Avec les progrès réalisés ces vingt dernières années dans le domaine de l’immunosuppression, de la prise en charge des infections et des complications postopératoires précoces, la survie des patients transplantés cardiaques s’est améliorée : la médiane de survie est désormais supérieure à douze ans1. Alors que la mortalité précoce après transplantation est principalement secondaire à des dysfonctions du greffon cardiaque et des infections, les cancers représentent la première cause de décès au-delà de cinq ans après transplantation2. Plus de 10 % des patients transplantés cardiaques développeront un cancer de novo entre un et cinq ans post-greffe. Parmi les transplantés d’organes solides, les transplantés cardiaques sont les plus à risque de complications néoplasiques3. En comparaison à la population générale, le risque global de cancer est multiplié par 3 à 10 après transplantation cardiaque, cette augmentation étant majoritairement liée à un important sur-risque de carcinomes cutanés et de lymphoproliférations malignes3,4. En comparant les périodes 2000-2005 et 2006-2011, des données récentes suggèrent une augmentation de l’incidence des cancers, en particulier cutanés (6,4 % contre 8,4 % ; p < 0,0001)5. La survenue d’un cancer après transplantation est un facteur de risque indépendant de mortalité, même si le pronostic tend à s’améliorer au fil du temps6.

En plus des facteurs de risque classiques (tabagisme, alcool…), l’immunosuppression joue un rôle important dans la genèse des cancers, et notamment l’intensité globale et la durée de l’immunosuppression. Dans une étude rétrospective allemande sur 381 patients transplantés cardiaques entre 1989 et 2014 avec un suivi de 9,7 ± 5,9 ans, les auteurs ont montré que l’âge (> 50 ans), le sexe masculin, plus d’un épisode de rejet traité pendant la première année post-transplantation, le diabète et la dyslipidémie étaient indépendamment associés au risque de développer un cancer après transplantation cardiaque7

Le dépistage et la prise en charge des cancers font partie intégrante du suivi après transplantation. L’équilibre entre sur- et sous-immunosuppression avec une évolution du protocole universel vers une immunosuppression individualisée est un enjeu majeur pour améliorer le pronostic et la qualité de vie du patient transplanté.

Le traitement immunosuppresseur en transplantation cardiaque

Le traitement d’induction reste largement utilisé en transplantation cardiaque, en particulier l’induction polyclonale (rATG) mais aussi, dans un moindre degré, l’induction par anticorps monoclonaux (anti-CD25)1.

Le traitement de maintenance de référence anti-rejet depuis des années 1990 associe anticalcineurines (CNI), mycophénolate mofétil (MMF) et corticoïdes. L’arrivée des inhibiteurs de mTOR dans les années 2000, avec un bénéfice sur la prévention de la coronaropathie du greffon et la non-infériorité en termes de survie et de rejet, a permis d’élargir encore le panel du traitement immunosuppresseur en transplantation cardiaque8, 9.

Cancers cutanés après transplantation cardiaque

Les cancers cutanés représentent de loin la première complication néoplasique après transplantation cardiaque5. Le cancer cutané le plus fréquent est le carcinome spinocellulaire, caractérisé par un important risque de récidive lié à la réapparition des lésions dont la fréquence et la multiplicité augmentent après la survenue de la première lésion. Son incidence est augmentée de 60 à 100 fois en comparaison à la population générale3. Le carcinome basocellulaire, moins fréquent, est réputé moins agressif chez le patient immunodéprimé que le carcinome spinocellulaire. D’autres néoplasies cutanées malignes, comme les tumeurs viro-induites, le carcinome de Merkel (polyomavirus) ou la maladie de Kaposi (HHV-8), sont également décrites et associées à un mauvais pronostic.

Les mécanismes favorisant l’apparition d’un cancer cutané après transplantation cardiaque impliquent : i) une diminution systémique des défenses immunitaires par le traitement immunosuppresseur qui a pour conséquence, d’une part, l’inhibition de la réaction immunitaire, moins capable de reconnaître et de détruire les cellules tumorales, et, d’autre part, la permissivité aux infections virales auxquelles les cancers cutanés sont souvent associés (HHV-8 et Kaposi, papillomavirus humain et carcinome épidermoïde, polyomavirus et carcinome de Merkel) ; et ii) les facteurs non immunologiques avec effet direct de certaines molécules immunosuppressives comme par exemple l’azathioprine, qui peut avoir un effet mutagène en synergie avec les rayons UVA ou l’effet inhibiteur de la ciclosporine sur les mécanismes de réparation de l’ADN.

Immunosuppression et carcinomes cutanés

L’intensité, la durée et le type de traitement immunosuppresseur jouent un rôle important dans la genèse de ces cancers cutanés. L’administration de la ciclosporine, d’azathioprine, et de corticoïdes après la première année post-transplantation était associée à un sur-risque néoplasique important, contrairement aux antiprolifératifs (MMF, inhibiteurs de mTOR)7

La modulation du traitement immunosuppresseur dans le cadre de la prévention, primaire ou secondaire, des cancers cutanés doit s’intégrer dans une vision globale du patient, en prenant en compte non seulement le risque individuel de cancer cutané (âge, phototype, antécédents dermatologiques) mais aussi le risque immunologique, en particulier de rejet d’allogreffe cardiaque (antécédents de rejet, anticorps anti-HLA dirigés contre le greffon, âge du patient, délai post-greffe). Cette modulation peut passer par une minimisation de l’immunosuppression et/ou par un changement de médicaments immunosuppresseurs. Dans ce contexte, la classe thérapeutique des inhibiteurs de mTOR peut être à l’origine d’un scénario moléculaire favorable, permettant à la fois le maintien d’une immunosuppression efficace par le blocage de l’activation/prolifération lymphocytaire dépendante de la voie de l’IL-2 et un effet antitumoral passant entre autres par un puissant blocage de l’angio-genèse tumorale10.

Les études de prévention primaire sont difficiles à mener du fait d’une durée de suivi nécessaire à l’apparition du carcinome cutané et d’un nombre de patients à inclure souvent incompatible avec un essai clinique randomisé en transplantation cardiaque. Néanmoins, des données issues d’études rétrospectives suggèrent qu’un protocole d’immunosuppression centré sur l’introduction précoce d’inhibiteurs de mTOR, soit dans le cadre d’un régime sans CNI, soit dans le cadre d’une minimisation des CNI, pourrait permettre de diminuer l’incidence des cancers, en particulier cutanés6, 7, 11, 12. Toutefois, les protocoles sans CNI, surtout dans le cadre d’un sevrage précoce après transplantation, sont associés à des complications immunologiques et des problèmes de tolérance médicamenteuse limitant leur utilisation après transplantation cardiaque13, 14

Dans le cadre de la prévention secondaire des carcinomes cutanés et du fait du très haut risque de récidive, il paraît raisonnable, chez des patients sélectionnés, d’utiliser un régime d’immunosuppression basé sur un inhibiteur de mTOR, sans ou avec petites doses de CNI. Néanmoins, en dehors d’études randomisées menées en transplantation rénale, peu de données permettent d’étayer scientifiquement une telle pratique en transplantation cardiaque. Dans une étude rétrospective, le risque de récidive de carcinome cutané après cinq ans était significativement moindre dans le groupe des patients sous inhibiteur de mTOR7

Notons que de nombreuses pratiques appliquées en transplantation cardiaque sont en fait issues de l’expérience de la transplantation rénale du fait d’un plus grand nombre de patients transplantés et d’études bien menées dans cette population. Les problématiques de complications chroniques de l’immunosuppression étant communes aux différentes transplantations d’organes solides, il paraît légitime d’appliquer à la population de patients transplantés cardiaques les protocoles de prévention des carcinomes cutanés validés en transplantation rénale malgré l’absence d’études prospectives menées dans ce domaine particulier en transplantation cardiaque.

Conclusion

Une prise en charge multidisciplinaire, avec une surveillance dermatologique annuelle (recommandation de grade I-C), permettant un dépistage et un traitement précoce des lésions, et l’application des règles élémentaires de prévention et en particulier de photoprotection est fondamentale dans le suivi du patient transplanté cardiaque.

La minimisation du traitement immunosuppresseur en fonction du statut immunitaire du patient trans-planté, et l’utilisation de classes thérapeutique comme les inhibiteurs de mTOR peuvent changer la donne en termes de prévention du risque néoplasique, en particulier cutané. Il est important de souligner que toute alternative au protocole immunosuppresseur standard doit avoir pour objectif d’assurer une immunosuppression efficace en prévention de rejet et réduire les risques associés à l’exposition au long cours des anticalcineurines. 

Cet article fait partie d'un supplément ayant bénéficié du soutien strictement institutionnel de Galderma, sans intervention de leur part dans l’élaboration du sommaire, le choix des auteurs et la rédaction des articles.

Références

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2. Khush KK, Hsich E, Potena L, et al. The International Thoracic Organ Transplant Registry of the International Society for Heart and Lung Transplantation: 38th adult heart transplantation report - 2021; focus on recipient characteristics. J Heart Lung Transplant: The Official Publication of the International Society for Heart Transplantation 2021;40:1035.
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