La médecine du travail, puis la « santé au travail », a vu ses pratiques évoluer au rythme des dates de parution des textes législatifs en 1946, 2011 et 2021. Ces trois étapes résument les évolutions et les perspectives à venir.

Trois dates marquantes

À partir de 1946, priorité à l’aptitude

L’objectif primordial de la loi du 11 octobre 19461 était d’« éviter l’altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ». Cet objectif de prévention primaire, très novateur à l’époque, a été malheureusement perverti, pour une approche ultérieure normative, individuelle et le plus souvent ancrée dans une logique de réparation plus que de prévention. On parlait alors de réparation, d’assurance, d’aptitude, d’inaptitude.
L’activité du médecin du travail était centrée sur la seule visite médicale annuelle, trop souvent au détriment d’une réponse adéquate aux besoins de santé de l’entreprise. Pourtant, l’approche du « travail réel » et des conditions de travail a été renforcée en 1979 par l’ajout du « tiers temps », permettant au médecin d’agir dans l’entreprise.
D’ailleurs, c’est durant cette période que les collaborations scientifiques ont permis à la discipline d’étoffer son expertise tant en physiologie du travail (étude de la charge de travail) qu’en ergonomie (organisation du travail), toxicologie (cancers professionnels), épidémiologie, puis psychologie du travail et droit de la santé au travail.
Malgré ces avancées scientifiques et le savoir-faire de certains médecins du travail, la société, le règlement et les partenaires enferment alors la pratique : la place de l’aptitude était primordiale.

En 2011, avènement de la notion d’évaluation du risque

La directive européenne de juin 19892 constitue les racines de la loi de 2011 en rappelant la primauté de la démarche de prévention primaire. Il faut pourtant attendre encore plus de vingt ans pour enfin commencer à y répondre, avec la loi du 20 juillet 2011.3 On parle alors de service santé au travail, de pluridisciplinarité, de nouveaux métiers, de veille sanitaire et de traçabilité des expositions avec un rôle primordial pour le médecin du travail : celui d’animer et de coordonner l’équipe pluridisciplinaire.
L’évaluation du risque, réalisée par l’employeur et complétée par le regard du médecin du travail et de son équipe via la fiche d’entreprise, reste un outil trop souvent vécu comme contraignant. L’approche collective pour répondre aux besoins de santé de l’entreprise n’est pas comprise, encore moins réellement investie.
Ici encore, la traduction réglementaire de la loi reste « timorée », avec maintien de l’approche individuelle, sans véritable essor de cette réponse collective, entraînant une « boulimie » de textes juridiques, de rapports, de missions d’études pour répondre à l’exigence de prévention primaire.

Accord interprofessionnel en 2021

En 2021 est promulguée la dernière loi réformant le système de santé au travail : loi 2021-1018 du 2 août 2021 ;4 elle transpose l’accord national interprofessionnel (ANI) entre les partenaires sociaux qui permet de prendre en compte les différentes attentes et souhaits et de lever certaines difficultés.

Orientations et perspectives de la loi du 2 août 2021

La loi du 2 août 2021 a pour but de renforcer la prévention en santé au travail en fixant de nombreuses orientations et perspectives :
– renforcer la prévention au sein des entreprises, en particulier les très petites entreprises (TPE), petites et moyennes entreprises (PME), pour accompagner le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) et la mise en place de programmes annuels de prévention ;
– définir une offre de service à fournir par les services de prévention et de santé au travail (SPST) aux entreprises et à leurs salariés. On parle ainsi d’offre socle, d’agrément et certification des SPST ;
– accompagner certains publics, notamment vulnérables, et lutter contre la désinsertion professionnelle avec la création d’une cellule dédiée et la mise en place d’une visite de mi-carrière ;
– améliorer le suivi de l’état de santé avec une meilleure liaison entre le dossier médical en santé au travail (DMST), le dossier médical partagé (DMP) et avec le partage d’informations entre praticiens, sous réserve du consentement du travailleur ;
– développer de nouvelles approches quant au suivi de l’état de santé, tant sur le plan technologique avec la télémédecine que sur l’extension des dispositions générales auprès des travailleurs indépendants ;
– rapprocher les objectifs santé au travail des objectifs de santé publique afin de préserver, au cours de la vie professionnelle, un état de santé du travailleur compatible avec son maintien en emploi.
Toutes ces pistes sont en cours d’approfondissement, avec une traduction réglementaire qui se poursuit. Le métier de médecin du travail continue son évolution avec le passage – depuis longtemps souhaité – d’un suivi de santé individuel normatif à une prise en charge plus ciblée et en réponse aux besoins de santé du « collectif entreprise ». Il reste cependant des progrès à réaliser, car le législateur continue d’inscrire de nouvelles obligations de visites individuelles systématiques sans ciblage des populations les plus vulnérables.
La pratique évolue, elle aussi, avec le passage d’un exercice individuel à un renforcement de la collaboration médecin-infirmière de santé au travail (définie par décret) en lien avec l’équipe pluridisciplinaire.
Les SPST doivent monter en compétence. Les protocoles et délégations doivent être réfléchis et mis en place pour permettre une réponse appropriée aux salariés et à l’entreprise tout en facilitant les connexions avec le système de soins et leurs acteurs spécifiques.

Objectif : éviter l’effet délétère du travail sur la santé

« Éviter l’altération de la santé du fait du travail » reste un objectif à atteindre et à conforter, tel est le rôle de cette discipline trop longtemps limitée à une approche assurantielle. L’avenir dira si le but est atteint. 
Encadre

Cas particulier des travailleurs indépendants

La loi du 2 août 2021 concerne également les travailleurs indépendants.

Désormais, chaque service de prévention et de santé au travail interentreprises propose aux travailleurs indépendants une offre spécifique de services en matière de prévention des risques professionnels, de suivi individuel et de prévention de la désinsertion professionnelle, dont il détermine le contenu pour l’adapter aux besoins de ces travailleurs, moyennant un tarif affiché sur son portail.

L’affiliation à l’offre spécifique de services mentionnée du travailleur indépendant au service de prévention et de santé au travail interentreprises de son choix est d’une durée minimale d’un an. Le renouvellement de cette affiliation ne peut se faire de manière tacite. S. F.-Q.

Références
1. Légifrance. Loi n° 46-2195 du 11 octobre 1946 relative à l’organisation des services médicaux du travail. Journal officiel n° 0239 du 12 octobre 1946. https://vu.fr/RCfSP
2. Légifrance. Directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail. https://vu.fr/cviA
3. Légifrance. Loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l'organisation de la médecine du travail. Journal officiel n° 0170 du 24 juillet 2011. https://vu.fr/QhMQk
4. Légifrance. Loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail. Journal officiel n° 0178 du 3 août 2021. https://vu.fr/zUKK

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