La réédition de ce livre, très commenté à sa parution, permet de revenir sur un aspect méconnu du IIIe Reich : l’ampleur de la toxicomanie qui sévissait à tous les échelons du régime nazi.
Produites par sa puissante industrie chimique et pharmaceutique, cocaïne et héroïne étaient abondantes dans l’Allemagne d’avant-guerre. Les nazis en firent un des symboles de la dégénérescence du pays après la défaite de 1918 et le très honni traité de Versailles. Dès leur arrivée au pouvoir, ils entreprirent d’éliminer physiquement les personnes dépendantes. Idéologiquement la lutte contre la drogue avait pour but de protéger la pureté de la race aryenne mise à mal par ceux qui voulaient la corrompre, c’est-à-dire les juifs. Un combat mené sous l’égide d’un führer, exemplaire par son style de vie frugal, végétarien et détestant le tabac et l’alcool (ce qui n’était pas le cas de Göring, grand consommateur de cocaïne et de morphine).
Pervitine
Mais cela cachait un dopage d’État. Lorsque la France et le Royaume-Uni déclarèrent la guerre à l’Allemagne après l’invasion de la Pologne, les Allemands prirent conscience de leur infériorité tant en nombre qu’en matériel. Ils firent le choix d’une attaque surprise et éclair en traversant le massif des Ardennes, ce qu’avaient exclu les Alliés. Mais pour faire vite, alors que le terrain difficile retardait troupes et blindés, la seule solution était de ne pas dormir. Cela fut rendu possible grâce à la pervitine, une puissante amphé- tamine produite par les usines Temmler et déjà expé- rimentée avec succès lors de l’invasion de la Pologne. Des millions de comprimés furent fabriqués, distribués et avalés par les soldats et officiers allemands, les pilotes d’avion et les conducteurs de chars (et bientôt par de nombreux civils). La consigne était de prendre 1 comprimé dans la journée, puis dans la nuit « 2 comprimés en prise préventive à court intervalle, et si nécessaire 1 ou 2 comprimés supplémentaires après 3-4 heures. Pour les situations exceptionnelles, on peut empêcher de dormir au-delà de 24 heures ». Excitée et insomniaque, la soldatesque allemande surgira partout où on ne l’attendait pas : « Nous nous trouvions dans une sorte d’extase, un état d’exception », « Nous étions assis dans les camions recouverts de poussière, épuisés et survoltés », tandis que commentant l’effondrement français, l’historien Marc Bloch écrira : « Nous pensions en retard »…
Évidemment les lendemains de la pervitine sont moins glorieux, mais les services médicaux du Reich sont dans le déni. Une accoutumance s’installe avec la nécessité d’augmenter les prises et les doses. Plus la guerre va avancer, plus la consommation aura moins pour but l’excitation guerrière que d’éviter l’effondrement psychologique, notamment face à l’Armée rouge.
Les carnets du Dr Morell
Mais Hitler aussi est dopé. Il ne supporte pas le moindre trouble et exige que son médecin – le Dr Morel – l’en débarrasse sur le champ. Au départ celui-ci lui injecte des vitamines et du glucose. Hitler est ravi mais il en demande toujours plus, d’autant que la situation militaire est en train de se retourner. Aux archives de Washington, les carnets du médecin insuffisamment exploités révèlent un processus délirant. Il faut guérir immédiatement le Führer de ses malaises, de ses troubles intestinaux, de ses tremblements ou de son abattement. C’est l’es- calade : progressivement le médecin lui injecte des cocktails contenant stéroïdes, hormones, cocaïne puis de l’Eucodal, un puissant opiacé. Les injections sont quotidiennes et Hitler complètement dépendant en réclame encore. Remonté à bloc, il impose, méfiant et paranoïaque, à son état-major tétanisé des décisions délirantes. Un complot s’organise contre Morell, mais Hitler ne peut plus se passer de son médecin dealer dont il écarte les concurrents : « Mon cher docteur, je suis heureux et chanceux de vous avoir », lui aurait-il dit. Avril 1945, Morell n’a plus rien à injecter à Hitler si ce n’est de la caféine. Juste avant que le Reich s’effondre, Hitler « en manque » et furieux le congédie après avoir menacé de le fusiller...
Ce serait une réduction d’expliquer la folie meurtrière du nazisme par l’usage de la drogue, mais à défaut d’en être la cause elle en fut un symptôme dont l’analyse ne peut plus être ignorée.
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