Chez l’enfant, le trouble de stress post- traumatique (TSPT) est considéré comme la première atteinte psychotraumatique apparaissant après un vécu traumatogène,3 avec une prévalence évaluée à 20-50 %. Ce pourcentage varie selon le type d’événement, l’âge… Les violences sexuelles et les prises d’otage entraînent plus de 50 % de TSPT, alors que le taux est d’environ 30 % en cas de catastrophes naturelles. Il est de 39 % chez les moins de 7 ans versus 27 % chez les plus de 12 ans.
Spécificités cliniques
Les reviviscences se traduisent par des cauchemars qui réamorcent les émotions ressenties lors de l’événement, même si leur contenu n’est pas toujours en lien avec ce dernier. Le jeu traumatique est aussi une manifestation classique en pédiatrie : l’enfant remet en scène ce qu’il a vécu, de façon répétitive. Ce symptôme n’est pas souvent repéré par la famille. Il est important de noter que la dimension de plaisir qui caractérise normalement les moments de jeu est absente dans ce cas.
L’évitement des lieux (s’il existe) est souvent le reflet de l’attitude des parents : si ces derniers fuient certains endroits, l’enfant le fera aussi.
Cela concerne également les émotions trop intenses : progressivement, le sujet ne ressent plus de peur, de colère, voire de plaisir. L’identification de ces conduites n’est pas aisée, surtout chez les tout- petits. Un évitement social (mise à distance, détachement par rapport aux proches) est aussi décrit, ainsi que celui de tout objet pouvant rappeler le traumatisme (couteau, voiture, par exemple).
La suractivation neurovégétative s’exprime le plus souvent par des troubles massifs du sommeil : difficultés d’endormissement, réveils nocturnes, sommeil agité avec cauchemars et terreurs sont caractéristiques. Sont également rapportées : sudation excessive, augmentation du rythme cardiaque et respiratoire, douleurs abdominales, hausse de la réponse électrodermale....
Des troubles cognitifs (de la concentration ou de la mémoire) peuvent entraîner des difficultés scolaires. On observe une labilité de l’humeur, avec des crises de colère, tristesse et anxiété.
Lors de l’événement traumatique ou pendant son évocation, l’enfant peut avoir des symptômes dissociatifs comme la dépersonnalisation (détachement de soi ou de son corps, ralentissement temporel) ou la déréalisation (irréalité, éloignement, déformation de l’environnement).1
D’une réaction adaptée à la pathologie
La psychoéducation est indispensable : expliquer à l’enfant et à sa famille ce qu’il est en train de vivre, lui indiquer les réactions de peur adaptées et inadaptées, les modalités de consultations spécialisées, les numéros utiles.
à noter qu’en France, dans les phases immédiates d’une situation sanitaire exceptionnelle, les cellules d’urgence médico-psychologiques (CUMP) peuvent être mobilisées. Ce sont des volontaires professionnels de santé, formés à la prise en charge en urgence du psychotraumatisme. Les consultations réalisées se font en binôme.
Durant le mois suivant l’événement, les symptômes peuvent apparaître et commencer à s’installer. La première consultation spécialisée doit alors être précoce : l’objectif est d’évaluer les risques évolutifs, d’apaiser l’enfant et lui apprendre des techniques simples pour se calmer et mobiliser les compétences préservées.4
Si les manifestations persistent au-delà de 1 mois, on peut poser le diagnostic de TSPT. Une prise en charge doit être proposée.
Les approches psychothérapeutiques sont recommandées en première intention en pédiatrie. Elles doivent être en adéquation avec les altérations fonctionnelles de l’enfant, ses symptômes et ses capacités développementales. Chez les adolescents, on préconise les thérapies cognitivo-comportementales.5 Cependant, le traitement du psychotraumatisme est global et spécialisé : des soins pluridisciplinaires au sein d’un centre médico-psychologique de secteur et dispensé par un pédiatre sont parfois nécessaires.
Le suivi doit être individualisé et ciblé selon les difficultés cliniques et neurocognitives de l’enfant. On privilégie les thérapies brèves mais, si l’enfant a encore des troubles impactant son développement, le suivi est prongé.
Première consultation
Il est essentiel de respecter le rythme de l’enfant et d’expliquer le but de la consultation, en s’adaptant à son âge et à son niveau de développement cognitif et affectif. Certains auront des difficultés à évoquer l’événement traumatique, ils auront besoin pour cela d’établir un lien de confiance avec l’intervenant. Il ne faut pas les forcer à faire le récit de cette expérience car cela peut augmenter et renforcer les conséquences négatives. Les questions posées au patient et à sa famille ne doivent pas être intrusives, mais bienveillantes.
En revanche, s’ils commencent à parler du vécu traumatique, il faut les écouter avec empathie, sans les interrompre. En cas de confusion temporelle ou spatiale, un TSPT avec symptômes dissociatifs peut être évoqué.1 Il est important de ne pas contredire la victime, de ne pas pointer ses incohérences.
Enfin, il faut terminer le rendez-vous sur une note positive : l’enfant et ses parents doivent être rassurés et apaisés. Parler d’une expérience traumatique peut réactiver les émotions ressenties lors de cette dernière : le praticien doit être vigilant à ce que la consultation n’exacerbe pas les symptômes.
Il est important de savoir repérer les signes d’alerte. En effet, certains enfants ne parlent pas spontanément de l’événement (violences sexuelles, harcèlement scolaire, maltraitance). La honte, la culpabilité, la peur de l’agresseur les empêchent de prévenir un adulte.
On doit être attentifs à :
– un changement d’attitude soudain : brusquement, l’enfant se montre plus distant envers sa famille, se replie sur lui-même.6 Pour les tout-petits, les parents peuvent avoir l’impression qu’ils sont « étranges », « bizarres », « comme différents » ;
– des somatisations multiples :7 les plus fréquentes sont : maux de ventre, fatigue et migraines. Dans certains cas, des maladies chroniques débutent (asthme ou diabète réactionnel par exemple) ;7
– la chute des résultats scolaires :8 en raison des difficultés attentionnelles et mnésiques, des souvenirs intrusifs… les difficultés scolaires sont volontiers soudaines et touchent l’ensemble des domaines de compétence de l’enfant (calcul, écriture…) ;
– des troubles du sommeil :9 le rituel du coucher et le sommeil sont perturbés. Les enfants, ayant besoin d’être rassurés, demandent à dormir avec les parents. Si ce comportement persiste, il peut être considéré comme symptomatique d’un TSPT ;
– des régressions développementales : au niveau du langage, des capacités motrices ou bien de la propreté (énurésie ou encoprésie) ;2
– un retour des peurs développementales : du noir, des monstres imaginaires… ; anxiété de séparation ;
– une agitation intense, accompagnée d’une désorganisation comportementale et d’une instabilité psychomotrice.
Grands principes de la prise en charge
Renforcement positif : le traumatisme est une rupture dans le quotidien de l’enfant et de sa famille, dans leur trajectoire de vie. Il ne faut pas essayer d’effacer ce qui s’est passé. Un retour à l’état antérieur n’est pas possible. En revanche, la vie peut reprendre, et c’est tout le travail du thérapeute et du soignant que de l’encourager.
Organisation d’un cadre rassurant et soutenant : chez les victimes, les émotions de surprise ou bien tout ce qui est ambigu peut être jugé comme négatif. Il faut donc éviter au maximum que les patients et leur famille soient « pris au dépourvu » (annulation d’une consultation, changement de lieu ou de médecin…).
Histoire de vie : Elsa, dans le ventre de sa mère lors de l’attentat de Nice
Elle est âgée de 9 mois lorsque sa mère vient consulter pour sa grande sœur au centre d’évaluation pédiatrique du psychotraumatisme de Nice. Ce bébé dort bien, mange bien. « Tout est parfait », nous dit la maman. Pourtant, depuis l’accouchement, quelque chose ne va pas. Démarre alors le récit : le 14 juillet 2016, premières contractions, arrivée à l’hôpital, il est presque 22 heures et le bébé n’est pas encore prêt à sortir. C’est le soir du feu d’artifice, le plus simple est d’aller faire un tour, profiter de la fête, en attendant. Arrivée en famille sur la promenade des Anglais, il commence à pleuvoir, un peu. Un instant d’hésitation, et le camion les dépasse à pleine vitesse.
Le reste est flou : les contractions, le retour à l’hôpital, l’accouchement. « J’étais mal lors de l’accouchement, j’étais là, puis je n’étais pas là. » Cela évoque un trouble dissociatif, qui se prolonge dans les heures suivantes.
Dès le début de la consultation, la maman place le landau face au mur, Elsa est dedans. La position assise n’est pas acquise. Le bébé n’émet aucun son. Son attention semble ne pas se fixer. On débute par le biais d’une suggestion : sortir Elsa de la poussette, l’aider à amorcer l’exploration de son environnement.
À la fin de la consultation, une guidance mère-enfant mensuelle avec un pédopsychiatre est prescrite. Au fur et à mesure, le jeu apparaît, et la croissance staturo-pondérale est relancée. Pour autant, la petite fille explore à peine l’environnement, ne babille pas, a peu d’expressions faciales.
En juillet 2017, Elsa a presque 1 an. Elle est prête à marcher et vient de dire son premier mot : « Papa ». Un projet de socialisation est mis en place avec les parents afin qu’elle passe au moins 3 jours en crèche à partir de septembre.
La rentrée se passe bien. Elle commence à parler, mais uniquement à la crèche. D’autres symptômes apparaissent : troubles de l’endormissement, cauchemars quotidiens (Elsa ne veut plus aller dormir), crises de colère.
Juillet 2018. Il n’y a plus de retard de langage et moins de crises. Les cauchemars et les difficultés de régulation émotionnelle persistent : Elsa se met à hurler dès qu’elle a une émotion forte. La prise en charge doit être réadaptée après évaluation.
Juillet 2019. Malgré quelques crises de colère, parfois des cauchemars, c’est une enfant joyeuse, qui joue avec les autres et a trouvé sa place au sein de sa famille. Son état psychiatrique s’est nettement amélioré. Des rendez-vous trimestriels sont organisés afin de surveiller son évolution clinique.
Traumatisme vicariant : quand les soignants souffrent
Ce phénomène est aujourd’hui bien connu : les soignants qui s’exposent régulièrement au récit traumatique d’autrui sont à risque de développer eux-mêmes des symptômes du trouble de stress post-traumatique, et plus particulièrement des reviviscences. 10 Pour l’éviter, plusieurs moyens : la formation, une bonne connaissance de soi-même, le travail en équipe, les débriefings et la supervision.
Selon une étude récente, le débriefing serait efficace pour aider les soignants.
2. Terr L. Childhood traumas: an outline and overview. Am J Psychiatry 1991;148:10-20.
3. Hornor G. Posttraumatic stress disorder. J Pediatr Health Care 2013;27:e29-e38.
4. Askenazy F, Chauvelin L, Gindt M, Thümmler S. Réponse pédopsychiatrique d’urgence à la suite de l’attentat terroriste du 14 juillet 2016 à Nice, en France. Arch Pediatr 2017;24:1220-7.
5. Cohen JA; The Work Group on Quality Issues. Practice parameters for the assessment and treatment of children and adolescents with posttraumatic stress disorder. J Am Acad Child Psychiatry 1998;37(suppl):4S-26S.
6. Balaban V. Assessment of children. In: Foa E, Keane T, Friedman M, Cohen J, eds. Effective treatments for PTSD. NY: Guilford Press; 2010: 62-80.
7. Bae SM, Kang JM, Chang HY, Han W, Lee SH. PTSD correlates with somatization in sexually abused children: Type of abuse moderates the effect of PTSD on somatization. PloS One 2018, 13(6): e0199138.
8. Alisic E, van der Schoot T, van Ginkel J, Kleber R. Looking beyond posttraumatic stress disorder in children: posttraumatic stress reactions, posttraumatic growth, and quality of life in general population sample. J Clin Psychiatry 2008;69:1455-61.
9. Keeshin B, Berkowitz S, Pynoos R. Pediatrician’s practical approach to sleep disturbances in children who have experienced trauma. Pediatric Annals 2019;48:e280-e285.
10. Bouvier G. Les traumatismes vicariants: définition, contextes et propositions de prise en charge. Eur J Trauma & Dissociation 2019;3:163-9.
Plusieurs centres régionaux sont labélisés « Psycho- trauma ». Vous pouvez y orienter vos patients et obtenir des informations utiles.
10 centres régionaux de ressources et de résilience
• le CHU de Dijon avec 2 centres
• le CHU de Tours
• le CHU de Strasbourg
• le CHU de Lille
• les Hospices civils de Lyon
• les établissements de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris, AP-HP Paris Nord et AP-HP Centre/Sud
• le CHU de la Martinique
• le projet porté en commun par les 3 CHU de la région Occitanie(Toulouse, Montpellier, Nîmes)
• le projet porté conjointement par le CHU de Nice et la Fondation Lenval
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