Ambroise Paré est connu comme étant le « père de la chirurgie ». Après s’être initié comme compagnon barbier-chirurgien à l’Hôtel-Dieu, il sauve bien des blessés sur les champs de bataille. Chirurgien militaire des rois, il doit également son succès à ses nombreuses publications en français, abondamment illustrées. Son nom est associé à des progrès décisifs, comme la double ligature des artères. Qu’en disent les historiens ?
Ambroise Paré (1509-1590) est incontestablement le plus fameux barbier-chirurgien de l’histoire de France. Son nom trône sur de nombreux hôpitaux, ne serait-ce qu’à Paris, Marseille ou Lyon… Il faut dire que le personnage est séduisant. Parti de rien, simple barbier, il devient chirurgien de quatre rois de France. Sa longue vie épouse le XVIe siècle, c’est-à-dire le génie et les excès de la Renaissance. Ignorant le latin et refusant de l’apprendre, il écrit ses ouvrages en français et s’oppose aux institutions, qu’elles soient représentées par l’Université ou par les chirurgiens-jurés de Saint-Côme. Fidèle inconditionnel de la royauté, il participe à toutes les guerres au service des grands capitaines de la France et surtout de leurs soldats. Peut-être un peu protestant sur les bords dans un monde de pouvoir catholique, ergotant sur tous les livres de ses aînés et de ses pairs, le personnage plaît naturellement par son côté franc, râleur, frondeur, ne respectant que Dieu avec son fameux : « Je le pansay, Dieu le guarist. »
Tellement français jusque dans son arrogance. On lui prête cette réponse au roi Charles IX qu’il doit opérer et qui lui demande de le soigner avec plus d’attention que les gueux qu’il soigne habituellement :
— C’est impossible, sire !
— Mais comment, Ambroise, je suis ton roi !
— Oui, sire, mais c’est impossible. Je soigne mes gueux comme des rois !
Esprit d’égalité et de compassion qui laisse percer son Voltaire ou son Rousseau et leurs accents égalitaires. Il y a de la révolution bourgeoise dans ce Paré-là !
Il fallait associer son nom à des progrès décisifs pour qu’il devienne un mythe. C’est ce que l’histoire et la légende ont contribué à construire.

Qu’est-ce qu’un barbier-chirurgien au XVIe siècle ?

Pendant tout le haut Moyen Âge, la médecine et la chirurgie étaient exercées par des clercs qui étaient les seuls à posséder suffisamment de connaissances pour soigner les paysans dans les monastères ou les villageois dans les « domus Dei » (Hôtel-Dieu).
À partir du XIIe siècle, l’ouverture progressive des universités modifie la situation en attirant non seulement des laïcs mais aussi les élites religieuses. L’Église réagit à cette évolution en décidant d’éloigner les clercs de leur rôle de soignant, surtout si cette fonction leur apporte des avantages incompatibles avec leur statut. En 1215, le quatrième concile du Latran interdit donc explicitement aux prêtres d’exercer la chirurgie :il est fait « Défense aux clercs d’exercer aucune partie de la chirurgie où il faille employer le fer ou le feu. »*

La chirurgie, art mécanique, est confiée aux barbiers

Évidemment, la chirurgie a toujours été faite par le fer (la lancette) et par le feu (le cautère). Mais peu de décisions de l’autorité religieuse ont plus de conséquences que cette interdiction. Car la chirurgie est alors confiée par nécessité aux barbiers non instruits, ce qui la sépare en pratique de l’évolution universitaire de la médecine proprement dite et des docteurs-­médecins. La chirurgie se classe alors avec les arts mécaniques qui s’opposent aux arts libéraux comme la médecine ou le droit, dont l’enseignement reste l’apanage exclusif de l’Université.
Les barbiers s’engouffrent dans la brèche ainsi créée. Tout simplement parce qu’au Moyen âge les barbiers sont les seuls à posséder des lames vraiment coupantes, dont ils entretiennent le fil avec soin, car ces « lancettes » représentent l’âme même de leur pratique sur poils et barbes. Il s’agit de petites lames très bien aiguisées, protégées par deux joues de bois dans lesquelles elles coulissent : un ancêtre de nos « coupe-choux » en quelque sorte !

Du plat à barbe à la saignée

Dans leurs échoppes à l’enseigne du plat à barbe se pressent ainsi ceux dont il faut couper le poil… Et puis aussi, tout naturellement, ceux qui doivent bénéficier d’une saignée au pli du coude réalisée avec un instrument bien tranchant ! Il y a aussi ceux dont l’état justifie qu’on leur incise un abcès devenu douloureux et ceux qui ont une dent à arracher (qui tient couteau peut manier tenaille !), etc. L’ordre dans lequel tout cela est réalisé ne s’inspire pas toujours des données modernes de l’hygiène, mais le résultat reste finalement « globalement satisfaisant ». En fait, dans ces échoppes de barbier, on parle beaucoup, on se tient informé des histoires de la ville, on étale aussi ses misères ! Rien que de très semblable à nos modernes salons de coiffure…
En réalité, les origines exactes du barbier-chirurgien restent obscures, et le début de leurs activités médicales précède sans doute les décisions conciliaires. Si le terme de cirurgie est attesté en ancien français en 1175 chez Chrétien de Troyes qui n’écrit qu’en langue romane,** il n’en est pas de même pour les barbiers qui pratiquent depuis toujours le rasage (barbator, rasorius) et la saignée (sanguinator, phlebotomus). Le mot barbier apparaît en ancien français vers le milieu du XIIIe siècle***, et le plus ancien statut connu de barbier-chirurgien où les deux fonctions sont réunies est employé à Montpellier en 1242.
Il faut aussi considérer que le nombre d’interventions chirurgicales réalisables à cette époque est très faible, si bien que les médecins peuvent parfaitement les sous-traiter sans apparaître pour autant des incapables. L’acte le plus fréquemment pratiqué était la fameuse saignée, issue des théories d’Hippocrate et de Galien sur l’équilibre des humeurs. L’incision et le drainage des abcès de toutes sortes sont aussi courants. Quant au traitement des hernies, la pratique de la lithotomie et quelques autres actes bien rares en réalité, la recette s’en transmet de père en fils ou de maître à élève ; fractures, luxations ou entorses sont traitées, quant à elles, par les rebouteux.
Ainsi, les médecins, qui restent le plus souvent des clercs (ils savent lire et écrire, et connaissent le latin !), bien qu’ils aient reçu l’interdiction formelle d’effectuer tout acte de chirurgie, peuvent donc pérorer en répétant les enseignements des anciens et laisser aux barbiers industrieux mais incultes le soin de trancher dans le vif !

La confrérie de Saint-Côme et Saint-Damien distingue deux types de chirurgiens

Pour réagir à cette situation, Jean Pitard, premier barbier-chirurgien de Saint Louis (puis de Philippe le Hardi et de Philippe le Bel), très respectueux de son art, a l’idée de réunir les chirurgiens parisiens en 1255 en une confrérie : la confrérie de Saint-Côme et de Saint-Damien, qui permet de distinguer :
– les chirurgiens dits « de robe longue » qui doivent désormais passer un examen devant leurs pairs avant d’exercer ;
– des chirurgiens dits « de robe courte » ou barbiers-­chirurgiens qui se cantonnent aux interventions minimes.
La confrérie siège dans un petit bâtiment sis à l’angle de la rue de la Harpe et de la rue des Cordeliers (angle actuel du boulevard Saint-Michel et de la rue de l’École-de-Médecine à Paris). Les barbiers-chirurgiens, s’y réunissent le premier lundi de chaque mois, pour donner des consultations gratuites auxquelles les apprentis sont tenus d’assister. C’est l’origine du Collège de chirurgie, encore appelé Collège de Saint-Côme. On retrouve mention des premiers statuts de cette confrérie en 1379.
Soyons clair, le but de Jean Pitard, rapidement secondé par Henri de Mondeville#, est de créer un collège pour se substituer à l’université, qui refuse les chirurgiens. Ainsi, les chirurgiens « de robe longue » et chirurgiens-jurés## deviennent progressivement des lettrés, connaissant le latin, et ont accès par la lecture aux sources savantes. Ils espèrent rapidement partager le prestige des médecins érudits en défendant une « chirurgie scolastique », qui serait plus qu’un art mécanique mais une « scientia » fondée sur la raison d’Aristote, un savoir (textes chirurgicaux anciens), et sur une pratique raisonnée. Le statut en est fixé par Philippe le Bel dans un édit de novembre 1311### : « Informé qu’à Paris et dans le vicomté, plusieurs étrangers de conduite infâme (voleurs, faux monnayeurs, meurtriers, ribauds) se mêlent, sans avoir été examinés ni reçus, de pratiquer l’art de cirurgie et osent même l’annoncer par des enseignes, le roi ordonne qu’à l’avenir “nul homme ou femme” ne pourra s’immiscer publiquement ou occultement dans cet art sans avoir été examiné par des chirurgiens-jurés, demeurant à Paris. »

Un parcours initiatique

En 1533, arrivant de sa province et déjà expert en rasage, saignée et pansements, Ambroise Paré, à 23 ans, devient compagnon barbier-chirurgien à l’Hôtel-Dieu (fig. 1) sous les ordres de maître Coincterel, chirurgien-chef. Celui-ci remarque ses qualités, le prend sous son aile et le somme de parfaire ses connaissances en anatomie et surtout en latin, car il sait bien que les chirurgiens-jurés ne l’admettront pas dans la confrérie comme chirurgien de robe longue s’il l’ignore. Or il ne peut exercer en tant que chirurgien de robe longue s’il n’intègre pas la confrérie.
Durant ses trois années auprès de Coincterel, ­Ambroise Paré côtoie « tout ce qui peut être d’altération et maladies au corps humain ». Il observe malades et cadavres et participe à l’enseignement de l’anatomie délivré rue de la Bûcherie, tout en critiquant tout ce qui est enseignement livresque : «Ce n’est rien de feuilleter les livres, de gazouiller, de caqueter en chaire de la chirurgie, si la main ne met en usage ce que la raison ordonne.» Mais malgré de réels efforts, le latin ne « rentre pas » et son niveau reste médiocre.

Chirurgien militaire sur tous les fronts

À la fin de ses études, il lui faut trouver un emploi et il choisit de s’attacher comme chirurgien au service du duc René de Montjean, lieutenant-général d’infanterie, pour partir avec ses troupes en Italie (8e guerre d’Italie sous François Ier). C’est incontestablement comme chirurgien militaire qu’il va révéler ses principales qualités : très bon sens de l’observation, courage dans les décisions, compassion avec ses blessés et réel sens de l’organisation.
Ainsi ses principales contributions chirurgicales sont liées à sa carrière militaire (fig. 2).

Des pansements pour les plaies par armes à feu

Les plaies par armes à feu sont une nouveauté de l’époque, et des avis variés ont été émis quant à leur traitement. Jean de Vigo (Giovanni da Vigo, chirurgien italien qui le premier a publié sur le traitement des plaies par bâtons à feu et sur la syphilis) est persuadé que la poudre à canon agit comme un poison et qu’il est nécessaire de brûler la plaie avec un cautère puis d’y porter de l’huile bouillante pour sauver le blessé. Après plusieurs expériences, Ambroise Paré montre qu’il n’en est rien et que des pansements plus doux (avec du jaune d’œuf, de la térébenthine et de l’huile de rosat), sans brûlures, permettent d’obtenir un résultat efficace et évidemment beaucoup moins douloureux.

Les débuts de la double ligature des artères

Avant Ambroise Paré, la technique de l’amputation est ainsi réalisée : avant même d’affûter les couteaux et de sortir les scies de leur boîte, on commence par faire rougir les tisonniers dans les charbons ardents des brûlots. Ils vont servir à cautériser la plaie. Le mot cautère est bien suave pour désigner une pratique assez barbare. À l’époque, on coupe en effet le membre et l’on scie l’os après avoir posé un garrot à la racine du membre, puis on brûle au fer ardent toutes les chairs du moignon jusqu’à en faire du… charbon. Ce charbon, en brûlant les extrémités des veines et des artères, réalise l’hémostase. Toute proportion gardée, ce n’est pas autre chose que ce que font aujourd’hui (plus délicatement tout de même) les bistouris électriques… Évidemment sans anesthésie, la manœuvre est quelque peu douloureuse, pour ne pas dire insupportable ! Mais dans l’air du temps, elle a la vertu de débarrasser, par le feu, des miasmes infernaux de la pourriture. Pourtant, cette technique dont on peut louer une certaine efficacité et le caractère martial cache un talon d’Achille : un de ses risques majeurs consiste en la chute secondaire de l’eschare après une dizaine de jours. C’est alors que le sang artériel jaillit brutalement, entraînant la mort du soldat en quelques saccades seulement.
La grande « première » d’Ambroise Paré se produit alors qu’il est barbier-chirurgien attaché cette fois aux basques du comte de Rohan, qui revient avec l’armée du roi Henri II du « camp d’Allemagne ». L’armée stationne à Damvillers, place sans grande importance, qu’on soumet au pilonnage de l’artillerie. Cependant, erreur de ceux qui se sentent les plus forts sans doute, les tentes des assiégeants ont été installées trop près des murs, si bien que tiré des remparts, un boulet de couleuvrine perce la tente de Rohan et arrache la jambe d’un gentilhomme de sa suite. L’amputation nécessaire est « faite sans appliquer les fers ardents », précise ­Ambroise Paré lorsqu’il publie son livre quelques années plus tard. Une petite phrase toute simple pour indiquer un fait capital dans l’histoire de la chirurgie ! Il précise : « Il faut promptement lier les grosses veines et artères (…). Ce qui se fera en prenant lesdits vaisseaux auec tels instruments, nommés becs de corbin… De ces instrumens faut pinser lesdits vaisseaux qui pource qu’il y a danger de prendre avec eux quelque portion de la chair des muscles ou autres parties… Ainsi tirés, on les doit bien lier auec un fil qui soit en double. » Pratiquer la double ligature… Ambroise Paré a tout compris. On raconte même, que n’ayant pas de fil sous la main pour lier les artères, il prend quelques crins de la queue du cheval de l’ambulance pour réaliser cette ligature double. Et que ceci expliquerait pourquoi les fils chirurgicaux s’appellent encore des crins…

Conception de prothèses de membres

Autre versant de l’activité d’Ambroise Paré : son goût et son génie pour assurer à ses patients des suites les moins invalidantes possibles. Faisant preuve d’un réel talent d’ingénieur, il conçoit toutes sortes de prothèses de membres, certaines très simples pour les plus pauvres, d’autres réellement sophistiquées car articulées pour sa riche clientèle. Il met aussi au point une prothèse palatine permettant de combler une perte de substance au niveau du palais, ou une main articulée.

Des publications pertinentes et d’autres moins

Le succès d’Ambroise Paré tient beaucoup à celui de ses publications écrites en français et abondamment illustrées qui ont été largement diffusées et traduites en plusieurs langues (fig. 3). On ne peut qu’être séduit par la pertinence de son expérience chirurgicale. Cependant, lorsqu’il aborde d’autres domaines comme celui des monstres, des venins ou des animaux exotiques (fig. 4), on est frappé par son absence d’esprit scientifique, voire par sa naïveté, alors qu’il reprend à son compte les idées reçues qui circulent à son époque, prétendant à une omniscience qu’il n’a pas.
D’ailleurs, s’il n’hésite pas à emprunter largement aux anciens, il fait de même avec ses contemporains. Il reprend dans son anatomie de larges extraits de ­Vésale avec, semble-t-il, son accord (il l’aurait rencontré à plusieurs reprises) ; en revanche, il ne cite pas les emprunts réalisés au barbier-chirurgien Pierre Franco, expert dans le traitement des lithiases et des hernies.
Sa fidélité aux concepts classiques l’entraîne parfois à défendre des positions incompréhensibles. ­Ainsi, le chirurgien moderne ne peut qu’être étonné de sa fidélité à la saignée galénique au cours d’une amputation (pourtant déjà passablement hémorragique !) : « Lors de l’amputation du membre, il est nécessaire que quelque quantité de sang s’écoule, à la fin qu’à la partie deschargée y surviennent moins d’accidens, et selon la plénitude et force du malade. Le sang escoulé en quantité suffisante il faut promptement lier les grosses veines et artères. » Ceci est bien entendu totalement aberrant mais annoncé par l’auteur comme une évidence de bonne conduite. Au prétexte qu’il faudrait laisser le sang s’écouler d’abord, afin d’obtenir un saignement moins abondant ensuite et qu’ainsi l’hémostase soit facilitée. On comprend pourquoi, ainsi saignés à blanc, un certain nombre de ses blessés ne s’en remettaient pas. Mais c’est un fait acquis : les idées que des générations se sont transmises ont la vie longue. Ambroise Paré, tout original qu’il est, n’échappe pas à la règle. Et il peut, tout au long de sa vie, associer sans broncher les idées les plus pratiques et les plus originales et ressasser (sans doute pour faire lui aussi le savant !) les vieux poncifs issus des théories antiques qui cherchent des explications à ce qui ne peut pas être compris.

La reconnaissance du roi entraîne celle de ses pairs

Mais la renommée d’Ambroise Paré n’a pas attendu ses succès d’écrivain, elle est bien due à son talent de chirurgien auprès des troupes. Les hommes l’adorent, les capitaines se l’arrachent. Partir en guerre avec ­Ambroise Paré comme chirurgien, c’est l’assurance d’avoir des troupes combattantes et fidèles, certaines d’être soignées par celui qui est objectivement le meilleur. À la mort du comte de Rohan qu’il accompagne, Ambroise Paré entre au service d’Antoine de Bourbon, roi de Navarre, puis du roi de France Henri II, qui l’accepte au nombre de ses chirurgiens ordinaires.
Avec la protection royale, l’obtention du titre de maître-chirurgien par les jurés de Saint-Côme n’est plus qu’une formalité, avec ou sans latin…

Ambroise Paré est-il vraiment le père de la ligature artérielle ?

Alors Ambroise Paré est-il l’inventeur de la ligature artérielle ? Reconnaissons qu’il ne réclame aucune primauté et ne fait que décrire ce qu’il a fait avec une certaine bonhomie. Si l’on cherche un peu, on s’aperçoit que presque tous les chirurgiens qui l’ont précédé parlent de la ligature d’artères comme d’une technique indiscutée. Les chrétiens Jean de Vigo, Guy de Chauliac, Henri de Mondeville et Roger de Salerne ligaturent ; Avicenne, pour les arabes, également, et même Moïse Maïmonide pour les juifs sont partisans de la suture artérielle. Quant au grand Galien lui-même, tout laisse à penser qu’il connaissait la ligature artérielle. N’oublions pas qu’il avait été le chirurgien de l’école des gladiateurs de Pergame et qu’on l’imagine mal ne pas penser à la ficelle devant ces plaies artérielles d’où le sang s’échappe au rythme des battements cardiaques. On comprend encore plus mal que certains comme Érasistrate pensent que les artères véhiculent de l’air.
Ambroise Paré n’a donc pas inventé la ligature des artères. Tout au plus s’en est-il fait le chantre. Au moins a-t-il été suivi ? Au XVIIIe siècle, le chirurgien Jean-Louis Petit, de grande renommée pourtant, y était encore hostile. Même Percy, le chirurgien de la Grande Armée, qui améliora la technique des amputations avec son fameux rétracteur, restait toujours fidèle aux bienfaits du cautère.
Mais il fallait associer le nom d’Ambroise Paré à un progrès décisif. Ainsi fut fait !
Et c’est très bien ainsi, les chirurgiens avaient besoin d’un héros national. Même s’il fallait un peu enjoliver la « geste » d’Ambroise Paré. Tout métier a besoin d’une légende fondatrice pour exister. Et les pauvres barbiers-chirurgiens en quête de légitimité, plus encore que tous les autres…
*« Aucun clerc n’édictera ou ne portera de sentences de mort et n’exécutera aucune peine de sang ou n’assistera à une exécution. Si quelqu’un, prenant l’occasion de ce décret, osait porter atteinte aux églises ou à des gens d’Église, il sera frappé de censure ecclésiastique. Aucun clerc, non plus, ne sera mis à la tête de routiers, d’archers ou d’hommes de ce genre versant le sang. Le sous-diacre, le diacre et le prêtre ne pratiqueront pas l’art de la chirurgie, qui comporte brûlure ou saignée. Personne n’accordera aucune bénédiction ou consécration aux ordalies par l’eau bouillante ou glacée ou encore par le fer rouge… »** A.-J. Greimas, Dictionnaire de l’ancien français, jusqu’au milieu du XIVe siècle., Larousse, 1980, p. 116.*** Danielle Jacquart, Le milieu médical en France du XIIe au XVe siècle, Librairie Droz, 1981, p 265.# Chirurgien de Philippe le Bel, Mondeville est formé par les universités de Montpellier et de Bologne. Il est le premier à insister sur l’importance de l’anatomie et à comprendre que la suppuration n’est pas un processus de cicatrisation mais une complication qu’il faut traiter.## Parmi les chirurgiens de Saint Côme, six jurés s’assuraient de l’honorabilité des chirurgiens de la Confrérie. Les crimes et blessures devaient être déclarés aux autorités. Aucun praticien ne pouvait soigner et garder en secret quelqu’un qui devait être traduit en justice.### A partir de ce moment tous les Rois de France agirent sur la profession en renforçant l’autorité de leur Premier chirurgien-barbier, qui avait toute leur confiance et auquel ils déléguaient le soin d’organiser la profession.
Pour en savoir plus
Ambroise Paré. La Maniere de traicter les playes faictes tant par hacquebutes, que par fleches, & les accidentz d’icelles, comme fractures & caries des os, gangrene & mortification, avec les pourtraictz des instrumentz nécessaires pour leur curation. Et la méthode de curer les combustions principalement faictes par la pouldre à canon. Paris, 1551. Réédition en fac-similé, Paris, PUF (Fondation Martin Bodmer), 2007.
Jean-Michel Delacomptée. Ambroise Paré. La main savante, Gallimard, 2007.
Jean-Pierre Leverrier. Le Vray Ambroise Paré. Spinelle, 2021.
Joseph-François Malgaigne. Œuvres complètes d’Ambroise Paré. 3 volumes, J.-B. Baillière (Paris) 1840-1841.
Paule Dumaître. Ambroise Paré, chirurgien de quatre rois de France. Perrin,1987.
Jean-Noël Fabiani-Salmon, Pierre Boisserie, Vincent Wagner. Ambroise Paré, le père de la chirurgie. Les Arènes BD, 2023 (fig. 5).

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