Histoire des sciences. L’année 2017 a été marquée par les commémorations entourant les 150 ans de la naissance de Marie Skłodowska Curie. Inhumée à Paris au Panthéon des grands hommes de la Nation en 1995, elle représente en France l’image de la femme scientifique.

Maria Skłodowska est née il y a 150 ans, le 7 novembre 1867, à Varsovie dans la partie de la Pologne occupée par l’Empire russe. Elle est la dernière des cinq enfants de Wladyslaw Skłodowski (1832-1902), professeur de physique et de mathématiques, et de Bronisława Boguska (1835-1878), professeur et directrice d’une des meilleures pensions de jeunes filles. La jeune Maria grandit donc dans un milieu où les sciences et l’instruction en général sont à l’honneur.
Fin octobre 1891, Maria Skłodowska arrive à Paris et s’inscrit à la Faculté des sciences où, comme toutes les jeunes filles de l’Est, elle francise son prénom et devient Marie Skłodowska. Après une licence de physique obtenue avec la mention très bien en 1893, Marie Skłodowska décroche, grâce à Gabriel Lippmann, une bourse de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale. En échange de cette bourse, elle doit rendre un travail sur les propriétés magnétiques des aciers trempés. Pour mener à bien ce travail, elle rencontre Pierre Curie (1859-1906), physicien déjà reconnu pour les travaux qu’il a publiés avec son frère Jacques entre 1880 et 1882 sur la piézoélectricité. Pierre Curie est, au moment de sa rencontre avec Marie Skłodowska, préparateur de physique à l’École municipale de physique et chimie industrielles de la Ville de Paris (EMPCI).
À l’été 1894, Marie Skłodowska est reçue troisième à la licence de mathématiques. Suivant son objectif, elle retourne en Pologne pour devenir enseignante. Elle reçoit alors de nombreuses lettres de Pierre qui lui propose de revenir en France. Marie se laisse convaincre, Pierre et elle se marient civilement, dans l’intimité, le 25 juillet 1895 à la mairie de Sceaux.
Après la naissance de leur première fille, Irène, le 12 septembre 1897, Marie décide de commencer une thèse de physique sur les propriétés des rayons uraniques, découverts 1 an plus tôt par Henri Becquerel (1852-1908).

La découverte de la radioactivité

Afin de pouvoir travailler sur ces expériences, Marie peut profiter de l’atelier que concède l’EMPCI au jeune couple. Elle entreprend ainsi l’étude quantitative des « rayons uraniques » avec un appareillage très sensible mis au point par Pierre. Elle donne à cette émission spontanée de rayonnement le nom de « radioactivité » et établit le caractère atomique du phénomène. En recherchant ce phénomène dans d’autres minerais riches en uranium comme la pechblende, elle constate que ce dernier est plus radioactif qu’attendu étant donné la proportion d’uranium qu’il contient. Elle fait alors l’hypothèse que ce minerai contient un élément actif inconnu. Ces travaux sont présentés par Gabriel Lippmann à l’Académie des sciences le 12 avril 1898. Pierre Curie, intrigué par ces résultats, laisse de côté ses propres recherches et vient collaborer avec sa femme. Ils annoncent la découverte du polonium (nommé en hommage à la Pologne) le 18 juillet 1898. Le 26 décembre de la même année, ils annoncent, avec Gustave Bémont, celle du radium.
Le 25 juin 1903, Marie Curie soutient sa thèse de doctorat d’État intitulée « Recherches sur les substances radioactives ». Cette même année 1903, seules 32 thèses de doctorat ès sciences sont soutenues en France.1
« En reconnaissance de leurs services rendus, par leur recherche commune sur le phénomène des radiations découvertes par le professeur Henri Becquerel », Pierre et Marie Curie reçoivent en partage avec Henri Becquerel le prix Nobel de physique de 1903.

En France, la 1re femme professeur d’université

Les répercussions de ce prix Nobel sont quasi immédiates. Dès octobre 1904, une chaire de physique est spécialement créée à la faculté des sciences de la Sorbonne pour Pierre Curie. Ce poste s’accompagne d’un petit laboratoire situé dans une annexe de l’université au 12, rue Cuvier. Marie y est nommée « chef de travaux » en novembre 1904. Le mois suivant, elle donne naissance à leur deuxième fille, Ève.
L’université promet à son nouveau professeur d’agrandir le laboratoire rue Cuvier afin qu’il devienne réellement un laboratoire d’enseignement et de recherche. En attendant, le couple continue jusqu’en 1905 à travailler régulièrement à l’EMPCI. Le nouveau laboratoire constitué de plusieurs salles est entièrement opérationnel en février 1906. Le 19 avril 1906, Pierre est renversé par un attelage de chevaux rue Dauphine et meurt sur le coup à l’âge de 47 ans.
La faculté propose immédiatement à Marie Curie de reprendre la direction du laboratoire et d’assurer le cours de Pierre Curie. Ainsi, en 1906 Marie Curie devient la première femme directrice d’un laboratoire universitaire. En charge du cours professé sur la chaire de son défunt mari, elle reprend son enseignement le 5 novembre 1906, à l’endroit où il l’avait interrompu. Elle sera nommée professeur titulaire de la chaire de physique générale, devenue chaire de physique générale et radioactivité, le 16 novembre 1908. Elle est ainsi la première femme professeur d’université en France.

Le second Nobel

André-Louis Debierne (1874-1949), chimiste, découvreur de l’actinium et ami du couple Curie devient son adjoint. Avec son aide, Marie Curie reprend ses recherches et notamment l’isolation du radium métal qu’ils parviennent à réaliser en 1910. Elle publie cette même année son Traité de radioactivité, ouvrage de référence en la matière.
En novembre 1910, contre l’avis de l’Institut de France, l’Académie des sciences accepte la candidature de Marie Curie pour l’épée d’académicien. Devant l’opposition réaffirmée de l’Institut de France, l’Académie des sciences la place en candidate de première ligne. Marie Curie a, en effet, soumis son nom sous l’impulsion de ses proches. Le grand savant Édouard Branly, qui postule aussi, l’emporte de deux voix en janvier 1911. Elle ne se représentera jamais.
Pourtant, sa renommée internationale ne fait que croître. Elle est ainsi la seule femme invitée par Ernest Solvay (1838-1922) à participer au premier Conseil de physique du 27 au 31 octobre 1911 à Bruxelles, un congrès rassemblant sur des questions précises, les plus grands savants du monde comme Ernest Rutherford, Niels Bohr, Albert Einstein, Jean Perrin… Deux mois après, le 10 décembre 1911, Marie Curie est désignée comme lauréate d’un second prix Nobel, celui de chimie cette fois, « en reconnaissance de ses services dans le progrès de la chimie par la découverte des éléments radium et polonium, par l’isolation du radium et l’étude de la nature et des composés de cet élément remarquable ».

Institut du radium et Fondation Curie

Au niveau national, en cette année 1911, Marie Curie assiste au lancement des travaux de construction du futur Institut du radium. Cet institut est issu d’un partenariat entre l’Université et l’Institut Pasteur. Il sera constitué de deux pavillons de recherche sur la radioactivité. L’un sera consacré aux recherches en chimie et en physique et dirigé par Marie Curie, en tant que professeur d’université ; et le second, consacré aux recherches biologiques, sera dirigé par Claudius Regaud de l’Institut Pasteur. Le 21 février 1913, Marie Curie dépose, au Bureau international des poids et mesures de Sèvres, l’étalon international du radium. Cette ampoule scellée contenant du chlorure de radium, purifié par elle-même et André Debierne, est validée dans le laboratoire de son mentor Gabriel Lippmann à la Sorbonne par les plus grands savants comme Rutherford et Meyer.
Août 1914, la Première Guerre mondiale éclate. Les étudiants de la faculté ont déjà quitté le laboratoire et prennent le chemin du front. Les chercheurs étrangers sont retournés chez eux. Marie Curie reste seule avec son mécanicien Louis Ragot et une étudiante française, Suzanne Veil. Sa maison aussi est vide, ses filles sont en vacances à l’Arcouest en Bretagne. Son Institut du radium était pourtant quasiment achevé. Il ne manquait plus que quelques boiseries, quelques vitrines pour finaliser le déménagement du laboratoire. Ce déménagement est reporté. Dès les premiers jours de guerre, le Comité consultatif de santé du ministère de la Guerre lui demande de recenser les appareils radiologiques disponibles ainsi que les industries électriques pouvant procurer des pièces pour la construction de nouveaux appareils. Nommée inspectrice des services de radio-graphie de l’Union des femmes de France de la Croix-Rouge, Marie Curie va se mobiliser pour installer des appareils radiologiques dans les hôpitaux de campagne puis du front. Elle participe également à l’équipement de vingt voitures radiologiques, inventées une dizaine d’années plus tôt pour les besoins de l’armée.2 Parallèlement, le Dr Antoine Béclère mène la même action au sein de l’armée. Confrontés tous deux au manque de formation des soldats dans la manipulation des appareils, Marie Curie se met au service de l’hôpital-école Édith Cavell qu’Antoine Béclère et Nicole Girard-Mangin ont créé pour former des infirmières radiologistes. Ces futures infirmières sont formées au sein même du tout nouvel Institut du radium qui ouvre pour l’occasion. Parallèlement, aidée de sa fille Irène et de trois étudiantes qui l’ont rejointe, Marie Curie organise la fabrication d’ampoules de radon servant à aseptiser et cautériser les plaies béantes.3
La guerre finie, le nouvel Institut du radium peut enfin retrouver sa vocation première de recherche. Néanmoins, Marie Curie a beaucoup changé durant la guerre. Tout d’abord, elle a compris au contact des blessés qu’elle pouvait être utile directement et non pas seulement par l’intermédiaire de la science. Ensuite, elle a fait l’expérience du poids de son nom. Durant la guerre, elle prend conscience que son nom peut faciliter certaines démarches notamment administratives. Ainsi, avec Claudius Regaud, elle milite dès la fin de la guerre pour qu’une Fondation Curie, associée à l’Institut du radium voit le jour. Elle est créée en 1920 et est reconnue d’utilité publique l’année suivante. À l’instar de l’Institut du radium concernant les recherches en radioactivité, la Fondation Curie devient rapidement une référence internationale dans le traitement des cancers par les rayonnements.
Dans son laboratoire de l’Institut du radium, Marie Curie a repris ses recherches. Les étudiants sont plus nombreux. Au laboratoire proprement dit, outre des étudiants originaires du monde entier, plusieurs préparateurs, chimistes, physiciens, techniciens, etc., viennent grossir les rangs. L’unique mécanicien est rejoint par un apprenti, un menuisier, un souffleur de verre, un électricien… De 19 personnes en 1920, le laboratoire s’agrandit et compte 47 personnes en 1934. C’est alors l’un des principaux centres de recherche sur la radioactivité. Sous sa direction, les études sur les radiations et leurs applications biologiques et médicales se développent. En 1921, Marie Curie se rend aux États-Unis, pour recevoir des mains du président Warren Harding un gramme de radium offert par les femmes américaines. Ce gramme de radium permet de nombreuses recherches tant physiques et chimiques que biologiques.
Pour son rôle joué pendant la guerre, pour ce développement des recherches à l’Institut du radium, Marie Curie est élue membre libre de l’Académie de médecine en 1922.

Sciences sans frontières

Cette même année 1922, Marie Curie accepte de siéger à la Commission internationale de la coopération intellectuelle de la Société des nations. Ayant une conception très internationaliste de la science, elle en devient vice-présidente.
« La science, en effet, est essentiellement internationale, et c’est par manque de sens historique qu’on lui attribue des qualités nationales. Quelle que soit la fierté légitime d’un pays déterminé pour avoir pris une part importante à la floraison des connaissances humaines, ne perdons pas de vue que les conditions de la vie et du travail se modifient et que d’autres centres peuvent être appelés à naître et à joindre leur effort à celui des centres anciens. »4
N’oubliant pas ses origines polonaises, elle accepte en 1929 de retourner aux États-Unis afin de recevoir un autre gramme de radium destiné cette fois, selon son désir, à l’Institut du radium de Varsovie qui sera inauguré en 1932.
Durant l’entre-deux guerres, Marie Curie défend sa conception de la science et de la culture en multipliant les voyages. Elle se rend régulièrement à Bruxelles lors des Congrès Solvay, à Genève pour la Société des nations, aux États-Unis mais aussi en Tchécoslovaquie et aux Pays-Bas en 1925, au Brésil et au Danemark en 1926, en Écosse en 1929, en Espagne en 1931 et 1933 où elle parle de « l’avenir de la culture ». À ses voyages professionnels, s’ajoutent ceux de confort comme les allers-retours en Bretagne à l’Arcouest ou dans le sud de la France à Cavalaire, ou encore dans son pays à Varsovie. Marie Curie ne ménage pas ses forces que l’âge et la maladie amenuisent.
En janvier 1934, elle est présente à l’Institut du radium lorsque sa fille Irène Curie et son gendre Frédéric Joliot découvrent le phénomène de radioactivité dite artificielle. Marie Curie comprend immédiatement l’importance de leur découverte. Elle ne saura pas que, pour leurs travaux, sa fille et son gendre recevront, l’année suivante, le prix Nobel de chimie. Elle s’éteint le 4 juillet 1934 à Sancellemoz en Haute-Savoie d’une anémie pernicieuse.
En 1937, sa fille Ève écrit un roman biographique sur sa mère. Cet ouvrage, traduit dans de nombreuses langues, va participer à garder la mémoire de la savante encore aujourd’hui.
En 1995, le président de la République française fait transférer les cendres de Pierre et Marie Curie au Panthéon des « grands hommes, la Patrie reconnaissante ». La légende « Marie Curie » s’affirme pour intégrer la mémoire collective.
 

Encadre

Le musée Curie

Le musée Curie est situé dans l’ancien Institut du radium de Paris, 11 rue Pierre-et-Marie-Curie. Dans cet institut, édifié en 1914 à quelques rues du « hangar » où Pierre et Marie Curie ont découvert le polonium et le radium en 1898, se trouvait le troisième et dernier laboratoire de Marie Curie. C’est également dans ce lieu qu’Irène et Frédéric Joliot-Curie ont obtenu le prix Nobel de chimie en 1935.

Gardien d’un patrimoine historique unique, le musée Curie est un musée d’histoires : histoire d’une célèbre famille scientifique d’abord, mais aussi histoire des sciences et de la médecine.

Ouvert du mercredi au samedi, de 13 heures à 17 heures (sauf jours fériés, août et vacances de Noël).
Visites guidées deux samedis par mois sur réservation (programme sur le site internet www.musee.curie.fr - Tél. : +33 (0) 1 56 24 55 33

Pour en savoir plus

1. Voir Annuaire statistique de la France [Ann. Stat. Fr.], 1903, p. 16.

2. Voir La nature, 1905, p. 99-105.

3. Pigeard-Micault, Massiot A. Marie Curie et la Grande Guerre. Paris : Éditions Glyphe, 2014.

4. Curie M. Mémorandum de Mme Curie, membre de la commission, sur la question des bourses internationales, pour l’avancement des sciences et le développement des laboratoires. Discours à la Commission de coopération intellectuelle de la SDN, Genève, le 16 juin 1926
l Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits, fonds Pierre et Marie Curie.

l archives du musée Curie, AIR_LC.MC

l Augustin M, Langevin H, Pigeard-Micault N. Marie Curie une femme dans son siècle. Paris : Gründ, 2017.

l Marie Curie et ses filles : Lettres (H. Langevin et M, Bordry eds). Paris : Pygmalion, 2011.

l Curie È. Madame Curie. Paris : NRF, 1938.

l Frain I. Marie Curie prend un amant. Paris : Seuil, 2015.

l Henry N. Les sœurs savantes. Paris : Vuibert, 2015.

l Pigeard-Micault N. Les femmes du laboratoire Curie. Paris : Glyphe, 2013.

l Pigeard-Micault N, Massiot A. Marie Curie et la Gande Guerre. Paris : Glyphe, 2014.

l Pigeard-Micault N, Massiot A. Les coulisses des laboratoires d’autrefois. Paris : Glyphe, 2016.

l Quinn S. Marie Curie. Paris : Odile Jacob, 1996.

l Radvanyi P. Les Curie : pionniers de l’atome. Paris : Belin, 2005.

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