Favoriser une alliance thérapeutique
Il est nécessaire de prendre en compte la dimension stigmatisante du mésusage de l’alcool, qui peut conduire le sujet à minimiser ses consommations et leurs conséquences.
Favoriser le soutien de l’entourage
Interventions brèves
Les interventions brèves durent de 5 à 20 minutes en général. Après le repérage du problème, le praticien propose une intervention ciblée sur « le problème alcool » (concept du repérage précoce et de l’intervention brève). Il n’y a pas de manière définitivement standardisée de délivrer une intervention brève. Elle peut se délivrer en une séance unique ou au contraire être répétée. Par exemple, les interventions aux urgences sont en général uniques, sans suivi.
Pour l’Organisation mondiale de la santé, les interventions brèves devraient être proposées aux hommes qui obtiennent entre 7 et 12 au questionnaire AUDIT ou qui consomment 25 verres d’alcool ou plus par semaine ainsi qu’aux femmes ayant obtenu entre 6 et 12 à l’AUDIT ou qui consomment 21 verres ou plus d’alcool par semaine. Elles devraient inclure les éléments suivants :4
– restituer les résultats du test de repérage en lui indiquant que la consommation correspond à la catégorie « consommation à risque » ;
– informer sur les risques particuliers qu’il encourt s’il continue à consommer de l’alcool de cette manière ;
– faire choisir un objectif de changement de comportement ;
– conseiller sur les limites à ne pas dépasser (en France, les nouveaux repères de consommation à moindre risque sont de ne pas consommer plus de 10 verres standard par semaine, ne pas consommer plus de 2 verres par jour, et d’avoir des jours dans la semaine sans consommation) ;
– encourager en expliquant que chez les personnes ayant une consommation d’alcool à risque, l’objectif est de retrouver un usage social de l’alcool.
Les éléments habituellement abordés lors des programmes de réduction de la consommation sont le renforcement de la motivation, le développement de l’autocontrôle, l’encouragement à faire des activités alternatives (aux activités liées à la consommation) et le renforcement des compétences sociales.
L’élément apparaissant le plus efficace est d’encourager l’auto-évaluation de la consommation, c’est-à-dire demander à la personne de consigner quotidiennement le nombre de verres consommés sur un agenda, un carnet, un fichier informatique ou une application smartphone. Le deuxième élément efficace est de susciter régulièrement l’engagement de la personne dans la réduction de la consommation.
Interventions psychosociales de faible intensité
On considère aujourd’hui que le style et les principes non confrontationnels de l’entretien motivationnel doivent être adoptés par les professionnels spécialisés dans le traitement du trouble de l’usage de l’alcool, dans la mesure où il améliore l’efficacité des interventions psychosociales plus intensives (
Interventions psychosociales spécialisées
Renforcement communautaire
Entraînement à l’autocontrôle comportemental
Entraînement aux compétences sociales et de coping
On peut distinguer trois composants de cette approche :7
– entraînement à la prévention de la rechute : chaque séance fait le point sur une situation à haut risque spécifique (pression sociale, pensées liées à la substance, envies compulsives de consommer, faux pas…) et propose différentes stratégies permettant de la gérer ;
– entraînement aux compétences sociales : chaque séance fait le point sur une compétence relationnelle particulière (faire et recevoir des compliments, faire et recevoir des critiques, être assertif, savoir refuser, exprimer ses émotions...), permettant d’améliorer la qualité des relations sociales, de réduire les risques de conflits interpersonnels, de favoriser le support social orienté vers l’abstinence et de modifier son style de vie ;
– gestion des émotions négatives : les séances permettent d’apprendre à reconnaître, puis à gérer, des états de colère ou de pensées négatives, états qui pourraient conduire à une reprise de la consommation.
Les séances sont constituées d’instructions didactiques, de modelage par les thérapeutes ou les autres membres du groupe, de restructuration cognitive, d’entraînement à travers des exercices ou des jeux de rôle, de commentaires et suggestions concernant les performances. Elles peuvent se pratiquer en séances individuelles ou de groupe, avec des patients hospitalisés ou ambulatoires.
Interventions fondées sur la pleine conscience
La pleine conscience peut être définie comme un état de conscience qui résulte d’une attention intentionnelle et dénuée de jugement de valeur à l’expérience du moment présent. Elle consiste à s’ouvrir à la totalité de son expérience des phénomènes internes et externes, sans résistance, rejet ou élaboration excessive qui puisse entraîner des distorsions cognitives. Dans les thérapies fondées sur la pleine conscience, l’objectif d’acceptation contrebalance celui de changement des cognitions et des comportements propre aux thérapies cognitivo-comportementales classiques. La thérapie ne cherche pas à remettre en question les cognitions anxiogènes ou dépressogènes, mais amène à les voir comme des événements mentaux qui sont transitoires et qui ne sont pas obligatoirement un reflet fidèle de la réalité. Les patients apprennent à observer l’apparition et la disparition de leurs pensées et émotions sans chercher à retenir celles qui leur paraissent agréables ou à bannir celles qui leur semblent pénibles. Les pensées qui pouvaient générer de l’aversion peuvent être accueillies sans réaction négative. La pratique de la pleine conscience permet de prendre de la distance par rapport à son expérience du moment et, par-là, modifie la nature même de cette expérience. Les événements sont appréhendés avec plus de clarté, d’objectivité et d’équanimité.
Ainsi, une expérience pénible est toujours transitoire ; nos pensées et émotions ne nous donnent pas nécessairement un reflet fidèle de la réalité. Les interventions fondées sur la pleine conscience bénéficient actuellement d’un essor important, dans le champ des addictions comme dans les champs des troubles de l’humeur, des troubles anxieux, ou du développement personnel.
L’essentiel sur la prise en charge psychosociale du trouble de l’usage de l’alcool en médecine générale D’après la réf. 4.
Éléments motivationnels
Consommation : mettre l’accent sur le choix personnel
Se focaliser sur les préoccupations du patient
Valoriser les réussites et les petits succès
On peut exprimer son inquiétude sur l’état de santé et la relier à la consommation d’alcool
Éviter d’étiqueter le patient (avec un diagnostic stigmatisant)
Éviter de forcer la résistance du patient
Réduction de la consommation
Insister sur la tenue d’un agenda de consommation
Définir ensemble un objectif de consommation
Pointer positivement chaque succès
Encourager la recherche de stratégies concrètes pour résoudre les difficultés résiduelles
Maintien de l’abstinence
Pointer positivement chaque succès
Rechercher et pointer les bénéfices liés à l’abstinence (santé, social)
Encourager la recherche de stratégies concrètes pour gérer les envies de boire
2. Rolland B, Mann K, Paille F, Aubin HJ. The new french guidelines on alcohol misuse: an initiative for strengthening cross-european interplay. Addiction (Abingdon, England). 2015;110:1362-3.
3. Aubin HJ. Modèles cognitifs et comportementaux des addictions. In : Thérapies cognitives et comportementales des addictions. Edited by Rahioui H, Reynaud M. Paris : Médecine-Sciences Flammarion, 2006:13-22.
4. Société française d’alcoologie. Recommandation de bonne pratique - Mésusages de l’alcool : dépistage, diagnostic et traitement. Alcool Addict 2015;37:5-84.
5. Aubin HJ, Skanavi S. Modèles cognitivo-comportementaux des addictions. in Traité d’addictologie (2e éd). Edited by Reynaud M, Karila L, Aubin HJ, Benyamina A. Paris : Lavoisier Médecine Sciences, 2016:104-11.
6. Aubin HJ. Thérapies cognitivo-comportementales de l’alcoolisme. In : Alcool et troubles mentaux: de la compréhension à la prise en charge du double diagnostic. Edited by Benyamina A, Reynaud M, Aubin HJ. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Health Sciences France, 2013:277-91.
7. Aubin HJ. Les thérapies cognitives et comportementales. Alcool Addictol 2001; 23:157-61.
8. Skanavi S, Laqueille X, Aubin HJ. Interventions basées sur la pleine conscience en addictologie. Encephale 2011;37:379-87.