Les carcinomes cutanés constituent la majorité des cancers post-transplantation d’organes solides (près de 50 %), engendrant une morbidité importante1. Les carcinomes épidermoïdes et les carcinomes basocellulaires sont les plus fréquemment observés, avec un risque multiplié par 100 et par 10 respectivement, alors que le mélanome est moins fréquemment observé, avec un risque multiplié par 2,1. Les facteurs favorisant les cancers cutanés des transplantés sont bien établis, avec l’exposition solaire (UVA et UVB), le phototype clair (yeux clairs, cheveux clairs et peau claire), le sexe masculin, l’âge tardif à la transplantation (> 50 ans) et le type de régime immunosuppresseur (surtout avec les anticalcineurines), ce qui implique une prévention renforcée et une surveillance dermatologique régulière, précoce et tardive.
De plus, comparés à la population générale, ces cancers cutanés ont un potentiel d’agressivité plus grand (formes avancées) ainsi qu’un risque de dissémination plus important associé à une mortalité plus élevée. Ainsi, 1 patient transplanté sur 2 fera une deuxième localisation dans les deux ans suivant le premier carcinome et 1 patient sur 20 fera des carcinomes multiples, > 10, après le premier carcinome2.
La prise en charge dermatologique des cancers cutanés est multiple et comprend la cryothérapie, la chirurgie, les traitements topiques chimiothérapiques et des traitements plus spécifiques dans les formes récidivantes ou avancées de ces cancers.
Les carcinomes cutanés sont souvent précédés de lésions précancéreuses à type de kératoses actiniques des zones découvertes ou de plages verruco-kératosiques, qu’il faut traiter en amont3. La prévention demeure un temps important et repose sur la photoprotection stricte, la chimioprophylaxie par acitrétine, la réduction de l’immunosupression ou la substitution par un inhibiteur de mTOR. En effet, cette stratégie de substitution des inhibiteurs de mTOR, validée dans l’étude française TUMORAPA, incite à proposer plus régulièrement un changement vers les inhibiteurs de mTOR, lorsque cela est possible, pour limiter la récidive de nouveaux carcinomes cutanés4, 5.
La prise en charge des cancers cutanés des transplantés d’organes se doit d’être conjointe entre dermatologues et équipes de transplantation car, en complément des traitements dermatologiques, une minimisation des traitements immunosuppresseurs ou un changement quand c’est possible pour les inhibiteurs de mTOR est à discuter. Un suivi régulier dermatologique au moins annuel est nécessaire pour dépister et traiter précocement ces cancers cutanés ou les lésions précancéreuses.
Les enjeux de la transplantation sont multiples, avec la modulation du traitement immunosuppresseur dans le cadre de la prévention des cancers cutanés qui doit s’intégrer dans une vision globale du patient, en prenant en compte non seulement le risque individuel de cancer cutané (âge, phototype, antécédents dermatologiques) mais aussi le risque immunologique, en particulier de rejet d’allogreffe (antécédents de rejet, anticorps anti-HLA dirigés contre le greffon, âge du patient, délai post-greffe). L’équilibre entre sur- et sous-immunosuppression avec une évolution du protocole de référence vers une immunosuppression individualisée est un enjeu majeur pour améliorer le pronostic et la qualité de vie du patient transplanté.
À côté des nouveaux traitements, les biomarqueurs tumoraux et les études prospectives sur des protocoles concomitants d’immunosuppression pourraient, dans le futur, aider à prendre la meilleure décision de prise en charge des carcinomes cutanés dans ce scénario complexe. Une interaction forte et une coordination des soins entre (onco)dermatologues et équipes de transplantation est fondamentale pour optimiser le suivi thérapeutique des patients transplantés à risque ou avec carcinomes cutanés.
Cet éditorial fait partie d’un supplément financé institutionnellement par Galderma, sans intervention de leur part dans la création du sommaire, le choix des auteurs et la rédaction des articles
Remerciements : Nous remercions les différentes structures de soins dermatologiques et de transplantations d’organes solides (Fédération de transplantation) qui ont contribué par l’analyse de leur expérience à ce numéro spécial ainsi que le Groupe peau et greffe d’organe (GPGO présidé par le Dr Barete) de la Société française de dermatologie (SFD) pour leur soutien dans ce projet.
1. Mittal A, Colegio OR. Skin cancers in organ transplant recipients. Am J Transplant 2017;17:2509-30.
2. Wehner MR, Niu J, Wheless L, Baker LX, Cohen OG, Margolis DJ, et al. Risks of multiple skin cancers in organ transplant recipients: A cohort study in 2 administrative data sets. JAMA Dermatol 2021;157:1447-55.
3. Harwood CA, Toland AE, Proby CM, Euvrard S, Hofbauer GFL, Tommasino M, et al. The pathogenesis of cutaneous squamous cell carcinoma in organ transplant recipients. Br J Dermatol 2017;177:1217-24.
4. Dantal J, Morelon E, Rostaing L, Goffin E, Brocard A, Tromme I, et al. Sirolimus for secondary prevention of skin cancer in kidney transplant recipients: 5-Year Results. J Clin Oncol 2018;36:2612-20.
5. Euvrard S, Morelon E, Rostaing L, Goffin E, Brocard A, Tromme I, et al. Sirolimus and secondary skin-cancer prevention in kidney transplantation. The New England Journal of Medicine 2012;367:329-39.