Du point de vue de la réhabilitation, les brûlures graves sont définies soit par une atteinte dépassant 10 % de la surface corporelle totale, soit par une surface moindre avec atteinte de zones hautement fonctionnelles comme la face, le cou ou les mains.1 Les patients victimes de brûlures graves nécessitent une prise en charge en centre de rééducation spécialisé compte tenu de la spécificité des soins, associant des soins cutanés et de rééducation. La prise en charge des patients brûlés est organisée en filière avec comme point de départ le centre de traitement des brûlés ou le service de chirurgie plastique, puis le centre de rééducation spécialisé, et enfin le suivi en consultation régulier et la mise en place des soins thermaux.

Soins en centre de rééducation

En centre de rééducation, les soins vont s’organiser en deux grandes phases, et suivre les principes généraux suivants : réaliser des pansements tous les deux jours ou quotidiennement en fonction de l’état cutané, comprimer la peau pour éviter ou traiter l’hypertrophie, postures pour limiter les rétractions de la peau.2-4

Phase de cicatrisation et rééducation

À l’arrivée en centre de rééducation, le patient brûlé grave a parfois encore des plaies étendues et à cette phase l’objectif de la prise en charge est double : obtenir le plus rapidement possible la cicatrisation cutanée permettant le début de la compression ; et restaurer une mobilité sans dégrader l’état cutané. La verticalisation progressive, et l’installation au fauteuil sont mises en place en priorité. Rapidement, les postures en capacité cutanée maximale (mise en tension lente de la peau en course maximale permettant d’obtenir un blanchiment cutané) maintenues pendant 20 minutes sont réalisées de façon pluriquotidienne en fonction de l’état général du patient. Ces postures sont réalisées manuellement en kinésithérapie, sous forme d’orthèses thermoformées sur mesure à porter plusieurs fois par jour, en particulier au niveau des mains, à l’aide du plateau canadien (instrument permettant
de posturer les doigts et le poignet à l’aide de bâtonnets et d’élastiques) en ergothérapie, et également au moyen de plâtres. L’utilisation de plâtres mis en place pour 24 ou 48 heures permet d’immobiliser certains secteurs articulaires (coudes, épaules, genoux, chevilles) en capacité cutanée maximale pour traiter les rétractions, et en même temps favoriser la cicatrisation cutanée du fait de l’immobilisation (fig. 1). En parallèle des postures, la compression de la peau est mise en place progressivement sur les zones cicatrisées, pour traiter l’hypertrophie. La compression peut se faire sous la forme d’une compression souple ou rigide avec mise en place d’adjonctions si nécessaire. La compression souple se présente sous la forme de vêtements compressifs initialement provisoires (fig. 2), fabriqués sur mesure en jersey tubulaire élastique. Ces vêtements provisoires ont l’avantage d’être totalement modulables, ce qui permet de comprimer rapidement les zones cicatrisées en déchargeant les zones où il persiste des plaies, et en respectant également certains dispositifs médicaux (gilet fenêtré en cas de gastrostomie, mentonnière adaptée à une trachéotomie par exemple). Ces vêtements provisoires fabriqués par une couturière, encadrée par l’ergothérapeute, sont relayés par des vêtements compressifs définitifs confectionnés par des prestataires spécialisés dès la stabilisation du poids du patient. La compression rigide se présente sous la forme de conformateurs faciaux et cervicaux (fig. 3), fabriqués sur mesure à partir d’une empreinte plâtrée. En effet, les reliefs du visage et du cou ne permettent pas à la compression souple d’être réellement efficace. Pour traiter certaines zones particulières au niveau du visage, ou d’autres zones anatomiques où l’hypertrophie est déjà installée, des adjonctions de silicone peuvent être mises en place en complément de la compression souple ou rigide. En parallèle du travail effectué en kinésithérapie et ergothérapie, une prise en charge en orthophonie est mise en place en cas de troubles de déglutition, de dysphonie, ou de brûlure du visage (travail sur les praxies et la mobilité du visage). En fonction des antécédents et de l’état du patient, un suivi psychiatrique et/ou d’addictologie est débuté.

Phase de réadaptation

Au cours de cette deuxième phase, l’état général du patient s’est amélioré, et la cicatrisation est acquise ou quasiment. La rééducation en kinésithérapie et ergothérapie se poursuit, associée à l’appareillage. En ergothérapie, des mises en situation peuvent être effectuées en prévision du retour au domicile (course, repas), avec si besoin une visite au domicile pour envisager la mise en place d’aides techniques ou humaines, et des séances de cosmétologie en cas de brûlures du visage. En kinésithérapie, le travail des postures est poursuivi, et le patient apprend à gérer seul ses autopostures. Le massage dermique, les séances de vacuothérapie, et les douches filiformes sont débutées en fonction de l’état cutané. La reprise d’activités sportives adaptées peut débuter au gymnase en veillant à ne pas effectuer de renforcement moteur sur les zones très inflammatoires et rétractiles. Les objectifs sont le reconditionnement à l’effort, l’amélioration des capacités musculaires et de la mobilité. La participation de certains patients à un programme d’éducation thérapeutique mis en place dans notre centre leur permet d’être plus autonomes et impliqués dans les soins au cours de l’hospitalisation et après la sortie. Les patients en activité professionnelle au moment de la brûlure ou en âge de travailler peuvent rencontrer un ergonome de l’association Comète France qui les accompagnera dans la construction d’un projet professionnel compatible avec leur état de santé. En fonction du handicap séquellaire prévisible, un dossier est rempli auprès de la maison départementale des personnes handicapées, permettant au patient de bénéficier de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé et/ou d’une réorientation professionnelle.

Prise en charge psychologique en centre de rééducation5, 6

Lorsque le grand brûlé arrive en centre de rééducation, après une hospitalisation en centre aigu de plusieurs semaines, voire plusieurs mois, l’adaptation au nouvel environnement, et à une nouvelle équipe pluridisciplinaire, peut s’avérer particulièrement éprouvante. En effet, le patient passe d’un hôpital où il se trouvait en chambre stérile, dans un univers « fermé », et où la plupart des soins s’effectuaient au lit, à un nouveau lieu plus « ouvert » sur le monde extérieur, et ayant pour objectif un retour à l’autonomisation et l'indépendance fonctionnelle. Comme il l’a déjà vécu lors des premières années de sa vie, le grand brûlé se trouve parfois (selon l’étendue de la surface corporelle touchée, et les parties du corps atteintes) alité, ayant besoin d’aide pour « tout » (manger, se lever, se laver, s’habiller) et vit alors une forme de régression, l’objectif étant, petit à petit, et avec l’aide de l’équipe pluridisciplinaire, d’être capable à nouveau de refaire ces actes de la vie quotidienne seul. Des symptômes anxiodépressifs (repli sur soi, sommeil perturbé par des ruminations ou des cauchemars, voire des insomnies, hypersensibilité, perte d’intérêt et de motivation [notamment pour la rééducation]) et des manifestations d’un état de stress post-traumatique apparaissent fréquemment, d’où l’importance d’un accompagnement psychologique durant la phase de réhabilitation. Le fait que le psychologue puisse se présenter à chaque patient leur offre la possibilité de demander un suivi psychologique le temps de leur séjour en rééducation. Cette première rencontre permet ainsi au clinicien de réaliser une première évaluation psychologique, laissant ainsi s’exprimer le patient sur son vécu de la brûlure, les angoisses qu’il ressent, les interrogations qui surgissent, et les symptômes psychopathologiques qui le submergent. Il est important de souligner que seul le patient peut décider ou non de bénéficier d’un suivi psychologique, même si solliciter la demande les encourage à vouloir être accompagnés.
Le traumatisme que représente la brûlure entraîne souvent un état de stress post-traumatique aigu, dont les symptômes sont les suivants : les reviviscences (souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement), des cauchemars sur l’événement ou sur le feu, des flash-backs, des hallucinations, une réactivité physiologique lors de l’exposition à des indices évoquant ou ressemblant au feu-flammes-incendie (notamment à la télévision). Ces éléments sont accompagnés d’une profonde détresse. On observe aussi des stratégies d’évitement face à certaines situations ayant un lien avec le feu ou avec l’endroit où l’individu a brûlé, ainsi qu’une hypervigilance. Ces symptômes disparaissent au bout d’un mois environ, le fait de les verbaliser peut aider en ce sens. S’ils perdurent, on parle d’un état de stress post-traumatique chronique, qui peut être plus difficile à traiter.
Consécutivement aux brûlures, les patients développent régulièrement une souffrance psychologique importante, en raison de l’altération de leur image corporelle, venant bouleverser la construction de leur identité déjà établie. L’acceptation et l’intégration des séquelles cicatricielles des brûlures prendront du temps, et peuvent s’avérer particulièrement difficiles. Le regard des autres est fréquemment au centre de leurs préoccupations. Ainsi, encourager les patients à s’y confronter avant la sortie du centre de rééducation peut ensuite les aider à être accompagnés par rapport à leurs premières expériences sociales de leur « nouvelle vie » de grand brûlé. Le psychologue et l’ergothérapeute peuvent organiser des « mises en situation extérieure », par exemple au centre commercial ou sur le marché, afin de soutenir les patients dans cette démarche éprouvante.
Comme cela avait déjà été rapporté,7 un diagramme (fig. 4) peut résumer les principaux antécédents et difficultés psychologiques présentés par nos patients.8, 9
La brûlure vient également impacter les sphères familiale, professionnelle, sexuelle. Poursuivre le suivi à la sortie du centre est vivement conseillé, le retour à domicile les confrontant tout particulièrement à ces questionnements.

Après la sortie du centre de rééducation

Nous conseillons la réalisation de soins thermaux (stations d’Avène, Saint-Gervais-les-Bains, La Roche-Posay) pendant les trois premières années suivant la brûlure. Ces soins permettent d’améliorer la souplesse cutanée, de limiter les démangeaisons et de diminuer l’inflammation en utilisant les propriétés des eaux thermales. La cure est à réaliser habituellement dès que possible après la sortie du centre de rééducation. Les patients doivent poursuivre le port de leurs orthèses, des vêtements compressifs 23 heures sur 24, ainsi que les séances de kinésithérapie en libéral et les autopostures. Dans le cas de brûlures complexes des mains, la rééducation peut se poursuivre en hôpital de jour pour permettre les séances de kinésithérapie et surtout d’ergothérapie. Un suivi régulier tous les 3 mois par le médecin de médecine physique et réadaptation et par le chirurgien plasticien est nécessaire pendant les 2 à 3 premières années pour évaluer les besoins en appareillage, rééducation, soins thermaux et accompagner le patient dans sa reprise professionnelle.
À un an de la brûlure, environ 13 à 20 % des patients ont des symptômes dépressifs et 30 à 45 % des patients des symptômes de stress post-traumatique.10 Les études réalisées ne donnent pas d’évaluation à plus long terme. Les facteurs de risque de développer une dépression ou un état de stress post-traumatique sont le sexe féminin, l’atteinte du visage, et des symptômes dépressifs ou anxieux préexistants. La qualité de vie des patients à distance de la brûlure est influencée par le handicap fonctionnel, l’atteinte des mains, les douleurs, la sévérité de la brûlure, le sexe (les femmes ont une moins bonne qualité de vie) et les troubles du sommeil.10 ,11
Concernant la reprise professionnelle, les facteurs limitants sont le handicap fonctionnel, la présence d’une maladie psychiatrique, l’atteinte des mains et du tronc, l’absence d’emploi antérieur ou la survenue de la brûlure sur le lieu de travail.12-20

Le poids du retentissement psychologique

La réhabilitation du brûlé grave nécessite une prise en charge en centre de rééducation spécialisée compte tenu de la spécificité des soins et du suivi. Cette filière permet d’accompagner le patient tout au long de la maturation cicatricielle et de minimiser les conséquences fonctionnelles et esthétiques de la brûlure. Un des obstacles principaux à cette prise en charge est la non-coopération ou participation du patient aux soins, du fait le plus souvent d’antécédents psychiatriques ou d’une souffrance psycho­logique importante consécutive aux brûlures.
Références
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Résumé

La réhabilitation du brûlé grave nécessite une prise en charge pluridisciplinaire en centre de rééducation spécialisé. Nous présentons dans cet article les soins proposés dans notre service, en détaillant en particulier les aspects psychologiques. En effet, une partie des patients victimes de brûlures graves ont des antécédents psychiatriques, tandis que d’autres vont avoir un état de stress post-traumatique consécutif à la brûlure. Les principes généraux de la rééducation sont la mise en place de différents moyens de compression pour lutter contre l’hypertrophie, ainsi que la réalisation de postures pour limiter les rétractions. L’organisation des soins en filière permet de minimiser les conséquences fonctionnelles, esthétiques et psychologiques à la suite de la brûlure, en accompagnant le brûlé grave tout au long de la maturation cicatricielle.