Égyptologie. Les habitants de l’ancienne Égypte buvaient l’eau du Nil mais la bière était aussi consommée quotidiennement. Quant au vin, d’abord réservé à l’élite, sa consommation s’étendit progressivement à toutes les classes de la société, surtout à l’occasion de multiples fêtes civiles et religieuses.
Boire au quotidien
L’eau
Seul le Nil fournissait de l’eau toute l’année. Puisée dans des outres en peau de chèvre, cette eau chargée d’impuretés était impropre à la consommation directe. Elle devait être décantée puis filtrée à travers des couches de tissu et de sable, et enfin conservée dans des jarres enterrées au frais dans le sol des habitations. L’eau faisait l’ordinaire des plus indigents, et sa consommation n’était pas sans inconvénients digestifs. Le papyrus Ebers recommande six remèdes pour soigner la diarrhée : « Remède pour chasser une diarrhée sanglante abondante : pâte fraîche : 1/8 ; rhizome de souchet comestible râpé : 5 ro ; graisse/huile : 1/8 ; miel : 1/8. Ce sera filtré puis absorbé 4 jours de suite ; aucun remède n’est son équivalent ». 1
Le lait
Plus qu’une boisson, le lait était un aliment apprécié sous forme de produits lactés. Le lait de vache (irtchet) était le plus consommé.2 Le lait de chèvre, le lait de brebis ou le lait d’ânesse étaient le plus souvent réservés à la préparation de remèdes. 3
Les enfants étaient nourris au sein jusqu’à l’âge de 3 ans. Si la mère ne pouvait allaiter son bébé, elle avait recours aux bons soins d’une nourrice pour les plus aisées, et au lait de vache pour les plus modestes.
La bière
Véritable boisson nationale, la bière (heneqet) était consommée sans modération par toute la société égyptienne. Elle faisait partie, avec le pain, de la ration journalière de tout Égyptien, et contrairement à l’eau la fermentation alcoolique la rendait potable.
Elle est mentionnée sur les stèles funéraires dès le début de l’Ancien Empire (-2650), où le défunt demande à ne manquer ni de bière ni de pain dans sa vie future.
À partir de farine d’orge et de froment, on élaborait une sorte de pain peu cuit qui était brisé dans un mélange d’eau et de dattes écrasées, puis filtré sur un tamis d’osier au-dessus d’un grand récipient. Ce mélange subissait une fermentation alcoolique naturelle. La bière ainsi obtenue était assez fade, faute d’un équivalent du houblon. Elle était plus ou moins alcoolisée selon la quantité d’eau utilisée lors du brassage. Conservée dans des jarres de terre cuite plus petites, elle devait être rapidement consommée car relativement périssable.
Des brasseries d’État pouvaient fournir de grandes quantités de bière pour les besoins du palais royal et des temples. L’échanson de la bière était un haut fonctionnaire qui veillait à la bonne marche de ce service. En dehors de grandes brasseries, et des maisons à bière, chaque foyer, comme il fabriquait son pain, brassait sa bière chaque jour.
Un brasseur accompagnait toute expédition lointaine pour assurer à chacun de ses membres sa ration de bière.
Pour traiter les problèmes digestifs, les médecins utilisait la bière comme principe actif mais aussi comme excipient. « Pour chasser les maux qui sont dans le ventre : pois ; ce sera mélangé à de la bière et bu par le patient » (papyrus Ebers n° 5).
Le vin
Plus festif et plus long à élaborer, le vin n’était pas une boisson quotidienne pour la plupart des Égyptiens.
Consommé en Égypte dès la période prédynastique (-3500 à -3200), le vin (irep) était initialement un breuvage de luxe réservé à la famille royale et aux grands du Double Pays. La vigne ne fait pas partie de la flore naturelle de l’ancienne Égypte. Le vin fut d’abord importé du Levant, comme le confirment de nombreuses jarres datant de -3300, découvertes dans des tombes princières de la nécropole d’Abydos. L’une d’elles en contenait plus de 700, soit plus de 4 500 litres. 4 C’est dire la crainte d’en manquer. Un siècle plus tard apparaissent les premières jarres de vin élaboré en Égypte, attestant de l’implantation d’un vignoble local, pour les besoins du palais. Des étiquettes d’amphores, porteuses de hiéroglyphes archaïques, confirment l’origine et l’ancienneté de leur précieux contenu.
Les principales régions viticoles furent d’abord la branche occidentale du delta et les oasis de Siwa, Kharga et Bahariya, dans le désert libyque. Elles produisaient dès le début de l’Ancien Empire des vins renommés. La viticulture est à son apogée au Nouvel Empire, favorisée par le transfert de vignerons venus de Canaan et de Syrie. Elle s’étend alors à la branche la plus orientale du delta, « l’eau de Rê ». L’étiquetage des amphores est d’une remarquable précision :
- millésime de la vendange (année de règne du pharaon) ;
- couleur et qualité du vin (blanc ou rouge, bon, très bon, moelleux) ; le shedeh, sorte de vin cuit très alcoolisé, était particulièrement apprécié ; 5
- noms du vignoble d’origine et de son propriétaire ;
- nom du vigneron ou du maître de chais.
De nombreuses scènes funéraires représentent avec force détails les vendanges et l’élaboration du vin : la cueillette sous les treilles, le foulage des grappes dans des cuves en pierre, l’extraction du jus résiduel par la torsion du moût enfermé dans des sacs en lin par des équipes spécialisées, et enfin la mise en jarres pour la fermentation. Certains vieux crus étaient particulièrement estimés. Parmi les 25 amphores à vin découvertes dans la tombe de Toutankhamon, la plupart dataient de son règne, mais l’une d’elles était un grand cru de l’an 31 de son grand-père Amenhotep III. 6
Boire jusqu’à l’ivresse
Les Égyptiens ne manquaient pas d’occasion de s’enivrer. La mythologie ne pouvait que les y encourager. Selon le Livre de la vache du ciel, quand la déesse Sekhmet reçut des dieux la mission d’anéantir le genre humain pour le punir de son arrogance, Rê, pris de remords, sauva l’humanité en enivrant la déesse lionne grâce à une mixture à base de bière teintée d’ocre imitant le sang. Elle en oublia à jamais ses desseins funestes.7
La civilisation égyptienne a multiplié les jours fériés, et les occasions de boire à satiété : fêtes de famille (mariages, naissances, funérailles) ; fêtes agraires (semailles, moissons, crues) ; fêtes civiles (premier de l’an et débuts de saisons) ; fêtes royales (intronisation, jubilées).
Pendant les innombrables fêtes religieuses (fête d’Opet et fête de la Vallée notamment), l’ivresse était non seulement de mise mais recommandée comme un signe d’abondance. Toutes les classes de la société participaient à ces agapes ; artisans et paysans profitaient de ces congés pour passer de belles journées à danser, chanter, manger et boire. À la fin du Nouvel Empire, sur trois jours d’activité, un jour était chômé en raison d’une fête religieuse. 8 Les amateurs de banquets sont représentés mangeant et buvant à profusion, divertis par des musiciennes et des danseuses nues ! Les scènes peintes dans les tombes thébaines témoignent de ces beuveries et du désir de l’ivresse.
Dans la tombe de Paheri à El-Kab, les femmes ne sont pas de reste : l’une d’elles réclame à boire à tue-tête : « Donne-moi dix-huit coupes de vin. Ne vois-tu pas que je désire m’enivrer ? Mon intérieur est sec comme de la paille ».9 Une autre se fait prier, et un serviteur insiste : « Bois jusqu’à l’ivresse et fais un jour heureux ».
À l’opposé, à partir du Nouvel Empire, des textes comme l’Enseignement d’Ani, incitent à la tempérance et stigmatisent l’ivrognerie : « Ne fais pas d’excès en buvant une grande cruche de bière ! Lorsque tu parles, il sort de ta bouche des mots incompréhensibles. Tu tombes, tu te fractures les membres, et nul ne te tend la main. Tes compagnons de débauche se lèvent et disent : “Qu’on nous débarrasse de cet ivrogne !” Lorsqu’on vient ensuite pour te chercher et te demander conseil, on te trouve couché à terre et tu es comme un petit enfant ».10
Dans un autre texte (papyrus Anastasi IV), un maître scribe reproche à son élève ses beuveries : « On me dit que tu négliges l’écriture et que tu t’abandonnes au plaisir ; que tu vas de taverne en taverne ; l’odeur de la bière incommode ceux qui t’approchent ; la bière perd les hommes ; elle ruine ton âme. Tu es une rame brisée, dont le bateau n’obéit plus d’aucun côté. Tu es une chapelle sans son dieu, une maison sans pain… Les gens te fuient parce que tu les frappes et les blesses ; tu titubes ; tu t’écroules tout couvert d’immondices ».11
La morale égyptienne condamnait donc l’ivrognerie, mais pas la divine ivresse : « Bois, enivre-toi, ne cesse pas de faire ce que tu aimes, et que le vin t’advienne comme tu le souhaites… pour que tu passes du bon temps ».12
Boire abondement était une nécessité liée au climat égyptien. Si l’eau étanchait la soif des plus pauvres, elle n’était pas sans risques sanitaires. Aussi la bière devint-elle dès l’Ancien Empire la boisson quotidienne des Égyptiens. Le vin fut d’abord l’apanage des privilégiés. À l’occasion de nombreuses festivités, bière et vin procuraient à toute la société égyptienne les plaisirs d’une divine ivresse. C’est au temps des Ramsès que l’ivresse se distingue de l’ivrognerie qui conduit à la débauche et perd son caractère festif.
1. Bardinet. Th. Les papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique. Paris : Fayard, 1995:258.
2. Rachet G. Dictionnaire de la civilisation égyptienne. Paris : Larousse, 1998:44.
3. Fefebvre.G. Le lait de vache et autres laits en Égypte. Rev Egypt1960;12:59-65.
4. Dreyer G, Umm el-Qaab I. Das prädynastische königsgrab U-j und seine frühen Schritzingnisse. Archäologische Veröffentlichungen 1998;28:49-56.
5. Tallet P. Le shedeh ; étude d’un procédé de vinification en Égypte ancienne. BIFAO 1995;95:459-92.
6. Tallet P. Une jarre de l’an 31 et une jarre de l’an 10 dans la tombe de Toutankhamon. Bull Instit Fr Archeo Orient 1996;96:369-83.
7. Guillou N. La vieillesse des dieux. Montpellier : Université Paul-Valéry, 1989:1-14.
8. Rachet G. Dictionnaire de la civilisation égyptienne. Paris : Larousse, 1998:107.
9. Leca AP. La médecine égyptienne au temps des pharaons. Paris : Roger Dacosta, 1971:393.
10. Erman A, Ranke H. La civilisation égyptienne. Paris : Payot, 1985:751.
11. Schott S. Les chants d’amour de l’Égypte ancienne. Paris : Librairie A. Maisonneuve, coll. L’Orient ancien illustré, 1956:121-2.
12. Lefebvre G. Légendes des scènes agricoles au tombeau de Petosiris. Paris : Bibliothèque de l’École pratique des hautes études 1922;243:76.
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