« Dans la province de l’esprit, ce que l’on croit être vrai peut être vrai ou devenir vrai dans certaines limites à rechercher empiriquement et expérimentalement. Ces limites ne sont que d’autres croyances à transcender. Dans l’esprit, il n’y a pas de limites. » Cette citation de John C. Lilly, neuro-scientifique ayant effectué des études sur les caissons d’isolation sensorielle, souligne à quel point nos croyances et notre perception de la réalité peuvent être trompées par des illusions sensorielles.1 Un média devenu récemment grand public et intitulé « réalité virtuelle » est un ensemble de matériel technologique offrant aux individus la possibilité d’interagir efficacement et en temps réel avec un environnement tridimensionnel géré par ordinateur, et cela à l’aide de leurs compétences et de leur sens naturels.2 Ce matériel immersif, constitué généralement d’un casque de vision stéréoscopique ou visiocasque qui comporte un écran haute définition placé devant les yeux et couplé à un traqueur de position connecté à un ordinateur PC, permet aux utilisateurs non seulement de voir ou d’entendre dans toutes les directions d’un environnement virtuel en trois dimensions (3D) mais également d’interagir en temps réel avec ce dernier (fig. 1 et 2). L’univers sensoriel recréé (plage tropicale en 3D, rat artificiel, ascenseur de synthèse, etc.) et sa réactivité donnent l’illusion à l’utilisateur qu’il se trouve dans la réalité, et il va agir de façon similaire à des situations bien réelles. Cette similitude dans les réactions de l’utilisateur a une grande valeur écologique et de facto thérapeutique dans un cadre médico-psychiatrique.

Plus souple que l’exposition

Depuis plus de deux décennies, la possibilité de créer n’importe quelle situation par ordinateur et d’y plonger un individu exploitant ce média est donc utilisée pour traiter, en psychiatrie, les troubles anxieux en reprenant les principes d’exposition in vivo aux lieux anxiogènes de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC). Le principe repose sur la substitution des stimulus artificiellement créés et contrôlés dans un environnement virtuel à la réalité (phobogène, anxiogène ou au contraire apaisante). Cette procédure thérapeutique est désignée sous le terme de thérapie par exposition à la réalité virtuelle (TERV ou VRET en anglais). Elle vise, à travers la confrontation virtuelle, à l’extinction de la peur et la reconceptualisation des pensées comme la TCC traditionnelle mais dans un environnement nettement plus souple et plus contrôlable que la réalité. En effet, au cours de l’exposition en réalité virtuelle où le patient peut voir inter alia avion et cabine en 3D, conduite sur une autoroute de synthèse, traversée d’un pont virtuel, présence de sang digital, le médecin peut déclencher n’importe quel événement significatif pour moduler la difficulté de la situation dans un but de progression personnalisée du traitement. Par exemple, cela peut être les turbulences subies par l’avion virtuel, un embouteillage survenant sur l’autoroute de synthèse, la disparition des rambardes du pont 3D, le chien artificiel agressif, le sang texturé devenant d’un rouge plus vif. Tous ces événements peuvent donc être répétés ad infinitum dans un but d’apprentissage et se dérouler entièrement dans une structure de soins permettant un gain de temps significatif (accompagner un patient dans un vrai avion est difficile à organiser).

Indications et résultats

La thérapie par exposition à la réalité virtuelle est donc indiquée dans les différents types de troubles anxieux comme les phobies les plus notables telles que la peur de prendre l’avion, la peur de conduire, la claustrophobie, la peur des hauteurs, la phobie sociale et l’agoraphobie, et les phobies plus rares (peur de vomir, peur des chiens, des rats, des oiseaux, de la mer, du feu, etc.).3 Mentionnons également le trouble anxieux généralisé qui demande des environnements virtuels apaisants, les troubles obsessionnels-compulsifs* (situation virtuelle comportant des lieux et des objets sales) et le stress post-traumatique*.4 Les contre-indications les plus absolues sont l’épilepsie photosensible (de 60 à 120 Hz), l’épisode psychotique aigu et tous les types de délires non traités.
Il y a, à présent, 27 années de recul en termes d’études cliniques et de publications sur les effets de la TERV, et la majorité des centaines d’études relevées par les méta-analyses attestent d’une efficacité significative (même à moyen terme) dans le traitement de différents troubles anxieux sur la plupart des sujets testés.5

Une technique qui va être de plus en plus accessible

En outre, la commercialisation massive de ces technologies a fait baisser leur coût, les mettant à la portée des hôpitaux, des laboratoires, des cliniques et des médecins exerçant en cabinet. En 2019, en France, plus de 400 thérapeutes (médecins et psychologues confondus) proposent cette forme de thérapie, et des sites de référencement accessibles aux patients existent comme « phobie.com ». Plusieurs centres dans le monde proposent des formations dans les TERV pour les médecins dont le centre hospitalier universitaire de la Conception à Marseille. Concernant les équipements et visiocasques, des modèles sont distribués sur le marché général par les grandes marques. Citons par exemple HTC Vive Cosmos ou Oculus Rift S. Pour la partie logicielle, plusieurs sociétés proposent aux professionnels des environnements virtuels clés en main et prêts à l’emploi pour le traitement des troubles mentaux de leurs patients (comme les sociétés C2Care, In Virtuo, NeuroVR, Virtually Better, etc.).
Les limites de la thérapie par exposition à la réalité virtuelle sont le cybermalaise ou mal du simulateur survenant chez certains patients, et le caractère innovant du support qui ne bénéficie pas encore d’actes codifiés. Le futur de cette forme de thérapie concerne l’élargissement des indications, le contrôle à distance de la thérapie par le médecin pour les patients qui disposent de visiocasque au domicile et la création de contenus par les médecins et les patients eux-mêmes devenant alors des « makers » de ce xxie siècle fascinant. 
* Le trouble obsessionnel-compulsif et le syndrome de stress post-traumatique sont ici mentionnés à titre informatif car, depuis le DSM-5, ils ne font plus partie des troubles anxieux.
Références
1. Lilly JC. The Deep self: the tank method of physical isolation. New York: Simon and Schuster, 1997:p. 5.
2. McCloy R, Stone R. Science, medicine and the future : virutal reality in surgery. BMJ 2001;323:912-5.
3. Malbos E, Boyer L, Lançon, C. L’utilisation de la réalité virtuelle dans le traitement des troubles mentaux. Presse Med 2013;42:1432-41.
4. Malbos E. Virtual reality in exposure therapy: the next frontier. In: Mental Health in the digital age. Aboujaoude E & Starcevic V (eds.). New York: Oxford University Press, 2015:220-37.
5. Valmaggia LR, Latif L, Kempton MJ, Rus-Calafell M. Virtual reality in the psychological treatment for mental health problems: a systematic review of recent evidence. Psychiatry Res 2016;236:189-95.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés