Quelques mois après le violent tremblement de terre subi par Haïti le 12 janvier 2010, une épidémie meurtrière de choléra éclata sur l’île. Le Pr Renaud Piarroux, qui fut appelé sur place en tant qu’expert de la maladie, prit très rapidement au sérieux et confirma la rumeur qui désignait, comme origine de l’épidémie, un camp de casques bleus népalais envoyés dans l’île par l’Organisation des Nations unies (ONU) dans le cadre d’une mission pour stabiliser le pays (la Minustah). Ce livre remarquable et désespérant est donc le récit d’un désastre qui fit plusieurs dizaines de milliers de victimes. Les soldats avaient eu une visite d’aptitude dans leur pays, mais bien qu’une épidémie de choléra sévît à l’époque au Népal, ni la maladie ni une exposition suspecte n’avaient été recherchées chez eux. Puis ils avaient eu 10 jours de permission avant de partir sans qu’un nouvel examen soit effectué. On ne sait pas ce qui s’est passé exactement dans leur camp à Haïti, mais il est désormais avéré que le contenu de la fosse septique où s’évacuaient sans précautions les latrines et qui devait contenir une quantité énorme de vibrions cholériques (« une bombe bactériologique ») a été déversé dans une petite rivière qui alimentait le fleuve Artibonite, dont la population buvait l’eau. Cette contamination massive des eaux dans un territoire totalement désorganisé, aux installations sanitaires inexistantes ou défaillantes, dans un contexte de déplacement incessant des populations et de pluies diluviennes explique le caractère explosif de l’épidémie dans un pays jusqu’alors totalement épargné par cette maladie : près de 10 000 personnes contractèrent le choléra le long du trajet du fleuve les jours suivants.
Mais le drame humain se doubla d’un scandale à peine croyable : la volonté des Nations unies de dissimuler leur responsabilité dans cette catastrophe, aidées pour cela par des scientifiques de renom qui firent appel à une théorie alternative afin de minimiser le rôle du contingent népalais. Cette théorie « environnementale » expliqua que des vibrions cholériques, présents à l’état endémique dans les estuaires des fleuves, purent trouver, sous l’effet du réchauffement climatique et des modifications de la composition des eaux fluviales liées au tremblement de terre et à la saison des pluies, un milieu très favorable à leur prolifération. Ce phénomène conjugué à la situation sanitaire déplorable du pays aurait facilité l’apparition de foyers épidémiques « spontanés » qui se seraient propagés à partir des côtes (et de fait loin du campement népalais). Cette théorie avait été élaborée par Rita Colwell, une experte reconnue, qui avait déjà expliqué la résurgence du choléra sur les côtes péruviennes en 1991 par la conjonction du phénomène climatique El Niño et la vidange des ballasts de navires en provenance des zones d’endémie asiatique, une hypothèse qui a fait long feu depuis mais qui avait eu à l’époque beaucoup de succès. Nombreux sont les experts, y compris au sein des fameux Centers for Disease Control (CDC) d’Atlanta qui se référeront à cette théorie et qui même après la démonstration de l’identité parfaite entre les souches népalaises et haïtiennes du vibrion continuèrent à alimenter le doute : « La découverte [de l’identité des souches] n’identifie pas la source et n’explique pas comment le choléra a soudainement éclaté dans le centre rural de ce pays vulnérable », expliquait un épidémiologiste des CDC...
Mais le drame humain se doubla d’un scandale à peine croyable : la volonté des Nations unies de dissimuler leur responsabilité dans cette catastrophe, aidées pour cela par des scientifiques de renom qui firent appel à une théorie alternative afin de minimiser le rôle du contingent népalais. Cette théorie « environnementale » expliqua que des vibrions cholériques, présents à l’état endémique dans les estuaires des fleuves, purent trouver, sous l’effet du réchauffement climatique et des modifications de la composition des eaux fluviales liées au tremblement de terre et à la saison des pluies, un milieu très favorable à leur prolifération. Ce phénomène conjugué à la situation sanitaire déplorable du pays aurait facilité l’apparition de foyers épidémiques « spontanés » qui se seraient propagés à partir des côtes (et de fait loin du campement népalais). Cette théorie avait été élaborée par Rita Colwell, une experte reconnue, qui avait déjà expliqué la résurgence du choléra sur les côtes péruviennes en 1991 par la conjonction du phénomène climatique El Niño et la vidange des ballasts de navires en provenance des zones d’endémie asiatique, une hypothèse qui a fait long feu depuis mais qui avait eu à l’époque beaucoup de succès. Nombreux sont les experts, y compris au sein des fameux Centers for Disease Control (CDC) d’Atlanta qui se référeront à cette théorie et qui même après la démonstration de l’identité parfaite entre les souches népalaises et haïtiennes du vibrion continuèrent à alimenter le doute : « La découverte [de l’identité des souches] n’identifie pas la source et n’explique pas comment le choléra a soudainement éclaté dans le centre rural de ce pays vulnérable », expliquait un épidémiologiste des CDC...
Des excuses… 6 ans après
Si la théorie environnementale permettait de dédouaner le contingent népalais (et d’éviter d’éventuelles représailles de la part de la population, ce qui n’a pas empêché le lynchage de personnes qui furent suspectées d’avoir provoqué la maladie par sorcellerie), elle a induit aussi une forme de fatalisme quant à la capacité d’éradiquer l’épidémie. Renaud Piarroux décrit en détail les difficultés innombrables auxquelles se sont heurtées sur le terrain les équipes mobiles d’intervention rapide qu’il a contribué à mettre en place : inaction ou défiance des autorités locales, criminalité, manque de soutien de certains opérateurs, promesses non tenues de bailleurs de fonds… Pour finir, c’est de l’intérieur même de l’ONU que viendra la critique la plus acerbe de la position onusienne. Le rapporteur spécial Philip Alston pourfendra la théorie environnementale dans une analyse qui recoupa celle de Renaud Piarroux, ce qui conduira le secrétaire général, Ban Ki-moon, à présenter en décembre 2016 (6 ans après le début de l’épidémie…) des excuses aux Haïtiens pour la responsabilité de l’ONU dans l’apparition du choléra dans le pays. Il reste aujourd’hui que le choléra est devenu endémique en Haïti, que le pays n’est pas à l’abri d’une nouvelle catastrophe et qu’on attend toujours, même si les Nations unies bénéficient d’une immunité de fait, qu’un dédommagement ou qu’une assistance soit portée aux nombreuses familles victimes d’un fléau né avant tout d’une invraisemblable négligence puis d’un déni inacceptable.
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