L’Académie nationale de médecine, qui a fêté cette année son bicentenaire, conserve un patrimoine artistique riche de 260 peintures et sculptures, qui fait l’objet d’un passionnant catalogue édité sous la direction de Jérôme Van Wijland, le directeur de la bibliothèque de l’Académie. Ce sont surtout les peintures qui sont à l’honneur dans ce beau livre. Elles se répartissent, à quelques exceptions près, en deux grands ensembles : des portraits d’académiciens illustres principalement du xixe siècle (mais le xxe siècle n’est pas absent, avec, par exemple, des portraits de Henri Mondor ou de Henri Baruk) et de grands tableaux reproduisant des scènes d’histoire de la médecine. Chaque œuvre est accompagnée d’une notice (de nombreux spécialistes ont été mis à contribution) qui, pour les portraits, détaille la biographie du peintre et celle du sujet représenté. La collection s’est bâtie grâce aux dons des académiciens (ou de leurs proches à leur décès) : en se faisant portraiturer, ils ont souhaité (ou leurs héritiers) laisser dans ce lieu le souvenir de leur présence et de leurs travaux. Leur carrière s’associa souvent à bien des honneurs liés à leurs responsabilités universitaires ou aux soins prodigués aux responsables du pays (la légion d’honneur est omniprésente sur les vestons et les toges). Mais ces portraits témoignent aussi d’une proximité entre les peintres et leurs modèles qui éclaire sur le milieu dans lequel tous évoluaient. C’est l’image d’une médecine conquérante constituée de personnalités exemplaires, venant parfois de milieux très modestes, dont la tranquille assurance (mais quelques visages sont tourmentés) exprime la certitude d’avoir influencé positivement le cours de la science ou de la pratique médicale ou chirurgicale. Le choix de s’arrêter sur un seul de ces beaux portraits est bien sûr arbitraire, mais nous n’y résistons pas en évoquant par exemple celui du chirurgien Jules Cloquet (on doit à ce dessinateur exemplaire un magnifique traité d’anatomie) réalisé en 1879 par Caroline Commanville, la nièce chérie de Flaubert, lui-même fils du célèbre chirurgien de Rouen Achille Cléophas, dont Cloquet avait été l’élève. Achille confia Gustave à Cloquet qui l’emmena avec lui dans un long voyage en Corse et dans les Pyrénées. Cloquet, qui devint baron sous le Second Empire, fut donc ainsi le proche de trois générations de Flaubert, un vrai roman… Citons encore les deux portraits de Jobert de Lamballe, l’un à 38 ans par Boulanger qui le montre ténébreux et romantique, tel un personnage balzacien à l’assaut de la gloire (sa jeunesse avait été misérable) et le même par Giraud à 59 ans à l’apogée de sa renommée, mais avec une note de tristesse dans le regard, comme un pressentiment de la piqûre accidentelle qui, un an plus tard lors d’une opération, lui inoculera une syphilis dont il mourut quelques années après dans un dramatique tableau de paralysie générale.
Les notices sur les grands tableaux sont aussi passionnantes. Ils reproduisent des scènes médicales dont certaines sont célébrissimes : outre une très belle copie de la leçon d’anatomie de Rembrandt, elles mettent en scène Jenner procédant à la première vaccination, Pinel délivrant les aliénés, Larrey soignant sur le champ de bataille, Claude Bernard faisant la vivisection d’un lapin, Vaquez à l’hôpital Saint-Antoine (par Vuillard) ou encore une épidémie en Espagne, avec un religieux qui exalte les mourants, un tableau de 1806 de José Aparicio, qui semble presque une réplique au tableau « laïc » peint par Gros en 1804 montrant Bonaparte touchant les pestiférés de Jaffa. Ces scènes historiques ou légendaires témoignent par leur format spectaculaire d’une volonté nouvelle d’autocélébration de la médecine par ses héros. Mais le diable, parfois, se niche dans les détails : c’est ainsi que le père d’un obscur peintre, pour faire de la publicité à son rejeton, fit don à l’Académie, qui l’accepta sans trop y réfléchir, d’un de ses tableaux montrant la découverte de la circulation sanguine par Harvey. Le peintre s’inspira d’une rumeur fausse selon laquelle Harvey expérimentait sur des condamnés à mort et qu’il avait invité le roi d’Angleterre Charles Ier à l’une de ses démonstrations. C’est ainsi qu’on voit le monarque, sur l’incitation supposée d’Harvey, plonger sa main dans une plaie thoracique béante faite sur le supplicié pour apprécier directement les battements de son cœur ! Mais 13 ans plus tard, plusieurs académiciens réalisèrent l’énormité qu’il y avait à siéger sous un tel tableau : « les soussignés, membres de l’Académie de médecine, considérant que le tableau placé au-dessus de la tête du Président, et représentant une expérience atroce faite sur un homme vivant, par le grand physiologiste Harvey, est de nature à accréditer en la plaçant sous le patronage de l’Académie une fable ridicule qui porte atteinte à la dignité de la science, demandent que ledit tableau soit enlevé de la salle des séances… ». Il était temps…
Jean Deleuze
Les notices sur les grands tableaux sont aussi passionnantes. Ils reproduisent des scènes médicales dont certaines sont célébrissimes : outre une très belle copie de la leçon d’anatomie de Rembrandt, elles mettent en scène Jenner procédant à la première vaccination, Pinel délivrant les aliénés, Larrey soignant sur le champ de bataille, Claude Bernard faisant la vivisection d’un lapin, Vaquez à l’hôpital Saint-Antoine (par Vuillard) ou encore une épidémie en Espagne, avec un religieux qui exalte les mourants, un tableau de 1806 de José Aparicio, qui semble presque une réplique au tableau « laïc » peint par Gros en 1804 montrant Bonaparte touchant les pestiférés de Jaffa. Ces scènes historiques ou légendaires témoignent par leur format spectaculaire d’une volonté nouvelle d’autocélébration de la médecine par ses héros. Mais le diable, parfois, se niche dans les détails : c’est ainsi que le père d’un obscur peintre, pour faire de la publicité à son rejeton, fit don à l’Académie, qui l’accepta sans trop y réfléchir, d’un de ses tableaux montrant la découverte de la circulation sanguine par Harvey. Le peintre s’inspira d’une rumeur fausse selon laquelle Harvey expérimentait sur des condamnés à mort et qu’il avait invité le roi d’Angleterre Charles Ier à l’une de ses démonstrations. C’est ainsi qu’on voit le monarque, sur l’incitation supposée d’Harvey, plonger sa main dans une plaie thoracique béante faite sur le supplicié pour apprécier directement les battements de son cœur ! Mais 13 ans plus tard, plusieurs académiciens réalisèrent l’énormité qu’il y avait à siéger sous un tel tableau : « les soussignés, membres de l’Académie de médecine, considérant que le tableau placé au-dessus de la tête du Président, et représentant une expérience atroce faite sur un homme vivant, par le grand physiologiste Harvey, est de nature à accréditer en la plaçant sous le patronage de l’Académie une fable ridicule qui porte atteinte à la dignité de la science, demandent que ledit tableau soit enlevé de la salle des séances… ». Il était temps…
Jean Deleuze
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