« La santé est la capacité d’un sujet humain de vivre une vie possible pour lui. Il n’est donc pas possible de définir de l’extérieur ce que doit être la santé pour un individu singulier. Pour chacun de nous, il s’agit d’un processus, d’une adaptation, d’un engagement, dans ce qui fait sens. »
Philippe Lecorps1

« Je sais ce que je dois faire, docteur, mais c’est plus fort que moi… »
Avec la transition épidémiologique et l’allongement actuel de l’espérance de vie, un nombre croissant d’individus est exposé à des risques pour leur santé ou doit vivre avec une ou plusieurs maladies ou handicaps chroniques pendant le reste de leur existence. Cette situation implique la participation active des individus dans le maintien de leur santé et de leur « capacité d’agir », soit pour anticiper la maladie (prévention), soit pour se maintenir en vie et gérer la vie avec les incertitudes, les aléas et les contraintes de la maladie quand elle s’est déjà installée. Dans les deux cas, il s’agit d’entrer dans un processus de soin de soi qui implique la plupart du temps d’adapter, voire parfois de changer radicalement ses comportements pour éviter la maladie ou ses complications.
Mais comment se fait-il que tant de patients aient des difficultés à adopter des comportements salutaires ? Pourquoi, en tant que soignants, éprouvons-nous tant de difficulté à les convaincre et à les mobiliser vers ce changement de pratiques de vie ? Comment pouvons-nous mieux motiver nos patients ? Comment être plus efficaces, plus convaincants ?
Cet article se propose :
– de donner quelques repères sur ce qui se joue chez un patient à l’entrée dans les soins (annonce d’un risque ou d’une maladie chronique) et de décrire les conditions qui déterminent ou au moins facilitent l’action ;
– de présenter quelques pistes concrètes, des attitudes ou postures pratiques pour les soignants qui favorisent chez un patient l’engagement dans ses soins, des changements durables de comportement et l’adhésion au projet thérapeutique.

Soyons honnêtes : changer est difficile !

Tous les comportements ont un sens, même ceux qui d’un point de vue rationnel et extérieur paraissent déraisonnables ou inappropriés. Tout patient a ses raisons, parfois inconscientes. Si au regard des connaissances biomédicales, certains comportements ne sont pas recommandables en termes de santé, ce sont parfois les seuls qu’un individu a trouvés – temporairement – pour rendre son existence supportable et reprendre du pouvoir sur sa vie ou plus instinctivement réduire l’impact d’interventions intrusives ou coercitives dont il se sent faire l’objet. Pour favoriser l’engagement à changer de comportement de santé, les soignants doivent donc par nécessité développer des stratégies qui permettent que ces changements recommandés ou incités soient finalement perçus comme la meilleure option, le choix le plus simple, le moins « coûteux psychiquement ».
On connaît mieux aujourd’hui les ressorts de la motivation et de l’action qui permettent d’apprendre et de changer habitudes et comportements pour s’adapter face à une réalité nouvelle ou inattendue et de pérenniser ces comportements. Des approches concrètes ont été développées ces 20 dernières années qui rendent le temps de l’entretien avec un patient plus efficient en termes d’adhésion à un projet thérapeutique, fût-il d’anticipation et de prévention ciblée, et également plus gratifiant pour le soignant.

Le temps de l’annonce

L’annonce d’un risque pour la santé (hypercholestérolémie, hypertension artérielle, etc.), et plus encore d’une maladie chronique (diabète, maladie coronarienne ou artérielle, cancer, etc.) est souvent un moment critique et très chargé émotionnellement dans la vie d’un individu. Il s’agit de renoncer à la « bonne santé » et à une forme d’insouciance, dans la mesure où cette annonce transforme parfois radicalement le rapport au temps et à l’existence. Elle introduit une incertitude sur le devenir, un bouleversement de ce qui jusqu’à présent avait du sens et servait de cadre de référence pour les choix de vie (affectifs, sociaux, professionnels, etc.). La réaction émotionnelle peut certes conduire la personne à se confronter à la réalité et finalement au soin, après une phase plus ou moins longue de marchandage et de négociation avec le réel.2 Mais elle peut aussi mener à une forme de sidération et de mise à distance, même quand elle prend le masque d’une apparente docilité. Cette « stupeur » paralyse alors les réactions de l’individu, bloque les processus de raisonnement et rend sourd à tous les bons conseils et démarches légitimes des soignants d’éduquer le patient.2, 3À ce stade de l’annonce, priment pour le patient l’expression de son vécu émotionnel et la compréhension des informations qui lui sont délivrées.

Faire exprimer le vécu émotionnel

C’est prendre le temps d’écouter comment le patient vit le changement de perspective temporelle, d’image de soi, de représentation du corps, et d’entendre le sentiment éventuel de culpabilité, les inquiétudes mais aussi la colère, la peur, le rejet, la révolte, la peine, etc. C’est aussi écouter comment il donne du sens à ce qui lui arrive.
Cette posture d’écoute qui autorise le patient à mettre en mots ce qu’il ressent et ce qui l’habite – d’où l’utilité des pédagogies permettant l’expression orale ou écrite du vécu4-5 – lui permet de se réconcilier avec le réel et prépare le terrain pour le processus de résilience.6
Cette expression des émotions peut n’être aisée et spontanée ni pour le soignant ni pour le patient en situation de vulnérabilité, de fragilisation de son être et de dépendance, surtout quand l’événement est inattendu et inédit. Il faut parfois bien plus de temps que la durée d’une consultation d’annonce pour que « les vécus se pensent… et puissent être dits à autrui ».4 Il est utile qu’à cette écoute soient associées des informations « médicales », en tout cas quelques informations factuelles pertinentes pour le patient à ce moment-là pour amorcer son processus de reconstruction.

Informer

L’information à ce stade peut évoquer dans les grandes lignes les risques, les solutions thérapeutiques possibles et leurs bénéfices, les objectifs des traitements et leur planification à court et moyen termes. Cette information succincte a pour finalité principale d’inscrire d’emblée et sans ambiguïté les soins (la surveillance, etc.) dans la durée. Elle est à la fois indispensable et insuffisante si elle n’est pas accompagnée d’une écoute empathique préalable ou simultanée des souffrances et des questionnements du patient.
Comme à chaque fois qu’il apporte une information (un savoir, un fait…), le soignant doit s’assurer de la bonne compréhension du langage et des mots qu’il utilise – mais aussi des concepts numériques et statistiques comme la notion de probabilités, de moyenne ou de déviation par rapport à la norme – auxquels le soignant est familier mais qu’un patient maîtrise habituellement difficilement. Ce n’est pas seulement s’assurer que le patient a compris les mots – on évitera bien sûr le jargon médical – mais surtout qu’il a intégré le sens des mots, c’est-à-dire les concepts auxquels ces mots font référence.7
L’enjeu de cette double posture initiale (écoute des émotions et information ajustée) n’est pas seulement instrumental, il est aussi éthique : commencer à bâtir une relation de confiance, indispensable à toute alliance thérapeutique et à toute implication du sujet dans ses soins, et à partager les décisions qui le concernent en développant sa capacité de décision et d’autonomie.

Le temps de la délibération et de la réorganisation des savoirs

Cette première prise de conscience établie, on observe rarement l’adoption directe de nouveaux comportements. Le plus souvent succède une période plus ou moins longue de délibération intérieure qui bouscule et réorganise les conceptions qu’un sujet a de lui-même, de la santé, de la maladie qu’il découvre, des traitements proposés, du système de soins, etc. Sur le plan opérationnel, le processus d’engagement se définit comme une balance décisionnelle par laquelle une personne pèse les avantages et les inconvénients liés à un changement de pratique de soi, explore et réévalue en continu ses priorités et valeurs personnelles, pour progresser dans sa décision, puis la mise en action de cette décision.
Même si ce processus est un continuum, il peut être décomposé en étapes successives. En psychologie et en promotion de la santé, le modèle des stades de changement développé par les psychologues Prochaska et Di Clemente dans les années 1970-1980 est très populaire.8 Il repose sur de nombreuses observations que lorsqu’un individu modifie intentionnellement un comportement problématique, il traverse schématiquement cinq stades appelés dans l’ordre précontemplation, contemplation, préparation, action, maintien, et parfois un stade de rechute (fig. 1).
Malgré ses limites méthodologiques et formelles*, et pour des raisons didactiques, nous nous proposons d’utiliser ce modèle « par étapes » pour montrer comment une communication et une pédagogie appropriées peuvent favoriser le travail délibératif chez un patient, tout en respectant mieux son rythme et sa progression, car le temps du patient n’est pas celui du soignant. À l’inverse, une méconnaissance par le soignant des processus complexes à l’œuvre dans tout changement et une communication inappropriée ou décalée par rapport au niveau d’engagement du patient sont contreproductives et chronophages, voire peuvent induire de fortes et durables résistances de la part du patient. Car les diverses étapes de préparation au changement impliquent des stratégies de communication spécifiques.
Quand il s’agit de prendre conscience d’un risque pour sa santé ou de prendre un traitement à la suite de l’annonce d’une maladie chronique, jusqu’à 85 % des patients sont initialement aux stades de précontemplation ou de contemplation. Les tableaux 1 et 2 permettent d’identifier ces stades à travers le discours du patient (mais aussi le non-verbal) au cours d’un entretien et d’utiliser une communication appropriée pour favoriser la prise de conscience et aboutir à un engagement dans l’action.

Au stade de précontemplation

Pour ce stade, on parle aussi de pré-intention ou non-implication (tableau 1), le changement demandé est souvent vécu comme une injonction ou une pression coercitives, comme un « empêchement à vivre ». Un engagement est possible mais ne dure souvent que tant que la pression est maintenue ou tant que la crainte s’exerce.9 Des résistances de la part du patient peuvent apparaître, se traduisant typiquement par des argumentations ou une hostilité, des interruptions ou des changements de sujet. La résistance est un comportement et un signal de dissonance ou de décrochage dans la relation, qui prédit l’absence de changement. Son apparition est fortement liée au style du soignant. Dans ce contexte, forcer l’engagement dans un projet préventif ou thérapeutique non désiré risque de créer et/ou de renforcer les résistances au changement.10, 11
On y répondra en évitant d’adopter une communication inappropriée et confrontante (tableau 1) et en se fixant des objectifs d’apparence modeste mais qui préparent le travail de changement : établir ou maintenir l’alliance et la relation de confiance avec le patient (accueil inconditionnel, posture non jugeante, etc.) ; aider à clarifier les émotions et réflexions concernant le comportement problématique et ses conséquences sur sa vie en encourageant l’expression des attentes, des besoins, voire de ses contradictions, sans les commenter ; faire œuvre de pédagogie pour commencer de semer un doute ou susciter un questionnement des croyances par une information objective, un commentaire des données biologiques disponibles ou des outils (comme l’outil HeartScore pour estimer le risque cardiovasculaire à 10 ans), afin de permettre au sujet d’évaluer lui-même la pertinence de son comportement ou de sa réticence. On ne résiste pas à la résistance, on « danse avec ».10

Au stade suivant de contemplation ou d’indécision

À ce stade (tableau 2), le patient a davantage conscience de la nécessité de changer mais ne s’en sent pas encore capable concrètement (sentiment d’impuissance, perte des repères ou du sentiment de contrôle, etc.). L’élément clé du discours est l’expression d’une ambivalence, entre les aspects négatifs du comportement actuel et les frustrations et obstacles que suppose le changement. Des changements de comportement sont possibles mais restent limités. Ils cherchent surtout à réduire les inconvénients perçus (par exemple, le coût financier ou la nocivité d’un comportement) sans renoncer aux pratiques habituelles. Faute de se sentir capable d’affronter lui-même le dilemme « changer ou ne pas changer », le patient peut être tenté par la recherche de solutions « clés en main » extérieures à lui : une cure miracle (amaigrissement, désintoxication), un médicament qui compense le comportement habituel (hypocholestérolémiant), la recherche d’un contrôle strict par l’entourage ou une application mobile, etc.
Lorsque le patient devient ambivalent, l’empathie du soignant et une guidance adéquate visant à faire explorer l’ambivalence au patient tout en lui laissant sa liberté de choix permettent d’accompagner l’intention de changement et la préparation à ce changement (approche motivationnelle10, 12). Il s’agit d’accompagner un patient indécis dans sa réflexion et de l’aider à déterminer ses propres buts et moyens pour les atteindre : faire imaginer le futur avec et sans changements, faire comparer la situation présente à ses ambitions et aspirations, faire évoquer les raisons possibles de changer, les craintes et les inconvénients liés à ses yeux au changement, etc. Le soignant reconnaît le caractère naturel et compréhensible de ces contradictions et valide le caractère universel et naturel de l’ambivalence. En favorisant l’exploration par le patient de ses représentations, croyances et ressentis, de ses réticences, de ses envies et projets, de ses ressources (fig. 2), mais aussi en faisant évoquer d’éventuelles expériences antérieures de prise de décision et de changement réussis, il permet au patient d’augmenter sa confiance en ses propres ressources (sentiment d’auto-efficacité). À ce stade, une tentative de fixer des objectifs très simples et accessibles peut également favoriser la prise de conscience d’une dépendance ou de comportements concrets jusque-là méconnus ou invisibles et nourrir chez le patient son désir de changer parce que l’enjeu vient de lui, et n’est plus imposé de l’extérieur.
A contrario, une trop grande docilité du patient qui « accepte tout sans broncher » doit faire suspecter une dépression, tant est naturelle et universelle la résistance au changement.

À l’étape suivante dite de préparation à l’action

À ce stade (tableau 3), le patient a résolu son dilemme et se détermine en faveur du changement qu’il projette dans le futur proche. Il a parfois déjà expérimenté une tentative de changement dans les semaines ou mois précédents. Sa décision est donc prise. L’objectif prioritaire devient l’identification des moyens les plus efficaces pour passer à l’action.
La tâche du soignant est alors d’aider le patient à construire son projet d’action, depuis ses objectifs jusqu’aux moyens à mobiliser pour les atteindre. Il s’agit d’aider le patient à coordonner ses propres intentions et les coordonner avec celles d’autrui, d’envisager toutes les ressources et toutes les stratégies possibles, et de planifier la mise en œuvre, le déclenchement de l’action : quand, comment, où, avec qui, etc. L’apport d’informations ciblées mais approfondies sur la maladie, la surveillance des symptômes et sur les moyens thérapeutiques peut s’avérer pertinent, chez un patient beaucoup plus disponible et intéressé qu’au stade initial.

Le « travail » du patient : construire et mobiliser de nouvelles conceptions

Une conception est un mode d’explication spécifique qui oriente la façon dont on décode les informations et dont on interprète le réel.11 Il n’y a pas de désir de changement sans déconstruction au préalable des représentations antérieures et constructions de nouvelles représentations du réel, qui doivent prendre leur place dans le paysage mental du sujet. Tout changement de compor­tement se réalise initialement à partir des conceptions qui déterminaient les comportements antérieurs, mais s’établit rapidement en rupture avec elles. Diverses dimensions cognitives, perceptives et psychoaffectives vont interférer (fig. 2). Ce modèle permet de rendre compte de l’échec habituel des approches purement rationnelles de l’incitation aux changements, fondées principalement – sinon exclusivement – sur des raisonnements et l’acquisition de savoirs purs. Il révèle la complexité des délibérations entre diverses dimensions de la personne dans la construction d’une intention d’agir.
L’adaptation à la nouvelle réalité nécessite ainsi que le patient confronte ses savoirs antérieurs aux informations nouvelles, qu’elles soient fournies par le soignant, par d’autres patients ou par d’autres sources d’information, ou perçues à travers les manifestations et les premières expériences de la maladie. C’est un processus actif de la part du sujet, interactif (le patient interagit avec son environnement, les soignants, d’autres patients…), délibératif et itératif, dont l’acteur principal ne peut être que le patient lui-même. La figure 3 illustre ce travail du sujet sur ses représentations, ses émotions, ses croyances, ses envies, ses valeurs, ses projets, ses expériences. Ainsi, les individus se montrent d’autant plus actifs dans leurs efforts de changement qu’ils progressent dans leur délibération et leur cheminement…

Le temps de l’engagement

Au stade de l’action

Le patient est proactif et engagé dans une vie différente, il commence à changer son style de vie pendant quelques mois, à délaisser certains comportements pour d’autres plus adaptés ou cohérents avec ses envies et ses décisions, il traduit son intention en actes et réalise des expériences nouvelles, testant diverses solutions pour résoudre les problèmes qui se posent, comme par exemple instituer des habitudes, voire des rituels, etc.
À ce stade, le soignant accompagne le processus en aidant le patient à guider et à contrôler son action, à résoudre les difficultés qu’il rencontre au fil de l’eau, tout en valorisant les efforts fournis et les premiers succès, en dédramatisant les « faux pas » éventuels et en l’accompagnant avec autorité, chaleur et bienveillance dans ses expériences. Les conseils peuvent être pertinents à ce stade, car vécus par le patient de manière positive comme une aide et non plus comme une tentative de décider à sa place.

Au stade de maintien

Les nouveaux comportements, d’abord difficiles à mettre en œuvre et coûteux en efforts, s’automatisent et constituent progressivement de nouvelles habitudes de vie. Le patient reste vigilant et continue à s’opposer de façon active aux différentes tentations de retour aux comportements antérieurs. Il peut au bout de quelques mois ou années sortir du processus et vivre totalement libéré des habitudes passées.
Pendant la phase de maintien, le travail thérapeutique se poursuit. Le soignant s’attache alors à renforcer les bénéfices, à reconnaître les efforts et à valoriser les succès. Il peut anticiper l’émergence de difficultés en travaillant par anticipation sur des parades, ou se consacrer à la résolution d’autres types de difficultés (comme une dépression, un trouble anxieux...), parfois émergentes à l’occasion de « faux pas » ou de fléchissements de la détermination…

Des rechutes peuvent survenir

Plusieurs tentatives sont souvent nécessaires avant de pouvoir parvenir à changer durablement ses comportements. La reprise totale ou partielle des pratiques antérieures peut être vécue comme un échec. Pourtant, elle ne fait pas revenir au point de départ. Chaque tentative constitue une expérience dans le bon sens qu’il s’agit pour le soignant de valoriser et d’exploiter. C’est pourquoi le modèle des stades de changement est représenté par une spirale plutôt que par un cercle qui reviendrait à son point de départ (fig. 1).
Si une rechute se produit, le soignant a intérêt à  accueillir là encore inconditionnellement ce qui arrive ;
à souligner l’apport de ce qui a été tenté en termes d’expériences et d’informations acquises ; et à aider le patient à repérer les éléments de son expérience qui permettent de mieux comprendre ce qui s’est passé, pour mieux anticiper et gérer les difficultés qui inévitablement vont se présenter ; susciter la recherche de nouvelles stratégies pour faire face à ces situations « à risque d’échec » en vue de remobiliser vers de nouvelles actions (fig. 1).
Cette première expérience de changement a le double intérêt de contribuer à la construction progressive par le patient de son sentiment d’efficacité personnelle, d’améliorer la préparation de la tentative suivante et finalement d’accélérer bien souvent le processus d’engagement.
 

LE SOIGNANT N’EST QU’UN FACILITATEUR

L’approche du changement pour favoriser l’engagement dans les soins, fussent-ils des soins de prévention, décrite succinctement ici est assez brève, efficace** et utilisable en consultation, en une ou plusieurs fois. Elle est fondamentalement une collaboration, et repose à la fois sur un style de communication (une attitude positive et bienveillante d’écoute, de reformulation, de valorisation) et sur une pédagogie qui permet d’explorer des contenus (savoirs, ressentis, croyances, etc.) que le patient apporte et avec lesquels on « travaille », dans un climat de sécurité pour le patient, qui ne se sent pas jugé. Les arguments en faveur du changement sont suscités, jamais imposés frontalement.
C’est le patient qui est l’acteur de son engagement. Dans cette optique, deux derniers points méritent d’être soulignés :
– à chaque rencontre, le soignant doit garder à l’esprit qu’il n’est qu’un facilitateur ou un tuteur du travail d’engagement qu’opère le patient ; c’est par une guidance experte et pédagogique, bienveillante et centrée sur la personne qui « travaille ses croyances et ses désirs » que le patient peut se sentir « autorisé » (au sens d’être aussi auteur) à développer son habileté spécifique à résoudre ses difficultés ou problèmes et à développer sa capacité d’adaptation et de résilience ;
– pour chaque décision, le soignant n’aura de cesse de partager les décisions médicales, autant que c’est possible et souhaité par le patient. Car l’autonomie du sujet est un droit, non pas un devoir, en tout cas jamais une injonction.

* Ces stades de changement ont été déterminés de manière empirique, dans un processus qui est en fait plutôt continu et polymorphe. Il peut en effet s’avérer difficile d’identifier un stade précis chez un patient singulier. Un patient peut être à la fois prêt à certaines décisions et actions (comme prendre un traitement) et ne pas se sentir concerné par d’autres actions de santé (comme arrêter de fumer, maigrir, se remettre à bouger, etc.). Ce modèle est utilisé ici de manière pragmatique comme « aide à penser » ; le changement et l’engagement sont des processus qui prennent un certain temps et qu’on peut raccourcir par une communication appropriée.** Même si l’efficacité n’est jamais garantie, dépendant à la fois du patient, du soignant et de bien d’autres événements extérieurs à leur relation. Elle se révèle en tout cas plus efficiente que la confrontation et la manipulation.

Références

1. Lecorps P, Paturet JB. Santé publique : du biopouvoir à la démocratie. Rennes : Éditons de l'École nationale de la santé publique, 1999.

2. Lacroix A. Autour du vécu psychique des patients atteints d'une maladie chronique. In : Traynard Y, Bourdillon F, Gagnayre R, Grimaldi A, eds. Éducation thérapeutique (2e édition). Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson, 2009:33-8.

3. Menu B, Moutet AL. Se reconstruire après un syndrome coronarien aigu : un défi pour l’ETP. Educ Ther Patient 2013;5:187-97.

4. Breton H, Rossi S. Récits de vie, réciprocité des savoirs et éducation thérapeutique du patient. Med Mal Metab 2017;11:612-5.

5. Popelier M. « Lettre à mon Diabète ». Med Mal Metab 2017;11:616-9.

6. Barrier P. Le temps du patient (chronique). In : Simon D, Traynard PY, Bourdillon F, Gagnayre R, Grimaldi A, Éducation thérapeutique. Prévention et maladies chroniques. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson, 2007:40-51.

7. Reach G. L’éducation thérapeutique du patient. À la recherche des portes d’entrée. J Psychol 2012;295:29-34.

8. Prochaska JO, Di Clemente CC. Toward a comprehensive model of change. In: Miller WR, Heather N, eds. Treating Addictive Behaviors: Processes of Change. Boston (MA): Springer US, 1986:3-27.

9. Reach G. Faut-il faire peur aux patients ? Med Mal Metab 2009;3:303-9.

10. Miller WR, Rollnick S. L’entretien motivationnel. Aider la personne à engager le changement. Paris : InterEditions, 2006.

11. Golay A, Lagger G, Giordan A. Comment motiver le patient à changer ? 3e éd. Paris: Maloine, 2009.

12. Hettema J, Steele J, Miller WR. Motivational interviewing. Annual Rev Clin Psychol 2005;1:91-111.

13. Giordan A. Les modèles pédagogiques de l’éducation thérapeutique du patient : vers une éducation thérapeutique allostérique. Med Mal Metab 2017;11:620-7.

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Résumé

L’engagement d’un patient dans ses soins, fussent-ils des actions de prévention, est un enjeu et un défi pour tout patient comme pour tout soignant. Menacé par l’annonce d’une maladie chronique (ou même seulement d’un risque pour sa santé), un individu cherche à préserver une existence supportable, à retrouver une capacité à décider pour soi pour reprendre du pouvoir sur sa vie. Ce processus est un travail sur soi, qui passe à la fois par une reconfiguration des croyances et valeurs, une reconstruction de l’identité et des apprentissages nouveaux. Le rôle du soignant est de faciliter ce travail, par une communication et une pédagogie appropriées que nous détaillons dans cet article.