À Hyères, un ex-voto témoigne que, contre toute attente, en 1856, le petit Silvain n’est pas mort.

En 1856, le petit Silvain est très gravement malade ; ses parents craignent pour sa vie et sont désespérés. L’enfant tousse et respire mal ; on lui a bien donné du sirop, dont on voit un flacon avec une cuiller sur le marbre de la commode, mais rien n’y a fait. Il est là, inerte sur son lit, la tête embéguinée. Son père, effondré sur une chaise, rumine de tristes pensées ; sa mère agenouillée, les yeux au ciel, prie la Sainte Vierge. On croit qu’il a le croup et qu’il va mourir. Or le garçonnet ne meurt pas ; un ex-voto en attribue le mérite à la Vierge, qui apparaît au-dessus du lit blanc à baldaquin dans un nuage circulaire bleu et blanc ; c’est un joli tableautin (25 x 32 cm) à l’huile sur toile qu’on peut voir à Notre-Dame-de-Consolation à Hyères (Var), offert par les parents, M. et Mme Paula.
Que s’est-il passé ? Pour qu’on évoque le croup, dont chacun sait alors que le pronostic est « des plus graves » (p. 485 infra), il faut que le garçonnet ait toussé, par quintes de plus en plus rapprochées et de plus en plus violentes, d’une façon qu’on considère comme caractéristique, une toux striduleuse, « enrouée, éraillée, rauque » (p. 461, infra) et qu’il ait eu du mal à respirer, avec même peut-être des accès de suffocation, mais sans arriver à l’asphyxie qui l’aurait tué. C’est le Dr Eugène-Raymond Archambault (1822-1883)b que nous allons aujourd’hui consulter pour y voir plus clair ; vrai spécialiste des maladies des enfants, médecin de l’hospice des Enfants malades, auteur notamment de Réflexions sur la trachéotomie à la période extrême du croup et la dysphagie, qui, dans certains cas, lui est consécutive (1854), De la trachéotomie dans la période ultime du croup, mémoire lu à la Société médicale des Hôpitaux de Paris, dans la séance du 12 juillet 1867c, et d’un livre de bilan, Leçons cliniques sur les maladies des enfants (1884)d, Il ne se désintéresse pas du traitement médical de la diphtérie en général et d’un grand débat thérapeutique, avec son Étude sur l’emploi de la pilocarpine contre la diphtériee, Il est aussi l’auteur du long article « croup » du Dictionnaire en 100 volumes, piloté par Dechambre (tome 23, 1879), qui est notre référence aujourd’hui.

Une guérison spontanée très rare

Si le médecin est venu, ce qui est presque certain (vu le niveau socioculturel que rendent probables le cadre et la tenue des adultes), il est peu intervenu, par un traitement médicalf, sans essayer une trachéotomie (méthode non thérapeutique mais palliative, méthode dramatique et d’ailleurs encore très controversée en 1856) dont on verrait au moins la trace avec un pansement, si la canule avait été définitivement enlevée de la plaie recouverte « d’un linge fin, de façon à permettre au malade de respirer à la fois par le larynx et par cette plaie », p. 557).
Or l’enfant (qui est un petit enfant, mais pas un bébé) a guéri, on le voit calme dans ses draps bien tirés, rien n’indique une respiration difficile ; on n’a pas la notion d’une affaire de famille avec d’autres malades proches. Guérison spontanée ? Possible, mais très rare : « le croup peut se terminer par la guérison, et le plus souvent cette heureuse terminaison se fait d’une manière progressive » (p. 497), ce que ne semble pas indiquer le tableau. Erreur de diagnostic ? Possible, même si en principe on distingue depuis Pierre Bretonneau (1778-1862) le croup d’autres lésions laryngéesg.
« Le petit Dauphin est malade, le petit Dauphin va mourir. Dans toutes les églises du royaume, le Saint-Sacrement demeure exposé nuit et jour, de grands cierges brûlent pour la guérison de l’enfant royal », racontait Alphonse Daudet dans l’une de ses Lettres de mon moulin (1866). Et le Dauphin meurt. Le petit Silvain est malade, le petit Silvain va mourir, entendait-on à Hyères dans sa famille et dans son entourage. Le petit Silvain n’est pas mort, donc il n’y a pas eu d’autopsie à la recherche des fameuses « fausses membranes »h. Reste après tout l’hypothèse du miracle, une guérison inexpliquée, un miracle (non certifié par le bureau de Lourdes), pour un de ces cas rares où le diagnostic est affirmé sur l’ex-voto même.

a. Pour une vue toute récente sur les ex-voto du midi, voir Bernard Cousin, Le Regard tourné vers le ciel. Aix-Marseille Université, 2017.b. Externe en médecine en 1847, interne provisoire en 1848 et 1849, interne en 1850, docteur en 1852 (De la paracentèse thoracique et de ses indications). c. Publié dans L’Union médicale, 3e série, juillet 1867, et en livret de 20 pages à Paris chez Malteste, la même année.d. Il avait déjà pris la peine de traduire la sixième édition (1874) de Charles West, Lectures on the diseases of infancy and childhood (Paris : Masson, 1875). Il fait autorité et préface l’ouvrage de deux confrères qui deviendront illustres dans leur domaine commun, Gaston Blache et Paul Guersant, Extraits de pathologie infantile (Paris: Asselin et Cie, 1883). À propos du premier auteur, voir Danielle Gourevitch et Pierre Morel, Une lettre de Littré au docteur Blache in Hommages à Carl Deroux (Bruxelles: Coll. Latomus, Bruxelles, 2002;II:505-13),e. L’Union médicale 1882 ; série 3 (n° 33) : 229-72 et 290-2 (avec un certain Poisson que je ne connais pas).f. Pour fixer le champ du possible en 1856, voir la thèse de E. A. André (1859), Du traitement des cas de croup observés à l’hôpital des Enfants en 1856.g. Traité de la diphtérite. Paris : Crevot, 1826.h. Gourevitch D, Charlier P, pour un difficile diagnostic différentiel après une mort suspecte. Un procès-verbal d’autopsie inédit (Saint-Nectaire, 1765) : étude technique et diagnostic rétrospectif. Histoire des sciences médicales 2009;XLIII(3):307-18.

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