Représentatif de cette génération de médecins brillants qui firent le succès de l’École de Paris au début du XIXe siècle, Récamier a été le premier à mettre au point les techniques chirurgicales des cancers gynécologiques.

Notoriété internationale

Lointain cousin de Juliette Récamier, Joseph Claude Anthelme Récamier naquit le 6 novembre 1774 à Rochefort-en-Bugey, dans l’Ain. Étant donné les incertitudes du temps, son père, notaire royal, le dirigea vers la médecine, profession considérée alors comme plus sûre que la sienne. Il commença ses études à l’hôpital de Belley dont les médecins formaient des étudiants au lit des malades. Il y rencontra Richerand (1779-1840) qui lui donna le goût de la chirurgie. En 1793, Récamier fut réquisitionné comme sous-major à l’armée des Alpes de Kellermann. Affecté pendant un an à l’hôpital de Bourg-en-Bresse, il y fit la connaissance de Bichat (1771-1802), avec lequel il se lia d’amitié. Puis il entra dans la marine, où il servit jusqu’en 1796, et après un bref séjour à Lyon il alla à Paris en 1797. La Révolution ayant mis à bas toutes les institutions médicales dont la faculté, qui était, il est vrai, bien vermoulue,1 une nouvelle organisation de la médecine et de la chirurgie tant en ce qui concernait les études que leur exercice se mit en place de façon très remarquable grâce en particulier à Fourcroy (1755-1809). Sous l’inspiration de Bichat et de Dupuytren (1777-1835) en 1796 se créa la Société médicale d’émulation dont Bichat fut le premier et Récamier le troisième secrétaire général. Il devint avec Dupuytren l’élève des chirurgiens Boyer (1757-1833) et surtout Corvisart (1755-1821) qui se voulait essentiellement thérapeute. En 1799, Réca-mier se présenta au concours de la toute nouvelle École pratique, il en remporta le grand prix et passa sa thèse de doctorat. Médecin suppléant de l’Hôtel-Dieu, il fut nommé médecin en chef en 1806, médecin et non chirurgien.
En 1820, il obtint une chaire à la faculté de médecine de Paris et siégea à l’Académie de médecine créée la même année. Il succéda à Laënnec au Collège de France en 1827. Sa notoriété devint internationale, dépassant, pour certains médecins, celle de son illustre cousine. Dans sa biographie de Récamier, Sauvé2 rapporte qu’un Allemand se trouvant à Plombières en même temps que Mme Récamier sollicita un rendez-vous auprès d’elle car, lui dit-il, « Je n’aurais voulu pour rien au monde retourner dans mon pays sans avoir contemplé une femme qui tient de si près à l’illustre chirurgien et qui porte son nom ».
Légitimiste, en 1830, comme Chateaubriand, refusant de prêter serment à Louis-Philippe, il dut renoncer à sa chaire à la faculté et au Collège de France. Il séjourna alors à Fribourg en Suisse et retourna en France en 1832. Il fonda alors avec Cayol (1787-1856) La Revue médicale. Il reprit ses cliniques dans son service de l’Hôtel-Dieu en 1837, mais comme professeur libre. Il mourut à Paris en 1852.

Recherches sur le cancer

Pourquoi considérer Récamier comme un cancérologue ? C’est qu’il y a consacré son principal ouvrage3 et qu’il a été le premier à mettre au point les techniques chirurgicales des cancers gynécologiques.
Son ouvrage en deux tomes contient des observations cliniques, n’abordant que dans le deuxième tome la partie théorique. Pour lui, le cancer est dû à un engorgement qui ultérieurement peut devenir une ulcération. Il peut atteindre toute personne, « Il n’y a entre les individus que des différences d’aptitude en plus ou en moins »4, et tout organe. Comme beaucoup à son époque, il pense que l’hygiène, l’alimentation, les habitudes ont une grande influence dans la genèse du mal ou dans sa préservation. Si une excitation locale peut être cause de cancer, il constate que les cancers profonds surviennent en dehors de toute notion de traumatisme. Enfin, selon lui, « le cancer est incontestablement héréditaire dans beaucoup de cas, sans que les organes compromis soient toujours les mêmes ».5 Il se pose la question de savoir s’il existe une prédisposition (diathèse) unilocale ou multilocale, « la diathèse locale [pouvant] passer successivement d’un organe à l’autre ».6
Il décrit l’extension du cancer par contiguïté et aux ganglions lymphatiques.7 Il indique que « le dévelop-pement d’un cancer secondaire éloigné pendant l’existence du premier, ou après sa destruction, ne démontre pas une cause matérielle, mais indique que la disposition n’était pas bornée au premier organe affecté, ou que celui-ci avait déjà imprimé à l’organisme l’empreinte latente ou manifeste de la cachexie cancéreuse ». Dans toutes ses descriptions, il n’utilise pas le mot de métastase, mais c’est à l’occasion d’une observation qu’il écrit que « la résolution spontanée d’un engorgement carcinomateux, suivie d’un autre engorgement de même nature, peut conduire à admettre des métastases cancéreuses ». En effet, pour les anciens, la métastase est le transfert de la matière morbidique du site initial où il s’était installé vers d’autres organes passant d’un organe important vers un organe accessoire, il y a alors « diadoche »8, c’est-à-dire disparition de la tumeur primitive ! Il ajoute après que « dans certains cas la diathèse cancéreuse peut s’user sans métastase » et de citer l’observation d’une régression d’un cancer du sein lors de la ménopause.
En dehors de ces rares cas, il considère le pronostic, évidemment, comme très fâcheux. « Quand la maladie est locale, elle guérit parfois spontanément et par les moyens de l’art, tandis que lorsqu’elle affecte plusieurs organes simultanément ou successivement, elle devient nécessairement incurable. »9 Pour lui, cette récidive ne prouve-t-elle pas un vice général primitif ? Non ; mais elle suppose une susceptibilité locale et spéciale à la dégénérescence cancéreuse.
Le traitement, certes, peut comporter des prescriptions d’ordre général, régime alimentaire, vêtements (!), d’habitation, exercice physique, exercice calme, voyages, usage des eaux minérales.10 Il utilise « toutes les ressources thérapeutiques [systémiques] préconisées par les anciens et les modernes: l’aconit, la ciguë, la cura famis* ».11
Mais, pour lui, malgré ses dangers, le traitement local est le plus efficace : cautérisation, ablation, et compression mise au point en Angleterre par Young et Pearson avec un certain bonheur. Cette dernière n’était pas, selon lui, un traitement spécifique, mais l’idée qui la justifie n’est pas purement mécanique. Si des tumeurs peuvent détruire un tissu sain par compression, pourquoi une compression ne pourrait-elle pas détruire une tumeur ? « La compression entrave la circulation et provoque ou excite l’absorption. » Il l’importe donc en France. En fait, cette technique, qu’il appliqua en particulier pour le cancer du sein, n’eut qu’une mode éphémère, et pour cause les succès étaient loin d’être au rendez-vous.

Première hystérectomie

C’est au point de vue gynécologique que son œuvre restera durable. Il invente le spéculum bivalve, qu’il vulgarise en 1817. « Ceci le conduira à la cautérisation du col cancéreux, puis à son ablation, de l’ablation à la compression, de la compression à l’hystérectomie vaginale. »12 Cette dernière – hystérectomie réglée avec ablation totale de l’uterus par une incision circulaire vaginale – qu’il réalise pour la première fois le 23 juillet 1829, pour un cancer13, en 20 minutes, peut être considérée comme son apport capital en cancérologie. Cette intervention fut cependant condamnée par l’Académie – l’élite scientifique lui est en effet hostile –, elle ne reviendra en France en 1882.14 Dans les cas où l’extirpation des tumeurs lui paraissait trop dangereuses, il les liait15 soit complètement soit en les morcelant.
Grâce à l’invention du spéculum permettant de voir l’état du col de l’uterus, il en pratique l’amputation dans un but de prévention lorsqu’il constate des lésions inflammatoires. « Sous l’influence des idées physiologiques régnantes, a-t-on dit, les médecins du temps croyant, malgré les réserves de Bayle, à la dégénérescence cancéreuse, à la transformation des inflammations en carcinome, pratiquèrent cette opération avec trop de facilité.16 »
Comme tous les médecins de son époque, Récamier était généraliste. Parmi ses innovations thérapeutiques, signalons l’usage du bain froid**, méthode de réfrigération qui resta longtemps en usage.
De nombreux auteurs ont fait son éloge, mais nous laisserons le dernier mot à un médecin anglais, John Tild, qui écrivit en 1850 : « Récamier peut être justement considéré comme une des gloires de l’humanité, et comme un de ces beaux caractères qui, à des intervalles trop rares, brillent dans l’histoire de la médecine et imposent au monde le respect de notre profession ».17 
*Une version de cet article est déjà parue dans Le nouveau cancérologue (2012;05:116-7)* C’est-à-dire une diète sévère. ** Il appliqua sur lui-même lorsqu’il fut atteint de fièvre typhoïde.
Références
1. Triaire P. Récamier et ses contemporains Paris : J.-B. Baillière, 1899 : p. 106 et suivantes.
2. Sauvé L. Le docteur Récamier. Paris : Spes, 1938 : p. 12 cote ANM 46787.
3. Récamier JCA. Recherches sur le traitement du cancer par la compression méthodique simple ou combinée et sur l’histoire générale de la même maladie. Paris : Gabon, 1829.
4. Idem T 2 p. 213.
5. Idem p. 217.
6. R2 p.212, 236.
7. Idem p. 69, 70 et 77.
8. Réf ci-dessous p. 290.
9. Idem R2 p. 215.
10. Idem R2 p. 48.
11. Triaire op. cité p. 199.
12. (Tr p.147)
13. T. p. 211.
14. Triaire p. 210-220.
15. Idem p. 374.
16. Idem p. 207.
17. Sauvé op. cité p. 230.

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