À travers les souffrances, les difficultés de l’annonce de la maladie et du suivi de la tolérance au traitement, il est devenu une nécessité de mener une réflexion précoce et pluridisciplinaire sur l’accompagnement des patients atteints de cancer. Lors du 1er Plan cancer, cette prise en charge globale a défini les soins oncologiques de support comme étant « l’ensemble des soins et soutiens nécessaires aux personnes malades et à leurs proches, tout au long de la maladie, conjointement aux traitements onco-hématologiques spécifiques, lorsqu’il y en a ».1 Ces soins ont pour objectif de développer un regard global autour du patient mais également de ses proches, afin de permettre d’appliquer réellement à chaque situation individuelle la notion de médecine personnalisée, rendue possible par une approche multidisciplinaire et pluriprofessionnelle avec pour premier objectif de coordonner les différents acteurs de soins.
La loi du 4 mars 2002 ou loi Kouchner2 avait précédemment proposé de mettre en place un lien regroupant les différents acteurs des soins, qu’ils soient en ville ou à l’hôpital, afin de replacer le patient au centre du dispositif de soins en lui permettant de retrouver une certaine autonomie par rapport à l’accès aux informations mais également dans le cadre de son suivi et de son accompagnement.
Le 2e Plan cancer avait mis l’accent, dans sa mesure 18, sur la nécessité de poursuivre cet effort de lien entre l’hôpital et la ville, notamment à travers la communication et les échanges avec les acteurs des soins au domicile, dont le médecin traitant.3 Cette thématique du développement de la prise en charge en lien avec les acteurs du domicile a également été appuyée dans le cadre du Plan cancer 2014-2019 (v. infra).4
La qualité d’accompagnement des patients atteints de cancer repose sur la démarche des soins de support à toutes les phases de la maladie, depuis le diagnostic (que la maladie soit localisée, avancée ou métastatique) jusqu’à la phase « après cancer » en cas de rémission complète (voire de guérison) ou en lien avec les équipes prenant en charge le patient en fin de vie. Cette vision fait écho à la notion de démarche palliative dans sa perception de globalité (physique, sociale, psychologique et spirituelle) mais également d’interdisciplinarité.5
Plan cancer 2014-2019
Deux actions sont mises en avant au sein de ce guide : l’action 7.6 pour assurer une orientation adéquate vers les soins de support pour tous les malades, et l’action 7.7 pour améliorer l’accès à des soins de support de qualité.
Un panier-référentiel a été proposé, constitué d’un socle de base de quatre soins de support : prise en charge de la douleur ; prise en charge diététique et nutritionnelle ; prise en charge psychologique ; prise en charge sociale, familiale et professionnelle. Ce socle est renforcé par cinq soins de support complémentaires et deux techniques d’analgésie : activité physique ; conseils d’hygiène de vie ; soutien psychologique des proches et des aidants ; soutien à la mise en œuvre de la préservation de la fertilité ; prise en charge des troubles de la sexualité ; hypno-analgésie ; analgésie intrathécale.
La mise en œuvre de ces soins doit être précoce, tout au long du parcours et durant la phase « après cancer ». Un effort particulier doit être fait sur le développement de la communication, l’information et la formation. Les populations à risque et en situations particulières doivent être identifiées et accompagnées de façon spécifique.
Il a été prévu dans ce programme de mobiliser des ressources et des compétences supplémentaires au sein des établissements de santé ainsi qu’en ville.
Un autre point important mis en avant est l’idée d’introduire, dans les critères d’autorisation des établissements, des exigences d’accès et de continuité des soins de support (mesure transversale de la qualité). Les établissements doivent, depuis le premier Plan cancer, permettre un accès aux soins de support, sans que cette mesure n’ait été réellement mise en vigueur dans les critères d’accréditation. Des discussions en cours avec le ministère de la Santé devraient aller dans ce sens pour obtenir l’autorisation d’exercice de la cancérologie. Il est également prévu d’imposer la discussion systématique en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) des besoins en matière de soins de support ainsi que le dépistage systématique de ces besoins, afin d’en activer précocement les équipes compétentes.
De nouveaux modes de rémunération sont à l’étude (forfait parcours, comité de réforme de la tarification hospitalière [CORETAH], etc.), notamment en libéral pour permettre, notamment, l’accès aux consultations de psychologie, ainsi qu’une responsabilisation des agences régionales de santé pour établir un maillage territorial adapté à la prise en charge des patients atteints de cancer.
L’application des soins oncologiques de support repose sur un « socle » de prise en charge, commun à toutes les pathologies cancéreuses (voire chroniques) mais doit également s’adapter à chaque localisation tumorale en fonction de ses spécificités. Par exemple dans le cadre du cancer du sein qui touche un organe complexe aux fonctions multiples (reproduction, esthétique, image corporelle, sexualité), la notion d’accompagnement après le cancer – présente dans le cadre du Plan cancer et très développée aux États-Unis – prend ici une valeur incontournable dans la prise en charge des patientes.
La révolution est en marche mais les mentalités (et les programmes) doivent encore évoluer afin de prendre en soin les patients guéris de leur cancer ainsi que d’accompagner les patients devant apprendre à vivre avec leur pathologie et les traitements au très long cours.
Un patient guéri doit être soutenu dans son retour à une vie intime autant que sociétale, ses séquelles doivent être atténuées, anticipées et gérées.
Un patient sous traitement au long cours doit également faire l’apprentissage de la « patience », du courage à affronter des effets indésirables d’un traitement contre une maladie qui peut rester asymptomatique. Il faut également lui apprendre, et apprendre à son entourage et à la société qui l’entoure, à « vivre avec ».
De l’importance d’intervenir précocement : « early palliative care »
– le Functional Assessment of Cancer Therapy-Lung (FACT-Lung) qui permet une évaluation multidimensionnelle de la qualité de vie (fonctionnelle, émotionnelle, physique et sociale) ;
– le Lung Cancer Subscale (LCS) qui évalue les symptômes spécifiques dans le cadre d’un cancer bronchique ;
– l’Hospital Anxiety and Depression Scale (HADS) qui évalue l’humeur et les souffrances anxiodépressives du patient ;
– le Patient Health Questionnaire-9 (PHQ-9) qui évalue les symptômes dépressifs correspondant aux données de la 4e version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.
Les résultats ont montré un bénéfice de l’accompagnement complémentaire initié précocement dans les 8 semaines suivant le diagnostic de cancer bronchique métastatique :
– sur la qualité de vie : amélioration significative des scores des tests (p = 0,04) ;
– sur l’impact sur l’humeur : amélioration significative en suivant les tests HADS (p = 0,04) et le questionnaire PHQ-9 (p = 0,02) ;
– concernant les gestes agressifs et invasifs en fin de vie (p = 0,05), mais également sur le recueil des directives anticipées de réanimation (ou non-réanimation), avec 53 % versus 28 % en faveur du groupe « expérimental » (p = 0,05) ;
– la durée d’hospitalisation des patients du groupe « expérimental » a été plus longue (durée médiane de 11 jours vs 4 jours ; p = 0,09) ;
– en dépit d’un plus faible taux de gestes agressifs en fin de vie, une différence également significative a été notée concernant la survie globale en faveur des patients du groupe « expérimental » (11,6 vs 8,9 mois ; p = 0,02).
Il s’agit bien, dans cette étude, de mettre en avant l’intérêt d’un travail d’accompagnement conjoint entre équipes de support et équipes curatives et non de favoriser la qualité de vie aux dépens de la quantité de vie.
D’autres études réalisées par des équipes américaines ont rapporté les mêmes résultats en termes de bénéfices sur la qualité de vie.8, 9 Ces études avaient toutes été effectuées dans un contexte de maladie cancéreuse avancée. Une étude plus récente a eu pour objectif de montrer l’impact d’une démarche d’« early palliative care » en situation curative, dans le cadre des greffes de cellules souches en onco-hématologie.10
Le bénéfice de cette démarche s’appuie en fait sur la complémentarité des interventions des équipes prenant en charge le patient, qu’elles soient curatives ou de support, comme des différents acteurs accompagnant le patient en institution ou au domicile.
Un lien ville-hôpital à renforcer
Mobiliser les établissements de santé
Bien que leur organisation soit multidisciplinaire, l’accès aux soins de support passe encore par la validation de l’oncologue référent. L’information des patients, la formation des équipes, l’engagement des professionnels restent encore à optimiser.
Seulement 34 % des patients avaient déjà entendu parler des soins de support, dont 14 % à leur propre initiative, 56 % par leur oncologue et 42 % avaient été informés par leur équipe soignante.
Au sein des organisations et de l’information autour des soins de support, l’oncologue référent tient une place de choix. En effet, selon les patients, cette information est faite par l’oncologue référent pour 63 % d’entre eux, alors qu’elle ne l’est par l’infirmière d’annonce que dans 23 % des cas.
En ville, le médecin généraliste tient également une place importante, puisque 84 % des patients ont rapporté avoir un contact avec leur médecin traitant, tandis que 58 % ont rapporté avoir un contact avec leur infirmière libérale et 52 % avec leur pharmacien officinal.
L’information sur les effets bénéfiques et indésirables des traitements repose essentiellement sur l’oncologue, tandis que 7 % seulement des patients ont rapporté avoir reçu ces informations par leurs pharmaciens.
L’enjeu du futur passe donc tant par l’organisation que par le circuit de l’information, entre professionnels, en direction des patients.
Des RCP pour coordonner les différentes activités transversales
Des organisations diverses
Le suivi à distance et le lien ville-hôpital représentent les nouveaux enjeux de demain avec la possibilité de suivre à distance et d’anticiper les complications des traitements mais également les récidives tumorales.17-19 Le développement des programmes d’auto-évaluation par le patient (patient reported outcomes) permet d’entrevoir non seulement une amélioration de la qualité de vie, mais également un gain en termes de survie dans une étude présentée à l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) 2017, avec une amélioration de la survie globale de plus de 5 mois.17
Le développement des thérapies ciblées et des immunothérapies, avec la spécificité de leurs tolérances, ne peut s’envisager aujourd’hui qu’en partenariat étroit entre spécialistes médicaux et/ou paramédicaux.
Ce regroupement de professionnels, mais également le lien avec les associations de patients, sont également fondamentaux en cancérologie. Ils imposent, au-delà de la connaissance des recommandations et référentiels de bon usage des médicaments de support (antiémétiques, antalgiques, facteurs de croissance des lignées blanches et érythrocytaires…), que chaque praticien soit attentif à la situation de chaque patient, au-delà de la simplicité apparente de chaque dossier. De nombreuses communications sont d’ailleurs présentées lors des grandes rencontres de cancérologie comme l’ASCO mais également l’ESMO, avec des comités d’organisation spécifiques pour les thématiques de soins de support et soins palliatifs, preuve de la prise de conscience de la communauté internationale de l’enjeu des soins de support.
MOBILISER TOUS LES ACTEURS DE SOIN
Une situation clinique
Un patient de 50 ans, veuf avec deux enfants de 19 et 14 ans qu’il élève seul, vient d’être diagnostiqué d’une récidive d’un carcinome épidermoïde du larynx au niveau pulmonaire. Il avait déjà eu une récidive il y a 2 ans, traitée par radiofréquence pulmonaire, compliquée d’un pneumothorax. Ingénieur en communication, il avait dû adapter son activité professionnelle à la suite de sa laryngectomie totale (avec trachéostomie). Cette récidive est de découverte fortuite sur une tomodensitométrie couplée à une tomographie à émission de positons (TEP/TDM) annuelle de contrôle. À l’interrogatoire, il a toutefois perdu 5 kg et se sent plus fatigué lors de ses footings qu’il poursuit. Dans ce contexte métastatique, une association de trois molécules (sel de platine, 5-fluoro-uracile et cétuximab) a été proposée avec une progression tumorale. Il a été décidé de l’inclure dans un protocole d’immunothérapie qu’il poursuit depuis plus de 12 mois.Cette situation clinique met en avant une situation qui pourrait tendre à devenir classique en termes de durée de réponse, les thérapeutiques innovantes en cancérologie permettant aujourd’hui d’allonger la survie de plusieurs mois, voire plusieurs années. La prise en charge a reposé sur un temps chirurgical, un temps de radiologie interventionnelle et suit à présent le cours des associations chimiothérapie-thérapie ciblée puis immunothérapie. Ce patient tolère bien le traitement avec une surveillance adaptée et un contrôle de la maladie.Cependant, plusieurs points (dont la description n’est pas exhaustive) doivent mettre en alerte et mérite une vigilance :— ce patient est jeune, actif, et a encore des enfants à charge ;— la laryngectomie lui a imposé d’adapter sa vie professionnelle autant que personnelle ; après une phase d’apprentissage, il a dû apprendre à gérer le quotidien de « l’absence de voix classique » ;— bien qu’il ne s’en plaigne pas, les souffrances psychologiques et sociales déjà présentes risquent de majorer la tolérance physique liée aux traitements qu’il va devoir endurer ; — la gestion des thérapeutiques, classiques, ciblées et inhibitrices des checkpoints, nécessite une connaissance et un suivi spécifique, ainsi qu’une coordination des soins partagés entre la ville et l’hôpital, ce qui impose un partage de l’information et de structurer le suivi du patient ;— la durée du traitement, dans un contexte métastatique, laisse présager une chronicité de la maladie et des soins, impliquant des ressources diverses afin de maintenir la vigilance et l’observance thérapeutique.
2. Loi n° 2002-303 du 04/03/2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (article L.6321-1).
3. Plan Cancer 2009-2013. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Plan_cancer_2009-2013.pdf
4. Plan Cancer 2014-2019. http://www.e-cancer.fr/le-plan-cancer
5. http://www.sfap.org/content/définition-des-soins-palliatifs- et-de-laccompagnement
6. https://www.e-cancer.fr/.../Axes-opportuns-d-evolution-du-panier- de-soins-oncologiques-de-support).
7. Temel JS, Greer JA, Muzikansky A, et al. Early palliative care for patients with metastatic non Small cell lung cancer. NEJM 2010;363:733-42.
8. Bakitas MA, Tosteson TD, Li Z, et al. Early versus delayed initiation of concurrent palliative oncology care: patient outcomes in the ENABLE III randomized controlled trial. J Clin Oncol 2015;33:1438-45.
9. Temel JS, Greer JA, El-Jawahri A, et al. Effects of early integrated palliative care in patients with lung and gi cancer: a randomized clinical trial. J Clin Oncol 2017;35:834-41.
10. El-Jawahri A, Traeger L, Greer JA, et al. Effect of inpatient palliative care during hematopoietic stem-cell transplant on psychological distress 6 months after transplant: results of a randomized clinical trial. J Clin Oncol 2017;35:3714-21.
11. Scotté F, Hervé C, Oudard S, et al. Supportive care organisation in France: An in depth study by the French speaking association for supportive care in cancer (AFSOS). Eur J Cancer 2013;49:1090-6.
12. Scotté F, Hervé C, Leroy P, et al. Supportive care organization in France: a national in-depth survey among patients and oncologists. Support Care Cancer 2017; 25: 2111-8.
13. Référentiels Inter-régionaux AFSOS: http://www.afsos.org/-Referentiels-Nationaux-.html
14. Ripamonti CI, Molani P, Desti C, et al. A supportive care in cancer unit reduces costs and hospitalizations for transfusions in a comprehensive cancer center. Tumori 2017;103:449-56.
15. Jordan K, Aapro M, Kaasa S, et al. European Society for Medical Oncology (ESMO) position paper on supportive and palliative care. Ann Oncol 2018;29:36-43.
16. Kaasa S, Loge JH, Aapro M, et al. Integration of oncology and palliative care: a Lancet Oncology Commission. Lancet Oncol 2018;19:e588-e653.
17. Basch E, Deal AM, Dueck AC. Patient-reported symptom monitoring during chemotherapy-reply. JAMA 2017;318:1935-6.
18. Denis F, Lethrosne C, Pourel N, et al. Randomized trial comparing a web-mediated follow-up with routine surveillance in lung cancer patients. J Natl Cancer Inst 2017;109. doi:10.1093/jnci/djx029
19. Scotté F, Oudard S, Aboudagga H, Elaidi R, Bonan B. A practical approach to improve safety and management in chemotherapy units based on the PROCHE - programme for optimisation of the chemotherapy network monitoring program. Eur J Cancer 2013;49:541-4.