EURO-ENDO est un registre créé en 2018 pour préciser les caractéristiques épidémiologiques, cliniques, bactériologiques, diagnostiques et pronostiques de l’endocardite infectieuse (EI). Initialement conçu pour être un registre européen, il est rapidement devenu un registre mondial. Plus de 3 000 patients ont été inclus à travers le monde, dont 2 470 patients dans 27 pays européens, et 646 patients dans 13 pays en dehors de l’Europe, constituant ainsi la plus grande base de données jamais obtenue sur cette pathologie.
Ses objectifs principaux étaient d’évaluer la mortalité hospitalière et à un an des endocardites. Ses autres objectifs étaient de préciser les caractéristiques de l’EI, et de juger si les recommandations européennes (celles de 2015 à l’époque)1 étaient correctement appliquées. La méthodologie et les principaux résultats de ce registre ont été rapportés en 2019.2,3 Plusieurs études ancillaires ont été récemment publiées.4-10 Ces différents travaux éclairent sur ce qu’est l’endocardite infectieuse en 2023.

Épidémiologie : surtout chez l’homme âgé

Les endocardites sur valve native représentent actuellement seulement 57 % de l’ensemble des EI. On note une nette augmentation des EI sur matériel intra­cardiaque : 30 % pour les EI sur prothèses valvulaires et 10 % pour les EI sur pacemaker ou défibrillateur.
Les EI restent plus fréquentes chez les hommes (69 % des cas) et s’observent chez des patients de plus en plus âgés (46 % des patients ont plus de 65 ans, 12 % ont plus de 80 ans). Cela s’explique par le vieillissement global de la population, la fréquence des valvulopathies dégénératives et l’augmentation du nombre des patients porteurs de matériel intracardiaque.

Bactériologie : staphylocoques prédominants

L’évolution de la microbiologie de l’EI est également frappante. Dans EURO-ENDO, les staphylocoques sont largement prédominants, représentant plus de 40 % des cas (fig. 1). Les entérocoques sont également en grande augmentation par rapport aux anciens registres (16 % de l’ensemble des EI) probablement en partie à cause du vieillissement de la population, alors que les streptocoques oraux ne constituent plus que 12 % de l’ensemble des EI. Cette profonde modification de la microbiologie de l’EI est rassurante en matière de prophylaxie. En effet, les recommandations de 2009 et 2015 ont fortement réduit l’indication de la prophylaxie anti­biotique, et on aurait donc pu craindre une augmentation de l’incidence des EI streptococciques, ce qui n’a pas du tout été le cas, justifiant a posteriori ces restrictions.

Imagerie : évolution des techniques utilisées

Les techniques d’imagerie utilisées dans l’endocardite infectieuse ont également évolué. Outre l’échocardiographie qui, avec les hémocultures, constitue toujours la base du diagnostic de l’EI, d’autres techniques d’imagerie ont trouvé leur place, incluant le scanner cardiaque et surtout l’imagerie nucléaire.
La tomographie par émission de positons au fluoro­désoxyglucose (18F) couplée à la tomodensitométrie (TEP-CT) est certainement la méthode la plus prometteuse. Cette technique, qui mesure l’activité métabolique d’un organe, ajoute une donnée fonctionnelle aux données d’imagerie apportées par l’échocardiographie et le scanner, et fait maintenant partie des critères diag­nostiques majeurs de l’EI.1 Le TEP-CT est également utile pour la détection des embolies ou infections métastatiques et pour la détection de lésions néoplasiques, particulièrement coliques, qui peuvent être à l’origine de l’EI.
Dans le registre EURO-ENDO, si l’échocardiographie reste la technique la plus fréquente (90 % des cas), le scanner (53 % des cas) et le TEP-scanner (17 % des cas) sont de plus en plus fréquemment utilisés, particulièrement dans les cas douteux ou en cas d’EI sur prothèse valvulaire, la sensibilité de cet examen étant la plus élevée dans cette catégorie d’EI.

Pronostic : gravité persistante

La gravité de l’EI, avec une mortalité hospitalière autour de 20 % a été confirmée dans EURO-ENDO. Si les progrès thérapeutiques ont été considérables ces dernières années, les patients à traiter sont de plus en plus âgés et présentent des formes plus complexes de la pathologie. La gravité de l’EI reste donc toujours aussi importante au fil des ans.

Complications : cardiaques et extracardiaques

Les trois principales complications cardiaques de l’EI sont, sans surprise, dans le registre EURO-ENDO, l’insuffisance cardiaque due aux délabrements valvulaires causés par l’infection (14,1 % des cas), les événements emboliques liés à la migration des végétations (20,6 % des cas) et les abcès périvalvulaires (observés dans 6,2 % des cas).
Les complications extracardiaques sont les hémorragies cérébrales (2,5 % des cas), les spondylodiscites (4,7 % des cas), les anévrysmes mycotiques (1,9 % des cas) et l’insuffisance rénale (17,7 % des cas).

Traitement : antibiothérapie prolongée et chirurgie pour la moitié des patients

Le traitement de l’EI combine une antibiothérapie adaptée et prolongée et une prise en charge chirurgicale dans la moitié des cas. C’est ce qui est observé dans le registre EURO-ENDO, dans lequel 51,2 % des patients ont bénéficié d’une intervention chirurgicale cardiaque durant leur hospitalisation. Les principales indications conduisant à la chirurgie étaient l’insuffisance cardiaque dans 46,3 % des cas, un risque embolique élevé dans 32,1 % des cas et une infection mal contrôlée par le traitement antibiotique dans 64,2 % des cas.
Une des informations importantes du registre EURO-­ENDO est que la chirurgie est globalement insuffisamment utilisée. Si plus de 50 % des patients ont été opérés, 69,3 % avaient une indication chirurgicale théorique ; ils n’ont finalement pas tous été opérés. La figure 2 montre que ce sont ces patients qui avaient une indication chirurgicale finalement non opérés qui présentent le plus mauvais pronostic. La mortalité hospitalière est de 17,1 % dans le registre EURO-ENDO, mais elle est de l’ordre de 35 % dans ce sous-groupe, soulignant à nouveau le rôle majeur de la combinaison d’un traitement antibiotique adapté et d’une chirurgie précoce dans l’EI.

Résultats d’études ancillaires du registre EURO-ENDO

Après la publication initiale du registre,2,3 plusieurs études ancillaires viennent d’être publiées,4-10 dévoilant d’autres aspects de cette pathologie.

Endocardites infectieuses et cancers

Selon cette étude,4 les cancers sont fréquemment associés à l’EI, soit parce qu’elle survient chez un patient déjà fragilisé par une néoplasie, soit parce que le bilan pratiqué dans le cadre de l’EI est l’occasion de découvrir une néoplasie jusqu’alors inconnue. Dans ce sens, la pratique d’un body scanner et surtout d’un TEP-scanner est un grand progrès pour le dépistage d’une néoplasie chez les patients atteints d’une EI. Dans le registre EURO-­ENDO, une néoplasie est observée dans 11,6 % des IE, et associée à un plus mauvais pronostic (lire « Endocardites infectieuses et cancers : résultats du registre EURO-­ENDO » page 664).

Endocardite infectieuse chez les sujets âgés

Cette étude5 montre que les patients de plus de 80 ans sont nombreux parmi les personnes atteintes d’EI. Sa principale conclusion est que, même si le pronostic des patients de plus de 80 ans est plus mauvais que celui des plus jeunes, lorsqu’une intervention chirurgicale est possible, le pronostic reste excellent, soulignant encore l’importance d’une chirurgie précoce, même chez les sujets très âgés.

Influence du niveau socio-économique

Dans cette étude6 très instructive, le niveau socio-économique, plus que la région où l’EI apparaît, est prédictif de l’évolution de la maladie. Les patients de faible niveau socio-économique (définition fondée sur la stratification selon la Banque mondiale) sont plus jeunes que les autres patients mais présentent un diagnostic plus tardif, un taux plus faible de chirurgie et, finalement, un plus mauvais pronostic malgré leur jeune âge.

Influence de la négativité des hémocultures

Les EI à hémocultures négatives restent relativement fréquentes, surtout dans les pays en développement, et représentent 16,8 % des EI dans le registre EURO-ENDO. Elles sont associées à un diagnostic plus tardif et à une mortalité plus élevée, soulignant l’importance d’un diag­nostic précoce par des hémocultures répétées avant toute prescription d’antibiotiques, lorsqu’une EI est suspectée.7

Endocardites infectieuses récurrentes

Bien qu’assez peu fréquentes (8,6 % des EI dans le registre EURO-ENDO), les EI récurrentes s’observent particulièrement chez les patients toxicomanes et sont alors plus volontiers dues à Staphylococcus aureus.8 Même si la mortalité reste faible dans ce groupe de patients jeunes, elles posent le problème de la prise en charge préventive pour arriver au difficile sevrage de la toxicomanie.

Risque d’insuffisance cardiaque dans l’endocardite infectieuse

Toute insuffisance cardiaque survenant chez un patient atteint d’EI est une indication chirurgicale théorique. Le registre EURO-ENDO rapporte que 28,5 % des patients atteints d’EI présentent des signes d’insuffisance cardiaque qui devraient justifier une prise en charge chirurgicale rapide, selon les recommandations européennes. En effet, dans cette étude, la survenue d’une insuffisance cardiaque est fortement corrélée à la mortalité hospitalière et à un an. La chirurgie est associée à un meilleur pronostic mais reste sous-utilisée, puisque pratiquée chez seulement la moitié des patients qui auraient dû en bénéficier selon les recommandations.9

Endocardite infectieuse et cardiopathies congénitales

Les cardiopathies congénitales ont un pronostic fortement amélioré depuis quelques années, grâce à une meilleure prise en charge médico-chirurgicale. Le corollaire est l’augmentation du nombre d’EI compliquant ces pathologies, représentant 11,7 % de toutes les EI observées dans le registre EURO-ENDO. Dans ce registre, les EI compliquant les cardiopathies congénitales s’observent chez des patients plus jeunes et sont plus souvent liées à une porte d’entrée bucco-dentaire et à un streptocoque d’origine dentaire. Pour mémoire, les cardiopathies congénitales non corrigées constituent un groupe à risque élevé d’EI chez qui la prophylaxie antibiotique reste conseillée en cas de soins dentaires hémorragiques.1,10

Changement de profil des patients atteints d’EI

Le registre EURO-ENDO a permis de préciser les caractéristiques de l’endocardite infectieuse. Il confirme le changement radical du profil des patients atteints d’EI, les grands progrès diagnostiques et thérapeutiques mais également la persistance d’une mortalité élevée chez des patients de plus en plus âgés et polypathologiques. Il souligne l’intérêt de la prévention de l’EI dans les populations à risque et d’un diagnostic précoce permettant une prise en charge immédiate par une équipe médico-chirurgicale habituée à traiter cette pathologie complexe.
Références
1. Habib G, Lancellotti P, Antunes MJ, Bongiorni MG, Casalta JP, Del Zotti F, et al. 2015 ESC Guidelines for the management of infective endocarditis: The task force for the management of infective endocarditis of the European Society of Cardiology (ESC). Eur Heart J 2015;36(44):3075-128.
2. Habib G, Lancellotti P, Erba PA, Sadeghpour A, Meshaal M, Sambola A, et al. The ESC-EORP EURO-ENDO (European Infective Endocarditis) registry. Eur Heart J Qual Care Clin Outcomes 2019;5(3):202-7.
3. Habib G, Erba PA, Iung B, Donal E, Cosyns B, Laroche C, et al. Clinical presentation, aetiology and outcome of infective endocarditis. Results of the ESC-EORP EURO-ENDO (European infective endocarditis) registry: A prospective cohort study. Eur Heart J 2019;40(39):3222-32.
4. Cosyns B, Roosens B, Lancellotti P, Laroche C, Dulgheru R, Scheggi V, et al. Cancer and infective endocarditis: Characteristics and prognostic impact. Front Cardiovasc Med 2021;8:766996.
5. Pazdernik M, Iung B, Mutlu B, Alla F, Riezebos R, Kong W, et al. Surgery and outcome of infective endocarditis in octogenarians: Prospective data from the ESC EORP EURO-ENDO registry. Infection 2022;50(5):1191-202.
6. Sengupta SP, Prendergast B, Laroche C, Furnaz S, Ronderos R, Almaghraby A, et al. Socioeconomic variations determine the clinical presentation, aetiology and outcome of infective endocarditis: A prospective cohort study from the ESC-EORP EURO-ENDO (European Infective Endocarditis) Registry. Eur Heart J Qual Care Clin Outcomes 2022;9(1):85-96.
7. Kong WKF, Salsano A, Giacobbe DR, Popescu BA, Laroche C, Duval X, et al. Characteristics and outcomes of culture-negative versus culture-positive infective endocarditis. Prospective data from the ESC EORP EURO-ENDO registry. Eur Heart J 2022;43(29):2770-80.
8. Citro R, Kwan-Leung C, Miglioranza MH, Laroche C, Benvenga RM, Furnaz S, et al. Clinical profile and outcome of recurrent infective endocarditis. Heart 2022;108(21):1729-36.
9. Bohbot Y, Habib G, Laroche C, Stöhr E, Chirouze C, Hernandez-Meneses M, et al. Characteristics, management, and outcomes of patients with left-sided infective endocarditis complicated by heart failure: A substudy of the ESC-EORP EURO-ENDO (European infective endocarditis) registry. Eur J Heart Fail 2022;24(7):1253-65.
10. van Melle JP, Roos-Hesselink JW, Bansal M, Kamp O, Meshaal M, Pudich J, et al. Infective endocarditis in adult patients with congenital heart disease. Int J Cardiol 2023;370:178-85.

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Résumé

Le registre EURO-ENDO a été créé en 2018 pour préciser les caractéristiques épidémiologiques, cliniques, bactériologiques, diagnostiques et pronostiques de l’endocardite infectieuse. Initialement européen, il est en fait devenu un registre mondial incluant plus de 3 000 patients à travers le monde. Il confirme le changement radical du profil des patients atteints d’endocardite infectieuse, les grands progrès diagnostiques et thérapeutiques mais également la persistance d’une mortalité élevée chez des patients de plus en plus âgés et polypathologiques. Il souligne l’intérêt d’un diagnostic précoce permettant une prise en charge immédiate par une équipe médico-chirurgicale habituée à traiter cette pathologie complexe.