La prise en charge d’un lymphome peut impacter doublement la fertilité d’une jeune femme : d’une part, par la toxicité ovarienne directe des traitements et, d’autre part, par le délai imposé après traitement avant de pouvoir envisager une grossesse. L’altération de la fertilité secondaire aux traitements du cancer est une préoccupation constante et majeure chez les jeunes femmes ayant survécu à un cancer. Les hommes sont aussi concernés en raison du retentissement des traitements sur la fertilité masculine (encadré).

Impacts importants des traitements sur la fertilité

Mécanismes de la gonadotoxicité de la chimiothérapie et de la radiothérapie

La chimiothérapie et la radiothérapie ont une toxicité sur les follicules en cours de croissance, expliquant la survenue d’une aménorrhée rapidement après le début des traitements. En parallèle, ces traitements, selon leur toxicité gonadique, peuvent entraîner une atrésie des follicules primordiaux (follicules de réserve) responsable d’une perte folliculaire. Cette réduction de la réserve ovarienne peut avoir des conséquences sur la probabi­lité de pouvoir obtenir une grossesse.
La toxicité ovarienne de la chimiothérapie varie en fonction du type d’agent cytotoxique et de la dose cumulée.1 Les agents alkylants, et en particulier le cyclophosphamide, ont une forte toxicité gonadique.1 Elle dépend également de la réserve ovarienne de la patiente au moment du traitement : la toxicité est d’autant moins importante que les patientes sont jeunes (et possèdent donc une bonne réserve ovarienne) au diagnostic.
En cas de radiothérapie incluant les ovaires dans le champ d’irradiation, une atrésie folliculaire est observée de la même façon, avec une très grande gonadotoxicité.

Troubles de la fertilité accrus après traitement d’un lymphome de Hodgkin

De façon globale, de larges études de cohorte ont confirmé que les femmes précédemment traitées pour un lymphome de Hodgkin avaient un sur-risque d’infertilité ultérieure en comparaison aux femmes non traitées pour cancer (risque relatif [RR] : 1,49 ; intervalle de confiance à 95 % [IC à 95 %] : 1,28-1,74).2
Cependant, les traitements des lymphomes de Hodgkin ont une gonadotoxicité variable selon le type de molécules et les doses cumulées. Le protocole ABVD (doxorubicine [Adriamycine], bléomycine, vinblastine, dacarbazine) présente une toxicité ovarienne considérée comme faible. Après traitement par ABVD, les taux d’hormone antimüllérienne (AMH), qui évaluent la réserve ovarienne, reviennent aux taux d’avant traitement dans les six mois suivant la fin de la chimiothérapie.3 Les probabilités de grossesse ainsi que les délais de conception après traitement ne semblent pas non plus différents de ceux de femmes contrôles non traitées.4
En revanche, après chimiothérapie par BEACOPP (bléomycine, étoposide, doxorubicine [Adriamycine], cyclophosphamide, vincristine [Oncovin], procarbazine, prednisone) sont décrites une plus grande fréquence de troubles du cycle perdurant après la fin des traitements,5 et des réductions de taux d’AMH persistant à distance de la fin des traitements.6
Les stratégies de prise en charge récentes, avec possibilité de désescalade (ABVD après deux cures de BEACOPP) en cas de bonne réponse à la tomographie par émission de positons (TEP), ont permis de réduire la gonadotoxicité des traitements, avec un moindre risque d’insuffisance ovarienne prématurée et de réserve ovarienne basse en comparaison aux femmes traitées par six cures de BEACOPP.7
En cas de traitement de rattrapage nécessitant une greffe, le conditionnement préalable, comportant souvent de fortes doses d’agents alkylants, induit une gonadotoxicité très élevée, avec un risque d’insuffisance ovarienne définitive important.1

Méthodes de préservation de la fertilité

Des techniques de préservation de la fertilité se sont développées depuis plusieurs dizaines d’années. La loi de bioéthique8 indique que « toute personne peut bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de tissu germinal (…) lorsqu’une prise en charge médicale est susceptible d’altérer sa fertilité, ou lorsque sa fertilité risque d’être prématurément altérée ». L’accès à une consultation d’information sur les toxicités attendues et sur les méthodes de préservation de la fertilité disponibles doit donc faire partie du parcours de soins de toute femme en âge de procréer. ­Selon son âge, son statut pubertaire, la gonadotoxicité du traitement prévu et le délai disponible, plusieurs méthodes peuvent être proposées (tableau).

Stimulation ovarienne suivie du prélèvement d’ovocytes matures et de la vitrification ovocytaire

Cette technique consiste à réaliser une stimulation ovarienne contrôlée, suivie d’une ponction folliculaire, afin de récupérer des ovocytes matures, qui sont ensuite vitrifiés. Le nombre d’ovocytes obtenus dépend de l’âge et de la réserve ovarienne de la patiente. Cette technique doit impérativement être réalisée avant le début de toute chimiothérapie. Or, le délai nécessaire pour sa réalisation (délai moyen avant de démarrer la stimulation de 9,4 +/- 12,5 jours ajoutés à la durée moyenne de la stimulation de 9,5 +/- 9 jours)9 et la nécessité d’avoir un état hématologique permettant la ponction folliculaire par voie vaginale rendent sa faisabilité difficile dans certaines situations. Cette technique n’est réalisable que chez les femmes pubères.
Considérée comme une technique établie de préservation de la fertilité, elle est proposée en première intention dans de nombreuses recommandations professionnelles.10

Stimulation ovarienne suivie de congélation embryonnaire

Cette technique est associée aux mêmes contraintes de délai et mode de prélèvement que la précédente méthode. Elle n’est proposée qu’aux femmes en situation conjugale stable, la réutilisation des embryons se faisant nécessairement par le couple.

Congélation de cortex ovarien

Elle consiste à prélever, le plus souvent au cours d’une cœlioscopie, un ovaire entier ou une portion d’ovaire, dont le cortex est ensuite fragmenté et congelé. Compte tenu des potentiels risques d’altération de la réserve ovarienne liés au prélèvement lui-même, cette technique n’est utilisée que chez les patientes devant recevoir un traitement fortement gonadotoxique.10 Elle présente comme avantage de ne pas nécessiter de stimulation ovarienne et peut donc être réalisée sans délai. Par ailleurs, c’est la seule technique possible actuellement chez les patientes prépubères.10
Le tissu ovarien peut ensuite être réimplanté chez la patiente et mener à une reprise de la fonction ovarienne endocrine et exocrine avec une possibilité de grossesse naturelle.11 Les séries récentes rapportent des probabilités de grossesse de l’ordre de 30 à 40 %.11

Prélèvement d’ovocytes immatures suivi de maturation in vitro

Les ovocytes immatures prélevés sont maturés au laboratoire avant d’être vitrifiés. Cette technique ne nécessite pas de stimulation ovarienne, permettant de gagner en délai ; elle n’est néanmoins envisagée qu’en cas de contre-­indication ou d’impossibilité de réaliser une stimulation et lorsqu’une congélation de cortex semble excessive, du fait de sa faible rentabilité.

Utilisation d’agonistes de la GnRH pendant la chimiothérapie

Leur administration pourrait limiter le risque de gonadotoxicité des traitements. Cependant, l’efficacité des agonistes de la GnRH (gonadotropin-releasing hormone, gonadolibérine) pour protéger la fonction ovarienne reste discutée.12 Pour le moment, en l’absence de preuve de leur efficacité, il n’est pas recommandé de se reposer sur leur seule utilisation.10 Ces traitements sont également parfois proposés afin d’induire une aménorrhée pendant les traitements pour éviter le risque de ménorragies.

En pratique après traitement

Avant de pouvoir envisager une grossesse, un certain délai (au moins deux ans, mais à adapter à la situation individuelle de la patiente) est préconisé.
Une surveillance gynécologique régulière est recommandée afin de dépister les patientes à risque d’insuffisance ovarienne ou de ménopause précoce ou, pour les plus jeunes, à risque de retard pubertaire ou d’arrêt du développement pubertaire.10 En cas d’insuffisance ovarienne prématurée, un traitement hormonal substitutif est mis en place pour pallier les risques de déminéralisation osseuse et cardiovasculaires induits par la carence hormonale.
Une évaluation régulière des marqueurs de réserve ovarienne (compte des follicules antraux par échographie pelvienne, dosage de l’AMH) est également utile. Leur interprétation doit rester prudente, les marqueurs de réserve ovarienne étant peu prédictifs de l’obtention d’une grossesse naturelle après cancer.13 Cependant, ceux-ci peuvent permettre de dépister les patientes pouvant bénéficier d’une préservation de la fertilité après traitement. En cas d’antécédent de traitement gonadotoxique, et lorsqu’une préservation de la fertilité n’a pas pu être réalisée au moment de la prise en charge initiale, une préservation de fertilité par stimulation ovarienne suivie de vitrification ovocytaire après traitement peut s’envisager.10
Il faut éviter tout pronostic définitif sur l’intégrité de la fonction ovarienne et sur la possibilité d’obtention d’une grossesse. Des reprises d’activité ovarienne parfois tardives sont observées. Une contraception doit être systématiquement envisagée chez toute femme non ménopausée au diagnostic, y compris en cas d’aménorrhée chimio-induite.14 
Encadre

Retentissement des traitements sur la fertilité masculine

Chez l’homme, les traitements du lymphome de Hodgkin peuvent également avoir un retentissement sur la fertilité. La chimiothérapie altère la spermatogenèse, vraisemblablement par destruction des spermatogonies (cellules souches germinales) et des spermatocytes (cellules en cours de différenciation entrées en méiose).

L’effet gonadotoxique de la chimiothérapie dépend de la nature de la molécule et de sa dose cumulative. Les chimiothérapies à haut risque d’insuffisance gonadique sont essentiellement les alkylants : ainsi, la gonadotoxicité est plutôt faible en cas de chimiothérapie ABVD, intermédiaire à élevée pour le BEACOPP et très élevée en cas de conditionnement avant greffe. Les cellules de Leydig sont le plus souvent épargnées par cette gonadotoxicité, et la fonction testiculaire hormonale persiste le plus souvent, même en cas d’atteinte de la spermatogenèse, sauf en cas de traitement à très forte gonadotoxicité comme dans le cas des conditionnements avant greffe.

Une congélation de spermatozoïdes doit être systématiquement proposée avant le début des traitements. Cette technique est possible y compris chez l’adolescent. Pour les patients pré- ou péripubères, une biopsie de tissu testiculaire est proposée en cas de traitement à forte gonadotoxicité.

Une surveillance du spermogramme doit être proposée après la fin des traitements : des récupérations de la spermatogenèse sont possibles à distance. Le bilan ne doit pas être réalisé trop précocement après la fin du traitement ou bien répété car les résultats ne sont pas définitifs.

En cas de congélation de sperme avant traitement, la prise en charge de l’infertilité repose sur des techniques d’assistance médicale à la procréation : inséminations artificielles, fécondation in vitro (FIV) assistée d’une injection intracytoplasmique d’un spermatozoïde (ICSI). Le choix parmi ces techniques repose sur les caractéristiques spermatiques initiales et sur le test de décongélation.

En cas d’échec (lié à un nombre ou une qualité insuffisante des spermatozoïdes cryoconservés ou extraits d’une biopsie) ou en l’absence de cryopréservation de sperme, le don de sperme peut être proposé, ainsi que l’adoption.

Références
1. Levine J, Canada A, Stern CJ. Fertility preservation in adolescents and young adults with cancer. J Clin Oncol 2010;28:4831-41.
2. Velez MP, Richardson H, Baxter NN, McClintock C, Greenblatt E, Barr R, et al. Risk of infertility in female adolescents and young adults with cancer: A population-based cohort study. Hum Reprod 2021;36:1981-8.
3. Decanter C, Delepine J, Behal H, Manier S, Bruno B, Barbatti M, et al. Longitudinal study of AMH variations in 122 Adolescents and Young Adults (AYA) and non-AYA lymphoma patients to evaluate the chemo-induced ovarian toxicity to further personalise fertility preservation counselling. Human Reproduction 2021;36:2743-52.
4. Machet A, Poudou C, Tomowiak C, Gastinne T, Gardembas MM, Systchenko T, et al. Hodgkin lymphoma and female fertility: A multicenter study in women treated with ABVD. Blood Adv 2022bloodadvances.2021005557.
5. Behringer K, Thielen I, Mueller H, Goergen H, Eibl AD, Rosenbrock J, et al. Fertility and gonadal function in female survivors after treatment of early unfavorable Hodgkin lymphoma (HL) within the German Hodgkin Study Group HD14 trial. Annals of Oncology 2012;23:1818-25.
6. Anderson RA, Remedios R, Kirkwood AA, Patrick P, Stevens L, Clifton-Hadley L, et al. Determinants of ovarian function after response-adapted therapy in patients with advanced Hodgkin’s lymphoma (RATHL): A secondary analysis of a randomised phase 3 trial. The Lancet Oncology 2018;19:1328-37.
7. Demeestere I, Racape J, Dechene J, Dupuis J, Morschhauser F, De Wilde V, et al. Gonadal function recovery in patients with advanced Hodgkin lymphoma treated with a PET-adapted regimen: Prospective analysis of a randomized phase III trial (AHL2011). J Clin Oncol 2021;39:3251-60.
8. Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique. 2004.
9. Garcia-Velasco JA, Domingo J, Cobo A, Martínez M, Carmona L, Pellicer A. Five years’ experience using oocyte vitrification to preserve fertility for medical and nonmedical indications. Fertil Steril 2013;99:1994-9.
10. Institut national du cancer (INCa). Préservation de la fertilité chez les hommes et les femmes atteints d’un cancer. Recommandations et référentiels. 2021.
11. Dolmans MM, von Wolff M, Poirot C, Diaz-Garcia C, Cacciottola L, Boissel N, et al. Transplantation of cryopreserved ovarian tissue in a series of 285 women: A review of five leading European centers. Fertil Steril 2021;115:1102-15.
12. Dolmans M-M, Taylor HS, Rodriguez-Wallberg KA, Blumenfeld Z, Lambertini M, von Wolff M, et al. Utility of gonadotropin-releasing hormone agonists for fertility preservation in women receiving chemotherapy: Pros and cons. Fertil Steril 2020;114:725-38.
13. Hamy AS, Porcher R, Eskenazi S, Cuvier C, Giacchetti S, Coussy F, et al. Anti-Müllerian hormone in breast cancer patients treated with chemotherapy: A retrospective evaluation of subsequent pregnancies. Reprod Biomed Online 2016;32:299-307.
14. Pragout D, Laurence V, Baffet H, Raccah-Tebeka B, Rousset-Jablonski C. Contraception and cancer: CNGOF Contraception Guidelines. Gynecol Obstet Fertil Senol 2018;46:834-44.

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