L’auteur, Julian Barnes, souligne à la fin de ce roman qu’il l’a écrit dans la perspective du Brexit tant il y a de raisons d’être consterné par les attitudes anglaises vis-à-vis de l’Europe, et de conclure : « Samuel Jean Pozzi emplissait son existence de médecine, d’art, de voyages, d’amis et connaissances, de politique et d’autant de sexe que possible. Il n’était heureusement pas sans défauts, mais je le présenterais, néanmoins, comme une sorte de héros. »
Le ton de l’ouvrage, mi-roman, mi-biographie, est donné, il débute à Londres en 1883 : trois Français, un prince, ­Edmond de Polignac, un comte, Robert de Montesquiou, un roturier, Samuel Pozzi, « l’homme en rouge », se retrouvent pour « un shopping intellectuel et décoratif ». C’est à travers les destins entrecroisés de ces trois hommes que l’auteur va évoquer avec érudition et un humour très british la trépidante Belle Époque. Le texte abondamment illustré par les vignettes ­issues des célébrités contemporaines distribuées par Félix Potin dans ses barres de chocolat évoque au fil de la plume Oscar Wilde, Sarah Bernhardt, Huysmans, Marcel Proust, dont le frère Robert fut l’assistant de Pozzi, Barbey d’Aurevilly et beaucoup d’autres. Mais son fil conducteur est la vie de Samuel Pozzi ; comme l’écrit l’auteur, « il est partout ». ­Représenté dans un tableau de John Singer Sargent en 1881, dans une somptueuse robe de chambre rouge, Samuel Pozzi est issu d’une famille protestante d’origine italienne installée à Bergerac où il naît le 3 octobre 1846. Médaille d’or de l’internat de Paris en 1882, il devient, après sa nomination à l’agrégation, l’élève de Paul Broca à l’hôpital de Lourcine-­Pascal, futur hôpital Broca. Dès 1886, il se rend à Édimbourg pour rencontrer Lister et étudier les détails de sa « méthode antiseptique ». Impressionné par l’efficacité du système de santé et de son financement privé, il se rend à plusieurs reprises aux États-Unis et notamment à la Mayo Clinic à Rochester. À son retour, il rénove son service à l’aide de fonds privés, fait installer une bibliothèque et décorer galeries et salles avec comme pièce maîtresse une grande fresque de son ami Georges Clairin, La santé rendue aux malades. Le 1er mai 1901, la première chaire de gynécologie est créée, et Pozzi l’occupe. Lors d’un séjour au Canada, il rencontre Alexis Carrel et présentera ses travaux sur les sutures vasculaires devant l’Académie nationale de médecine, dont il sera membre. Dreyfusard, il assiste au transfert de la dépouille d’Émile Zola au Panthéon. Médecins des célébrités mais ­aussi grand serviteur de l’hôpital public, auteur d’un traité de gynécologie reconnu internationalement, Samuel Pozzi meurt le 11 juin 1918, assassiné par un de ses malades  !
En résumé, un livre passionnant qui restitue brillamment l’atmosphère de la Belle Époque à travers la destinée d’un médecin hors du commun. On ne peut que remercier l’auteur pour son illustration, originale, des liens qui unissent la France et la Grande Bretagne : le prince Edmond de Polignac fut enterré dans le caveau familial des Singer, sur les falaises qui dominent Torquay et d’où l’on peut voir la France.  Jean-Noël Fiessinger

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