Outre le fait qu’elle est médicalement compliquée, la prise en charge des patients souffrant de drépanocytose impose aux cliniciens de tenir compte de la dynamique psychique.

Vivre sous la menace

Parce qu’elle est là depuis toujours, la drépanocytose s’avère, en effet, un élément puissamment participatif de la construction psychique du malade. Elle infiltre l’ensemble de son existence, bouleverse son rapport au temps, médiatise ses liens aux autres et à son propre corps. La drépanocytose amène celui qui en souffre à devoir composer, tout au long de sa vie, avec la permanence d’une menace qui se démultiplie au fil des crises de douleur.
À bas bruit, elle fait courir au malade un danger non moins sérieux et l’oblige à se conformer à des règles strictes et à de multiples explorations du corps censées lui assurer une paix et une sécurité qui se révéleront, bien souvent, éphémères et relatives. Cette dépendance envers le monde médical est le prix à payer pour espérer échapper aux menaces émergeant du corps, et la plupart s’y conformeront.

L’annonce de la maladie est toujours un événement traumatique

Ce chemin démarre à l’annonce diagnostique de la maladie, qui a lieu en France majoritairement au moment du dépistage néonatal de la drépanocytose. L’annonce d’une maladie grave, incurable, chez un nourrisson est un événement toujours traumatique.1 L’enjeu pour l’équipe médicale à ce moment précis est d’avoir parfaitement conscience des effets de cette annonce et de son rôle d’accompagnement des parents dans l’investissement de l’enfant.

Douleur et sentences de mort sont emblématiques

La douleur est l’élément emblématique de la drépanocytose, et son impact traumatique est majeur en raison de sa puissance hors du commun et de sa survenue possiblement très précoce dans la vie infantile. La vision extrêmement péjorative qui entoure la drépanocytose en de nombreuses régions du monde ajoute encore à sa dimension catastrophique. Nombreux sont les malades qui relatent, en effet, les discours stigmatisants et les sentences de mort dont ils ont fait l’objet et qui les amènent à se percevoir en sursis d’une fin inévitablement précoce et programmée. Privés d’avenir, ils se maintiennent souvent dans une vie a minima, au jour le jour, et sont fortement à risque de développer de profonds syndromes anxiodépressifs, susceptibles de majorer en retour la symptomatologie drépanocytaire. Il existe en effet, dans la drépanocytose, une grande affinité entre les événements du corps et ceux de la psyché ; même si la crise semble, en apparence, fonctionner sur un mode aléatoire, l’état émotionnel du sujet, et en particulier l’anticipation anxieuse de la douleur, s’avère un élément fondamental dans le déclenchement des crises vaso-occlusives (CVO).
Les risques d’accoutumance induits par la consommation d’antalgiques au long cours sont majeurs et de mieux en mieux repérés. Cette consommation s’avère particulièrement problématique lorsqu’elle n’est plus seulement utilisée en traitement de la douleur dans l’instant de la crise, mais pour contrer le risque de voir celle-ci apparaître. Une prise en charge addictologique s’avère alors nécessaire.

Prévalence élevée des troubles anxiodépressifs

Globalement, les patients drépanocytaires et leur famille constituent donc une population à haut risque de troubles anxiodépressifs, qu’il convient de surveiller, dépister et prendre en charge au plus tôt. Certaines études rapportent que 70 % des mères d’enfants drépanocytaires ont un syndrome dépressif, et 82 % des troubles anxieux.2 L’état psychique des pères et de la fratrie est moins bien décrit dans la littérature mais ne doit pas être négligé. Quant au patient lui-même, 35 à 46 % des enfants et adolescents drépanocytaires présentent un trouble anxiodépressif ;3,4 90 % sont des troubles de l’humeur souvent associés à des troubles du sommeil et une énurésie, et 10 % souffrent de syndrome dépressif majeur, avec un âge médian de 14 ans. Toutes les études de qualité de vie retrouvent, dès le plus jeune âge, une aggravation de la sensation de vulnérabilité liée au caractère imprévisible de la maladie, une diminution de l’estime de soi,5,6 des aptitudes sociales et relationnelles et la prédominance d’une attitude de retrait social, voire d’agressivité, notamment à l’adolescence.7

Les interventions en pratique

La prise ne charge des patients drépanocytaires n’est ni systématique ni imposée. Pour exemple, au Centre de référence national pour la prise en charge des syndromes drépanocytaires majeurs de l’adulte du centre hospitalo-­universitaire (CHU) Henri-Mondor, lorsque le patient est hospitalisé en raison d’une CVO, le médecin propose une prise en charge par un psychologue lorsqu’il repère des signes d’anxiété, de dépression, etc., fréquemment impliqués dans la majoration ou le maintien de la douleur. Elle est proposée aussi lorsque la récurrence des crises laisse supposer que le patient traverse des difficultés particulières (affectives, professionnelles, etc.) ou à tout moment à la demande du médecin ou du patient. L’intrication entre la dimension psychologique et la dimension somatique n’étant plus à démontrer dans la drépanocytose, le psychologue peut être convoqué à toutes les étapes de la prise en charge et notamment lorsqu’il y a des difficultés dans l’observance des traitements ou quand le patient se trouve confronté à des décisions d’intensifications thérapeutiques qui l’inquiètent. Ces indications de la fonction du psychologue sont non exhaustives car elles s’adaptent aux progrès scientifiques, avec un engagement particulier dans l’accompagnement des patients à qui sont proposées les thérapeutiques innovantes comme la thérapie génique et les greffes de cellules souches hématopoïétiques.

Suivi psychologique face à l’impact traumatologique de la drépanocytose

Chez les patients drépanocytaires s’ajoutent donc à la complexité du corps celle de la psyché, et aux missions du soin somatique celles du soin psychique. L’impact traumatique de la maladie et des représentations qu’elle véhicule rend souvent nécessaire l’intervention du psychologue. Si une bonne compréhension des enjeux somatiques de la maladie est un atout pour le psychologue, c’est avant tout à partir du discours du sujet sur lui-même que pourra s’envisager pour le patient une autre façon de se penser et de penser son avenir. Cela n’exclut pas de prendre en charge, par des techniques, médiations et/ou médications adaptées les multiples déclinaisons symptomatiques : troubles anxieux et dépressifs, troubles phobiques, insomnies… dont le malade, à tout âge, pourrait souffrir. 
Références
1. Lehougre MP, Romero M. Annonce du diagnostic et retentissements psychologiques sur la famille. Médecine Thérapeutique Pédiatrie 2008;11(1):17‑24.
2. Nika ER, Mabiala Babela JR, Moyen E, Kambourou J, Lombet L, Mouanga Mpolo P, et al. Psychosocial issues of mothers whose children have sickle cell disease. Arch Pediatr 2016;23(11):1135-40.
3. Unal S, Toros F, Kütük MÖ, Uyanıker MG. Evaluation of the psychological problems in children with sickle cell anemia and their families. Pediatr Hematol Oncol 2011;28(4):321-8.
4. Jerrell JM, Tripathi A, McIntyre RS. Prevalence and treatment of depression in children and adolescents with sickle cell disease: A retrospective cohort study. Prim Care Companion CNS Disord 2011;13(2):PCC.10m01063.
5. Valrie C, Floyd A, Sisler I, Redding-Lallinger R, Fuh B. Depression and anxiety as moderators of the pain-social functioning relationship in youth with sickle cell disease. J Pain Res 2020;13:729-736.
6. Osunkwo I, Andemariam B, Minniti CP, Inusa BPD, El Rassi F, Francis-Gibson B, et al. Impact of sickle cell disease on patientsʼdaily lives, symptoms reported, and disease management strategies: Results from the international Sickle Cell World Assessment Survey (SWAY). Am J Hematol 2021;96(4):404–17.
7. Bakri MH, Ismail EA, Elsedfy GO, Amr MA, Ibrahim A. Behavioral impact of sickle cell disease in young children with repeated hospitalization. Saudi J Anaesth 2014;8(4):504-9.