Il a fallu attendre 1986 pour pouvoir utiliser un premier médicament ayant une activité antirétrovirale : la zidovudine (AZT), un inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse (INTI). Dix ans plus tard, en 1996, de nouvelles familles thérapeutiques ont émergé (inhibiteurs de la protéase [IP], inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse [INNTI]) et les associations de trois molécules (trithérapies) ont opéré un tournant pronostique majeur, en contrôlant durablement la réplication virale. Depuis, l’arsenal thérapeutique s’est considérablement étoffé, avec six familles médicamenteuses différentes, et le renouvellement des molécules n’a jamais cessé.
Malgré une recherche internationale intensive et continue, aucune stratégie ne permet à l’heure actuelle d’obtenir une guérison. Les antirétroviraux (ARV) constituent aujourd’hui l’unique moyen de contrôler l’infection à long terme.1 Le VIH est un rétrovirus ayant la capacité de s’intégrer dans le génome des cellules CD4+ qu’il infecte. Ces cellules, lorsqu’elles sont quiescentes, constituent le réservoir du virus sur lequel les antirétroviraux ne sont d’aucune efficacité.2 En effet, les antirétroviraux n’agissent que sur un virus qui se réplique.
Leur efficacité s’évalue par la mesure de la charge virale plasmatique, c’est-à-dire le nombre de copies d’ARN viral détectées par millilitre de sang périphérique. Le but est d’obtenir une charge virale indétectable, en-deçà du seuil de la technique (inférieure à 50 copies ARN/mL étant le seuil internationalement retenu). Une charge virale indétectable reflète l’absence de réplication virale dans le sang. Elle garantit la restauration de l’immunité, et donc la diminution, voire la suppression, de la morbi-mortalité liée à l’infection, et l’absence de transmission du virus d’un individu à l’autre, notamment par voie sexuelle.
Quatre principales familles antirétrovirales
Les INTI restent le socle de la plupart des trithérapies
Aujourd’hui encore, les INTI restent le socle de presque toutes les trithérapies (deux INTI associés à un troisième agent d’une autre classe), par paires (TDF-FTC ou TAF-FTC, ABC-3TC [lamivudine]). Ces socles d’INTI existent dans des associations fixes, en bithérapies, qu’il convient de combiner avec une troisième molécule (
Certains INTI comme 3TC-FTC ou TDF-TAF sont actifs contre le virus de l’hépatite B (VHB). En cas de co-infection, l’arrêt de ces INTI peut réactiver le VHB et un autre traitement actif contre le VHB doit être introduit.
Une barrière génétique faible ou intermédiaire
La barrière génétique (Les mutations de résistance qui apparaissent sur le gène de la transcriptase inverse impactent non seulement la molécule utilisée mais également très souvent les autres molécules de la famille (résistance croisée).
Les principales toxicités et les modalités de prescription des INTI sont détaillées dans le
Les INNTI, inducteurs enzymatiques
Une barrière génétique relativement faible
Une seule mutation peut conférer une résistance au traitement par INNTI et, comme pour les INTI, le phénomène des résistances croisées entraîne la résistance à plusieurs molécules de la famille. L’ETR possède une meilleure barrière génétique, et peut rester sensible malgré deux ou trois mutations affectant les autres INNTI. Enfin, la DOR a un profil virologique particulier, et reste en général efficace malgré des mutations de résistance impactant les autres molécules de la classe.Sur le plan pharmacologique, les INNTI sont des inducteurs enzymatiques responsables de nombreuses interactions médicamenteuses et d’une diminution de la concentration plasmatique, donc de l’efficacité, des médicaments qui partagent la même voie de métabolisation. Ces interactions médicamenteuses sont toutefois peu fréquentes avec la RPV et la DOR.
Les principales toxicités et les modalités de prescription des INNTI sont détaillées dans le
Les IP conservent une place de choix, notamment quand l’observance fait défaut
Dans les pays à haut niveau de revenus, seul le darunavir (DRV) reste recommandé, mais l’atazanavir (ATV) est également utilisé (
Une barrière génétique forte, en particulier du DRV
La barrière génétique forte des IP se manifeste, en cas de réplication persistante, par une sélection très progressive des mutations de résistance, autorisant un délai d’intervention plus long que pour d’autres classes d’antirétroviraux, avant que n’émerge une résistance significative in vivo (c’est-à-dire l’accumulation d’un nombre suffisant de mutations). Ceci explique que les IP occupent toujours une place de choix dans l’arsenal thérapeutique, en particulier chez les patients qui rencontrent des difficultés d’observance.Les IP doivent être potentialisés par un inhibiteur du cytochrome P450 pour obtenir une exposition plasmatique satisfaisante. Cette potentialisation est assurée par le ritonavir ou le cobicistat. L’inhibition du cytochrome P450 par le ritonavir ou le cobicistat engendre de nombreuses interactions médicamenteuses, avec le risque d’augmenter les concentrations plasmatiques d’autres médicaments (les corticoïdes, par exemple).
Les principales toxicités et les modalités de prescription des IP sont détaillées dans le
Les INI : classe majeure de l’arsenal thérapeutique
Une puissante activité antirétrovirale
L’activité antirétrovirale des INI est puissante, permettant une suppression virologique rapide.Leur barrière génétique est variable : faible pour le RAL et l’elvitégravir (EVG), elle est beaucoup plus forte pour le dolutégravir (DTG) et le bictégravir (BIC), et probablement intermédiaire pour le cabotégravir (CAB). Les INI sont concernés par la résistance croisée : la plupart des mutations de résistance sélectionnées sous un INI diminuent l’efficacité des autres INI. Néanmoins, les INI dont la barrière génétique est forte (DTG, BIC) peuvent rester efficaces malgré la sélection d’une mutation de résistance sous un INI de première génération (RAL, EVG).
Les INI ont fait leur entrée dans toutes les recommandations mondiales, de l’initiation du traitement aux lignes ultérieures.8 Ils sont au cœur de plusieurs trithérapies et aussi de bithérapies dont l’utilisation est en pleine expansion, permettant d’optimiser et d’alléger les stratégies thérapeutiques.
Les principales toxicités et les modalités de prescription des INI sont détaillées dans le
Comment initier et adapter le traitement antirétroviral ?
Initiation du traitement antirétroviral : personnaliser
La dernière recommandation européenne, émise fin 2020, positionne les régimes antirétroviraux à base d’INI en première intention dans le cadre de trithérapies associant deux INTI au RAL, au DTG ou au BIC.8 Pour la première fois, une bithérapie (associant DTG et 3TC) est recommandée chez le patient naïf, faisant suite aux résultats de l’étude GEMINI.9 Les autres trithérapies recommandées en première ligne associent deux INTI à un INNTI (DOR ou RPV) ou à un IP boosté (DRV/r).
La mise sous traitement antirétroviral doit conduire à l’obtention d’une charge virale plasmatique indétectable (inférieure à 50 copies ARN/mL) au bout de six mois. Du fait d’une charge virale très élevée au moment du diagnostic (supérieure à 5 log10 copies ARN/mL) ou d’une immunodépression profonde (lymphocytes CD4 inférieurs à 200/mm3), cette cinétique peut être retardée.
Optimiser, simplifier et alléger le traitement antirétroviral
Simplifier le traitement signifie réduire le nombre de comprimés ou le nombre de prises, donc améliorer le confort du patient. Alléger signifie réduire le nombre de molécules (bi- ou monothérapie au lieu d’une trithérapie), la dose de certaines molécules ou le nombre de jours de prise, pour diminuer l’exposition cumulée aux antirétroviraux dans le temps. Aucun critère précisément défini ne permet de proposer un allègement de traitement à un patient, en dehors de sa bonne observance, objectivée par une durée de suppression virologique (charge virale indétectable) prolongée.10
L’optimisation du traitement antirétroviral débute par la substitution des molécules les plus toxiques par des molécules plus récentes, ce qui suppose une actualisation constante des connaissances des prescripteurs sur le sujet. Quant à l’allègement du traitement, les bithérapies associant un IP/r à un INTI, un INI à un INTI11 et un INI à un INNTI12 sont désormais très bien évaluées et ont intégré les recommandations internationales. Les monothérapies (IP/r et DTG) ne sont plus recommandées. La prise intermittente du traitement (4 ou 5 jours sur 7) est une stratégie très prometteuse, évaluée dans plusieurs essais, qui devrait aussi prochainement être incluse dans les recommandations internationales.13
Les interruptions thérapeutiques ne sont jamais conseillées
Elles entraînent un rebond virologique, une dégradation de la situation immunitaire et majorent la morbi-mortalité. En cas d’impossibilité temporaire de prise des traitements, une interruption thérapeutique doit être la plus courte possible et doit concerner toutes les molécules, par ailleurs reprises ensemble. Un avis spécialisé doit absolument être sollicité.Gérer l’échec virologique
En cas d’échec virologique avéré (deux mesures successives de la charge virale supérieures à 50 copies ARN/mL), le traitement antirétroviral doit être rediscuté en milieu spécialisé et adapté, en fonction du génotype de résistance (
Nouvelles molécules antirétrovirales et nouveaux modes d’administration
La rilpivirine et le cabotégravir, développés sous forme injectable intramusculaire, ont récemment été évalués dans des essais randomisés et leur efficacité a été démontrée.7 Une injection intramusculaire de ces deux produits tous les mois ou tous les deux mois devrait prochainement devenir une alternative aux formes orales quotidiennes. Des implants sont en cours d’élaboration et pourraient permettre la diffusion très prolongée d’antirétroviraux (plusieurs mois, années peut-être).
De nouvelles familles thérapeutiques émergent, comme les inhibiteurs nucléosidiques de la translocation de la transcriptase inverse14, les inhibiteurs de maturation ou de capside.15 Aussi, de nouvelles associations d’antirétroviraux sont à l’étude, en particulier des bithérapies dont le but est de s’affranchir des molécules les plus toxiques.
Enjeux
1. La vitesse de sélection des mutations de résistance dépend du degré de barrière génétique
La barrière génétique d’une molécule antirétrovirale rend compte de sa capacité à ne pas induire de mutations de résistance sur le virus quand persiste une réplication virale sous traitement (dans le cas d’une inobservance, d’une malabsorption ou d’une interaction médicamenteuse, par exemple).
Une molécule dont la barrière génétique est faible (comme le raltégravir) induit une sélection très rapide de mutations de résistance et perd son efficacité dès qu’une mutation émerge.
Une molécule dont la barrière génétique est élevée (comme le darunavir) induit une sélection relativement lente et faible de mutations de résistance ; une accumulation de plusieurs mutations de résistance est nécessaire pour qu’elle perde son efficacité.
2. Quand initier le traitement antirétroviral ?
Toutes les recommandations mondiales proposent d’initier le traitement antirétroviral dès le diagnostic, indépendamment du nombre de lymphocytes T CD4, les bénéfices en termes de morbi-mortalité et de suppression de la transmission interindividuelle étant désormais clairement établis, quel que soit le niveau d’immunodépression.
En cas de découverte de l’infection par le VIH en primo-infection ou au cours de la grossesse, l’introduction du traitement est une urgence, tant pour le bénéfice individuel (sauvegarde du répertoire immunitaire, diminution de la morbidité à court et long termes liée à l’infection) que collectif (réduction rapide du risque de transmission, sexuelle ou de la mère à l’enfant). Seule la découverte de certaines infections opportunistes au moment du diagnostic impose de différer l’initiation du traitement antirétroviral. C’est le cas pour la tuberculose et la cryptococcose neuroméningée, pour limiter le risque de syndrome de restauration immune (syndrome de réponse inflammatoire systémique, SRIS) dont les conséquences cliniques peuvent être fatales.
3. Le génotype de résistance pour adapter le traitement
Avant l’initiation du traitement antirétroviral ou en cas d’échec virologique, il est recommandé d’effectuer un génotype de résistance, qui consiste à séquencer l’ARN viral (ce qui nécessite une virémie détectable et donc une réplication virale), notamment les gènes codant pour la transcriptase inverse, la protéase et l’intégrase. Après comparaison avec les séquences de référence de souches virales « sauvages » (sans mutations), il est possible de déterminer si des mutations de résistance sont présentes sur le virus du patient, à des positions associées à une résistance aux molécules antirétrovirales utilisables en pratique clinique.
En l’absence de réplication virale (charge virale indétectable), il est possible de réaliser un génotype sur l’ADN viral intégré dans les cellules (réservoir) pour déterminer si cet ADN comporte des mutations de résistance à prendre en compte pour le choix du traitement.
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