Dans le monde, l’éradication des infections pédiatriques par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est loin d’être obtenue. L’Organisation mondiale de la santé estime que 1,3 million de femmes vivant avec le VIH donnent naissance chaque année et, même si 85 % d’entre elles avaient, en 2019, accès à des antirétroviraux (ARV) pendant leur grossesse, 150 000 enfants sont encore nés avec le VIH.1 Les situations responsables de ces infections ­seraient majoritairement les primo-­infections en cours de grossesse, les défauts d’observance et l’absence de traitement par ARV ou un traitement trop tardif.

Un taux de transmission mère-enfant du VIH inférieur à 0,3 % en France

En France, le nombre de naissances chez des femmes vivant avec le VIH est estimé à 1 500 par an et est stable depuis une quinzaine d’années. En l’absence de prévention, le taux de transmission mère-enfant (TME) du VIH-1 était de 15 à 20 %. Grâce aux traitements antirétroviraux, ce taux est actuellement inférieur à 0,3 % (figure), ce qui correspond à moins de 5 enfants infectés par an (estimation).
L’efficacité de la prévention est liée au succès virologique ; le facteur le plus déterminant pour éviter la TME est l’obtention d’une charge virale ­indétectable à l’accouchement. Ainsi, il semble qu’en France les échecs de la prévention soient moins des échecs du traitement que des échecs de prise en charge, comme les prises en charge tardives, les primo-infections en cours de grossesse, les refus de traitement (2 % des femmes). Enfin, même chez les femmes suivies et traitées pendant leur grossesse, quelques cas résiduels de transmission persistent. Les principaux facteurs de risque sont alors les défauts d’observance, un ­début de traitement tardif, un accouchement prématuré.2

Comment prendre en charge une femme enceinte vivant avec le VIH ?

On dispose de trois volets de prévention de la TME. Le traitement par antirétroviraux pendant la grossesse est le plus efficace mais d’autres mesures s’y associent : traitement à l’accouchement, adaptation de la prise en charge obstétricale et prophylaxie chez le nouveau-né.3 Concernant le traitement ARV de la mère pendant la grossesse, deux situations doivent être distinguées :

Dans l’idéal, le traitement a été instauré avant la conception

Il s’agit de la situation la plus fréquente dans les pays du Nord. Depuis 2018, elle concerne en France plus de 75 % des femmes vivant avec le VIH. L’idéal est de définir la stratégie avec la femme, en préconceptionnel, ce qui, actuellement, n’est pas le cas pour toutes les patientes. Lorsque le trai­tement déjà en cours au moment de la conception est efficace sur le plan virologique et bien toléré, la question se pose de changer un ou plusieurs des ARV, s’ils ne font pas partie des traitements de première intention chez la femme enceinte. Actuellement, les recommandations françaises consistent à remplacer ces médicaments par des molécules de première intention pour la grossesse, sauf s’il n’existe pas d’alternative raisonnable, au vu d’antécédents d’intolérance, ­d’interactions ou de résistances. La poursuite du traitement initial, recommandée dans d’autres pays européens ou aux États-Unis, évite de déstabiliser l’observance en modifiant un traitement bien toléré. Actuellement, les molécules déconseillées, faute de données suffisantes, sont la rilpivirine, l’étravirine, et le maraviroc. Concernant les anti-intégrases, le dolutégravir est déconseillé en périconceptionnel du fait d’une alerte sur un risque tératogène, alors que l’elvitégravir et le bictégravir sont déconseillés faute de données.

Femmes non traitées avant la grossesse : débuter le traitement au plus vite

Dans ce cas, il faut débuter le traitement le plus tôt possible, en privilégiant des molécules de première intention ou une alternative, en fonction du profil immuno-virologique et du géno­type de résistance du VIH (tableau). D’une manière générale, il est recommandé de débuter une association de deux inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) et d’un inhibiteur de protéase potentialisé par le ritonavir (IP/r).
Une prise en charge tardive, en milieu de troisième trimestre ou plus tard, est une situation à haut risque, qui impose la mise en route rapide d’un traitement. Celui-ci peut être débuté immédiatement après le dépistage, en informant la patiente et sans attendre les résultats du bilan immuno-virologique. Une courte hospitalisation en maternité est parfois indiquée, non ­seulement pour accompagner au mieux la patiente mais aussi parce qu’un contexte de précarité sociale ou psychologique est souvent présent. Une trithérapie associant deux INTI et le ­darunavir/r intensifiée par raltégravir est recommandée. Des données ayant montré la supériorité des anti-intégrases par rapport aux inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse, en termes de rapidité de la décroissance virologique, on peut aussi envisager une trithérapie composée de deux INTI et du raltégravir ou du dolutégravir4, au-­delà du premier trimestre de grossesse.

Modalités de suivi pendant la grossesse : pluridisciplinarité

Le suivi pluridisciplinaire est important car, même depuis que l’obtention d’un bon contrôle virologique est majoritaire et que le taux de transmission du VIH de la mère à l’enfant a considérablement diminué, ces grossesses restent plus à risque que la moyenne.
Il faut surveiller le risque d’échappement virologique, de toxicité des antirétroviraux et d’accouchement prématuré. Des consultations mensuelles sont recommandées avec l’obstétricien, comportant un suivi biologique (encadré), dont une mesure mensuelle de la charge virale, ce qui diffère nettement du suivi virologique hors grossesse. Toute femme enceinte infectée par le VIH doit bénéficier d’un contact avec un médecin spécialiste du VIH, un obstétricien référent, et si possible avec le pédiatre qui suivra l’enfant.
L’accompagnement thérapeutique à l’observance, des consultations avec une sage-femme, une psychologue et une assistante sociale doivent être proposés, selon les situations et les besoins. Les associations de patients peuvent apporter une aide importante. Les professionnels et les associations doivent encourager les femmes qui n’ont pas révélé leur séropositivité vis-à-vis du VIH à leur conjoint à le faire, et les soutenir dans cette démarche.

Que faire en cas de contrôle virologique insuffisant ?

Lorsque la charge virale maternelle pour le VIH reste supérieure à 50 copies ARN/mL à la fin du 8e mois, soit autour de 36 semaines d’aménorrhée (SA), il faut identifier les causes de cet échec virologique : interactions médicamenteuses, problèmes d’absorption, et surtout difficultés d’observance.
Après évaluation des difficultés psychosociales susceptibles de compromettre la prise du traitement, et des problèmes éventuels de tolérance ­digestive (diarrhée, vomissements), il faut prescrire des dosages d’anti­rétroviraux, pour vérifier que leur concentration plasmatique est correcte, ainsi qu’un test génotypique de résistance. En fonction des résultats, le traitement maternel peut être modifié ou intensifié, en privilégiant une anti-intégrase. Le suivi ultérieur de la charge virale doit être rapproché. Si la tolérance orale est très mauvaise, l’ajout de l’enfuvirtide peut être intéressant dans certains cas, notamment pour faire contrôler l’administration par une infirmière.

Césarienne et zidovudine : la charge virale détermine les indications

La césarienne avant travail, lorsque les membranes sont intactes, et la perfusion de zidovudine pendant le temps du bloc opératoire ont longtemps été les premières mesures de prévention de la TME du VIH. Cependant, il est démontré que, chez les femmes dont la charge virale est contrôlée au moment de l’accouchement, la césarienne n’apporte aucun bénéfice ­supplémentaire : elle ne diminue pas le risque de transmission.5 C’est aussi le cas de la perfusion de zidovudine.
En France, une césarienne est recommandée dès que la charge virale dépasse 400 copies ARN/mL. Ainsi, au cours du 8e mois, la mesure de la charge virale permet de décider de la conduite à tenir pour l’accouchement, au mieux en réunion de concertation multidisciplinaire.
Si, à 34-36 SA, elle est supérieure à 400 copies ARN/mL la femme doit recevoir une perfusion de zidovudine per partum, et la césarienne est systématique, autour de 38 SA. À l’inverse, une femme dont la charge virale est inférieure à 400 copies ARN/mL peut accoucher par voie basse et sans ­perfusion de zidovudine, sans augmenter son risque de transmission.
D’autres gestes obstétricaux restent contre-indiqués (pH au scalp, biopsie de trophoblaste) ou doivent être réalisés avec précaution, si ­possible quand la charge virale est contrôlée (amniocentèse, version par manœuvre externe, déclenchement du travail).

Les sociétés savantes françaises ne conseillent pas l’allaitement maternel

De nombreux essais, menés en Afrique, ont démontré que le risque de transmission par l’allaitement est faible (évalué à 1,5 %) si la femme est traitée par antirétroviraux avec une charge virale indétectable ou si l’enfant reçoit une prophylaxie hautement efficace pendant toute la durée de l’allaitement.6 La balance bénéfice/risque penche alors en faveur de l’allaitement, en raison des risques d’intoxication par de l’eau non potable ou des difficultés d’approvisionnement en lait artificiel.
En France, la situation est différente : il n’existe pas de données permettant d’estimer la transmission du VIH par l’allaitement maternel, mais l’allaitement artificiel ne comporte pas de risque pour la santé de l’enfant. Les sociétés savantes françaises ne conseillent donc pas l’allaitement aux femmes infectées par le VIH.
Il est désormais conseillé de poursuivre le traitement antirétroviral après l’accouchement, quel que soit le statut immuno-virologique de la mère.

Adapter la prophylaxie néonatale

Si le contrôle virologique de la mère est bon, il est recommandé de proposer un traitement postnatal prophylactique chez le nouveau-né, qui repose soit sur la névirapine, pendant 2 semaines, soit sur la zidovudine pendant 4 semaines.
Dans certains cas à haut risque de TME (mère n’ayant pas reçu de traitement durant la grossesse, charge virale maternelle supérieure ou égale à 400 copies ARN/mL à l’accouchement), on propose de renforcer cette prophylaxie. Le nouveau-né à terme reçoit alors une association de zido­vudine et de lamivudine pendant 4 semaines, combinée à la névirapine pendant 2 semaines.

Une réduction spectaculaire

En France, les stratégies de prévention de la transmission mère-enfant du VIH, notamment la généralisation des antirétroviraux, prescrits aussi tôt que possible et idéalement avant la conception, ont permis une réduction spectaculaire du nombre d’enfants infectés à la naissance. Les défis qui restent à relever concernent les moyens de garantir l’accès à des soins de qualité à toutes les femmes. 
Encadre

Suivi biologique d’une femme enceinte infectée par le VIH-1 (rapport Morlat, 2018)

Examens standard de début de grossesse

groupe-Rh, RAI, sérologies hépatite B, hépatite C, syphilis, toxoplasmose et rubéole (si non documentées ou négatives antérieurement), glycémie à jeun.


À retrouver ou à réaliser si le traitement est débuté pendant la grossesse

bilan préthérapeutique complet comportant le nombre de lymphocytes cd4, l’ARN-VIH initial, un génotype de résistance viral aux antirétroviraux et une recherche de HLA-B*5701, dont la positivité contre-indique la prescription d’abacavir.


Suivi du traitement, à adapter selon les ARV, l’évaluation clinique et l’observance

mensuel : charge virale du VIH, NFS-plaquettes, transaminases, créatininémie, bandelette urinaire.

trimestriel : lymphocytes CD4.

au 6e mois (24-28 SA) : hyperglycémie provoquée par voie orale (75 g de glucose).

Références
1. World-Health-Organization. Mother to child transmission of HIV. 2020. Disponible sur : https://www.who.int/teams/global-hiv-hepatitis-and-stis-programmes/hiv/prevention/mother-to-child-transmission-of-hiv
2. Mandelbrot L, Tubiana R, Le Chenadec J, Dollfus C, Faye A, Pannier E, et al. No perinatal HIV-1 transmission from women with effective antiretroviral therapy starting before conception. Clin Infect Dis. 2015;61(11):1715-25.
3. Morlat P, et al ; CNS, ANRS. Désir d’enfant et grossesse. In : Prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH. Recommandations du groupe d’experts. CNS ; 2018. Disponible sur : https://cns.sante.fr/actualites/prise-en-charge-du-vih-recommandations-du-groupe-dexperts/
4. Kintu K, Malaba TR, Nakibuka J, Papamichael C, Colbers A, Byrne K, et al. Dolutegravir versus efavirenz in women starting HIV therapy in late pregnancy (DolPHIN-2): an open-label, randomised controlled trial. Lancet HIV. 2020;7(5):e332-e9.
5. Briand N, Jasseron C, Sibiude J, Azria E, Pollet J, Hammou Y, et al. Cesarean section for HIV-infected women in the combination antiretroviral therapies era, 2000-2010. Am J Obstet Gynecol. 2013;209(4):335 e1- e12.
6. Nagot N, Kankasa C, Tumwine JK, Meda N, Hofmeyr GJ, Vallo R, et al. Extended pre-exposure prophylaxis with lopinavir-ritonavir versus lamivudine to prevent HIV-1 transmission through breastfeeding up to 50 weeks in infants in Africa (ANRS 12174): a randomized controlled trial. Lancet 2016;387:566-73.

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