Le burn out  (ou syndrome d’épuisement professionnel) n’est pas actuellement référencé comme « maladie » dans les systèmes nosographiques internationaux, mais figure au chapitre 21 de la 10e version de la Classification internationale des maladies (CIM-10), rubrique des « Facteurs influant sur l’état de santé et motifs de recours aux services de santé » sous le code Z73.
Nourri de recherches en psychologie sociale, à partir des années 1970, initialement dans le milieu soignant, puis dans d’autres sphères, ce concept souffre d’un manque de consensus dans sa définition. Le terme de « burn out » est largement répandu dans le langage courant sous des acceptions les plus diverses, ce qui entretient une certaine confusion. Il peine à s’individualiser car d’autres entités peuvent entretenir un lien avec le travail, par exemple la dépression avec laquelle il partage de nombreuses caractéristiques.1 Mais dans le cas du burn out  le lien avec le travail est essentiel.

Quelques repères chronologiques

Les années 1970 représentent pour ce concept une période charnière, à la fois pour lui fournir une assise scientifique (dans la lignée des travaux de recherche sur le stress*) mais aussi pour le lier à la notion d’une dégradation du rapport subjectif au travail.2 Les travaux les plus importants ont été réalisés par Freudenberger puis Maslach, à la suite d’observations dans les métiers du soin. Ils ont donné lieu à un modèle tridimensionnel et séquentiel**, résultant d’un stress cumulatif en lien avec l’activité, et à un outil d’évaluation encore le plus couramment utilisé de nos jours dans les enquêtes épidémiologiques : le Maslach Burnout Inventory (MBI).
À partir des années 1980, le burn out  est décrit et étudié dans d’autres sphères que les métiers du soin et s’est peu à peu étendu à toutes les catégories professionnelles, soulevant de nombreuses interrogations quant à la validité de ce concept dans un champ élargi.
Changement de perspective dans les années 1990 avec la psychodynamique du travail,3 qui postule que la souffrance au travail ne se résume pas à un simple effet cumulatif lié aux contraintes inhérentes à l’activité (renvoyant plutôt au concept de « pénibilité ») mais découle de la mise en échec des mécanismes de défense personnels et collectifs (non pathologiques) habituellement mis en place pour « faire avec » l’activité (v. encadré 1). Ces mécanismes seraient mis à mal en raison de bouleversements trop rapides et délétères de l’organisation du travail, nuisibles à la coopération et à la qualité des collectifs de travail, repérés ici comme facteurs protecteurs de la santé mentale des travailleurs.
Des modalités défensives plus radicales (répression, déni de perception, clivage…) sont parfois convoquées pour « tenir » malgré la baisse du sentiment d’accomplissement dans son activité et la perte de sens, menaçant l’intégrité psychique et somatique du sujet. Souvent renforcées par des procédés « auto-calmants » tels que l’activisme ou la consommation de substances, elles entraînent malheureusement le sujet dans une spirale négative, dégradant davantage son rapport à l’activité et l’isolant du collectif.

Qu’observe-t-on en clinique ?

Voir le tableau 1.
Un ensemble de troubles fonctionnels non spécifiques, dont il faut noter le caractère inhabituel, eu égard au tempérament du sujet, susceptibles d’apparaître simultanément ou successivement, d’aggravation progressive, touchant les sphères affective, cognitive, comportementale et physiologique.
Une rupture dans son rapport subjectif à l’activité professionnelle, en référence à un état antérieur.
Des modalités évolutives caractéristiques au regard de l’activité.

Complications évolutives

Elles vont surgir en cascade en l’absence de repérage précoce et soins appropriés :
– conflits au sein du collectif, passages à l’acte violent auto- ou hétéro-agressifs, désignation en bouc émissaire, licenciement pour faute... ;
– retentissement dans la sphère familiale (rupture du couple, épuisement du conjoint, maltraitance des enfants...) ;
– accidents de santé (accident de travail, de trajet-travail, accès hypertensif, accident vasculaire,4 chute brutale et massive du tonus, addictions, décompensations somatiques ou psychiatriques diverses non spécifiques en fonction de sa structure...)
À toutes les étapes du processus, le risque suicidaire doit être évalué avec soin, même en l’absence de dépression caractérisée car la situation, vécue comme une impasse, peut pousser le sujet qui veut juste que ça s’arrête au raptus imprévisible. Le sujet s’en défend fréquemment, il faut donc être attentif à ses meilleurs prédicteurs comme la difficulté de projection dans un avenir proche, le sentiment de désespoir, de douleur insupportable, d’isolement...

Diagnostic différentiel

D’autres troubles psychiques sont observés en médecine professionnelle (v. tableau 2) dont les modalités de déclenchement et l’évolutivité ne sont pas superposables au burn out , mais peuvent le compliquer ou vice versa.5

Quelle cause ?

Le lien avec l’activité de travail est essentiel mais ne se résume pas à une exposition prolongée à des facteurs de risque. Il apparaît dans les suites d’un changement significatif dans l’organisation du travail. La méthodologie spécifique d’entretien développée dans les consultations spécialisées de souffrance professionnelle5 qui cherche à mettre en perspective l’historique de l’organisation du travail et celle de la dégradation de la santé met en lumière « un avant et un après » dans le rapport subjectif que le sujet entretient avec son activité, avant que les premiers signes de dégradation de sa santé n’apparaissent.
L’apparition de nouvelles organisations du travail (à un rythme accéléré dans les années 1980-1990, dépassant les capacités d’adaptation), les diverses déclinaisons du « lean management »***, du concept de « qualité totale », des évaluations individualisées de performance, boostées par l’explosion des technologies de l’information, ont été étudiées pour leurs effets pathogènes sur les collectifs de travail (conflits de rôle, perte de contrôle, ruine de la coopération, altérations du vivre ensemble…) en rendant inopérants les mécanismes de régulation habituels.7

Facteurs de risque, facteurs de protection

Facteurs de risque liés au travail (risques psychosociaux)

Le rapport8 Gollac les a regroupés en six rubriques considérées comme des indicateurs pertinents de suivi en entreprise (v. encadré 2).#

Facteurs de risque individuels

Des antécédents de dépression, des accidents ou traumatismes antérieurs sont repérés comme des facteurs de vulnérabilité. En revanche, la trajectoire sociale, les ressources extra-professionnelles, les traits de person- nalité sont plus délicats à interpréter : ils peuvent représenter, selon les sujets et le contexte, des facteurs de vulnérabilité ou d’adaptabilité. Il est d’ailleurs souvent repéré dans les situations cliniques que certaines dispositions subjectives mises au service de l’activité et initialement valorisées, façonnant le style personnel et parfois le talent, véritables moteurs de l’engagement, deviennent a contrario des facteurs de vulnérabilité à la faveur de réorganisations significatives de l’activité.9

Facteurs protecteurs

Bien sûr, il faut citer la qualité du collectif de travail et notamment : la préservation des espaces de délibération sur les critères d’exécution du travail##,10 la qualité des régulations institutionnelles qui garantissent la cohérence du système de production, la protection des travailleurs et préservent les postures éthiques… Mais aussi le soutien social, au sein du collectif de travail notamment entre pairs, comme dans la sphère personnelle…

Quelques repères épidémiologiques

Il ne peut s’agir que d’approximation, en l’absence de consensus sur la définition et les modalités de repérage. Selon un programme français dont les données sont recueillies par les services de santé au travail### :11 la souffrance psychique en lien avec le travail arriverait en deuxième position, après les troubles de l’appareil locomoteur et son taux de prévalence a augmenté pendant la période d’étude. La probabilité de signalement d’une souffrance psychique en lien avec le travail augmente avec l’âge, avec la catégorie sociale (plus élevée chez les cadres), le secteur d’activité jouant, lui, un rôle moins important.
Pour l’interprétation des résultats, il faut tenir compte de la médiatisation croissante du burn out , d’une meilleure sensibilisation des acteurs au repérage mais aussi d’une dégradation constante des conditions de travail. Concernant le cas précis du burn out , on peut s’attendre à une sous-estimation du fait de la posture de déni intrinsèque au phénomène.

Questionner sur le travail

Le repérage du burn out  est souvent tardif, au stade des complications. Il est évident qu’il ne faut guère espérer de la part du sujet, dans le déni des risques encourus, une demande d’aide spontanée en amont de l’effondrement. De fait, le repérage est délicat en visite de routine de la médecine professionnelle. L’entourage professionnel ou personnel a donc un rôle majeur à jouer dans l’incitation à consulter. Mais du côté des professionnels de santé, penser à questionner systématiquement le travail, même devant une situation de crise dans la sphère personnelle, ne va pas encore de soi.
Au vu du caractère protéiforme et non spécifique de la symptomatologie, un entretien clinique classique ne permet pas de poser de manière certaine le diagnostic mais peut établir des hypothèses pour orienter le patient vers les professionnels dont il aura besoin dans son parcours de soins, indispensables pour prévenir la chronicisation et les impasses administratives qui en découlent souvent.
Enfin, il faut rappeler que dans la mesure où le burn out  n’est pas référencé dans le système nosographique, il n’est pas recommandé d’utiliser cette terminologie dans les certificats et les formulaires d’arrêt maladie mais plutôt des formulations génériques comme « trouble de l’adaptation » ou « trouble anxio-dépressif ». V
* Pour mémoire, le stress est considéré comme un déséquilibre entre les exigences environnementales et les ressources pour y faire face. Voir les travaux de Selyes. ** Triade classique : épuisement émotionnel, cynisme vis-à-vis du travail, diminution de l’accomplissement personnel au travail.*** Tente de rationaliser au plus près les moyens de production et de les ajuster en temps réel aux lois et fluctuations du marché, le « toujours plus, toujours mieux » étant le mot d’ordre des organes chargés de la rentabilité et de la qualité. # Rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, faisant suite à la demande du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé.## Expression des conflits de critères d’exécution du travail, pour ne pas assumer seul les contradictions inhérentes à l’activité (P. Davezies). ### Le programme de surveillance des maladies à caractère professionnel.
Encadre

Quelques clés de compréhension du burn out selon la psychodynamique du travail

Nous ne ferons que citer le concept de centralité du travail développé par Christophe Dejours pour rappeler l’importance de l’activité dans la construction identitaire d’un sujet (armature de la santé mentale) tout au long de son existence.3, 7

Il est évident que le choix d’un métier et d’un collectif n’est pas le fruit d’un pur hasard mais s’enracine dans l’histoire du sujet, son éducation, les valeurs qui le structurent... S’accomplir au travail résulte d’un fragile équilibre construit pas à pas autour de différentes notions qu’il est impossible de détailler ici, telles que « travailler », « coopérer » mais aussi « vivre ensemble »... Les gestes de métier, les savoir-faire acquis par des années de pratique, « incorporés » contribuent à façonner en retour notre identité, avec de nombreuses implications dans la sphère personnelle, familiale.9

La souffrance au travail résulte d’une baisse du sentiment d’accomplissement à son travail, conjuguée néanmoins à la nécessité de « tenir » à son poste, pour des raisons économiques évidentes mais aussi parce qu’il n’est parfois pas aisé de renoncer à tout ce que l’on a pu mettre en jeu dans l’activité, sans risquer d’amorcer un processus de crise majeure au plan identitaire.

En santé psychique au travail, le burn out est référencé parmi les « pathologies de surcharge ».

Pour canaliser cette tension psychique croissante qui ne peut plus s’écouler selon les modalités habituellement mises en œuvre dans l’activité, le sujet doit intensifier ses stratégies de défense habituelles, voire recourir à d’autres beaucoup plus coûteuses pour la santé (répression des affects, déni de perception des signaux émis par le corps et l’environnement, clivage...). Celles-ci représentent une véritable menace pour son intégrité psychique (mais aussi physique) et contribuent à dégrader encore davantage son rapport à l’activité et à l’isoler du collectif.

De véritables procédés « auto-calmants », comme s’il s’agissait d’éviter à tout prix l’éclosion de la crise, visent à faire barrage à la douleur psychique, conjurer la peur de perdre son poste ou le sentiment d’insécurité induit par la perception de ressources insuffisantes pour faire face :

— activisme : sorte de fuite en avant qui ne permet plus l’ajustement aux autres dans l’activité, altérant les processus de coopération, négligeant les besoins corporels… ;

— consommation de substances (alcool, médicaments...). 

Encadre

Les six indicateurs de suivi des risques psychosociaux en entreprise.

D’après le rapport Gollac, la réf. 8.

Intensité et complexité du travail : rythmes, objectifs irréalistes, flous, polyvalence, responsabilités, instructions contradictoires et interruption d’activité, sous-qualification, nouvelles technologies, facteurs d’ambiance matérielle.

Temps de travail : durée, organisation, conciliation travail-hors travail.

Exigences émotionnelles : relations avec le public, contact avec la souffrance, devoir cacher ses émotions, peur.

Autonomie : autonomie dans la tâche, prévisibilité du travail, développement culturel, monotonie.

Rapports sociaux : intégration, justice, reconnaissance, relations avec les collègues, avec la hiérarchie, avec l’extérieur, violences internes.

Conflits de valeurs : conflits éthiques, qualité empêchée, travail inutile.

Insécurité de la relation de travail : sécurité de l’emploi, soutenabilité, changements.

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Résumé

Cette mise au point précise les caractéristiques cliniques et évolutives du burn out. La compréhension de sa genèse et la connaissance de ses particularités évolutives sont indispensables tant pour les efforts en matière de prévention primaire que pour un repérage le plus précoce possible, gage d’un pronostic clinique plus favorable et d’une prévention de la rupture en termes d’insertion professionnelle.