Le 15 septembre 1835, Seraffina Gavassa échappe in extremis au choléra.

Un épisode de choléra qu’il situe en 1832 à Manosque a inspiré à Jean Giono le roman Le Hussard sur le toit, publié en 1951, et porté au cinéma en 1995 par Jean-Paul Rappeneau, donnant l’un de ses plus beaux rôles à Juliette Binoche ; les deux jeunes héros se rencontrent en fuyant à la fois la contagion et l’enfermement pour diverses raisons, les cordons sanitaires et la garde nationale se refermant sur eux (fig. 1).
Or l’église Notre-Dame-de-Romigier de Manosque abrite précisément un ex-voto représentant une longue procession à l’occasion d’un épisode de choléra (1837) [fig. 2]. La procession, partant de la ville, monte à la chapelle campagnarde, les confréries en tête du cortège, suivies des religieux et enfin des laïcs, hommes puis femmes.
Castellane délivrée du choléra en 1835 avait offert une représentation analogue comme remerciement collectif (fig. 3).

Seraffina, sauvée par miracle…

Et c’est en cette même année 1835 qu’une mère de famille, italophone, Seraffina Gavassa, épouse Martin, « presa del colera morbus » (« atteinte du choléra ») échappe à la maladie à la toute dernière extrémité, le 15 septembre. Elle rend grâce avec toute sa famille à Notre-Dame de Laghet :* Grazia Ricevuta Della Benedetta Vergine di Laghetto. Que le lecteur ne s’étonne pas de l’italien, le comté étant alors sous la domination sarde (fig. 5).
Le tableau votif, peint à l’huile sur papier, est très précis :** dans une chambre lambrissée aux trois fenêtres haut placées, sans rideaux, décorée de deux gravures encadrées, et au sol carrelé, gît sur son lit, la tête appuyée sur un oreiller blanc, sous un dais également blanc, une femme d’âge moyen, au teint très pâle, ce que souligne encore la couverture d’un vif bleu-vert. À gauche du lit à dais suspendu dont on doit pouvoir fermer les rideaux, debout, un prêtre portant la barrette, bréviaire dans la main droite, tient de la gauche la main droite de celle qu’on croit mourante. Sur la table de nuit un vase d’eau bénite avec un goupillon, sous la croix fixée au mur, ce qui n’est pas de bon augure !
L’époux de la malade est assis, visiblement mal à l’aise, contorsionné, avachi sur une chaise, dans une attitude inconfortable à la fois accablée et raide : il n’a même pas retiré son chapeau ! Dans la partie gauche du tableautin, au pied du lit, de profil gauche, deux grands enfants, ceux du couple probablement. L’aîné est en train de s’agenouiller sur une chaise ; sa jeune sœur, debout, le regard tourné vers nous, tient dans sa petite main un mouchoir… pour pleurer ou comme dérisoire protection odorante ? Plus dérisoire encore que le pot à fumigations installé sur une petite table au fond de la pièce, devant eux, dans le coin gauche de l’image. Au-dessus sur une imposante nuée, tous deux couronnés, la Vierge de Laghet, patronne de Nice depuis le xviie siècle, assise, en robe rouge et manteau bleu, tenant son fils sur les genoux. Le cartouche du coin inférieur gauche donne les détails biographiques.

… ainsi que Francesco

Sur un dernier ex-voto de la même veine dans le même sanctuaire, on voit, dans un milieu qui semble plus riche, un moine tonsuré qui fait son funeste office auprès d’un malade, Francesco Barral, sous les yeux de deux femmes en coiffe, dont l’une en prière, la Vierge et l’Enfant apparaissant cette fois en haut à droite. Ce tableau prouve que les prières ont été efficaces cette fois encore (fig. 6). L’ex-voto est plus tardif et remercie la Vierge pour la guérison de Francesco atteint par le choléra à Alexandrie d’Égypte le 8 septembre 1855.

Isoler les lieux infectés

Les mesures prises pour enrayer la diffusion de la maladie étaient dérisoires, mais on peut tout de même citer les réflexions avisées du médecin niçois Pierre Richelmi « pour être utile à l’Humanité et à la Patrie », publiées dès 1832 : Essai sur le choléra morbus épidémique et contagieux, une « peste nouvelle » ; il a compris que la propagation fulgurante de l’épidémie ne peut s’expliquer que par « la diffusion du germe dans l’air ». Impuissant à traiter, il prêche de couper toute communication avec des lieux infectés, de se tenir « à une distance convenable du foyer d’infection, deux lieues au moins… afin de préserver les personnes et éviter l’extension aux régions non contaminées ». Partout en Europe médecins et administrateurs tentent de limiter l’épidémie, faute de pouvoir la juguler, et l’appel à Notre-Dame entretient l’espoir.

* Tableau aujourd’hui dans le cloître, route de Laghet, 06340 La Trinité (fig. 4). ** On rapprochera de M. Gallo, « Pour une étude de la santé publique sous l’administration sarde. Enquête sur le choléra à Nice en 1835 », Bulletin de la Société d’histoire moderne, 1966, p. 1-32. D’A. Demougeot, « Pour une étude de la santé publique sous l’administration sarde. Enquête sur le choléra à Nice en 1835 », Revue historique, 1974. Et de D. Panzac « Aix-en-Provence et le choléra de 1853 », Annales du Midi, 86 (119), 1974, p. 419-44.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés

Une question, un commentaire ?