Fils du célèbre neurologue et lui-même médecin, il fut surtout un immense explorateur scientifique des pôles, jusqu’à son naufrage en 1936 à bord du Pourquoi-Pas ?
Les médecins connaissent bien Jean-Martin Charcot (1825-1893), un des premiers neurologues qui a laissé son nom à la terrible sclérose latérale amyotrophique et à la moins grave maladie de Charcot-Marie-Tooth. Mais les non-médecins connaissent mieux son fils, le commandant Jean-Baptiste Charcot (1867-1936), également médecin mais surtout explorateur. Plus encore que son nom, on connaît son bateau, le Pourquoi-Pas ? Avec lui, Jean-Baptiste initia les premières grandes expéditions polaires françaises du XXe siècle en Antarctique et en Arctique.1, 2
D’abord sur les traces de son père
Dirigé par son père, il commence ses études de médecine. En 1888, il fait son service militaire, en qualité de médecin auxiliaire, au 23e bataillon de chasseurs alpins (en 1902, il sera versé plus logiquement dans la marine de réserve). En 1891, il est reçu à l’internat des Hôpitaux de Paris et s’oriente vers la neurologie avec Jean Babinski. Le 8 juin 1895, il soutient sa thèse, sur l’amyotrophie d’Aran-Duchenne. Il contribue aux descriptions de l’hémiplégie, de l’arthropathie tabétique, de la sciatique paralysante, du saturnisme et de la maladie de Charcot, ce qui le familiarise avec les méthodes scientifiques. Il devient chef de clinique, mais quitte bientôt la clinique pour se consacrer brièvement à la biologie, attaché à l’Institut Pasteur créé dix ans plus tôt.
« Pourquoi pas ? »
Très sportif, il pratique la boxe et l’escrime et surtout le rugby et la voile : en 1880, il organise le premier match de rugby scolaire à XV de l’histoire et sera champion de France de rugby à XV en 1896, puis double médaillé d’argent en voile aux jeux Olympiques de 1900. En 1911, il participera à la création des Éclaireurs de France, un des premiers mouvements, laïque, de scoutisme en France.
Il est persévérant et relève volontiers les défis en disant : « pourquoi pas ? », ce qui donnera le nom de baptême de ses quatre bateaux successifs. Outre ses qualités scientifiques, il est cultivé et cite volontiers Rabelais, avec l’esprit de salle de garde hérité de l’internat. Il est amical, porté à la plaisanterie, même dans les pires situations en mer. On le dira « maître de la glace, du vent et des mers » ou « Polar gentleman » pour Robert Falcon Scott, deuxième à atteindre le pôle Sud et qui est mort au retour. Sans se contenter d’écrire ses propres aventures, il écrira sur ceux qui, comme lui, découvrent de nouveaux mondes, réels (Christophe Colomb) ou imaginaires (Jules Verne).
L’année de son doctorat, une infirmière meurt en couches en lui donnant une fille. En 1896, il épouse Jeanne Hugo, petite-fille de l’écrivain, qui a divorcé de son ami d’études Léon Daudet. En rentrant en France de sa première expédition en Antarctique, il divorce et s’installe chez sa sœur Jeanne, avec sa fille. En janvier 1907, il se remariera avec la fille d’un célèbre avocat parisien, peintre, qui l’accompagnera souvent dans ses voyages, avec laquelle il aura deux autres filles.
S’évader de la médecine
Plus que médecin et plus que marin, il sera explorateur scientifique (
Déjà au collège il a rédigé les aventures d’un trois-mâts en Patagonie pour un petit journal illustré. Dès 1892, il a acheté un premier voilier, un sloop de 8,30 m sur lequel il a appris à régater. En 1893, il fait construire son premier Pourquoi-Pas ?, un cotre de 19,50 m, par le chantier Bonnin à Bordeaux avec lequel il fait, l’année suivante, une croisière de deux semaines.
En 1896, il le revend et le remplace par un trois-mâts en bois de 26 m, le Pourquoi-Pas ? II. L’année suivante, une goélette en fer de 31 m, le Pourquoi-Pas ? III, a un moteur à vapeur. Avec lui, Charcot remonte le Nil jusqu’à Assouan. En 1899, il rachète son Pourquoi-Pas ? II, auquel un propriétaire intermédiaire a apporté des modifications qui le séduisent, et va mener avec lui des observations nautiques, microbiologiques – le médecin biologiste n’est pas loin – et climatiques aux îles Shetland et Hébrides, déjà visitées avec son père, et aux îles Féroé.
En 1902, il fait une croisière avec son épouse sur une île entre la Norvège et le Groenland. Il revient en Islande et franchit pour la première fois le cercle polaire arctique.
Explorateur scientifique des pôles
En Antarctique
Avec le prétexte de secourir une expédition au pôle Sud, en août 1903, il part pour la première expédition française en Antarctique – depuis que Dumont d’Urville a découvert la terre Adélie en 1840 – avec Le Français, un trois-mâts goélette de 32 m qu’il a fait construire à Saint-Malo. Arrivé en Terre de Feu en janvier 1904, il étudie les côtes nord et nord-ouest de la terre de Graham, avec une équipe de naturalistes et de géologues qui observent les manchots et effectuent des relevés géographiques. Les moteurs de son navire ne sont pas assez puissants et il doit hiverner à l’île Wandel, premier hivernage d’une expédition scientifique aux Pôles. Début mars 1905, l’expédition rentre avec des objectifs scientifiques dépassés : 1 000 km de côtes découvertes et relevées, trois cartes marines détaillées, 75 caisses d’observations, de notes, de mesures et une collection de photos en stéréoscopie, conservées au musée d’ethnographie de l’université de Bordeaux. Il revend son bateau à la marine argentine.
Dès 1907, Charcot programme une nouvelle expédition antarctique pour laquelle il fait construire le Pourquoi-Pas ? IV, adapté pour naviguer dans les glaces (
La Grande Guerre, puis les missions scientifiques
En 1912, le Pourquoi-Pas ? IV devient le premier navire-école de la marine. En 1914, Charcot est mobilisé dans la marine et affecté à l’hôpital maritime de Cherbourg. En juillet 1915, l’Amirauté britannique lui confie le commandement d’un navire construit pour la chasse aux sous-marins. Quand, en 1916, la marine militaire française construit trois navires-leurres contre les sous-marins, il prend le commandement du premier et va circuler pendant deux ans le long des côtes bretonnes et normandes.
Après la guerre, il assure avec le Pourquoi-Pas ? IV des missions scientifiques dans le golfe de Gascogne, en Manche, dans l’Atlantique nord aux îles Féroé, et en Méditerranée. Il a mis au point du matériel et des méthodes de dragage qui permettent d’étudier la géologie sous-marine. Ses travaux scientifiques le conduiront à cofonder, en 1935, l’Aquarium et musée de la Mer à Dinard (qui deviendra en 2009 le Centre de recherche et d’enseignement sur les systèmes côtiers [Cresco]).
En Arctique et au Groenland
Atteint par la limite d’âge en 1925, il ne peut plus commander un bateau. Mais il reste à bord du Pourquoi-pas ? IV comme chef des missions vers l’Arctique et la côte orientale du Groenland, dont il rapporte d’abondants fossiles, insectes et plantes. En 1928, une mission part vers le pôle Nord à la recherche de l’explorateur norvégien Roald Amundsen – arrivé le premier au pôle Sud en décembre 1911 et lui-même parti sur un hydravion à la recherche de l’équipage du dirigeable Italia avec lequel le général Umberto Nobile voulait survoler le pôle Nord –, sans succès.
À partir de 1930, il organise l’Année polaire internationale, notamment l’implantation d’une station de recherche au Groenland en liaison avec les Danois. En 1934, il installe la mission ethnographique de Paul-Émile Victor qui va vivre un an au milieu d’Eskimos. En 1935, il viendra la rechercher en poursuivant la cartographie de ces régions. Sur les côtes d’Islande, Charcot essuie plusieurs tempêtes, obligeant son bateau à regagner Reykjavik pour être réparé. Il en repart le 15 septembre 1936, échappe à un ouragan, mais fait naufrage dans la brume sur des brisants de l’Islande, et coule avec son navire aux côtés de son commandant et de son équipage, dont un seul membre survivra (
La baie de charcot
Cette brillante carrière a été semée d’honneurs. Il préside le Yacht Club de France de 1913 à sa mort. Dans l’armée, mobilisé comme médecin de la marine de première classe, il gravit les différents grades jusqu’à capitaine de frégate dans la réserve, en 1923. Il a terminé la guerre avec les croix de guerre britannique puis française et une citation à l’ordre de l’armée. En 1926, il reçoit le prix Albert de Monaco. Il est élu à l’Académie de médecine, à l’Académie des sciences, au Bureau des longitudes et à l’Académie de marine. Tous ses exploits lui ont valu les titres de chef des missions polaires et de grand officier de la Légion d’honneur (1934). Pour finir, avec l’équipage du Pourquoi-Pas ?, il a droit à des funérailles nationales à Notre-Dame de Paris. Son nom sera donné à une baie de l’Antarctique, à de nombreux établissements de marine ou d’enseignement, à des navires et à d’innombrables rues.
1. Dupouy A. Charcot. Paris : Plon, Paris, 1938.
2. Kahn S. Jean-Baptiste Charcot : explorateur des mers, navigateur des pôles. Grenoble : Glénat, 2006.
3. Veron C. Un évadé de la médecine : Jean-Baptiste Charcot. Thèse, U.E.R. Médicales et Pharmaceutiques, Université de Rennes, 1975.
4. Charcot JB. Le Français au pôle Sud – Le Pourquoi-pas ? dans l’Antarctique. Paris : Arthaud, 2013.
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