Dysbiose du microbiote et maladies immunes chroniques

Si le rôle du microbiote intestinal a été documenté de façon pionnière dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), il a été recherché par la suite dans un très grand nombre de conditions qui, à l’instar des MICI, ont une incidence qui ne cesse de croître, incontrôlée depuis plus de 50 ans. Pour une vingtaine de pathologies humaines, une altération de la composition du microbiote intestinal a ainsi pu être documentée,1 mettant en exergue une perte de richesse (compte en gènes) du microbiote dans une grande majorité des cas et pointant occasionnellement vers des espèces bactériennes signatures, surreprésentées ou au contraire absentes chez le malade par rapport au sujet sain. Comme cela a pu être souligné, l’observation d’une telle association entre taxons bactériens et maladie n’informe en rien quant à une relation de causalité. Elle permet cependant de construire des outils de diagnostic qui pourront compléter les paramètres biologiques et cliniques usuels, pour autant que l’on puisse confirmer leur valeur ajoutée pour une meilleure prise en charge ou pour améliorer la réponse à un traitement.

Standards analytiques pour l’analyse de composition du microbiote

Les approches moléculaires développées depuis les années 1980 et qui sont la technique de choix pour construire un profil intégral du microbiote dominant ont pu souffrir d’un manque criant de standardisation. Ce n’est plus le cas pour l’analyse métagénomique en shotgun (v. encadré), initiée en 2001, et qui se fonde sur le séquençage massif et le comptage de l’intégralité des gènes dominants du microbiome. Cette approche a fait l’objet d’un travail de standardisation internationale ayant permis en 2015 de faire ressortir 14 procédures standardisées couvrant toute la chaîne de traitement allant de la collecte des selles jusqu’à la bio-analyse en passant par l’extraction d’ADN et le séquençage*.2A contrario, bien que plus ancienne et routinière, l’analyse de composition fondée sur le séquençage du gène codant l’ARN ribosomal 16S, initiée en 1994, n’a pas fait l’objet d’une démarche de standardisation comparable. Cet exercice est d’autant plus attendu que près de 20 sociétés de service et de nombreux laboratoires proposent aujourd’hui à quiconque de faire analyser son microbiote intestinal moyennant paiement, alors que les résultats de ces analyses ne peuvent être réellement comparés et donc utilisés par le clinicien autrement qu’en intra-individu.3 Une lueur d’optimisme peut être apportée cependant dans la mesure où des mélanges microbiens de composition connue sont commercialement disponibles depuis peu et permettent une validation rigoureuse des analyses en constituant un standard externe pour le contrôle de qualité. Chaque prestataire de service devrait pouvoir démontrer que ses analyses permettent bien de retrouver la composition attendue pour ces standards. Cela améliorera à terme la comparabilité des résultats générés par différents laboratoires et donnera à ces analyses la rigueur nécessaire pour enfin construire la preuve des bénéfices attendus de la prise en compte du microbiote dans la pratique clinique.

Altération du potentiel fonctionnel du microbiote

Les premières analyses sur une base moléculaire se sont attachées à caractériser la composition du microbiote intestinal en ciblant l’ADN dont la stabilité permet la mise en place de technologies robustes. Du gène aux protéines, aux fonctions et aux métabolites, le spectre des outils moléculaires d’exploration reste très large et l’on peut s’attendre à ce que des approches intégratives se popularisent dans l’avenir. Elles permettront de changer de dimension en traduisant le panel de fonctionnalités que sont en mesure d’exprimer les composantes du microbiote. L’approche de métagénomique en shotgun permet néanmoins de reconstruire sur une base bio-informatique les voies métaboliques et les réseaux fonctionnels potentiels de l’écosystème microbien intestinal.

Dysbiose et sévérité des maladies chroniques

Au-delà de la vision statique d’une analyse instantanée, il y a une pertinence majeure dans le contexte des maladies chroniques à réaliser un monitoring du microbiote au fil du temps. En effet, dans de nombreux contextes, le patient va évoluer de stades bénins prépathologiques souvent gérables par le biais de recommandations à valeur préventive à des stades de plus en plus sévères et exigeant une prise en charge d’intensité croissante. C’est le cas dans l’obésité, le diabète, les maladies hépatiques ou l’insuffisance rénale par exemple, qui sont des contextes dans lesquels il serait crucial de pouvoir prédire la vitesse d’évolution de la maladie, et le risque de mortalité dans les stades sévères où la transplantation d’organe peut être le dernier recours.
Une altération concomitante de paramètres du microbiote et de l’hôte (v. figure) a été documentée dans le contexte de l’obésité-diabète4, 5 ou dans le contexte des maladies hépatiques6, 7 ou du syndrome de l’intestin irritable.8 Cela suggère la possibilité de l’installation d’un cercle vicieux reliant le microbiote et certains paramètres de l’hôte.9 Ce concept expliquerait également qu’une symbiose reconstruite dans un animal sans germes (v. encadré), par le transfert de microbiote de patients peut induire un phénotype analogue à la maladie du donneur ou a minima s’accompagner d’un risque métabolique ou inflammatoire. Cela a été observé dans l’obésité,10 la maladie de Crohn,11 la maladie du « foie gras » non alcoolique (non-alcoholic fatty liver disease),12 ou la dépression.13 Cela confère également une rationalité à l’intervention thérapeutique par transfert de microbiote de donneurs sains vers des patients, la démonstration des bénéfices thérapeutiques restant à faire ou à consolider dans ces indications cliniques.

Microbiote et obésité ou diabète

L’altération du microbiote dans l’obésité n’est plus à démontrer, et le lien entre microbiote et insulinorésistance est également établi, même si dans le diabète de type 2 l’administration de metformine est apparue comme un facteur confondant majeur. Dans le surpoids et l’obésité, le microbiote est une source de signatures cliniquement pertinentes. Un critère aussi basique que la richesse en gènes ou espèces, mesurée par métagénomique en shotgun, sépare de façon bimodale les cohortes étudiées en microbiotes appauvris – on parle de paucibiose – par rapport à des microbiotes enrichis – normobiose. La paucibiose est non seulement associée à un statut métabolique et inflammatoire altéré mais elle prédit également la non-réponse à une restriction calorique4 et signe un risque accru dans l’obésité morbide où elle concerne 75 % des sujets ayant un indice de masse corporelle supérieur à 40.

Microbiote et maladies hépatiques

Les maladies hépatiques se caractérisent par une succession de stades commençant par la stéatose et progressant vers des situations de plus en plus sévères à mesure qu’apparaissent l’inflammation puis la fibrose du tissu hépatique et la cirrhose, avec le risque de décès en l’absence de transplantation. L’évolution est variable, et le microbiote intestinal serait un facteur de la dynamique, voire un élément important du basculement vers l’irréversibilité du processus. La place du microbiote comme acteur clé dans les maladies hépatiques a cependant été décrite à travers les comparaisons initiales de patients atteints de cirrhose et de sujets sains contrôles.6 L’altération du microbiote dans la cirrhose est telle qu’un modèle diagnostique fondé sur quelques espèces seulement pourrait permettre de faire le diagnostic de cirrhose sans avoir recours à l’analyse d’une biopsie hépatique. Des travaux en cours sur la stéatose hépatique non alcoolique vont dans le même sens et pourraient aboutir à l’identification de micro-organismes protecteurs utilisables pour retarder l’aggravation. De même, les altérations du microbiote sont plus sévères en cas de cirrhose décompensée que compensée, et le microbiote pourrait prédire l’évolutivité de la maladie et donc, à terme, guider l’adaptation de la prise en charge thérapeutique.

Microbiote et syndrome de l’intestin irritable

Le contexte du syndrome de l’intestin irritable est plus complexe, avec des manifestations très variables affectant diversement le transit et le ballonnement, et associant de façon variable le paramètre d’hypersensibilité viscérale. Les études incluant des patients aussi divers au plan physiopathologique sont d’interprétation délicate. Même si tous les patients atteints de ce syndrome ne semblent pas avoir de dysbiose intestinale, on peut cependant dresser un tableau des altérations qui ont été observées..8 Plus les manifestations sont sévères, plus la paucibiose est marquée et la part des taxons à Gram négatifs du phylum Bacteroidetes importante par rapport aux Prevotellaceae et aux Gram positifs du phylum des Firmicutes. La proportion de sujets méthano-excréteurs (air expiré) diminue également. La valeur diagnostique d’une combinatoire associant ces paramètres du microbiote aux variables physiopathologiques reste cependant à démontrer.

Microbiote et cancers

Après la mise en évidence d’une potentielle altération du microbiote intestinal dans le cancer colorectal, une étude par métagénomique en shotgun a montré que le profil métagénomique est aussi performant que la détection de sang dans les selles comme indicateur de risque mais aussi et surtout que la combinaison des deux augmente la sensibilité de 45 % sans altérer la spécificité du test.14 La pertinence du microbiote intestinal comme signature de risque dans d’autres cancers est explorée, mais ce qui est apparu très nettement dans la période récente est la valeur prédictive de la composition du microbiote pour la réponse aux traitements anticancéreux, qu’il s’agisse de chimiothérapie ou d’immunothérapie. Le profil de microbiote est ainsi prédictif de la réponse du patient aux inhibiteurs de point de contrôle immunitaire.15 Ces travaux ont également conduit à montrer que l’altération du microbiote induite par une antibiothérapie dans les deux mois précédant le début d’une immunothérapie affecte la réponse et diminue les chances de survie du patient. Identifier cette altération en amont d’un traitement programmé pour le cancer permettrait de faire travailler ville et hôpital en synergie pour le bénéfice du patient.

Microbiote et maladies neuro-dégénératives ou neuropsychiatriques

Les travaux sur l’importance du microbiote à travers l’axe intestin-cerveau et les observations précliniques13 et épidémiologiques16 dans ce domaine présagent de découvertes d’importance, mais les observations chez le patient sont encore peu concordantes d’une étude à l’autre. Le recours trop rare encore à la métagénomique en shotgun pourrait l’expliquer. Dans les maladies de Parkinson et d’Alzheimer, les travaux en cours pointent vers une dysbiose que renforce, pour la maladie d’Alzheimer, l’observation qu’un modèle transgénique n’exprime plus de plaques amyloïdes lorsque les animaux sont placés en condition « sans germes ».17 Dans les maladies neuropsychiatriques (autisme, schizophrénie, troubles bipolaires, dépression sévère), les travaux récents documentent la dysbiose et font potentiellement le lien avec des symptômes intestinaux beaucoup plus prévalents qu’en population générale. La gestion de ces symptômes, y compris par transfert de microbiote, pourrait être une stratégie dans l’autisme18, et de nombreuses études sont en cours. Par extension, un rôle du microbiote commence à être documenté dans de nombreuses pathologies auto-immunes.19

Vers une médecine personnalisée ?

Si la recherche cognitive avance de façon très significative vers l’identification de potentiels diagnostiques voire pronostiques du microbiote dans un grand nombre de maladies chroniques intestinales ou extra-intestinales, un verrou important demeure entre l’identification de signatures et la validation de leur signification en clinique. La valeur de tests au plan technique mais également les bénéfices en termes médico-économiques doivent être documentés. Cela pourrait ouvrir le champ d’une médecine personnalisée de la symbiose hôte-microbes et donner toute la robustesse souhaitable à des démarches de prévention d’une médecine de mode de vie qui permettront des économies de santé majeures.
Encadre

Métagénomique en shotgun

C’est l’approche de caractérisation moléculaire du microbiote intestinal passant par l’extraction d’ADN total et le séquençage nouvelle génération. Après « projection » sur le catalogue de tous les gènes identifiés (10 millions à ce jour), les millions de petites séquences produites permettent de générer un profil d’abondance des gènes du métagénome de chaque échantillon. Dans un second temps, le regroupement en génomes permet de générer un profil d’abondance des espèces métagénomiques. Les gènes permettent également de dresser la carte métabolique potentielle de chaque métagénome.

Encadre

Qu’est-ce qu’un animal sans germes ?

Obtenus initialement par hystérectomie ou transfert d’embryons pour les mammifères ou à partir de l’œuf pour les oiseaux, les animaux sans germes ou axéniques sont élevés en enceintes stériles et en présence d’air, d’eau, de litières et d’aliments stérilisés. Ils peuvent être inoculés avec des micro-organismes choisis (souches pures, cocktails ou contenus intestinaux), ce qui permet d’en étudier le rôle fonctionnel.

Références
1. Blottiere HM, Dore J. Impact of newly developed metagenomic tools on our knowledge of the gut microbiota and its role in human health: diagnostic and therapeutic issues. Med Sci 2016;32:944-51.
2. Costea PI, Zeller G, Sunagawa S, et al. Towards standards for human fecal sample processing in metagenomics studies. Nature Biotec 2017;35:1069-77.
3. Thomas V, Clark J, Doré J. Fecal microbiota analysis: an overview of sample collection methods and sequencing strategies. Future Microbiol 2015;10:1485-504.
4. Cotillard A, Kennedy SP, Kong LC, et al. Dietary intervention impact on gut microbial richness. Nature 2013;500:585-8.
5. Le Chatelier E, Nielsen T, Qin J, et al. Richness of human gut microbiome correlates with metabolic markers. Nature 2013;500:541-6.
6. Qin N, Yang FL, Li A, et al. Alterations of the human gut microbiome in liver cirrhosis. Nature 2014;513:59-64.
7. Hartmann P, Seebauer CT, Schnabl B. Alcoholic liver disease: the gut microbiome and liver cross talk. Alcohol Clin Exp Res 2015;39:763-75.
8. Tap J, Derrien M, Tornblom H, et al. Identification of an intestinal microbiota signature associated with severity of irritable bowel syndrome. Gastroenterology 2017;152:111.
9. Van de Guchte M, Blottière HM, Doré J. Humans as holobionts: implications for prevention and therapy. Microbiome 2018;6:81.
10. Ridaura VK, Faith JJ, Rey Fe, et al. Gut microbiota from twins discordant for obesity modulate metabolism in mice. Science 2013;341:1241214.
11. Schaubeck M, Clavel T, Calasan J, et al. Dysbiotic gut microbiota causes transmissible Crohn’s disease-like ileitis independent of failure in antimicrobial defence. Gut 2016;65:225-37.
12. Le Roy T, Llopis M, Lepage P, et al. Intestinal microbiota determines development of non-alcoholic fatty liver disease in mice. Gut 2013;62:1787-94.
13. Kelly JR, Borre Y, O’ Brien C, et al. Transferring the blues: depression-associated gut microbiota induces neurobehavioural changes in the rat. J Psych Res 2016;82:109-18.
14. Zeller G, Tap J, Voigt AY, et al. Potential of fecal microbiota for early-stage detection of colorectal cancer. Mol Sys Biol 2014;10:766.
15. Routy B, Le Chatelier E, Derosa L, et al. Gut microbiome influences efficacy of PD-1–based immunotherapy against epithelial tumors. Science 2018;359:91-7.
16. Valles-Colomer M, Falony G, Darzi Y, et al. The neuroactive potential of the human gut microbiota in quality of life and depression. Nat Microbiol 2019;4:623-32.
17. Harach T, Marungruang N, Duthilleul N, et al. Reduction of Abeta amyloid pathology in APPPS1 transgenic mice in the absence of gut microbiota. SciReports 2017;7:41802.
18. Kang DW, Adams JB, Coleman DM, et al. Long-term benefits of microbiota transfer therapy on autism symptoms and gut microbiota. Sci Reports 2019;9:5821.
19. Opazo MC, Ortega-Rocha EM, Coronado-Arrázola I, et al. Intestinal microbiota influences non-intestinal related autoimmune diseases. Front Microbiol 2018;9:432.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés

Résumé

Le microbiote exerce des fonctions qui en font sans doute un acteur clé de la santé. Il constitue une source de signatures de l’altération de la symbiose hôte-microbes dans les maladies chroniques et un levier potentiel d’actions préventives et thérapeutiques dans un nombre important de conditions cliniques aujourd’hui très impactantes en termes de santé publique. Deux tiers des dépenses de l’Assurance maladie concernent les affections longue durée. Ce texte donne une vision synthétique des maladies impactées par le microbiote, au-delà des maladies inflammatoires de l’intestin, et souligne l’importance de la prévention à laquelle ne sont consacrées que 1,5 % des dépenses de santé.