Le syndrome de l’intestin irritable est un « trouble à symptomatologie somatique non spécifié » ou « syndrome somatique fonctionnel » fréquent (v . p. 197 ). Il toucherait 10 % de la population des pays occidentaux. Il est fréquemment comorbide du trouble dépressif caractérisé et des troubles anxieux, et comme ces troubles anxiodépressifs il serait 2,5 fois plus fréquent chez les femmes.1, 2 La physiopathologie du syndrome de l’intestin irritable et des troubles anxiodépressifs reste insuffisamment connue, mais le rôle potentiel du microbiote intestinal dans la genèse ou l’entretien de ces troubles mentaux chez l’homme ouvre des pistes d’explications originales au-delà d’une vision dualiste somatique- psychique et offre des opportunités thérapeutiques innovantes.
Microbiote
Le microbiote est un ensemble de micro-organismes qui vivent dans un environnement spécifique. Le tube digestif humain abrite plus de 1014 bactéries (majoritairement anaérobies) ainsi que des virus, levures et champignons,3, 4 ce qui signifie qu’il y a 10 fois plus de cellules procaryotes que de cellules eucaryotes dans l’organisme humain. D’un point de vue génomique, le microbiote humain contient 150 fois plus de gènes uniques que le génome humain.5 Le rôle du microbiote intestinal dans la régulation des fonctions vitales de l’organisme-hôte aurait ainsi été considérablement sous-estimé jusqu’à la publication de travaux récents.6, 7 Un entérotype est un groupe de composition bactérienne intestinale spécifique chez l’homme.8 Le consortium de recherche sur le microbiome humain (Human Microbiome Project Consortium) a pour but d’identifier les associations entre les changements de la composition du microbiote et la santé chez l’homme. Plusieurs études issues de ce projet ont déjà été publiées.9, 10
Dysbiose, syndrome de l’intestin irritable et trouble anxiodépressif
Le terme de dysbiose fait référence à des situations dans lesquelles une altération de la composition du microbiote peut potentiellement occasionner des effets négatifs sur l’hôte : par modification de la perméabilité intestinale, qui conduit à une augmentation de la perfusion de certaines endotoxines comme les lipopolysaccharides dans la circulation sanguine ;11 par modulation de l’inflammation locale et périphérique ;12 par diminution de l’absorption de nutriments bénéfiques ou essentiels (comprenant les acides aminés, les vitamines, les acides gras polyinsaturés) et l’augmentation de la synthèse de composés délétères (ammoniac, phénols, indoles, sulphides) ;13, 14 et par activation/désactivation du système nerveux autonome qui est directement connecté au noyau du tractus solitaire.15, 16
Un modèle paradigmatique de l’impact d’une dysbiose sur l’axe intestin-cerveau et dans la physiopathologie des troubles mentaux concerne les troubles dépressifs et anxieux comorbides dans le syndrome de l’intestin irritable. Une gastroentérite aiguë et/ou l’usage d’antibiotiques à tropisme intestinal pourrait être les événements déclencheurs du syndrome de l’intestin irritable dans un grand nombre de cas.17 Une dysbiose intestinale est retrouvée chez les sujets souffrant de ce syndrome ayant une réduction de la diversité bactérienne, une diminution des espèces bactériennes du phylum des Bacteroidetes, et une augmentation de la perméabilité intestinale.18 Les sujets ayant un syndrome de l’intestin irritable de type diarrhée prédominante auraient moins de Lactobacillus et ceux ayant un syndrome de type constipation prédominante plus de Veillonella.17 Les individus souffrant d’un syndrome de l’intestin irritable ont par ailleurs plus de troubles anxiodépressifs et de troubles cognitifs (particulièrement concernant la mémoire de rappel émotionnelle).19
Un modèle paradigmatique de l’impact d’une dysbiose sur l’axe intestin-cerveau et dans la physiopathologie des troubles mentaux concerne les troubles dépressifs et anxieux comorbides dans le syndrome de l’intestin irritable. Une gastroentérite aiguë et/ou l’usage d’antibiotiques à tropisme intestinal pourrait être les événements déclencheurs du syndrome de l’intestin irritable dans un grand nombre de cas.17 Une dysbiose intestinale est retrouvée chez les sujets souffrant de ce syndrome ayant une réduction de la diversité bactérienne, une diminution des espèces bactériennes du phylum des Bacteroidetes, et une augmentation de la perméabilité intestinale.18 Les sujets ayant un syndrome de l’intestin irritable de type diarrhée prédominante auraient moins de Lactobacillus et ceux ayant un syndrome de type constipation prédominante plus de Veillonella.17 Les individus souffrant d’un syndrome de l’intestin irritable ont par ailleurs plus de troubles anxiodépressifs et de troubles cognitifs (particulièrement concernant la mémoire de rappel émotionnelle).19
Traitements ciblant le microbiote intestinal et applications potentielles
Les probiotiques sont généralement définis comme des organismes vivants (préférentiellement d’origine humaine) qui pourraient produire un effet bénéfique sur la santé s’ils sont absorbés en quantité et en durée suffisantes.20 L’idée de traiter les troubles mentaux par l’administration de probiotiques n’est pas nouvelle : en 1910, le Dr George Porter Philips notait que, bien que les comprimés et la poudre de Lactobacillus soient inefficaces, une gélatine contenant des bactéries vivantes améliorait les symptômes d’adultes souffrant de mélancolie.21 La preuve de l’efficacité de l’administration de probiotiques dans le syndrome de l’intestin irritable et les troubles anxiodépressifs reste néanmoins controversée, l’efficacité dépendant du type de lignée administrée, de la quantité, de la durée et de la voie d’administration.22, 23
Le régime alimentaire est l’un des facteurs clés influençant la composition du microbiote intestinal,24 cependant les effets sur le syndrome de l’intestin irritable et les troubles anxiodépressifs restent à étudier.
Les prébiotiques sont des ingrédients non digestibles qui affectent positivement le fonctionnement de l’hôte en stimulant la croissance et/ou l’activité d’un nombre limité de bactéries présentes dans le tube digestif.25 Les prébiotiques classiquement utilisés sont les inulines et les fructo-, galactic- et xylo-oligosaccharides.25 Les effets sur le syndrome de l’intestin irritable et les troubles anxiodépressifs restent à étudier
Plusieurs antibiotiques peuvent avoir une influence majeure sur la composition du microbiote intestinal. Il existe toutefois un fort risque de sélection de bactéries résistantes, et les antibiotiques ne semblent pas recommandés en première intention dans le traitement d’une pathologie liée à une dysbiose intestinale.
La transplantation fécale serait l’une des thérapies les plus radicales pour corriger une dysbiose intestinale. Elle consiste dans le remplacement complet d’un microbiote dysfonctionnel par le microbiote d’un donneur sain. La pratique de la transplantation fécale reste néanmoins extrêmement restreinte du fait du risque d’introduire de nouveaux agents pathogènes chez le receveur.
Le régime alimentaire est l’un des facteurs clés influençant la composition du microbiote intestinal,24 cependant les effets sur le syndrome de l’intestin irritable et les troubles anxiodépressifs restent à étudier.
Les prébiotiques sont des ingrédients non digestibles qui affectent positivement le fonctionnement de l’hôte en stimulant la croissance et/ou l’activité d’un nombre limité de bactéries présentes dans le tube digestif.25 Les prébiotiques classiquement utilisés sont les inulines et les fructo-, galactic- et xylo-oligosaccharides.25 Les effets sur le syndrome de l’intestin irritable et les troubles anxiodépressifs restent à étudier
Plusieurs antibiotiques peuvent avoir une influence majeure sur la composition du microbiote intestinal. Il existe toutefois un fort risque de sélection de bactéries résistantes, et les antibiotiques ne semblent pas recommandés en première intention dans le traitement d’une pathologie liée à une dysbiose intestinale.
La transplantation fécale serait l’une des thérapies les plus radicales pour corriger une dysbiose intestinale. Elle consiste dans le remplacement complet d’un microbiote dysfonctionnel par le microbiote d’un donneur sain. La pratique de la transplantation fécale reste néanmoins extrêmement restreinte du fait du risque d’introduire de nouveaux agents pathogènes chez le receveur.
Un modèle prometteur
Les études futures permettront probablement, notamment grâce à la métagénomique, de proposer des normes quantitatives et qualitatives pour différencier le microbiote sain du microbiote pathologique et leurs implications dans la physiopathologie des troubles mentaux. Le syndrome de l’intestin irritable et les troubles anxiodépressifs en font un modèle très intéressant et permettent de souligner les données préliminaires extrêmement prometteuses démontrant le rôle primordial du microbiote intestinal dans le déclenchement et l’entretien de troubles mentaux chez l’homme. Les techniques pour étudier la dysbiose intestinale ne sont pas encore répandues, mais leur coût est en train de diminuer, et l’intérêt grandissant pour ce domaine de recherche promet de nouveaux développements thérapeutiques dans les années à venir.
Références
1. Bonaz BL, Bernstein CN. Brain-gut interactions in inflammatory bowel disease. Gastroenterology 2013;144:36-49.
2. Nahon S, Lahmek P, Durance C, et al. Risk factors of anxiety and depression in inflammatory bowel disease. Inflamm Bowel Dis 2012;18:2086-91.
3. Collins PY, Patel V, Joestl SS, et al. Grand challenges in global mental health. Nature 2011;475:27-30.
4. Turroni F, Ribbera A, Foroni E, van Sinderen D, Ventura M. Human gut microbiota and bifidobacteria: from composition to functionality. Antonie van Leeuwenhoek 2008;94:35-50.
5. Qin J, Li R, Raes J, et al. A human gut microbial gene catalogue established by metagenomic sequencing. Nature 2010;464:59-65.
6. Bercik P, Collins SM, Verdu EF. Microbes and the gut-brain axis. Neurogastroenterol Motil 2012;24:405-13.
7. Collins SM, Surette M, Bercik P. The interplay between the intestinal microbiota and the brain. Nat Rev Microbiol 2012;10:735-42.
8. Arumugam M, Raes J, Pelletier E, et al. Enterotypes of the human gut microbiome. Nature 2011;473:174-80.
9. Prince AL, Antony KM, Ma J, Aagaard KM. The microbiome and development: a mother’s perspective. Semin Reprod Med 2014;32:14-22.
10. Human Microbiome Project C. Structure, function and diversity of the healthy human microbiome. Nature 2012;486:207-14.
11. Shanks N, Windle RJ, Perks PA, et al. Early-life exposure to endotoxin alters hypothalamic-pituitary-adrenal function and predisposition to inflammation. Proc Natl Acad Sci USA 2000;97:5645-50.
12. Sommer F, Backhed F. The gut microbiota--masters of host development and physiology. Nat Rev Microbiol 2013;11:227-38.
13. Funk C, Braune A, Grabber JH, Steinhart H, Bunzel M. Model studies of lignified fiber fermentation by human fecal microbiota and its impact on heterocyclic aromatic amine adsorption. Mutat Res 2007;624:41-8.
14. Resta SC. Effects of probiotics and commensals on intestinal epithelial physiology: implications for nutrient handling. J Physiol 2009;587:4169-74.
15. Papadopoulos GC, Parnavelas JG. Monoamine systems in the cerebral cortex: evidence for anatomical specificity. Prog Neurobiol 1991;36:195-200.
16. Aston-Jones G, Rajkowski J, Kubiak P, Valentino RJ, Shipley MT. Role of the locus coeruleus in emotional activation. Prog Brain Res 1996;107:379-402.
17. Kassinen A, Krogius-Kurikka L, Makivuokko H, et al. The fecal microbiota of irritable bowel syndrome patients differs significantly from that of healthy subjects. Gastroenterology 2007;133:24-33.
18. Chassard C, Dapoigny M, Scott KP, et al. Functional dysbiosis within the gut microbiota of patients with constipated-irritable bowel syndrome. Aliment Pharmacol Ther 2012;35:828-38.
19. Kennedy PJ, Clarke G, Quigley EM, Groeger JA, Dinan TG, Cryan JF. Gut memories: towards a cognitive neurobiology of irritable bowel syndrome. Neurosci Biobehav Rev 2012;36:310-40.
20. Caselli M, Cassol F, Calo G, Holton J, Zuliani G, Gasbarrini A. Actual concept of "probiotics": is it more functional to science or business? World J Gastroenterol 2013;19:1527-40.
21. Philips J. The Treatment of melancholia by the lactic acid bacillus. J Mental Sci 1910;56:422-31.
22. Rao AV, Bested AC, Beaulne TM, et al. A randomized, double-blind, placebo-controlled pilot study of a probiotic in emotional symptoms of chronic fatigue syndrome. Gut Pathog 2009;1:6.
23. Barrett JS, Canale KE, Gearry RB, Irving PM, Gibson PR. Probiotic effects on intestinal fermentation patterns in patients with irritable bowel syndrome. World J Gastroenterol 2008;14:5020-4.
24. Cryan JF, O'Mahony SM. The microbiome-gut-brain axis: from bowel to behavior. Neurogastroenterol Motil 2011;23:187-92.
25. Saulnier DM, Gibson GR, Kolida S. In vitro effects of selected synbiotics on the human faecal microbiota composition. FEMS Microbiol Ecol 2008;66:516-27.
2. Nahon S, Lahmek P, Durance C, et al. Risk factors of anxiety and depression in inflammatory bowel disease. Inflamm Bowel Dis 2012;18:2086-91.
3. Collins PY, Patel V, Joestl SS, et al. Grand challenges in global mental health. Nature 2011;475:27-30.
4. Turroni F, Ribbera A, Foroni E, van Sinderen D, Ventura M. Human gut microbiota and bifidobacteria: from composition to functionality. Antonie van Leeuwenhoek 2008;94:35-50.
5. Qin J, Li R, Raes J, et al. A human gut microbial gene catalogue established by metagenomic sequencing. Nature 2010;464:59-65.
6. Bercik P, Collins SM, Verdu EF. Microbes and the gut-brain axis. Neurogastroenterol Motil 2012;24:405-13.
7. Collins SM, Surette M, Bercik P. The interplay between the intestinal microbiota and the brain. Nat Rev Microbiol 2012;10:735-42.
8. Arumugam M, Raes J, Pelletier E, et al. Enterotypes of the human gut microbiome. Nature 2011;473:174-80.
9. Prince AL, Antony KM, Ma J, Aagaard KM. The microbiome and development: a mother’s perspective. Semin Reprod Med 2014;32:14-22.
10. Human Microbiome Project C. Structure, function and diversity of the healthy human microbiome. Nature 2012;486:207-14.
11. Shanks N, Windle RJ, Perks PA, et al. Early-life exposure to endotoxin alters hypothalamic-pituitary-adrenal function and predisposition to inflammation. Proc Natl Acad Sci USA 2000;97:5645-50.
12. Sommer F, Backhed F. The gut microbiota--masters of host development and physiology. Nat Rev Microbiol 2013;11:227-38.
13. Funk C, Braune A, Grabber JH, Steinhart H, Bunzel M. Model studies of lignified fiber fermentation by human fecal microbiota and its impact on heterocyclic aromatic amine adsorption. Mutat Res 2007;624:41-8.
14. Resta SC. Effects of probiotics and commensals on intestinal epithelial physiology: implications for nutrient handling. J Physiol 2009;587:4169-74.
15. Papadopoulos GC, Parnavelas JG. Monoamine systems in the cerebral cortex: evidence for anatomical specificity. Prog Neurobiol 1991;36:195-200.
16. Aston-Jones G, Rajkowski J, Kubiak P, Valentino RJ, Shipley MT. Role of the locus coeruleus in emotional activation. Prog Brain Res 1996;107:379-402.
17. Kassinen A, Krogius-Kurikka L, Makivuokko H, et al. The fecal microbiota of irritable bowel syndrome patients differs significantly from that of healthy subjects. Gastroenterology 2007;133:24-33.
18. Chassard C, Dapoigny M, Scott KP, et al. Functional dysbiosis within the gut microbiota of patients with constipated-irritable bowel syndrome. Aliment Pharmacol Ther 2012;35:828-38.
19. Kennedy PJ, Clarke G, Quigley EM, Groeger JA, Dinan TG, Cryan JF. Gut memories: towards a cognitive neurobiology of irritable bowel syndrome. Neurosci Biobehav Rev 2012;36:310-40.
20. Caselli M, Cassol F, Calo G, Holton J, Zuliani G, Gasbarrini A. Actual concept of "probiotics": is it more functional to science or business? World J Gastroenterol 2013;19:1527-40.
21. Philips J. The Treatment of melancholia by the lactic acid bacillus. J Mental Sci 1910;56:422-31.
22. Rao AV, Bested AC, Beaulne TM, et al. A randomized, double-blind, placebo-controlled pilot study of a probiotic in emotional symptoms of chronic fatigue syndrome. Gut Pathog 2009;1:6.
23. Barrett JS, Canale KE, Gearry RB, Irving PM, Gibson PR. Probiotic effects on intestinal fermentation patterns in patients with irritable bowel syndrome. World J Gastroenterol 2008;14:5020-4.
24. Cryan JF, O'Mahony SM. The microbiome-gut-brain axis: from bowel to behavior. Neurogastroenterol Motil 2011;23:187-92.
25. Saulnier DM, Gibson GR, Kolida S. In vitro effects of selected synbiotics on the human faecal microbiota composition. FEMS Microbiol Ecol 2008;66:516-27.