Parmi les troubles du sommeil, l’insomnie est la cause la plus fréquente de consultation. Avec son cortège de signes nocturnes (difficultés à l’endormissement, éveils intra-sommeil et réveil trop précoce) et diurnes (fatigue, troubles de l’attention, de la concentration, de la mémoire et troubles de l’humeur…), elle est une maladie des vingt-quatre heures.
Elle peut revêtir une forme aiguë, souvent prise en charge par les médecins généralistes. Cette insomnie de courte durée (ou insomnie transitoire) survient après un événement physique ou psychologique traumatisant, bien identifié par le sujet. Elle cesse progressivement, en moins de trois mois, avec la disparition ou la résolution du stress engendré par l’événement traumatisant. Le médecin doit aider le patient à passer ce cap pour éviter le passage de cette insomnie aiguë à une insomnie chronique. La prescription d’un traitement médicamenteux, dans des conditions précises, est alors possible et admise par la Haute Autorité de santé.1
L’insomnie est dite chronique quand les symptômes nocturnes et diurnes se répètent au moins trois nuits par semaine depuis au moins trois mois.2 L’insomnie peut être isolée, indépendante d’autres affections et est alors dénommée insomnie non comorbide (autrefois appelée insomnie primaire ou psychophysiologique) ou peut coexister avec d’autres pathologies organiques et/ou psychiatriques, elle est alors dénommée insomnie comorbide.
L’ensemble des sociétés savantes, notamment américaine3 et européenne,4 recommande l’approche cognitivo-comportementale (thérapies comportementales et cognitives de l’insomnie [TCCi]) comme traitement de première intention de l’insomnie chronique, du fait de sa plus grande efficacité.
Le traitement médicamenteux de l’insomnie chronique, en association aux TCCi ou en traitement isolé, devrait donc rester le plus souvent un traitement de deuxième ligne. Toutefois, force est de constater que le recours aux médicaments est encore très fréquent en France, favorisé par la faible disponibilité des TCCi, par le coût en France de ce traitement (non pris en charge par l’Assurance maladie), par sa durée de plusieurs semaines (y compris dans les versions courtes ou dans les traitements délivrés sur ordinateur), demandant disponibilité et volonté pour s’y engager. Enfin, les TCCi ne s’avèrent pas efficaces dans tous les cas. Ainsi, en cas d’impossibilité d’accès ou en cas d’insuccès du traitement par TCCi, une thérapeutique médicamenteuse peut être discutée avec le patient,4 après avoir bien précisé le type d’insomnie, l’âge et le profil clinique du patient.

Caractéristiques de l’hypnotique idéal

Un hypnotique idéal doit permettre un endormissement rapide, un sommeil continu, un éveil à une heure appropriée, un lever aisé avec la sensation subjective d’un sommeil réparateur et d’un éveil de qualité, mais il doit aussi permettre la résolution des signes diurnes de l’insomnie, assurant une bonne qualité de vie, sans avoir d’effets indésirables. Il doit respecter la structure normale du sommeil. Enfin, ses effets doivent pouvoir perdurer. À l’arrêt du traitement, il ne doit y avoir ni rebond d’insomnie, ni signe de sevrage, ni accoutumance, ni dépendance.
Pour pouvoir prétendre être labellisée hypnotique, une substance doit faire la preuve de son efficacité par des données subjectives (amélioration des symptômes) mais aussi objectives (par actimétrie ou polysomnographie). Certains hypnotiques, sans répondre à toutes ces exigences, ont un réel impact sur certains symptômes de l’insomnie, les troubles de l’endormissement par exemple. Quel que soit l’hypnotique utilisé, deux questions restent posées : quelle est la durée du traitement ? et quels sont ses effets sur la symptomatologie insomniaque après l’arrêt du traitement ?

Trois classes de médicaments sont prescrites dans l’insomnie non comorbide

Les médicaments commercialisés en France sont moins nombreux que ceux disponibles aux États-Unis et dans les pays asiatiques, compte tenu des exigences de l’Agence européenne du médicament (EMA). Trois grandes classes de médicaments sont utilisées contre l’insomnie : les benzodiazépines et molécules apparentées (« Z-drugs »), les antidépresseurs et les antihistaminiques.

Benzodiazépines et molécules apparentées

Toutes les benzodiazépines et molécules apparentées (ou Z-drugs) sont des agonistes GABA-A (acide gamma-­aminobutyrique A). Le GABA, principal neuromédiateur inhibiteur, favorise le sommeil en inhibant les systèmes d’éveil à partir de l’aire préoptique ventrolatérale. Il existe deux types de récepteurs du GABA et seul le récepteur GABA-A est impliqué dans le sommeil. Il comporte, outre son site récepteur au GABA, des sites qui modulent de façon allostérique la transmission assurée par le GABA. Ainsi, il existe un site de fixation pour les benzodiazépines, un site pour les imidazopyridines, un site pour les cyclopyrrolones. Ces produits majorent l’action gabaergique et assurent donc un effet anti-éveil (tableau 1).
 

Benzodiazépines : à réserver à l’insomnie aiguë

Les benzodiazépines diminuent la latence d’endormissement et améliorent subjectivement la qualité du sommeil, mais elles en modifient l’architecture, en diminuant le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal au profit du sommeil lent léger. Toutes les benzodiazépines ont des propriétés communes : sédative-hypnotique, anxiolytique, myorelaxante, anticonvulsivante. Mais elles ont aussi des effets indésirables :5 elles sont amnésiantes, source d’accoutumance et inductrices de dépendance.
Les benzodiazépines hypnotiques – loprazolam (Havlane), estazolam (Nuctalon), nitrazépam (Mogadon) – ont un Tmax* entre une et trois heures mais une demi-vie qui varie largement (entre 5 et 25 heures). Les benzodiazépines à demi-vie longue doivent être utilisées avec prudence (tableau 1), entraînant des effets sédatifs en journée et favorisant donc les accidents, notamment de la voie publique.6 Les pictogrammes appliqués sur les boîtes de médicaments renseignent sur ce risque accidentel mais semblent avoir peu d’impact. C’est au moment de l’initiation du traitement ou lors d’une augmentation de posologie que le risque est le plus important.
Enfin, chez les sujets âgés, elles peuvent être source de chutes nocturnes et diurnes, et leur usage prolongé pourrait favoriser un risque d’affaiblissement cognitif,7 voire de démence.8
Les benzodiazépines sont indéniablement efficaces sur l’induction et le maintien du sommeil à court terme, mais elles perdent de leur efficacité à long terme.
Ainsi, compte tenu de leurs effets indésirables, du risque de dépendance et de leur inefficacité au long cours, leurs indications sont réservées à l’insomnie aiguë et leur durée de prescription est limitée à vingt-huit jours.
 

Z-drugs : moins d’effets indésirables

Les molécules apparentées, ou Z-drugs, sont le zolpidem (Stilnox) et la zopiclone (Imovane). Leur action est rapide (Tmax de 1,4 à 3 heures) et leur demi-vie est respectivement de 2,5 heures et 5 heures. Ces molécules sont particulièrement efficaces sur l’induction du sommeil ; la zopiclone agit aussi un peu sur le maintien du sommeil compte tenu de sa durée d’action plus longue. Elles ne modifient pas l’architecture du sommeil.
Les règles de prescription des benzodiazépines s’appliquent également aux Z-drugs (durée de prescription limitée à 28 jours) qui, toutefois, sont considérées comme étant exclusivement hypnotiques (sans effet anxiolytique, myorelaxant, ou antiépileptique) et sans effet indésirable le lendemain de la prise compte tenu de leur brève durée d’action, sans rebond d’insomnie, sans syndrome de sevrage à l’arrêt et avec un risque de dépendance plus faible. Il faut faire attention aux prises tardives en milieu de nuit ou à des posologies non conformes (réduire à un demi-comprimé chez les sujets âgés) qui exposent alors aux mêmes risques que les benzodiazépines. De plus, des parasomnies avec troubles moteurs ont été rapportées après prise de zolpidem.9
Quelques conseils de prescription sont résumés dans l’encadré.
Beaucoup d’autres benzodiazépines anxiolytiques sont utilisées comme hypnotiques sans avoir d’autori­sation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication (tableau 2).

Antidépresseurs hors AMM

La prise à faible dose d’antidépresseurs sédatifs dans l’insomnie repose sur la notion selon laquelle beaucoup d’insomniaques seraient des sujets « subanxieux ou subdépressifs », c’est-à-dire ayant quelques symptômes anxieux ou dépressifs sans répondre aux critères requis par le DSM-5 pour être diagnostiqués dépressifs ou atteints de troubles anxieux. Aucun antidépresseur, en France, n’a d’AMM en tant qu’hypnotique.
Les plus utilisés sont les antidépresseurs sédatifs tricycliques : amitriptyline (Laroxyl), trimipramine (Surmontil) et doxépine (Quitaxon) ; ou tétracycliques : miansérine (Athymil), toujours prescrits à faible posologie.
Hormis quelques études en ouvert, seule la doxépine (Quitaxon) a fait l’objet d’études randomisées contrôlées versus placebo dans l’insomnie10 et est approuvée aux États-Unis comme hypnotique. Elle réduit les éveils nocturnes et allonge le temps de sommeil tant subjectivement qu’objectivement, sans effet indésirable majeur si elle est administrée à très faible dose (moins de 10 mg/j).
Ces antidépresseurs agissent par plusieurs voies pharmacologiques (antagonistes sérotoninergiques, anticholinergiques, antihistaminiques).
L’avantage des antidépresseurs est de ne pas entraîner de dépendance.
Leurs inconvénients résident surtout dans leur long délai d’action, la possibilité d’effets indésirables (sédation résiduelle diurne, prise de poids).
La durée du traitement est peu documentée ; empiriquement, le traitement est habituellement donné pendant deux à six mois. Toutefois, la posologie est diminuée très progressivement pour éviter un éventuel effet rebond.

Antihistaminiques : gare aux contre-indications !

Les antihistaminiques H1, utilisés pour lutter contre les allergies, passent facilement la barrière hémato-­encéphalique où ils inhibent l’action d’autres neuro­transmetteurs (sérotonine, dopamine, acétylcholine, adrénaline) et produisent un effet sédatif favorisant l’assoupissement nocturne.
Quatre médicaments (tableau 1) possèdent une AMM dans le traitement de l’insomnie d’endormissement après échec des mesures comportementales : la prométhazine (Phenergan), l’alimémazine (Théralène), la doxylamine (Donormyl) chez l’adulte et l’hydroxyzine (Atarax) chez l’enfant de plus de 3 ans. La doxylamine (Donormyl) est en vente libre. L’efficacité rapportée subjectivement porte sur l’endormissement, le maintien du sommeil et sa durée. Toutefois, le niveau de preuve d’efficacité de ces molécules dans l’insomnie est faible.
Les effets indésirables reposent sur leur possible effet résiduel avec somnolence diurne, sur leurs propriétés anticholinergiques pouvant provoquer vision trouble, bouche sèche, constipation, rétention urinaire, hypotension et dégradation de l’état cognitif chez les sujets âgés, chez lesquels ils sont déconseillés. Avec l’hydroxyzine, des risques d’allongement de l’intervalle QT ou de torsades de pointes ont été décrits.
Les antihistaminiques ne sont donc prescrits que pour des durées brèves, en respectant leurs contre-­indications : glaucome à angle fermé, insuffisance respiratoire, myasthénie, troubles prostatiques notamment.

Médicaments utilisés dans des insomnies comorbides

Certains médicaments sont parfois utilisés dans des insomnies comorbides ; ils n’ont pas leur place dans les autres types d’insomnie.

Syndrome douloureux

Ainsi, dans l’association insomnie et syndrome douloureux, la gabapentine (Neurontin), antiépileptique et antalgique, analogue du GABA dont elle augmente le taux sans se lier aux récepteurs GABA, est utilisée : traitement de l’insomnie comorbide d’un syndrome des jambes sans repos, d’un syndrome de mouvements périodiques de jambes, de douleurs neuropathiques ou d’épilepsie.

Syndrome d’apnées obstructives du sommeil

Une insomnie comorbide particulièrement fréquente est l’insomnie associée au syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS), dénommée COMISA (co-morbid insomnia and sleep apnea). [voir article « Insomnie/apnées du sommeil : COMISA » page 282]. Le traitement de première ligne est l’association TCCi et traitement du SAOS. La TCCi permet une prise en charge efficace de l’insomnie et une meilleure adhésion au traitement par pression positive continue (PPC).
En cas d’impossibilité ou d’échec de cette association thérapeutique, des traitements médicamenteux à visée hypnotique associés au traitement du SAOS ont donné lieu à plusieurs études.11 Ainsi, le zolpidem (10 mg/j) n’aggrave pas les anomalies respiratoires (augmente le seuil d’éveil du patient atteint de SAOS), améliore la latence d’endormissement et l’indice de micro-éveils ; la mirtazapine (antidépresseur qui, par action antagoniste sur les récepteurs 5-HT2/5-HT3, augmente la quantité de sérotonine) réduit l’indice d’apnées-hypopnées (IAH) [par action sur la musculature des voies aériennes supérieures] et entraîne une sédation.
Néanmoins, avant de passer dans la pratique courante, l’utilisation de ces médicaments dans la COMISA nécessite des études supplémentaires.

Troubles psychiatriques

Les neuroleptiques antipsychotiques ont des propriétés sédatives, qu’il s’agisse de la quétiapine (Xeroquel), de la cyamémazine (Tercian) ou de la loxapine (Loxapac) ; ils sont parfois utilisés à faible dose comme hypnotiques dans l’insomnie non comorbide, en dehors de toute preuve d’efficacité et de toute AMM.
Ils doivent être réservés à l’insomnie comorbide des troubles psychiatriques. De plus, ils ont des effets indésirables, notamment cardiaques (allongement de l’intervalle QT), et troubles extrapyramidaux.

Épisodes dépressifs majeurs

L’agomélatine (Valdoxan) est un antidépresseur antagoniste des récepteurs 2C de la sérotonine mais aussi un agoniste des récepteurs 1 et 2 de la mélatonine. Une amélioration des paramètres du sommeil a été rapportée chez les patients avec épisode dépressif majeur, mais ses effets dans le trouble de l’insomnie sans dépression associée n’ont pas été étudiés ; elle ne bénéficie donc pas d’AMM pour le traitement de l’insomnie non comorbide de l’adulte.

Place de la mélatonine dans l’insomnie chronique

La mélatonine est une hormone physiologique synthé­tisée à partir de la sérotonine, au niveau de la glande pinéale, à l’obscurité, par activation d’une voie nerveuse complexe à partir de l’horloge biologique. Sa libération débute en soirée, son pic est atteint vers 4 heures du matin et sa production cesse en début de matinée. La mélatonine n’est pas stockée mais libérée largement dans l’organisme puis hydroxylée au niveau du foie par le cytochrome CYP1A2 ; des interactions médicamenteuses sont possibles avec les médicaments inhibiteurs ou activateurs de ce cytochrome. La mélatonine est un synchroniseur endogène, et n’est en aucun cas un hypnotique.
Elle est facile à fabriquer et existe sous deux formes : la mélatonine à libération immédiate (LI) a une fonction chronobiotique, utile dans les troubles du rythme circadien ; la mélatonine à libération prolongée (LP), Circadin (2 mg), mime la sécrétion physiologique endogène de la mélatonine et a obtenu une AMM pour l’insomnie des sujets âgés de 55 ans ou plus. En effet, avec le vieillissement, sous l’effet de la calcification de la glande pinéale, le taux de sécrétion de la mélatonine décroît et cette diminution est encore plus marquée chez les sujets âgés insomniaques. C’est ainsi qu’est née l’idée de suppléer la baisse de mélatonine endogène par une prescription de mélatonine LP exogène pour améliorer l’insomnie des sujets âgés. Plusieurs études contrôlées, randomisées versus placebo, ont montré que cette forme de mélatonine améliore significativement, tant subjectivement qu’objectivement, la latence d’endormissement et la durée du sommeil, sans en modifier l’architecture. La qualité du sommeil et la qualité de la vigilance au réveil sont jugées bonnes. Ces améliorations se maintiennent sous traitement jusqu’à six mois. À l’arrêt du traitement, ne surviennent ni rebond d’insomnie, ni dépendance, ni syndrome de sevrage. Une conférence de consensus initiée par la Société française de recherche et de médecine du sommeil (SFRMS) a recommandé (grade A), au vu des essais randomisés contrôlés, la prise de mélatonine LP à la dose de 2 mg, 1 à 2 heures avant le coucher, dans l’insomnie non comorbide,12 ce qui correspond aux recommandations de l’AMM. Plus la dose de mélatonine LP est élevée, plus l’effet soporifique augmente, tout en sachant qu’au-delà de 5 mg il y a peu de gain d’efficacité et que le risque de spill-over** augmente.
Dans la pratique, en l’absence de facteur prédictif d’efficacité, il est nécessaire d’administrer le traitement pendant trois semaines avant de juger de l’efficacité ou de la non-efficacité de la mélatonine ; elle peut être prescrite pendant treize semaines.
Prescrite à la bonne dose, à la bonne heure, la mélatonine LP a peu d’effets indésirables ; ils sont peu graves (céphalées, somnolence matinale, déséquilibre, troubles gastro-intestinaux) et disparaissent à l’arrêt du traitement. La majorité des effets indésirables plus graves sont liés aux interactions médicamenteuses au niveau hépatique, avec les psychotropes, les antiépileptiques, les hormones stéroïdes et la warfarine. Il est nécessaire d’être particulièrement attentif chez les malades épileptiques ou avec des troubles psychiatriques, et sa prescription est évitée en cas de maladie auto-immune ou inflammatoire. De même, elle ne doit pas être proposée à la femme enceinte ou allaitante. Une synthèse des recommandations de l’usage de la mélatonine dans l’insomnie comorbide, notamment associée aux troubles psychiatriques, a été publiée.13
La vente de mélatonine en France a explosé ces dernières années, facilitée par une réglementation spécifiquement française qui permet sa vente libre dans de nombreux compléments alimentaires, à un dosage inférieur à 2 mg. La mélatonine n’est en effet considérée, en France, comme un médicament qu’à partir de 2 mg. Elle est alors délivrée sur ordonnance mais n’est pas remboursée par l’Assurance maladie.

Arrivée en France d’un antagoniste de l’orexine

Enfin, une nouvelle approche pharmacologique de l’insomnie est arrivée en Europe, avec l’autorisation de mise sur le marché d’une nouvelle molécule. Depuis la découverte du rôle des orexines, ou hypocrétines, dans la régulation de la veille et de son déficit dans la narcolepsie, l’idée de développer des antagonistes de l’orexine comme hypnotiques a émergé.
Deux antagonistes de l’orexine (le suvorexant et le lemborexant) ont obtenu une AMM aux États-Unis, au Canada et dans des pays asiatiques mais ne sont pas disponibles en Europe.
En 2022, un nouveau DORA (dual orexine receptor antagonist) a obtenu une AMM tant de la part de la Food and Drug Administration (FDA) que de l’Agence européenne du médicament (EMA). Le daridorexant (Quviviq) est un antagoniste des récepteurs OX1 et OX2 ; sa demi-vie est de huit heures, avec un pic plasmatique dans les deux heures ; il est métabolisé par voie hépatique, avec un risque d’interaction avec les inducteurs ou inhibiteurs du cytochrome CYP3A4. Il est recommandé à la posologie de 25 ou 50 mg, en une seule prise, trente minutes avant le coucher et au moins sept heures avant l’heure prévue du lever. Ce médicament a donné lieu à plusieurs études randomisées et contrôlées versus placebo14 avec une étude sur douze semaines15 et une extension d’étude durant quarante semaines. Il se montre efficace sur les différents aspects de l’insomnie : troubles du sommeil, qualité du réveil et troubles de la veille, sans modification de l’architecture du sommeil. Ses effets indésirables sont limités mais plus fréquents que dans le groupe contrôle en ce qui concerne la survenue de somnolence ou de fatigue, de céphalées, d’étourdissements ou de nausées lors de la prise de 50 mg, sans effet grave létal, sans risque de survenue des symptômes de narcolepsie, permettant d’espérer un rapport bénéfice/risque meilleur qu’avec les médicaments actuels. Enfin, le daridorexant n’aggrave pas les troubles respiratoires nocturnes chez les malades avec un SAOS léger ou modéré. Ces résultats d’efficacité et de tolérance sont également observés en population gériatrique.16 Le risque de dépendance semble très réduit avec une tolérance et des signes de sevrage limités.
La possibilité de pouvoir bénéficier depuis le premier mars 2024 de cette nouvelle molécule, au mode d’action innovant, est une bonne nouvelle pour le traitement pharmacologique de l’insomnie chronique non comorbide et de l’insomnie dans la COMISA, par exemple. La place de ces molécules dans la stratégie thérapeutique de l’insomnie chronique devra être précisée, tout comme la durée du traitement et ses modalités d’arrêt.

Prévoir l’arrêt dès la prescription

En France, la disponibilité d’un nombre limité d’hypnotiques rend difficiles les comparaisons avec les traitements utilisés dans d’autres pays.17 Il existe des médicaments efficaces pour traiter une insomnie de quelques nuits, mais des études sont encore nécessaires pour établir des recommandations claires sur le traitement pharmacologique de l’insomnie chronique. Toutefois, de nouvelles molécules ouvrent des perspectives intéressantes. En attendant, les hypnotiques dans l’insomnie chronique sont actuellement une possibilité thérapeutique de deuxième intention, à ne pas négliger, à condition de respecter certaines règles. Toute prescription médicamenteuse de l’insomnie doit tenir compte des particularités de l’insomnie et du profil de santé de chaque sujet et repose sur une décision partagée avec le patient, pour une médecine personnalisée et participative. Un traitement pharmacologique peut aider un malade à passer un cap difficile, elle peut opportunément s’associer momentanément aux autres prises en charge de l’insomnie chronique telles que l’hygiène du sommeil, l’approche comportementale, cognitive et psychologique. Toute la difficulté du traitement médicamenteux est de bien peser le rapport bénéfices/risques pour un sujet donné et de mettre en place une stratégie rigoureuse d’arrêt. 
* Tmax : temps nécessaire pour obtenir une concentration maximale** L’effet « spill-over » (qui peut se traduire par « débordement ») se manifeste par des effets rémanents matinaux à type de somnolence.13
Encadre

Règles de prescription des benzodiazépines et molécules apparentées ()

  • Choisir l’hypnotique adapté à chaque patient.
  • Prescrire la posologie la plus faible possible, quitte à l’augmenter progressivement.
  • En cas de prescription d’une benzodiazépine, privilégier une molécule à courte durée d’action.
  • Si possible, préférer une Z-drug à une benzodiazépine.
  • En cas de prescription d’une Z-drug, inciter le malade à une prise discontinue (arrêt le week-end ou prise 3 ou 4 fois par semaine).
  • Prévenir d’emblée le patient que la prescription n’est autorisée que pour vingt-huit jours.
  • Dès la prescription, prévoir la date et les modalités d’arrêt du traitement.
  • En cas de renouvellement de la prescription, s’interroger sur son intérêt et sur le rapport bénéfices/risques.
  • En cas de prise très prolongée d’une benzodiazépine, mettre en œuvre une procédure de sevrage : sevrage très progressif, par paliers, à un moment favorable, après motivation du patient, avec suivi régulier et parfois aide comportementale.
  • Ne jamais prescrire conjointement deux hypnotiques.
Références
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Résumé

Enfin, une nouvelle classe de médicaments, les anti-orexines, compte un premier représentant commercialisé en France : le daridorexant. La place de ces molécules dans la stratégie thérapeutique de l’insomnie chronique devra être précisée.