La thrombose veineuse du membre supérieur (TVMS), qui représente environ 10 % de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV), est en progression. Elle est favorisée par la présence des cathéters veineux ; ainsi, 65 à 93 % des thromboses veineuses profondes des membres supérieurs (TVPMS) sont associées à un cathéter.1, 2 Récemment, une série de 755 thromboses veineuses du membre supérieur rapportait 55,2 % de thromboses veineuses profondes des membres supérieurs associées à un cancer avec, dans 86,2 % des cas, présence d’un matériel endovasculaire.1
Les TVMS révèlent parfois une néoplasie, mais elles compliquent le plus souvent son évolution. Les TVPMS sont une complication fréquente et surviennent chez environ 2 à 6 % des patients cancéreux porteurs de cathéters veineux centraux (CVC) ;3 l’incidence de la thrombose veineuse du membre supérieur secondaire au cathéter chez les patients cancéreux varie de 0,3 à 34 %. L’association entre thromboses veineuses du membre supérieur et cancer est fréquente. Elle est liée à l’usage de CVC, à une forte prévalence de la MTEV dans cette population, secondaire à un état d’hypercoagulabilité, aux compressions vasculaires et aux traitements chirurgicaux.
Trois facteurs de risque principaux
Le risque de thrombose veineuse du membre supérieur dépend de trois facteurs principaux : le patient, le cathéter et la néoplasie, notamment le type de cancer, son caractère métastatique et sa prise en charge (chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie). Il a été démontré que certains traitements anticancéreux, notamment le bévacizumab, les sels de platine et les agents stimulant l’érythropoïétine (EPO), augmentent le risque de thrombose. Comme pour toute MTEV, des facteurs liés au patient (âge, maladie chronique, thrombophilie) favorisent eux aussi les TVMS.
Enfin, il existe un risque spécifique relatif à la pose du cathéter : le nombre de tentatives d’insertion, un guidage par ultrasons, le site et le côté d’insertion (moins de thromboses à droite), le diamètre du cathéter par rapport à la lumière de la veine (ratio inférieur à 0,45), l’emplacement de son extrémité proximale (jonction veine cave supérieure-oreillette droite) ou encore le type de perfusion effectué ont une influence. Les thromboses veineuses du membre supérieur dépendent aussi du type de cathéter (site implantable à plus faible risque que les PICC lines [cathéter central par insertion périphérique] ),4 de sa composition, de sa nature, à valve ou à extrémités ouvertes, et du nombre de ses lumières (plus les voies sont nombreuses dans le cathéter, plus le risque de thrombose augmente).5
Diagnostic : une complication parfois silencieuse
Chez des patients porteurs d’un cancer et d’un cathéter, près de la moitié des thromboses veineuses du membre supérieur sont asymptomatiques. Des signes obstructifs veineux en font suspecter le diagnostic, comme un œdème du membre supérieur, l’apparition d’une circulation veineuse collatérale, des douleurs de membre ou, plus rarement, un syndrome cave supérieur. Il faut savoir l’évoquer, en particulier devant un « gros bras » dans un contexte de cancer du sein avec un curage ganglionnaire, et réaliser un écho-Doppler en cas d’œdème majeur ou atypique dans cette situation où la prévalence du lymphœdème est importante.
Plus rarement, les patients peuvent développer une extension de la thrombose au réseau veineux superficiel, avec un placard inflammatoire ou un cordon induré. Le diagnostic est parfois évoqué devant une fièvre isolée, dont la valeur prédictive positive est cependant faible (23,7 %). Un dysfonctionnement du cathéter fait souvent suspecter le diagnostic de TVMS ; il s’agit rarement d’une thrombose du cathéter mais plus souvent d’une mauvaise position proximale, d’une obstruction intraluminale sans thrombose ou du dysfonctionnement d’une valve anti-retour.
L’imagerie doit confirmer la thrombose veineuse du membre supérieur
En écho-Doppler, les TVMS se manifestent par une incompressibilité de la veine ou, pour les veines non compressibles, par la présence d’un thrombus dans la lumière vasculaire en contact avec la paroi veineuse (
La tomodensitométrie permet également de poser le diagnostic de thrombose veineuse du membre supérieur, mais il faut être vigilant au temps d’injection, qui doit être un temps veineux. En effet, si l’acquisition est trop précoce, des artéfacts de flux peuvent faire porter à tort le diagnostic de TVMS.
Certains situations ne sont pas des thromboses
Plusieurs situations sont appelées, par excès, thrombose de cathéter, mais elles recouvrent des réalités cliniques distinctes qui ne relèvent pas systématiquement d’une anticoagulation. Ainsi, il faut reconnaître les manchons de fibrine, qui correspondent à des amas cellulaires et de fibrine le long du cathéter mais sans contact avec la paroi veineuse. Ces manchons ne nécessitent pas de traitement anticoagulant, et leur risque embolique est faible. Une autre situation est l’occlusion intraluminale du cathéter : la lumière du cathéter est occluse sans qu’un thrombus ne soit visualisé à « l’extérieur » du cathéter. Après vérification de son bon positionnement, ce type d’occlusion nécessite une fibrinolyse in situ, sans anticoagulation curative, afin de restaurer la perméabilité du dispositif. Enfin, s’il est possible d’injecter des produits à travers le cathéter alors que l’aspiration n’est plus possible, il s’agit d’une dysfonction des valves anti-retour internes au cathéter ; ce n’est en aucun cas secondaire à une thrombose.
Embolies pulmonaires associées : quelle fréquence ?
Les thromboses veineuses du membre supérieur semblent moins fréquemment associées aux embolies pulmonaires (EP) que les thromboses veineuses des membres inférieurs (TVMI). Les taux d’EP associés aux TVMS sont estimés entre 2 et 8 %, contre 16 à 27,9 % pour les EP associées aux TVMI. La présence d’une embolie pulmonaire au moment du diagnostic de la thrombose veineuse du membre supérieur est un facteur péjoratif car elle augmente de 2,4 fois le risque de récidive thrombotique.2
De la prévention au traitement
Les recommandations pour la prise en charge thérapeutique des TVMS sont principalement extrapolées à partir des données issues des TVMI, faute d’étude disposant d’une méthodologie robuste. Les patients atteints d’un cancer ont un haut risque à la fois de récidive thrombotique et d’hémorragie ; aussi la balance bénéfice-risque de l’anticoagulation doit-elle être évaluée.
La thromboprophylaxie primaire n’est pas systématique
Chez les patients porteurs d’un cancer et d’un cathéter, une thromboprophylaxie primaire par antivitamine-K ou héparine de bas poids moléculaire (HBPM) serait associée à une réduction significative de la maladie thromboembolique veineuse.6 Cependant, il n’existe pas encore de méthode d’évaluation spécifique du risque thrombotique dans ce type de population. Deux récents essais ont rapporté que les anticoagulants oraux directs (AOD) à dose prophylactique étaient sûrs et efficaces pour prévenir la MTEV associée au cancer chez les patients ambulatoires à haut risque débutant une chimiothérapie systémique. Ainsi, certaines sociétés savantes suggèrent d’envisager une thromboprophylaxie primaire pour ces patients.7 Toutefois, étant donné que les porteurs de cathéters veineux centraux étaient sous-représentés dans ces essais, les mêmes recommandations indiquent qu’une thromboprophylaxie pour prévenir la MTEV liée aux CVC n’est pas systématiquement recommandée.8
Curatif : durée et type d’anticoagulation
Une thrombose veineuse du membre supérieur associée à un cathéter et à un cancer impose un traitement anticoagulant curatif en l’absence de contre-indication. En première intention, un traitement par HBPM est préconisé puisqu’il s’agit d’une thrombose dans un contexte néoplasique.9 Les AOD, en particulier l’apixaban, peuvent être envisagés en seconde intention en fonction des interactions médicamenteuses, de la balance bénéfice-risque hémorragique et de l’observance thérapeutique.
La durée minimale du traitement d’une thrombose veineuse profonde du membre supérieur est de trois mois. Au-delà, sa poursuite peut être envisagée si le cancer est toujours actif et/ou si le cathéter est toujours en place. Le type de traitement anticoagulant d’entretien se discute au cas par cas.
Dans certaines situations, quand la thrombose est non occlusive ou de « petite taille », quelques équipes ont proposé des anticoagulations plus courtes, de l’ordre de six semaines.
En cas de récidive thrombotique sous anticoagulant, il faut toujours s’interroger sur l’observance thérapeutique et vérifier que la dose d’héparine de bas poids moléculaire correspond bien au poids du patient. Si ce dernier était sous HBPM au moment de la récidive, une majoration de 25 % de la posologie doit être envisagée. Si l’événement survient sous anticoagulants oraux directs, une substitution par une HBPM doit être proposée.
En cas de récidive thromboembolique malgré un traitement bien conduit, la mise en place d’un filtre cave supérieur est théoriquement envisageable. Cependant, très peu de centres ont l’expérience de ce type de matériel dont la mise en place expose les patients à une certaine morbidité (3,8 %).
Faut-il extraire le cathéter et dans quels cas ?
En cas de thrombose veineuse du membre supérieur en présence d’un cathéter, le retrait de ce dernier est le principal problème à résoudre. Il faut d’abord réévaluer son fonctionnement et son indication : « est-il toujours nécessaire à la prise en charge du patient ? » Il faut aussi évaluer sa position proximale, qui doit se trouver à la jonction veine cave supérieure-oreillette droite, et s’assurer qu’il n’est pas infecté. Si ces conditions sont remplies, il est inutile de l’enlever.
À l’inverse, dans un contexte de sepsis, il faut procéder au retrait du cathéter dans les meilleurs délais. Dans les autres situations, aucune étude n’indique l’intervalle optimal entre le début de l’anticoagulation et le retrait, mais l’usage consiste à réaliser une anticoagulation de cinq à sept jours avant d’extraire le matériel. Pour étayer cette pratique, une étude a montré qu’en cas d’hémopathie maligne avec thrombose veineuse profonde du membre supérieur associée à un cathéter veineux central, le retrait précoce (avant 48 heures) du CVC n’était pas associé à un risque accru d’embolie pulmonaire par rapport au retrait tardif (après 48 heures) ou à l’absence de retrait.10
Récidive, hémorragie, syndrome post-thrombotique : quelle évolution ?
Les séries oncologiques rétrospectives ont évalué les taux de récidive de la MTEV entre 15,4 et 18,5 %. Dans 69,9 % des cas, les récidives prennent la forme d’une embolie pulmonaire ou d’une thrombose veineuse du membre supérieur. La présence d’une EP associée au diagnostic de TVMS augmente de 2,4 fois le risque de récurrence thrombotique.2
Certains facteurs, comme une thrombose n’intéressant qu’un segment veineux, une thrombose non occlusive, ou des thromboses en présence d’un cathéter endoveineux, seraient associés à une meilleure reperméabilisation.11
En cas de thrombose veineuse du membre supérieur avec ou sans cancer, 1 à 4,6 % des patients subissent une hémorragie majeure, et le taux d’hémorragie mineure est estimé entre 4,6 et 11,5 %. Après une TVMS, le syndrome post-thrombotique est estimé entre 7 et 46 % des cas. Sa fréquence après une TVMS associée à un cathéter n’est pas connue.
Tenir compte du risque hémorragique
Chez les patients porteurs d’un cancer et d’un cathéter veineux central, les thromboses veineuses du membre supérieur sont des complications fréquentes. Les facteurs favorisant ces thromboses sont liés au patient, au cancer, à la pose et au type du cathéter. La nécessité du retrait du cathéter est la première question à se poser. Pour les thromboses veineuses profondes du membre supérieur, une anticoagulation curative d’au moins trois mois doit être proposée ; elle doit toujours tenir compte du risque hémorragique. Actuellement, les héparines de bas poids moléculaire doivent être proposées en première intention, même si les anticoagulants oraux directs occupent de plus en plus de place.
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