Les troubles anxieux sont fréquents, ils ont pour la plupart un début précoce – pour certains d’entre eux pendant l’enfance – et une évolution volontiers chronique (v . p 976 ). Du fait de leur retentissement fonctionnel, ils constituent donc une source importante de handicap au niveau mondial. Un indicateur du fardeau global représenté par une maladie est le nombre d’années « en bonne santé » perdues pour cause d’invalidité ou de décès prématuré liés à cette maladie. Si on ne tient compte que des années d’invalidité, les troubles anxieux se situent au 6e rang des maladies les plus invalidantes au niveau mondial, derrière la dépression mais devant le diabète, par exemple.1 Ce retentissement fonctionnel est partiellement lié à la comorbidité psychiatrique – notamment avec les troubles dépressifs ou les troubles de l’usage de substances – mais s’explique également par les conduites d’évitement liées aux troubles anxieux. Par ailleurs, si l’on considère la mortalité par suicide imputable aux troubles anxieux – environ 7 % des suicides dans le monde – et le risque accru de pathologies cardiovasculaires et de diabète, le fardeau global représenté par les troubles anxieux s’avère encore plus élevé.
Risque de troubles addictifs
Les troubles anxieux et les troubles de l’usage de substances sont fréquemment co-occurrents (v. p 976 ).2 L’anxiété sociale et le trouble de stress post- traumatique sont par exemple associés à un risque au moins doublé de trouble de l’usage de substances. Réciproquement, environ 20 % des sujets ayant un trouble de l’usage de substances ont les critères d’un trouble anxieux caractérisé, le plus fréquemment un trouble anxiété généralisée ou un trouble panique. La co- occurrence semble moins fréquente pour le trouble obsessionnel-compulsif (TOC). L’hypothèse de l’utilisation de substances psychoactives comme auto- médication face à des symptômes anxieux est cohérente avec le fait que les symptômes anxieux préexistent au trouble de l’usage de substances dans environ 75 % des cas. Néanmoins, cette hypothèse explique bien l’initiation de l’usage mais mal son maintien. En effet, l’intoxication chronique comme le sevrage majorent les symptômes anxieux par des mécanismes directs – physiologiques – et indirects, en raison des dommages induits par l’usage de la substance : conflits interpersonnels, complications somatiques, difficultés financières, etc. Enfin, comme pour d’autres situations de co-occurrence, une vulnérabilité commune explique une part substantielle de cette association. Quoi qu’il en soit, cette co-occurrence est associée à une augmentation de la sévérité et de la résistante au traitement des deux troubles et rend le diagnostic plus difficile. L’observation de l’évolution clinique lors d’une période d’arrêt de l’usage est souvent plus fiable que l’anamnèse pour distinguer les symptômes anxieux induits par l’usage de substances d’un trouble anxieux primaire. En cas de co-occurrence, une prise en charge coordonnée et concomitante est recommandée, en évitant si possible les benzodiazépines et en privilégiant les thérapies cognitives et comportementales, avec une utilisation prudente des thérapies d’exposition.
Risque de troubles dépressifs
Les troubles anxieux et dépressifs sont fréquemment co-occurrents (v . p. 974 et 976 ) et leurs symptômes fortement corrélés. Dans une perspective longitudinale, l’épidémiologie montre que tous les types de symptômes anxieux prédisent la survenue de symptômes dépressifs ultérieurs, et réciproquement, avec une taille d’effet équivalente.3 De même, tous les troubles anxieux diagnostiqués sont associés à un risque accru de diagnostic ultérieur d’un trouble dépressif, avec un odds ratio (OR) allant de 1,7 pour les phobies spécifiques à 5,6 pour le TOC. Réciproquement, un trouble dépressif est associé à un risque accru de survenue d’un trouble anxieux ultérieur, avec un OR allant de 2,3 pour le TOC à 6,1 pour le trouble panique.3 Globalement, tous les troubles anxieux et dépressifs sont liés de façon bidirectionnelle les uns aux autres, sauf peut-être les troubles phobiques et l’anxiété sociale qui pourraient être plus fréquemment secondaires aux troubles dépressifs que l’inverse.3 Néanmoins, encore plus que pour la co-occurrence de troubles de l’usage de substances, la notion d’une vulnérabilité partagée doit être considérée comme mécanisme explicatif.
Risque de conduite suicidaire
Les conduites suicidaires ne sont spécifiques d’aucun trouble psychiatrique, ni même d’une dimension symptomatique particulière, mais correspondent à un phénomène transnosographique associé à la vulnérabilité aux troubles psychiatriques en général.4, 5 Dans les travaux menés par la World Mental Health Survey Initiative (v. p. 976 ), tous les troubles psychiatriques sont ainsi associés à un risque augmenté d’une tentative de suicide ultérieure.6 Pour les troubles anxieux, l’OR dans les pays à hauts revenus – incluant la France – va de 2,9 pour les phobies spécifiques à 6,5 pour le trouble de stress post-traumatique. Cette association s’explique essentiellement par un risque accru d’idéation suicidaire quel que soit le trouble psychiatrique. En revanche, les troubles anxieux – notamment le trouble de stress post-traumatique – et les troubles du contrôle des impulsions sont plus spécifiquement associés à un risque accru de tentative de suicide chez les personnes ayant eu des idées suicidaires. En supposant une association causale, la proportion de tentatives de suicide qui pourraient être évitées en l’absence de troubles anxieux dans la population est estimée à respectivement 22 % et 29 % dans les pays à revenus faibles et élevés. Le risque suicidaire associé au TOC est vraisemblablement au moins aussi important. Selon une étude fondée sur les registres de santé suédois, le TOC est associé à un risque accru de décès par suicide (OR : 9,8) et de tentative de suicide (OR : 5,5) par rapport à une population témoin.7 La prise en compte de la comorbidité psychiatrique fait mécaniquement chuter le risque suicidaire associé à n’importe quel trouble psychiatrique spécifique. Néanmoins, les conséquences pour la pratique clinique restent inchangées : la présence d’un trouble anxieux impose une évaluation du risque de conduites suicidaires et réciproquement.
Risque de pathologies métaboliques et cardiovasculaires
Selon une méta-analyse de 46 études prospectives incluant plus de 2 millions de participants, un diagnostic de trouble anxieux caractérisé ou un niveau élevé de symptômes anxieux est associé avec un risque relatif (RR) significativement augmenté de mortalité cardiovasculaire (RR : 1,4), de maladie coronarienne (RR : 1,4), d’accident vasculaire cérébral (RR : 1,7) et d’insuffisance cardiaque (RR : 1,4).8 Par rapport aux autres troubles anxieux, l’anxiété phobique est associée à un risque plus élevé de maladie coronarienne, et le trouble de stress post- traumatique à un risque plus élevé d’accident vasculaire cérébral. Cette association n’est pas nécessairement causale et pourrait être partiellement expliquée par une vulnérabilité partagée, environnementale ou génétique, voire par le fait que l’anxiété soit la conséquence (et non la cause) d’une atteinte vasculaire cérébrale témoignant d’une atteinte plus globale. De plus, les personnes souffrant d’un trouble anxieux ont une prévalence plus élevée de facteurs de risque cardiovasculaire (tabagisme, sédentarité, hypercholestérolémie, diabète). Cela dit, l’association persiste après prise en compte de ces facteurs dans le calcul des risques ajustés, ce qui suggère l’intervention potentielle de facteurs biologiques. Certains de ces facteurs pourraient favoriser le développement de l’athérosclérose (par exemple une inflammation chronique de bas grade) et d’autres les complications de l’infarctus du myocarde (par exemple des troubles du rythme ventriculaire).9 Par ailleurs, l’anxiété est associée à une augmentation de l’incidence du diabète de type 2,10 ce qui suggère un impact global encore plus important sur le risque cardiovasculaire.
Références
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4. Hoertel N, Franco S, Wall MM, Oquendo MA, et al. Mental disorders and risk of suicide attempt: a national prospective study. Mol Psychiatry 2015;20:718‑26.
5. Hoertel N, McMahon K, Olfson M, et al. A dimensional liability model of age differences in mental disorder prevalence: evidence from a national sample. J Psychiatr Res 2015;64:107‑13.
6. Nock MK, Hwang I, Sampson N, et al. Cross-national analysis of the associations among mental disorders and suicidal behavior: findings from the WHO World Mental Health Surveys. PLoS Med 2009;6:e1000123.
7. Fernández de la Cruz L, Rydell M, Runeson B, et al. Suicide in obsessive-compulsive disorder: a population-based study of 36 788 Swedish patients. Mol Psychiatry 2017;22:1626‑32.
8. Emdin CA, Odutayo A, Wong CX, Tran J, Hsiao AJ, Hunn BHM. Meta-analysis of anxiety as a risk factor for cardiovascular disease. Am J Cardiol 2016;118:511‑9.
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