Nourri de recherches en psychologie sociale, à partir des années 1970, initialement dans le milieu soignant, puis dans d’autres sphères, ce concept souffre d’un manque de consensus dans sa définition. Le terme de « burn out » est largement répandu dans le langage courant sous des acceptions les plus diverses, ce qui entretient une certaine confusion. Il peine à s’individualiser car d’autres entités peuvent entretenir un lien avec le travail, par exemple la dépression avec laquelle il partage de nombreuses caractéristiques.1 Mais dans le cas du burn out le lien avec le travail est essentiel.
Quelques repères chronologiques
À partir des années 1980, le burn out est décrit et étudié dans d’autres sphères que les métiers du soin et s’est peu à peu étendu à toutes les catégories professionnelles, soulevant de nombreuses interrogations quant à la validité de ce concept dans un champ élargi.
Changement de perspective dans les années 1990 avec la psychodynamique du travail,3 qui postule que la souffrance au travail ne se résume pas à un simple effet cumulatif lié aux contraintes inhérentes à l’activité (renvoyant plutôt au concept de « pénibilité ») mais découle de la mise en échec des mécanismes de défense personnels et collectifs (non pathologiques) habituellement mis en place pour « faire avec » l’activité
Des modalités défensives plus radicales (répression, déni de perception, clivage…) sont parfois convoquées pour « tenir » malgré la baisse du sentiment d’accomplissement dans son activité et la perte de sens, menaçant l’intégrité psychique et somatique du sujet. Souvent renforcées par des procédés « auto-calmants » tels que l’activisme ou la consommation de substances, elles entraînent malheureusement le sujet dans une spirale négative, dégradant davantage son rapport à l’activité et l’isolant du collectif.
Qu’observe-t-on en clinique ?
Un ensemble de troubles fonctionnels non spécifiques, dont il faut noter le caractère inhabituel, eu égard au tempérament du sujet, susceptibles d’apparaître simultanément ou successivement, d’aggravation progressive, touchant les sphères affective, cognitive, comportementale et physiologique.
Une rupture dans son rapport subjectif à l’activité professionnelle, en référence à un état antérieur.
Des modalités évolutives caractéristiques au regard de l’activité.
Complications évolutives
– conflits au sein du collectif, passages à l’acte violent auto- ou hétéro-agressifs, désignation en bouc émissaire, licenciement pour faute... ;
– retentissement dans la sphère familiale (rupture du couple, épuisement du conjoint, maltraitance des enfants...) ;
– accidents de santé (accident de travail, de trajet-travail, accès hypertensif, accident vasculaire,4 chute brutale et massive du tonus, addictions, décompensations somatiques ou psychiatriques diverses non spécifiques en fonction de sa structure...)
À toutes les étapes du processus, le risque suicidaire doit être évalué avec soin, même en l’absence de dépression caractérisée car la situation, vécue comme une impasse, peut pousser le sujet qui veut juste que ça s’arrête au raptus imprévisible. Le sujet s’en défend fréquemment, il faut donc être attentif à ses meilleurs prédicteurs comme la difficulté de projection dans un avenir proche, le sentiment de désespoir, de douleur insupportable, d’isolement...
Diagnostic différentiel
Quelle cause ?
L’apparition de nouvelles organisations du travail (à un rythme accéléré dans les années 1980-1990, dépassant les capacités d’adaptation), les diverses déclinaisons du « lean management »***, du concept de « qualité totale », des évaluations individualisées de performance, boostées par l’explosion des technologies de l’information, ont été étudiées pour leurs effets pathogènes sur les collectifs de travail (conflits de rôle, perte de contrôle, ruine de la coopération, altérations du vivre ensemble…) en rendant inopérants les mécanismes de régulation habituels.7
Facteurs de risque, facteurs de protection
Facteurs de risque liés au travail (risques psychosociaux)
Facteurs de risque individuels
Facteurs protecteurs
Quelques repères épidémiologiques
Pour l’interprétation des résultats, il faut tenir compte de la médiatisation croissante du burn out , d’une meilleure sensibilisation des acteurs au repérage mais aussi d’une dégradation constante des conditions de travail. Concernant le cas précis du burn out , on peut s’attendre à une sous-estimation du fait de la posture de déni intrinsèque au phénomène.
Questionner sur le travail
Au vu du caractère protéiforme et non spécifique de la symptomatologie, un entretien clinique classique ne permet pas de poser de manière certaine le diagnostic mais peut établir des hypothèses pour orienter le patient vers les professionnels dont il aura besoin dans son parcours de soins, indispensables pour prévenir la chronicisation et les impasses administratives qui en découlent souvent.
Enfin, il faut rappeler que dans la mesure où le burn out n’est pas référencé dans le système nosographique, il n’est pas recommandé d’utiliser cette terminologie dans les certificats et les formulaires d’arrêt maladie mais plutôt des formulations génériques comme « trouble de l’adaptation » ou « trouble anxio-dépressif ». V
Quelques clés de compréhension du burn out selon la psychodynamique du travail
Nous ne ferons que citer le concept de centralité du travail développé par Christophe Dejours pour rappeler l’importance de l’activité dans la construction identitaire d’un sujet (armature de la santé mentale) tout au long de son existence.3, 7
Il est évident que le choix d’un métier et d’un collectif n’est pas le fruit d’un pur hasard mais s’enracine dans l’histoire du sujet, son éducation, les valeurs qui le structurent... S’accomplir au travail résulte d’un fragile équilibre construit pas à pas autour de différentes notions qu’il est impossible de détailler ici, telles que « travailler », « coopérer » mais aussi « vivre ensemble »... Les gestes de métier, les savoir-faire acquis par des années de pratique, « incorporés » contribuent à façonner en retour notre identité, avec de nombreuses implications dans la sphère personnelle, familiale.9
La souffrance au travail résulte d’une baisse du sentiment d’accomplissement à son travail, conjuguée néanmoins à la nécessité de « tenir » à son poste, pour des raisons économiques évidentes mais aussi parce qu’il n’est parfois pas aisé de renoncer à tout ce que l’on a pu mettre en jeu dans l’activité, sans risquer d’amorcer un processus de crise majeure au plan identitaire.
En santé psychique au travail, le burn out est référencé parmi les « pathologies de surcharge ».
Pour canaliser cette tension psychique croissante qui ne peut plus s’écouler selon les modalités habituellement mises en œuvre dans l’activité, le sujet doit intensifier ses stratégies de défense habituelles, voire recourir à d’autres beaucoup plus coûteuses pour la santé (répression des affects, déni de perception des signaux émis par le corps et l’environnement, clivage...). Celles-ci représentent une véritable menace pour son intégrité psychique (mais aussi physique) et contribuent à dégrader encore davantage son rapport à l’activité et à l’isoler du collectif.
De véritables procédés « auto-calmants », comme s’il s’agissait d’éviter à tout prix l’éclosion de la crise, visent à faire barrage à la douleur psychique, conjurer la peur de perdre son poste ou le sentiment d’insécurité induit par la perception de ressources insuffisantes pour faire face :
— activisme : sorte de fuite en avant qui ne permet plus l’ajustement aux autres dans l’activité, altérant les processus de coopération, négligeant les besoins corporels… ;
— consommation de substances (alcool, médicaments...).
Les six indicateurs de suivi des risques psychosociaux en entreprise.
D’après le rapport Gollac, la réf. 8.
Intensité et complexité du travail : rythmes, objectifs irréalistes, flous, polyvalence, responsabilités, instructions contradictoires et interruption d’activité, sous-qualification, nouvelles technologies, facteurs d’ambiance matérielle.
Temps de travail : durée, organisation, conciliation travail-hors travail.
Exigences émotionnelles : relations avec le public, contact avec la souffrance, devoir cacher ses émotions, peur.
Autonomie : autonomie dans la tâche, prévisibilité du travail, développement culturel, monotonie.
Rapports sociaux : intégration, justice, reconnaissance, relations avec les collègues, avec la hiérarchie, avec l’extérieur, violences internes.
Conflits de valeurs : conflits éthiques, qualité empêchée, travail inutile.
Insécurité de la relation de travail : sécurité de l’emploi, soutenabilité, changements.