Chez le nourrisson, les régimes inadaptés consistent à administrer une autre boisson en remplacement du lait maternel ou du lait infantile, et/ou à diversifier l’alimentation selon des principes végétariens ou végétaliens. Dans un autre registre, cela consiste parfois à instaurer des restrictions pour des intolérances ou des allergies alimentaires suspectées, devant des troubles digestifs bénins ou le résultat de tests biologiques non validés.

Quels sont les régimes inadaptés ?

Qu’il s’agisse des jus végétaux, des régimes végétariens ou encore végétaliens, la santé du nourrisson est en jeu.

Les jus végétaux sources de graves complications

Nous assistons ces dernières années à un regain d’intérêt pour de tels produits. La composition de ces jus végétaux, souvent improprement appelés « laits », à base d’amande, de châtaigne, de soja, de riz, d’avoine, de noisette, etc., ne répond pas aux normes établies par la législation européenne (2006/141/EC) ou nord-américaine. Cette composition est rarement précisée sur l’étiquetage ou est très incomplète ; elle est toujours inadéquate en macro- et/ou micronutriments, qui s’y trouvent soit en excès, soit en défaut (tableau 1).
Ces boissons sont souvent vendues dans des magasins « bio » ou sur Internet, dans des contenants rappelant ceux des préparations infantiles, laissant penser qu’ils sont adaptés aux nourrissons. Ils séduisent certains parents par leur caractère « naturel » référant à une bonne santé. De plus, les allégations « bio » ou « sans huile de palme », souvent associées, influencent positivement certaines familles.
La consommation de ces boissons par un nourrisson peut être responsable de complications graves, mettant parfois en jeu son pronostic vital.1 Dans la littérature, indépendamment des ralentissements staturo-pondéraux secondaires à la prise de ces boissons, hypocaloriques pour un nourrisson, de véritables cas de rachitisme carentiel, de convulsions sur hypocalcémie ou encore d’anémies sévères sont décrits. Quelques décès sont rapportés chez des nourrissons dont la consommation a été précoce, exclusive et prolongée.
Il est souvent difficile de persuader les parents de renoncer à ces jus végétaux. Quoi qu’il en soit il faut proposer des alternatives végétales adaptées, sous forme de « préparation infantile » à base de riz.

Régimes végétariens : diverses carences notamment en fer

L’alimentation végétarienne exclut tout type de viande, produits dérivés de la viande (charcuterie, saucisses, etc.), poissons, mollusques et crustacés. On distingue plusieurs types de régimes végétariens : le lacto-ovo-végé­tarisme autorise la consommation de produits laitiers et des œufs, alors que le lacto-végétarisme exclut les œufs et que l’ovo-végétarisme interdit les produits laitiers.
Un régime végétarien expose à plusieurs carences (tableau 2) nutritionnelles dont la principale est la carence en fer. L’alimentation des enfants végétariens contient des quantités identiques, voire plus importantes, de fer ; cependant la biodisponibilité du fer des végétaux (2-5 %) est très inférieure à celle du fer héminique des produits carnés (20-50 %).2 Bien que la littérature fasse état de résultats parfois discordants, en termes de carences martiales et d’anémies secondaires dans cette tranche d’âge, il convient d’être vigilant et de ne pas hésiter à doser la ferritinémie des nourrissons végétariens.
De plus, les enfants végétariens sont exposés à une carence en acides gras polyinsaturés à longues chaînes de type EPA (acide eicosapentaénoïque) et DHA (acide docosahexaénoïque) dont la source principale sont les produits de la mer. Les seules sources alimentaires possibles chez les végétariens sont les algues. Chez les nourrissons qui ne consomment pas de préparation infantile (désormais systématiquement supplémentées en DHA), les repas salés doivent être enrichis avec des huiles végétales riches en oméga 3 (colza, noix, soja), l’acide α-linolénique (ALA) permettant la synthèse d’une petite quantité de DHA. À partir de l’âge d’un an, une supplémentation de 100 mg/j d’algues est préconisée.
Les taux de vitamine D dépendent quant à eux de l’exposition solaire et des supplémentations. Les apports alimentaires proviennent quasi exclusivement des poissons gras et des produits supplémentés. Les enfants végétariens font donc partie des populations à risque de déficit et doivent être supplémentés tout au long de l’année.

Régime végétalien : dans quels cas supplémenter en vitamine B12 et en calcium ?

Dans le régime végétalien, fortement déconseillé à l’âge pédiatrique3, tous les produits carnés, laitiers, de la mer, les œufs et le miel sont exclus de l’alimentation. En plus des carences (tableau 2) induites par ce type de régime, le végétalisme expose le nourrisson à un déficit en calcium et vitamine B12 .
La vitamine B12 est quasi exclusivement présente dans les produits d’origine animale. Elle est absente des végétaux, sauf de certaines algues ou champignons, mais sa biodisponibilité est souvent faible et varie selon les espèces. Les femmes végétaliennes depuis plusieurs années, non ou peu supplémentées, exposent leurs nourrissons à une carence en vitamine B12 en cas d’allaitement maternel exclusif. Plusieurs cas d’anémie et de retard du développement ont été décrits chez le nourrisson.4 Supplémenter la femme végétalienne allaitante est donc indispensable.
Une revue systématique a mis en évidence qu’une carence en vitamine B12 pouvait atteindre jusqu’à 45 % des nourrissons végétaliens non allaités.5 Ceux-ci doivent donc recevoir une supplémentation en vitamine B12 s’ils ne consomment pas une formule infantile à base de riz. Le contenu en vitamine B12 de ces préparations infantiles est en effet suffisant pour assurer les besoins de ces enfants.
Concernant la carence en calcium, l’enfant allaité par une mère végétalienne consommant différents végétaux n’y est pas exposé car elle puise le calcium dans ses os pour enrichir son lait. Chez le nourrisson non allaité, les apports en calcium reposent principalement sur la consommation de formules infantiles à base de riz, car, à l’inverse, la consommation de jus végétaux peut entraîner des hypocalcémies majeures. Après la diver­sification, dès que les volumes de préparations infantiles bus deviennent insuffisants pour assurer les besoins en calcium, une supplémentation est nécessaire.

Fausses allergies : intérêt du diagnostic différentiel

Le syndrome de Lucie Frey, l’intolérance à l’histamine ou à la tyramine, et la scombroïdose ne sont pas des allergies alimentaires.

Le syndrome de Lucie Frey disparaît en général avant 2 ans

Il se manifeste par un flush unilatéral et une chaleur, avec parfois un prurit, de la commissure labiale à l’oreille (fig. 1). Déclenché par des aliments acides ou sucrés (comme la compote de pommes), il est dû à une neuro­pathie végétative, secondaire à une lésion du nerf auriculo-temporal, le plus souvent post-traumatique (naissance par voie basse instrumentale).6 Les symptômes disparaissent dans la majorité des cas avant 2 ans.

L’intolérance à l’histamine atteint surtout les adultes

Elle peut s’observer après la consommation de certains aliments riches en histamine ou qui favorisent la libération mastocytaire d’histamine chez des sujets prédisposés, par diminution de l’activité enzymatique de la diamine oxydase (causes : idiopathique, maladie cœliaque, gastroentérite aiguë, urticaire chronique, hépatite virale, maladie inflammatoire chronique de l’intestin, iatrogène…). La prévalence est de 1 % dans le monde, dont 80 % d’adultes. Les symptômes miment ceux d’une allergie IgE-médiée mais les patients ne sont pas sensibilisés par des IgE spécifiques. Les aliments en cause sont les fruits (fraise, tomate, agrumes, banane, ananas, papaye…), les légumes (aubergine, épinard, légumineuses…), les fromages fermentés, le blanc d’œuf cru, la charcuterie, les poissons (thon, sardine, anchois…), la choucroute, le chocolat et les alcools (liste non exhaustive).

L’intolérance à la tyramine, cliniquement proche de l’intolérance à l’histamine

Les aliments riches en tyramine, autre amine biogène, sont le chocolat, les fromages, les poissons (marinés, en conserve, fumés), les fruits (avocat, figue, raisin…), les légumes (tomate, chou-fleur, pomme de terre…), la levure de bière, et les vins. L’histamine et la tyramine peuvent également être produites de manière endogène, par fermentation bactérienne colique, en particulier chez les sujets constipés. Les réactions sont le plus souvent bénignes, mais des formes plus sévères ont été décrites. La démarche diagnostique repose sur l’enquête alimentaire et éventuellement le dosage des IgE spécifiques, pour éliminer une allergie alimentaire. La cuisson des aliments ne modifie pas les symptômes. La prise en charge consiste en un régime pauvre en histamine et/ou tyramine, non strict et temporaire ; ce régime ne doit pas entraîner d’évictions alimentaires larges.7, 8

La scombroïdose cliniquement plus sévère

L’intoxication histaminique, ou scombroïdose, survient chez des sujets sains, sans sensibilité particulière à l’histamine, lors de la consommation d’une quantité importante d’histamine contenue dans des poissons qui ont été mal conservés. Les patients développent alors des symptômes mimant une allergie, et pouvant aller jusqu’au choc. La prise en charge est symptomatique (antihistaminique, voire adrénaline intramusculaire).9

Qu’en est-il des tests de dépistage des intolérances alimentaires ?

Les tests de dépistage des intolérances alimentaires, via le dosage des IgG-anti-aliments (fig. 2), peuvent être réalisés avec ou sans prescription médicale. Ils coûtent de 79 € à 500 € selon le nombre d’aliments testés, ne sont pas remboursés, et sont commercialisés en France sans autorisation de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Ils sont vivement déconseillés par les sociétés savantes d’allergologie.10 Les parents disent que leurs enfants se sentent mieux lorsqu’ils suivent le régime d’éviction guidé par ce test. Pourtant, il n’existe aucune preuve de la fiabilité ou de la reproductibilité de ce dernier. Aucune étude n’a prouvé le lien de causalité entre la positivité des IgG anti-aliments et les symptômes digestifs ou extradigestifs que les patients décrivent.10
Les évictions alimentaires peuvent améliorer le confort digestif par plusieurs mécanismes. Le lactose, le gluten et plus généralement les FODMAPs (Fermentable Oligo-, Di-, Monosaccharides And Polyols) peuvent provoquer des douleurs abdominales, ballonnements et gaz par fermentation colique. On peut également supposer que l’éviction de certains aliments riches en histamine ou en tyramine améliore les symptômes, qui sont variés. Enfin, un changement de régime peut influencer la composition du microbiote intestinal et améliorer le ressenti. Mais dans tous les cas les IgG anti-aliments ne seraient pas en cause. Après avoir expliqué ces différents éléments aux familles, il convient de veiller à ce que le régime alimentaire de l’enfant soit le moins restreint possible et qu’aucune carence nutritionnelle ne survienne.

Impliquer les professionnels de santé

Les régimes alimentaires doivent être supervisées par les professionnels de santé, afin d’éviter des évictions inutiles, et de veiller à ce qu’aucune carence nutritionnelle ne survienne chez des enfants en cours de croissance. 
Encadre

Distinguer allergies et sensibilisation

On observe de plus en plus de régimes restrictifs motivés par de supposées allergies alimentaires.

Pour mémoire, on distingue deux types d’allergies alimentaires, dont le diagnostic est clinique :

– les allergies IgE-médiées (urticaire, angiœdème, rhinoconjonctivite, bronchospasme, vomissements, douleur abdominale, voire anaphylaxie dans les 2 heures qui suivent l’ingestion d’un aliment) ;

– les allergies non IgE-médiées (réaction retardée de quelques heures ou jours à type d’eczéma, diarrhée, régurgitations, retard de croissance).

Dans l’allergie IgE médiée, des prick-tests et/ou un dosage des IgE spécifiques peuvent contribuer au diagnostic car il s’agit d’une réaction immunitaire spécifique. Dans l’allergie non IgE-médiée, les tests allergologiques ne sont pas contributifs et sont donc inutiles ; le diagnostic repose sur l’épreuve d’éviction-réintroduction au cours d’une période de 2 à 4 semaines. Elle permet de vérifier la réduction des symptômes puis leur récidive.

La sensibilisation est définie par la présence d’IgE spécifiques sériques, sans réaction allergique associée. Le dosage des IgE (spécifiques ou Trophatop) n’a pas d’intérêt en l’absence de symptôme d’allergie immédiate.

Références
1. Lemale J, Salaun JF, Assathiany R, Garcette K, Peretti N, Tounian P. Replacing breastmilk or infant formula with a nondairy drink in infants exposes them to severe nutritional complications. Acta Paediatr 2018;107:1828-9.
2. Tounian P, Chouraqui JP. Iron in nutrition. Arch Pediatr. 2017;24:5S23-5S31.
3. Lemale J, Mas E, Jung C, Bellaiche M, Tounian P. Vegan diet in children and adolescents. Recommendations from the French-speaking Pediatric Hepatology, Gastroenterology and Nutrition Group (GFHGNP). Arch Pediatr. 2019;26:442-50.
4. Roed C, Skovby F, Lund AM. Severe vitamin B12 deficiency in infants breastfed by vegans. Ugeskr Laeger. 2009;171:3099-101.
5. Pawlak R, Lester SE, Babatunde T. The prevalence of cobalamin deficiency among vegetarians assessed by serum vitamin B12: a review of literature. Eur J Clin Nutr. 2014;68:541-8.
6. Blanc S, Bourrier T, Boralevi F, Sabouraud-Leclerc D, Pham-Thi N, Couderc L, et al. Frey Syndrome. J Pediatr 2016;174:211-7.e2.
7. Hrubisko M, Danis R, Huorka M, Wawruch M. Histamine intolerance— the more we know the less we know. A review. Nutrients 2021;13:2228.
8. Nazar W, Plata-Nazar K, Sznurkowska K, Szlagatys-Sidorkiewicz A. Histamine intolerance in children: A narrative review. Nutrients 2021;13:1486.
9. Sanchez-Guerrero IM, Vidal JB, Escudero AI. Scombroid fish poisoning: A potentially life-threatening allergic-like reaction. J Allergy Clin Immunol 1997;100:433–4.
10. Chabane H, Doyen V, Bienvenu F, Adel-Patient K, Vitte J, Mariotte D, et al. Les dosages d’IgG anti-aliments : méthodes et pertinence clinique des résultats. Position du groupe de travail de biologie de la Société Française d’Allergologie. Rev Fr Allergol 2018:334-57.

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Résumé

La mise en place, par les familles, de régimes d’évictions, plus ou moins larges, de certains aliments pour leurs nourrissons est un problème croissant depuis quelques années. Indépendamment de certaines croyances parentales, ces régimes sont également souvent destinés à traiter des troubles digestifs bénins ou des allergies alimentaires supposées. Chez le jeune enfant, ces régimes qu’ils soient végétariens, végétaliens ou reposant sur des tests allergologiques inadaptés et non encadrés par des professionnels de santé, peuvent conduire à des complications nutritionnelles parfois graves, engageant le pronostic vital. Il est donc important de dépister d’éventuelles carences, de les traiter et de reprendre, idéalement après explications à la famille, un régime le moins restreint possible.